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Un Cadet de Famille, v. 2/3

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LIX

En arrivant à la ville, qui est bâtie près du port, à l'entrée d'une charmante vallée que nous venions de franchir, et au-dessus de laquelle était une montagne, nous passâmes devant d'assez jolies maisons entourées de jardins remplis de fruits et de fleurs. Après avoir traversé les faubourgs, nous franchîmes plusieurs rues sales, étroites, dépavées, aux maisons construites avec des matériaux mélangés de mauvaises pierres, de boue et de bois. En approchant du havre, nous découvrîmes la maison du commandant, et les vilaines habitations qui entouraient cette résidence lui donnaient l'apparence extérieure d'un magnifique palais.

Le commandant nous reçut avec une politesse parfaite, avec cette politesse française qui contraste si vivement avec les manières du grossier et roide Anglais au pouvoir, qui, du haut de sa puissance, regarde chaque étranger comme un importun, et lui demande d'un air bourru:

– Que voulez-vous, monsieur?

Si, contre sa nature, ce personnage vous engage à entrer dans l'intérieur de sa maison, et si vous trouvez sa femme, qui n'est point préparée à recevoir votre visite, elle rougit de colère, et, après avoir adressé à son mari quelques mots à demi prononcés, elle sort du salon comme une furie; à moins que vous n'ayez personnellement ou par un moyen quelconque la puissance de calmer cette femme, elle sera de mauvaise humeur pendant toute la durée du jour, et à ses yeux vous passerez éternellement pour un importun.

La réception que nous fit le commandant français fut tout à fait différente, car il nous accabla de prévenances et d'amitiés.

Pendant qu'on préparait des rafraîchissements, il m'entraîna dans le boudoir de sa femme et lui dit:

– Ma chère, je vous présente un jeune chef arabe.

Quand le commandant nous eut quittés, la dame me fit asseoir à côté d'elle sur un canapé, et m'adressa, sans en attendre la réponse, une foule de questions, ne mettant pas un seul instant en doute que je n'étais pas ce que je semblais être.

– Vous êtes fort beau, me dit-elle, mais vos châles sont encore plus magnifiques que vous. Je désirerais bien savoir s'ils sont de véritables cachemires. Pourquoi rasez-vous votre tête? Croyez-vous à la vierge Marie? Avez-vous jamais aimé? Voudriez-vous être baptisé?

Les mains de la dame étaient aussi vives que sa langue, et elle me déshabillait presque pour examiner plus à l'aise chaque partie de mes vêtements.

– Votre peau est bien douce, reprit-elle après un court silence, et vous n'êtes pas très-noir. Les femmes arabes sont-elles belles? Aimez-vous les Françaises? Mon intention est de rentrer bientôt en France. Je ne puis plus supporter ni la chaleur, ni l'entourage d'un peuple barbare, ni le manque absolu d'une société amusante; les choses indispensables au bien-être de l'existence sont ici en profusion, mais j'en suis lasse, car elles ne satisfont plus que des besoins matériels.

L'arrivée de de Ruyter suspendit pendant quelques minutes le bavardage de l'éloquente dame, et elle accueillit mon ami avec un empressement qui prouvait la haute considération qu'elle avait pour son hôte. Pour elle, de Ruyter était le seul gentleman de l'île; il avait passé plusieurs années à Paris, et elle lui parlait sans cesse de cette chère ville.

– Cher de Ruyter, ce garçon vous appartient-il? Où l'avez-vous trouvé? Il me plaît beaucoup, et je suis positivement déterminée à l'emmener avec moi à Paris. Pensez donc à la magique sensation qu'il y fera! N'est-il pas surprenant que ces peuples, qui vivent dans les déserts avec des lions et des tigres, aient un air si distingué et se comportent d'une manière si convenable? Mon cher de Ruyter, vous faites-vous une idée de ce que sera ce garçon quand il aura passé un hiver à Paris, et appris à valser? La belle et chère créature! Souvenez-vous bien que vous m'avez donné ce garçon, de Ruyter. Qu'il met donc bien son turban! Quel est votre nom? Allons, montrez-moi comment vous pliez vos châles; tout Paris raffolera de vous.

Madame *** bavarda ainsi jusqu'à ce que l'accès de fatigue la contraignît à se taire, puis elle protesta qu'il lui serait impossible de supporter que je la quittasse un instant. Elle se coucha sur le canapé et me dit de lui donner un punka et un éventail.

– Ah! s'écria-t-elle, qui voudrait vivre dans un pays où la chaleur est si insupportable; on ne peut dire un seul mot de bienvenue à un ami sans être près de mourir de fatigue. Je vous assure que ce mois-ci je n'ai pas prononcé vingt paroles. Ce garçon doit être bien las aussi. Vous connaissez notre maison, de Ruyter, et je vous prie – voilà une chère créature! – de m'envoyer quelques-unes de mes femmes et de me passer cette eau de Cologne.

Après un magnifique déjeuner, le commandant nous conduisit, avec le capitaine et quelques officiers de la corvette, qui était alors à Port-Louis, dans un cabinet de lecture que les marchands avaient établi là; nous trouvâmes rassemblées les principales personnes militaires, civiles et mercantiles du pays. Le commandant fut prié de lire une lettre de remercîments, adressée par tous les habitants de l'île au capitaine de la corvette, aux officiers, à de Ruyter, en un mot à tout l'équipage du grab et de la corvette, pour le grand service qu'ils avaient rendu en exterminant les pirates de Saint-Sébastien.

Le capitaine français dit que le succès de l'entreprise devait être attribué à l'adresse et à l'intrépidité de de Ruyter.

Après cet éloge, auquel répondirent des félicitations chaleureuses, le commandant offrit aux capitaines des vaisseaux deux belles épées, et au premier lieutenant et à moi deux coupes d'argent avec des inscriptions dessus.

Pour se conformer à un désir exprimé par de Ruyter, le commandant de l'île ne fit aucune mention de la frégate anglaise.

Après avoir pris quelques rafraîchissements, feuilleté des livres et parcouru des journaux, nous nous séparâmes.

À notre rentrée dans la maison du commandant, où un dîner public devait se donner le soir, nous trouvâmes sa femme, qui voulait absolument nous contraindre à dormir pendant la chaleur de la journée, mais je pris la fuite et je me rendis sur le port.

Le magnifique schooner américain était là, et j'aurais volontiers consacré mon séjour à Port-Louis à la contemplation de ses formes merveilleuses, si les plaintes des esclaves chancelants sous leurs lourds fardeaux, si leurs fronts couverts de sueur, leurs yeux fatigués et leurs dos meurtris ne m'eussent chassé loin de ce triste spectacle.

Je poursuivis ma promenade autour de Port-Louis. La ville a une population de dix-sept à dix-huit mille âmes, et il y a au moins huit cents Européens. Le reste est un mélange de toutes les nations, ce qui fait que le nombre des esclaves y est énorme. Ces esclaves sont presque tous natifs de Mozambique, de Madagascar ou de différentes îles. La ville n'emploie pour le transport de ses marchandises ou de ses denrées ni chevaux ni charrettes, et les esclaves et les buffles sont les bêtes de somme. Je pénétrai dans les cabanes des natifs et je causai avec eux jusqu'au moment où l'heure m'annonça qu'il était temps de rentrer dans la maison du commandant.

À la nuit tombante, notre hôte nous conduisit jusqu'au dehors de la ville, et nous quitta en nous engageant à aller lui rendre visite toutes les fois que nous voudrions bien songer à lui.

LX

J'éprouvais une si ardente impatience de rentrer à la maison, que je n'accordai aucun égard au paysage.

– Quelle opinion avez-vous de cette dame? me demanda de Ruyter.

– C'est un ange de douceur; elle a un caractère divin, des sentiments et un courage de lionne! Quoiqu'elle soit très-silencieuse, elle est spirituelle, parce que son silence est la timidité d'une méditation profonde, car des yeux si beaux et une bouche si adorable ne peuvent être sans signification.

– Arrêtez là, mon jeune ami, vous en avez assez dit. J'admets qu'elle possède les beautés de sa nation, c'est-à-dire la jeunesse et la toilette; quant aux charmes que vous énumérez si pompeusement, je ne suis pas sur la voie qui peut me les faire découvrir, et je n'ai même aucune idée de leur mystérieuse existence. J'ai vécu, Trelawnay. Appelez-vous timidité l'air et les manières d'une courtisane? Quant à sa profonde méditation, vous pouvez tout aussi bien appeler contemplatifs les criards perroquets. Vous parlez encore de son extrême silence, mais je préférerais être couché dans un gouffre avec un ouragan sur ma tête, ou bien encore être condamné aux galères, que de supporter l'horrible torture d'entendre parler une Française une heure par jour dans un climat des tropiques.

– Une Française! m'écriai-je, de qui parlez-vous?

– De qui? Mais de quelle autre personne, pensez-vous que je puisse parler, si ce n'est de la femme avec laquelle nous avons passé la journée?

– Ah! je l'avais tout à fait oubliée; j'ai cru que vous me parliez de Zéla.

– Ah! ah! répondit de Ruyter en riant, vous êtes le garçon qui écrivit à son père en finissant ainsi sa lettre:

«Ma bien-aimée Zéla, je suis toujours à toi.»

Je vous croyais plus grand dans vos vues que cela, Trelawnay. Les esprits sérieux ne doivent jamais se laisser assujettir par un ennemi aussi rampant et aussi faible que l'amour. Vous vous nourrissez d'un poison qui tuera les nobles sentiments de votre cœur et l'énergie de votre nature; vous avez maintenant dans le sein un feu aussi inextinguible que celui qui brûle dans le flanc de cette montagne. Souvenez-vous de mes paroles, mon garçon; il vous détruira comme ce volcan détruira cette montagne, quoiqu'elle soit de granit.

Pauvre enfant, je vous plains, car je vois que vous êtes déjà soumis et résigné comme un esclave sans espoir, résigné et soumis à la plus énervante des passions humaines!

Les femmes ressemblent à des plantes parasites qui jettent leurs sauvages tendrons sur un arbre, sur deux, sur trois, jusqu'à ce que, devenues un dur cordage, elles étranglent ceux qu'elles embrassent.

 

Votre front grand et ouvert indique un jugement qui, à sa maturité, devra écraser la vile passion au premier jour de sa naissance. Des hommes comme vous, Trelawnay, sont créés pour accomplir de nobles et grandes choses, pour faire des actions qui les placent au-dessus de la faiblesse du genre humain; ils ne doivent consacrer leur temps ni aux idées étroites et intéressées, ni aux plaisirs d'un seul individu, quelque digne qu'il en soit. Comment, vous vous livrez à l'amusement puéril de caresser une pauvre petite babiole, une poupée d'enfant!

Me voyant silencieux et attristé, de Ruyter termina son discours par la citation d'une phrase de son auteur favori (Shakspeare), mais, comme tout le monde, il citait dans l'espoir de gagner sa propre cause:

«Réveillez-vous, enfant, et le faible, le lascif Cupidon desserrera de votre cou son étreinte amoureuse, et, comme une goutte de rosée rejetée de la crinière d'un lion, il tombera à vos pieds.»

Pour adoucir la peine qu'il m'avait faite, de Ruyter ajouta:

– Je ne blâme pas positivement l'amour que vous avez pour Zéla: elle est votre femme, et, de plus, digne d'être aimée; mais je blâme une affection exclusive qui vous fait perdre votre temps et vos talents, et ils peuvent l'un et l'autre être utilement employés.

Quand de Ruyter eut épuisé un sujet de conversation auquel mon silence donnait des limites restreintes, il essaya de réveiller en moi l'intérêt que j'avais autrefois pour mes devoirs particuliers.

Je répondis peu à ses bienveillantes paroles, et, pour éviter une plus longue discussion, je donnai un coup de cravache à mon cheval, et je laissai de Ruyter causer avec Aston.

En galopant vers la hauteur sur laquelle était située la maison, je fus très-surpris de voir que les fenêtres et les jalousies de la salle du milieu étaient hermétiquement fermées. La soirée était fraîche, le soleil avait disparu derrière les collines; à l'ouest, une douce brise venant de la mer faisait bruire les arbres et demandait l'ouverture de toutes les croisées. Un malheur devait être arrivé, pour que la préoccupation empêchât de prendre le soin habituel de changer l'air des appartements. Comme Zéla occupait entièrement mes pensées, malgré la censure que de Ruyter venait de me faire sur l'amour, je sautai à bas de mon cheval, je brisai une jalousie, et je tombai dans la salle.

La soudaine transition de la lumière à une complète obscurité m'empêcha de distinguer les objets.

– Qui est là? criai-je vivement.

– Fermez la fenêtre, me répondit une voix, fermez la fenêtre; elle se sauvera; fermez vite.

En avançant, je fis un faux pas et je tombai dans le bassin.

La voix vociférait toujours:

– Fermez la fenêtre. Ah! elles se sauveront! elles se sauveront!

Je sortis du bassin, et en regardant autour de la salle, je vis une forme longue, maigre et sombre qui s'avançait vers moi.

Je reconnus bientôt le pas flasque et le visage fantastique de Van Scolpvelt.

D'une main le docteur tenait une lanterne, et de l'autre il brandissait un long bambou blanc.

Il passa près de moi sans me regarder, car ses yeux, presque hors des orbites, dévoraient le plafond.

Après avoir fermé la fenêtre, il murmura:

– Elles ne se sont pas échappées, les voilà, et l'air leur a fait du bien; elles étaient un peu étourdies, mais elles ont repris leur vivacité première. Eh bien! c'est vraiment merveilleux; regardez… Ah! c'est vous, capitaine?.. Je croyais que c'était un des noirs; je suis content que vous soyez venu, car vous serez enchanté de voir les jolies bêtes qui folâtrent dans l'air.

– Que voulez-vous dire, docteur? Je ne vois rien; je crois, en vérité, qu'une vision diabolique occupe votre esprit; il le faut vraiment pour que vous ayez la force de supporter l'étouffante atmosphère de cette chambre.

– Je ne sens pas la chaleur, répondit Van Scolpvelt. N'ouvrez pas les fenêtres, regardez-les, je vous en prie.

– Je les vois et j'entends leurs faibles cris. Que faites-vous renfermé avec ces oiseaux? Êtes-vous en train de les ensorceler?

– Des oiseaux, hum! des oiseaux! Elles ne sont pas plus des oiseaux que moi, elles sont vivipares et classées dans le même rang que les animaux, et que vous-même. L'autre jour, quand je vous ai envoyé mon Spallanzani, vous l'avez rejeté. Eh bien! si vous l'aviez lu, vous ne seriez pas si ignorant; une chauve-souris un oiseau!

– Allons, Van, ouvrez les fenêtres, j'ai mal au cœur.

– Mal au cœur! qu'est-ce que cela fait, ne suis-je pas ici? Je désire vous faire voir le secret de l'expérience. Ne croiriez-vous pas, en regardant leurs mouvements, qu'elles ont l'usage de leurs orbes visuels? Imaginez-vous qu'ils ont été brûlés!

– Brûlés?

– Oui, il y a une demi-heure.

– Quelle est la brute qui a fait cela?

J'ouvris la porte et je vis accourir Zéla, qui me dit en pleurant:

– Je suis bien contente que vous soyez revenu; cet horrible Indien jaune a attrapé des chauves-souris et il leur a arraché les yeux avec des aiguilles brûlantes.

Voici ce qui était arrivé. En venant rendre visite à de Ruyter, le docteur avait trouvé des chauves-souris dans les trous d'un vieux mur en ruine. Il en avait attrapé trois, aveuglé deux avec un fil de fer rouge, et après avoir arraché les yeux à la troisième, il les avait mises en liberté dans la chambre, afin de voir s'il leur était possible de diriger leur vol avec la même rapidité et la même précision qu'avant d'être si horriblement privées de la vue. Van nommait cela une expérience intéressante, délicieuse, et surtout satisfaisante.

– Spallanzani, me dit-il, a fait ce même essai sur la chauve-souris ordinaire, mais moi j'essaye sur la classe vampire. Ce soir je résoudrai une autre question. On dit que les chauves-souris sont de si admirables phlébotomistes qu'elles insinuent leurs langues, – qui sont pointues comme les plus fines lancettes, – dans les veines des personnes endormies; elles se servent de leurs longues ailes comme d'un éventail pour rendre le sommeil plus calme, puis elles extraient une énorme quantité de sang. Ces vampires ailés préfèrent les veines qui sont derrière le cou ou sur les tempes. Quelquefois la victime meurt insensiblement, affaiblie degré à degré par la perte de son sang.

Maintenant, capitaine, vous qui êtes jeune, échauffé, fiévreux; vous dont les veines sont grandes et pleines, vous devez aller reposer cette nuit à côté de ce vieux mur. Je réglerai la quantité de sang qu'aspirera le vampire, et je m'engage à empêcher que vous saigniez après, ce qui constitue le seul danger de cette expérience. Pensez au bienfait dont vous doterez la science, car si le succès couronne notre tentative, les ventouses, les sangsues, enfin tous les moyens employés pour ôter le sang seront avantageusement remplacés par cet inestimable phlébotomiste. Vers le matin nous ferons l'examen de la construction physiologique de la langue du vampire, car peut-être y découvrirons-nous un moyen pour perfectionner les lancettes dont on se sert usuellement.

Échauffé par ses désirs, le docteur devint éloquent, et son éloquence, que n'interrompit pas l'arrivée de de Ruyter et d'Aston, me faisait rire aux éclats.

Comme je savais qu'il était parfaitement inutile de disputer avec Van Scolpvelt, je me contentai de refuser nettement sa charmante proposition en lui exprimant l'horreur que je ressentais pour tout ce qu'il avait déjà fait.

Le docteur se tourna vers Aston et vers de Ruyter en les suppliant l'un et l'autre, toujours au nom de la science, de se soumettre à cette savante expérience. Mais les trouvant sourds à ses ardentes prières, le docteur donna à ses traits la mine la plus plaintive et la plus attendrissante, et dit à Zéla:

– Et vous, me…

La jeune fille n'en écouta pas davantage; elle se sauva avec la rapidité d'un lièvre.

Van Scolpvelt gronda sourdement contre l'égoïsme des hommes, contre la légèreté d'esprit des femmes, puis il dit d'un air inspiré:

– Eh bien, ce sera moi! oui, moi! Je me coucherai auprès du mur; qu'on m'y fasse immédiatement porter une couche ou des tapis suffisants.

LXI

Aston et moi nous nous jurâmes de punir Van Scolpvelt de sa cruauté envers les chauves-souris. Notre plan d'attaque fut arrêté, et pendant que de Ruyter tint compagnie au docteur, je me fis suivre de deux garçons noirs afin d'examiner sur toutes leurs faces les localités du puits. Bâti à la façon orientale, ce puits était large, profond, et des marches de pierre cassées, usées, conduisaient à la proximité de l'eau. Couchées au centre d'une végétation de plantes grasses, de fleurs gluantes, les marches étaient glissantes, et les excréments des chauves-souris, le passage des crapauds, ne contribuaient pas faiblement à les rendre fort dangereuses. Quand je fus parvenu, avec une peine inouïe, à descendre ce gluant escalier, je plongeai un bambou dans l'eau afin de me rendre compte de sa profondeur; cette profondeur n'était que de trois pieds.

J'envoyai un garçon me chercher le hamac de de Ruyter, et nous le plaçâmes, la tête sur les marches du puits, en passant une corde dans les anneaux qui étaient à chaque bout; à ces deux soutiens nous joignîmes une seconde corde mise transversalement, afin de donner de la roideur au hamac quand le docteur y serait étendu.

Les branches d'un grand arbre ombrageaient l'ouverture du puits, nous attachâmes une poulie à la plus forte des branches, à celle dont le feuillage nous parut assez épais pour dissimuler le jeu de la poulie. Ceci fait, j'instruisis les noirs de mes projets; je leur appris les rôles qu'ils avaient à jouer, et je les emmenai à la maison, pour les habiller suivant les exigences du devoir qu'ils devaient consciencieusement remplir.

En entrant dans la salle pour appeler de Ruyter, – car il avait été convenu qu'Aston resterait avec le docteur pour l'amuser jusqu'à l'heure qui devait sonner le repas, – je fus obligé de m'arrêter pour écouter avec une juste admiration le discours prononcé par le savant Esculape.

– Je voudrais, criait Van Scolpvelt d'une voix stridente, je voudrais que ma mère ne m'eût point donné la vie, ou bien encore que cette vie m'eût été accordée par le ciel mille années avant cette époque de ténébreuse ignorance, époque désastreuse, qui laisse lâchement dépérir la science. Si les hommes étaient sages, sensés ou seulement raisonnables, ils eussent fait des prodiges pour activer la marche tortueuse de la science. Elle se serait avancée à la voix protectrice de l'encouragement, à l'aide des protections du pouvoir; elle eût prospéré, grandi, et son éclatante lumière serait venue dissiper les sombres nuages qui nous enveloppent. Le chimiste et sa batterie galvanique ne seraient pas en train de détruire, mais de créer! Ô ma mère, si vous étiez arrivée jusqu'à cette sombre période, si vous aviez connu une époque de faiblesse telle, qu'il soit impossible au savant de trouver un homme assez généreux pour se coucher auprès d'un puits! Qu'auriez-vous dit dans la stupeur de votre affliction? vous, ma mère, qui m'aimiez, vous qui ne révériez que la science et moi, votre unique enfant; et, en aimant ce fils de vos entrailles, vous aimiez encore la science! la science, à laquelle j'avais consacré mes jours et mes nuits; et vous savez, ma mère, avec quelle ardeur les Van Scolpvelt ont poursuivi leur divine, leur sainte profession. Vous souvient-il encore du jour où les suites d'une trop grande application à l'étude vous donnaient une vive douleur à l'œil? cette douleur s'augmenta, et je vous dis:

– Ma mère, si vous ne me laissez pas arracher votre œil, vous aurez un cancer.

– Mon fils, ôtez-le.

Ce fut votre seule réponse. J'enlevai à l'instant votre œil, et vous ne laissâtes échapper ni une plainte, ni un regret, ni un soupir; votre beau front rayonna de joie, car la main de l'opérateur avait été calme, légère, sûre et ferme; et, ajouta Van Scolpvelt avec exaltation, où trouveriez-vous aujourd'hui une pareille femme?

Notre réponse fut un immense éclat de rire.

Van Scolpvelt se leva furieux; il alluma, en grondant de sourdes paroles, l'inséparable amie de ses études, son écume de mer, et il se rendit au jardin en rappelant à Aston qu'il avait promis d'aller, d'heure en heure, lui rendre visite dans sa couche aérienne.

Nous préparâmes aussitôt les noirs aux rôles qu'ils avaient à jouer. Avec de la chaux liquide, de Ruyter dessina sur le corps nu des jeunes garçons des lignes blanches, et dont l'éclat ressortait vivement sur la teinte noire de leur peau; ces lignes donnaient à nos acteurs une apparence de squelette réellement effrayante. Ce ne fut pas tout; nous attachâmes à leur dos, en forme d'ailes, des archets malais couverts de papier noir rayé de blanc, ensuite nous leur mîmes entre les mains des aiguilles à coudre, liées ensemble avec du fil, mais séparées les unes des autres comme celles dont les matelots se servent pour tatouer leur peau.

 

Vers minuit, Aston et de Ruyter se placèrent au bout du cordage qui devait être hissé au moment du signal. Sans être ni vu, ni entendu, je me glissai sous l'arbre qui avoisinait le puits, et les garçons spectres se cachèrent sous les buissons de chaque côté du hamac. Les noires chauves-souris voltigeaient les unes autour du puits, les autres au-dessus de la tête de Van Scolpvelt, qui était couché sur le dos, et qui semblait les regarder avec une anxiété curieuse et non effrayée. Van s'était muni d'un bandage, afin d'arrêter l'écoulement du sang, quand, en sa qualité de médecin, il se serait écrié: – Arrêtez! assez!..

Le plus profond silence régnait dans le jardin. Je donnai le signal de l'entrée en scène. Aussitôt les spectres se levèrent, et leur voix criarde jeta un hurlement aigu; ils battirent bruyamment leurs ailes, et vinrent envelopper le docteur dans les pans du hamac. Un second signal éleva l'amant de la science au-dessus de l'arbre, et, quand il redescendit à la hauteur du puits, les noirs gambadèrent autour du docteur et le piquèrent du bout de leurs aiguilles avec une rapidité si légère et à la fois si tourmentante, que le docteur dut se croire la proie d'un essaim de guêpes sauvages.

Après cette seconde scène, nous précipitâmes le hamac dans les profondeurs du puits; alors le spectacle devint étrange: troublées dans leur retraite, les chauves-souris s'élancèrent dehors en battant confusément leurs ailes; les crapauds et les rats augmentèrent le tapage, et ce fut la symphonie la plus horriblement discordante que j'aie jamais entendue. Quand le hamac fut posé au fond du puits, nous poussâmes ensemble le cri aigu des Indiens; ce cri retentissant effraya tous les habitants du puits, qui sortirent en désordre de leur sombre demeure.

Pour nous, qui ne faisions que regarder dans le puits, ce spectacle était épouvantable, et pour celui qui était au centre même de l'insurrection, il devait être horrible.

Je commençai à comprendre que mon espièglerie pouvait devenir dangereuse, et je fis part de mes craintes à de Ruyter.

– Ne vous tourmentez pas, me répondit-il, Van Scolpvelt a le cœur d'un stoïcien; c'est sa philosophie ou sa peur, – car ces deux sentiments ne sont pas incompatibles, quoiqu'ils doivent l'être, – qui l'empêche d'appeler au secours.

– Chut! dis-je tout bas, j'entends sa nageoire agiter l'eau; il se remue, écoutez: son coassement s'élève plus haut que celui des crapauds.

Nous entendîmes Van marmoter des plaintes en faisant des effort inutiles pour se délivrer de sa prison. Il clapota dans l'eau quelques instants, et resta enfin silencieux.

Nous étions assez certains de ne faire qu'une méchanceté sans conséquence pour ne pas nous effrayer du silence de Van. Une heure s'écoula. À la dernière minute de cette éternité (pour le docteur), Aston se dirigea vers le puits d'un air nonchalant, parut très surpris de ne pas trouver le docteur, et l'appela en arpentant le jardin dans toutes les directions. J'avais suivi Aston, et nous approchâmes doucement du puits. Van se débattait dans l'eau en maudissant le jour de sa venue dans le monde, les chauves-souris, le puits et tous les diables qui se trouvaient dedans. Ces malédictions étaient proférées en hollandais, en latin et en anglais. Aston daigna enfin entendre la voix du docteur; il s'exclama, s'attendrit, s'indigna, et nous courûmes chercher des cordes et des lumières.

Un garçon descendit dans le puits, attacha une corde autour des reins du docteur, et nous le hissâmes jusqu'aux dernières branches de l'arbre avec une telle rapidité, que le pantalon et la chemise du pauvre savant se déchirèrent par lambeaux.

Quand le docteur fut déposé par terre, il était tellement épuisé, tellement ému, qu'il lui fut à peine possible de respirer. La résurrection de Lazare ne donne qu'une faible idée de la figure de Van Scolpvelt, dont la pâleur livide prenait, sous la terne lueur de nos lanternes, des teintes cadavéreuses. La tête du docteur oscillait sur ses épaules; ses jambes pliaient comme des bambous sous les caresses du vent; son cou, ses mains et son front étaient couverts d'une vase verte; ses cheveux longs et minces pendaient comme ceux d'une sirène; les sourcils de Van se tenaient droits, et son regard effaré paraissait aussi bourru et aussi furieux que celui d'un chacal pris dans un piége.

Quand il se sentit en état de marcher, il nous tourna le dos et se dirigea vers la maison sans répondre un seul mot à nos pressantes questions.

– Eh bien, docteur, lui demandai-je, avez-vous vu les vampires? Qui donc vous a poussé dans le puits? Avez-vous été saigné?

Van Scolpvelt me regarda d'un air féroce et ne répondit rien.

On lui prépara un verre de skédam; il le but sans mot dire, passa une chemise et se coucha sur le divan de la salle.

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