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Un Cadet de Famille, v. 3/3

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Un Cadet de Famille, v. 3/3
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UN CADET DE FAMILLE

XCI

Après avoir réussi, non sans quelque peine, à rassembler une partie de nos hommes, je rentrai dans le jungle pour appeler de Ruyter, dont la longue absence me causait de vives inquiétudes. À ma grande satisfaction, j'entendis bientôt sa voix appeler, en le désignant par son nom, un homme du grab; je courus à la rencontre de mon ami, et je m'aperçus qu'un vif chagrin préoccupait son esprit. Les yeux inquiets de de Ruyter erraient autour de lui, et il disait d'un ton alarmé:

– Cherchez dans le bois, mes enfants, fouillez le jungle, il doit être égaré.

– Qui est égaré? demandai-je.

– Un Français, mon secrétaire.

Comme tous les tigres avaient fui dans la plaine, nous pûmes sans danger nous diviser en groupes de trois ou quatre, et nous disperser dans le jungle pour découvrir le protégé de de Ruyter. Mais nos courses dans toutes les directions de la grande étendue du hallier furent infructueuses; recherches, coups de mousquet, appels, tout resta inutile: le Français fut introuvable.

L'approche de la nuit nous obligea à quitter la sombre demeure des tigres, des reptiles et de la fièvre. Nous regagnâmes donc nos tentes en nous demandant entre nous, avec une superstitieuse terreur, ce qui était arrivé de fatal au pauvre Français.

Ce Français était un jeune homme que de Ruyter avait pris sous sa protection, et auquel il avait donné son amitié, dans le compatissant espoir de guérir une tristesse maladive, dont le souvenir de récents malheurs avait accablé le jeune étranger. Dans ce désir louable et généreux, de Ruyter avait enlevé le jeune homme à la monotone existence de bureau d'un de ses agents, et lui avait donné sur le grab la charge de subrécargue. Pendant les premiers jours de son installation, le nouvel employé remplit ses devoirs avec la plus scrupuleuse exactitude; il sortait à peine de sa cabine et n'avait de communication volontaire qu'avec de Ruyter.

Le pauvre et triste étranger mangeait à peine, lisait du matin au soir, et les poésies qu'il composait paraissaient avoir seules le pouvoir d'apporter un peu de consolation dans sa désespérante mélancolie. Il restait plongé pendant des heures entières dans ses rêveuses pensées, et ces pensées n'étaient chassées loin de lui que lorsque sa main pâle et frêle frôlait, pour en tirer de divins accords, les cordes d'une guitare cassée. Quand je me trouvais sur le grab, j'apercevais l'étranger, et plus d'une fois j'eus la sottise de me formaliser de ses manières froides, de son air indifférent, prenant pour de l'orgueil le navrant mutisme d'un profond chagrin. Un jour même, emporté par cette égoïste personnalité qui fait commettre de si lourdes fautes, j'adressai au subrécargue une question presque insolente, et à laquelle il ne répondit pas. Mais ma question parut si douloureusement le blesser, qu'il descendit du couronnement de la poupe, et rentra dans la cabine.

Van Scolpvelt, qui avait été témoin de ma petite attaque, me dit assez aigrement:

– Vous avez très-mal agi, capitaine; vous blessez cruellement, et par manière de jouer, un homme fort malheureux, un homme qui est hypocondriaque, et que mes conseils seuls pourront empêcher de devenir fou. Comme cet infortuné prend plus d'opium qu'un Chinois, je le crois en outre un philosophe rêveur. Pendant l'hallucination produite par cette drogue, ses facultés sont extatiques; il est frappé de folie, et compose des vers. Il ne peut le nier, quand bien même il le voudrait: je l'ai pris sur le fait. Les imbéciles peuvent croire que l'étranger est inspiré; moi, je sais qu'il est fou, car il faut être fou pour faire des vers. Les maniaques ont généralement des intervalles lucides, et cet éclair de raison donne l'espoir qu'avec le temps leur maladie peut s'amoindrir et devenir guérissable, mais ceux qui ont la folie de l'esprit ne donnent aucun espoir. Pour eux, la terre et la science sont sans remède.

Une nuit que, assis sur la poupe du grab, j'attendais – me croyant seul éveillé sur le vaisseau – le retour de de Ruyter, qui était dans l'île, je vis le jeune Français monter l'écoutille. La brillante clarté de la lune tombait sur sa figure, dont la cadavéreuse pâleur glaça le sang dans mes veines. Quand l'étranger fut arrivé sur le pont, il arpenta d'un mouvement rapide, en jetant autour de lui des regards inquisiteurs, l'espace qui sépare l'arrière de la proue. Son air triste, résolu, sa démarche inquiète, me firent croire que, second Torra, il cherchait à se venger de l'insulte que je lui avais faite.

Tranquille et en apparence endormi, j'attendis l'approche et l'attaque du jeune homme. Après s'être avancé vers la poupe, il en fit deux ou trois fois le tour; mais je n'étais point l'objet de cette promenade fiévreuse, car l'étranger me regarda à peine, et ses mains inoffensives pressèrent son front dans une étreinte désespérée. De la proue, il se dirigea vers l'arrière du vaisseau, et, après avoir ramassé une boîte à balles, il monta avec précipitation sur le couronnement de la poupe. Je levai les yeux vers lui, sa figure pensive était tournée vers le ciel. Rien n'était d'un aspect plus désolant que cette belle et pâle figure, dont les lèvres murmuraient faiblement d'indistinctes paroles.

Un voile de nuages me cacha l'étranger; ce voile était-il l'émotion qui baignait mes yeux ou une vapeur du ciel? Je l'ignore, et je n'eus pas le temps de m'en informer, car le bruit d'un corps tombant dans la mer retentit dans la nuit.

Je réveillai précipitamment un homme couché auprès de moi, et, bondissant vers l'endroit où le malheureux était tombé, je fis entendre cet appel désolant:

– Alerte! un homme à la mer; faites tomber le bateau de la poupe!

Le schooner était amarré derrière le grab, et la nuit était si tranquille, que ma voix pénétra dans les deux équipages; mon bateau et celui de mes hommes furent mis à l'eau en même temps.

J'arrivai le premier à l'endroit où avait disparu le protégé de de Ruyter. La mer était si transparente, qu'il me fut facile de voir le corps plié en deux, la figure renversée. La crainte du danger que je pouvais courir n'opposa point d'obstacle à mon vif désir de sauver l'étranger. Je plongeai donc dans la mer la tête la première, et j'arrivai jusqu'à lui. Je saisis le Français par le bras, et, à l'aide du violent effort qu'emploie un nageur pour remonter sur l'eau, je ramenai le noyé à la surface de la mer, en tâchant de redresser son corps, qui résistait presque à nos efforts, tant il était extraordinairement lourd. Entraîné par ce poids étrange, je disparus dans les flots, et j'avalai tant d'eau, que je me crus sur le point de perdre tout à fait la respiration. J'allais renoncer forcément à poursuivre ma dangereuse tentative, lorsque, par bonheur, le bateau du schooner me tendit un aviron. Voyant que ce moyen de salut m'échappait encore, deux hommes se jetèrent à la mer, et nous remontâmes sur le bateau. À ma grande surprise, le Français était devenu léger, et nous pûmes très-facilement le transporter sur le grab, mais immobile et froid comme un cadavre et ne donnant aucun signe de vie.

Malade, fatigué, la tête en feu, je fis appeler Van Scolpvelt pour qu'il vînt me tâter le pouls.

– Vous aviez besoin de prendre une médecine, me dit-il, et l'eau de mer est un très-bon purgatif pour un homme dont l'estomac est fort. Seulement, vous avez eu tort d'en prendre une si grande quantité; je n'en ordonne jamais plus d'un verre, et encore faut-il le prendre à jeun.

– J'ai bu forcément, docteur; mais allez voir notre malade en bas; si j'ai engouffré un baril d'eau, moi, il en a bien avalé un tonneau, et il faut que cette absorption le tue si vous ne lui prêtez le généreux secours de votre assistance.

– Combien de temps est-il resté dans l'eau? demanda Van Scolpvelt.

– Je ne sais pas, docteur; je ne me suis pas amusé à compter les minutes en plongeant dans la mer.

– Le sauvetage a pris la durée d'un quart d'heure, dit le rais.

– Fort bien, répondit le docteur. Ne vous inquiétez pas, capitaine; on peut, sans crainte de perdre la vie, rester dans l'eau pendant vingt minutes, pourvu cependant que ma science vienne en aide à la nature. Suivez-moi, capitaine.

Van Scolpvelt descendit d'un air superbe l'escalier de l'écoutille, fit mettre le corps du Français sur une table et le dépouilla de ses vêtements. Les soins du docteur firent bientôt apparaître de faibles symptômes de vie. Le munitionnaire Louis, profitant habilement d'une inattention du docteur, fourra dans la bouche de l'asphyxié le goulot d'une bouteille de skédam; mais, au grand désespoir de l'intrépide Hollandais, le docteur vit le geste et repoussa l'étrange remède avec indignation.

Quelques heures après, l'espoir de sauver le pauvre Français devint une certitude, et j'eus le plaisir d'entendre Van Scolpvelt et Louis s'attribuer personnellement, en se le disputant l'un à l'autre, l'honneur d'avoir rendu la vie au protégé de de Ruyter.

Nous apprîmes le lendemain qu'avant de se jeter à la mer, le Français avait, pour lui servir de ballast, chargé ses mains de deux gros boulets de canon.

Une sorte de haine fut la seule récompense que m'accorda l'étranger pour tout remercîment.

– Suis-je donc un esclave? dit-il à de Ruyter un jour. Suis-je la propriété de cet Anglais maudit? N'ai-je pas aussi bien que tout homme la libre disposition de mon corps? Pour quelle raison ce féroce Trelawnay s'est-il mis entre la mort et moi? Sa nature brutale se plaît pourtant dans le carnage, car il aime à exterminer ceux qui tiennent à la vie, et je ne puis comprendre dans quel but, pour quel motif, il m'a retiré de la mer! J'étais déjà si heureux, je me croyais au ciel, endormi sur ses genoux! Ah! malheur au démon qui s'est placé entre elle et moi; malheur à celui qui m'a ramené sans pitié dans l'enfer de l'existence! Je n'ai plus ni repos ni espoir; je veux mourir, et ils s'unissent tous pour me forcer à vivre, pour m'attacher à la chaîne de mes amers chagrins!

 

Pendant trois jours, nous continuâmes à chasser dans les jungles; pendant trois jours, de Ruyter explora les ruines pour y découvrir les traces du jeune Français.

– J'ai raison de croire, me dit de Ruyter, qu'après m'avoir juré sur l'honneur qu'il n'attenterait pas à sa vie, le jeune Français s'est livré à la férocité d'un tigre, croyant, par cette action, ne pas enfreindre les engagements qu'il avait pris avec moi.

La mystérieuse disparition d'une personne pour laquelle nous ressentions une amicale pitié nous attrista profondément, et ce ne fut qu'en désespoir de cause que nous abandonnâmes nos recherches.

L'équipage assurait d'une voix unanime que, pendant le séjour du jeune homme sur le vaisseau, l'esprit du suicide hantait le grab, qu'on le voyait assis sur le couronnement de la poupe, qu'on entendait ses plaintes lugubres. Si un matelot était assez hardi pour vouloir approcher le fantôme, ce dernier se jetait dans la mer et suivait en gémissant le sillage du vaisseau.

Cette superstitieuse terreur se répandit si bien parmi les matelots, que la plupart n'osaient aller le soir à l'arrière du vaisseau sans appeler à leur aide la divine protection du ciel.

XCII

Un soir, au coin du feu, de Ruyter nous raconta l'histoire du jeune Français.

L'agent de correspondance que notre commodore avait à l'île de France, ayant eu besoin d'un commis, écrivit en Europe. Quelques mois après le départ de sa lettre, deux jeunes gens se présentèrent à lui, protégés par une instante recommandation. Ces jeunes gens se dirent frères, et cette assertion était justifiée par une grande ressemblance de gestes, d'allures et de visage. L'aîné semblait avoir près de vingt ans, le cadet paraissait beaucoup plus jeune. Les deux frères étaient beaux, doux, excessivement distingués dans leurs manières et dans leur langage. Un appartement fut donné aux nouveaux commis dans la maison du marchand, qui, pendant les premiers jours de l'installation de ses employés français, fut plus content de leur zèle que de leur savoir.

Enfin, après un travail assidu, les deux étrangers devinrent d'admirables arithméticiens. Constamment heureux de se trouver ensemble, les beaux jeunes gens sortaient seuls, ne fréquentaient ni les cafés ni les bals, consacrant à la promenade ou à l'étude leurs heures de liberté. Cette conduite régulière enchanta le négociant, et, pour en prouver sa satisfaction, il accorda un congé de huit jours à ses protégés, et leur permit d'aller passer cette semaine de repos dans une maison de campagne qu'il possédait à Port-Louis.

Quatre jours après le départ des deux Français, le marchand, inquiet de leur silence, car ils avaient promis d'écrire, se décida à aller leur rendre visite. En approchant de la villa, le négociant fut très-surpris de voir que, malgré la fraîcheur de la soirée, les fenêtres de la maison, hermétiquement closes, ne laissaient pénétrer à l'intérieur ni jour ni air. Il franchit rapidement le jardin et frappa à la porte; personne ne répondit.

Épouvanté de ce silence, le négociant brisa les carreaux d'une fenêtre du rez-de-chaussée et pénétra dans la maison. D'un pas rapide il parcourut l'appartement du premier étage; le plus grand ordre y régnait, mais le séjour des deux étrangers n'y avait laissé aucune trace. L'épouvante du bon marchand se changea bientôt en terreur; une plainte sourde, lugubre, profondément douloureuse, jeta sa note au milieu du mortel silence qui planait sur la villa. Le négociant bondit vers la chambre d'où s'était échappé ce râle d'agonie, et il trouva couchés sur un lit en désordre, pâles et presque sans vie, les deux pauvres étrangers. Les secours de l'art ou ceux de l'amitié étaient inutiles au plus jeune: il était mort depuis quelques heures, et, à sa stupéfaction, le négociant découvrit que l'habit masculin cachait une femme.

La touchante histoire des deux employés fut vite comprise par le propriétaire, qui, avec une bonté réelle, mit tous ses soins à rappeler le survivant à la vie. Une lettre cachetée, mise en évidence sur une table et adressée au négociant, lui révéla tout le mystère. Le jeune homme disait qu'incapable de supporter la perte de sa maîtresse, enlevée par une fièvre du pays, il s'empoisonnait avec de l'opium.

Le jeune homme guérit. Pendant quelques mois il vécut dans une sorte de somnolence oublieuse du passé; mais quand la raison revint, quand l'esprit lucide put sonder les souffrances du cœur, le malheureux amant retomba dans un désespoir furieux. Ce fut alors que de Ruyter, instruit par le marchand, conçut l'espoir d'améliorer le sort du Français en l'emmenant avec lui sur le grab.

Appartenant tous deux à une noble famille française, ces deux jeunes gens s'étaient aimés dès leur plus tendre enfance. La jeune fille avait été élevée à Paris dans un couvent, et son orgueilleuse mère l'avait condamnée à une réclusion perpétuelle, dans l'intérêt de son fils unique, qui, par cette mort apparente de sa sœur, héritait de toute sa fortune. Protégé par une parente de sa maîtresse, le jeune homme pénétra dans le couvent et enleva la future religieuse. Tous deux quittèrent Paris, et avec l'intention de fuir à l'étranger, ils se rendirent au Havre-de-Grâce; là, à force d'argent, ils eurent le bonheur de faire consentir un capitaine hollandais à les recevoir sur son bord. Les yeux d'argus de la police française cherchaient les fugitifs; un embargo fut mis sur le port, et tous les vaisseaux en partance furent soigneusement visités. Le capitaine hollandais, qui ne voulait rendre ni l'argent ni les bijoux qu'il avait reçus des deux enfants, qui voulait de plus éviter une amende ou un emprisonnement, se montra aussi rusé que la police française.

Pendant la durée de l'embargo, l'adroit maître hollandais cacha les amoureux dans les caves de son agent, qui était contrebandier, si bien que la visite qu'on fit à son bord n'amena aucune découverte. Quand la permission de quitter le port fut accordée aux vaisseaux, le prudent commodore fourra les jeunes gens dans des tonneaux vides amarrés sur le pont. Il s'attendait à une seconde visite de la méfiante police. Cette seconde recherche s'effectua, et cela avec tant de rigueur qu'un officier ôta le bondon du tonneau où la jeune fille était cachée et fourragea l'intérieur avec son épée. L'arme déchirait la poitrine de l'enfant, tandis qu'avec un ton d'admirable nonchalance le capitaine disait:

– C'est un tonneau vide, monsieur.

L'amour donne au cœur de la femme le courage du héros, car la pauvre blessée ne fit pas entendre une plainte.

Les deux jeunes gens arrivèrent en Hollande sans amis et presque sans argent, car, après les avoir dépouillés de tout, le capitaine eut l'air de craindre les poursuites de la police, en manifestant un vif désir de se séparer des fugitifs.

À cette époque, les Hollandais employaient tous les moyens possibles pour arriver à persuader aux aventuriers qu'ils avaient un avantage réel de sécurité et de fortune en allant s'établir dans leurs colonies indiennes. Le capitaine du vaisseau se trouvait précisément un des agents les plus actifs du gouverneur des colonies. En conséquence, il conseilla au jeune homme de s'embarquer pour l'île de France, et à ce conseil il ajouta une lettre de recommandation pour le marchand dont nous avons déjà parlé.

XCIII

La recherche du Français avait employé une si grande partie de notre temps, que, pour en réparer la perte, nous nous hâtâmes de regagner nos vaisseaux, et ce fut avec un plaisir réel que je trouvai le schooner presque en état de reprendre sa course.

Dans les renseignements que j'avais pris à Poulo-Pinang pour les transmettre à de Ruyter, se trouvait la nouvelle que la compagnie anglaise préparait une expédition pour aller attaquer les pirates à Sambas. Les maraudeurs, très-nombreux sur cette île, avaient commis un grand dégât, aussi bien sur terre que sur mer, dans les possessions de la Compagnie.

Les Anglais avaient donc pris la résolution d'attaquer les pirates dans leur résidence même, à Sambas; de son côté, de Ruyter avait le désir de s'opposer à la tentative des Anglais; malheureusement pour moi, le schooner était si fracassé qu'il était impossible de me mettre sur-le-champ à la recherche des croiseurs français, afin de les réunir à nous pour attaquer de concert la flotte de la Compagnie.

Enfin, et à ma grande satisfaction, je mis à la voile pour Java, tandis que de Ruyter se dirigeait vers Sambas; il emportait avec lui une bonne partie de mes hommes et deux canons du schooner.

J'avais pour commission un immense achat de vivres et le soin de faire parvenir au gouverneur de Batavia les dépêches de de Ruyter. Ces deux devoirs accomplis, il fallait, sans perdre de temps, revenir vers le grab.

Rien de particulier ne m'arriva pendant ma course à Java, si ce n'est la capture ou plutôt la recapture (car il avait été déjà pris par un vaisseau anglais) d'un petit bâtiment espagnol appartenant aux marchands des îles Philippines, chargé de camphre et des célèbres nids d'oiseaux bons à manger.

Il n'y avait à bord du vaisseau, quoique sa charge fût bien précieuse, que six matelots anglais et un midshipman; naturellement, toute résistance de leur part fut impossible.

Quelques jours avant ma conquête, un brigantin anglais de haut bord s'était emparé, à la hauteur des îles Philippines, d'un vaisseau espagnol chargé de nids. Quand, après avoir abordé le prisonnier, l'officier anglais demanda la nature du chargement, les Espagnols répondirent:

– Des nids d'oiseaux.

– Des nids d'oiseaux! s'écria le capitaine; comment! coquins, me prenez-vous pour un imbécile? Des nids d'oiseaux… brutes stupides! menteurs, insolents moricauds! je vais vous en donner, des nids d'oiseaux! Ouvrez les écoutilles!

Les matelots anglais fouillèrent le fond de cale, stupéfaits de ne trouver dans le vaisseau que des sacs de toile remplis de sales et boueux nids d'hirondelles. Croyant toujours que cet engrais gluant n'était là que pour cacher un transport plus précieux, les Anglais en jetèrent une grande partie dans la mer, afin d'arriver plus vite à la découverte de la véritable possession des Espagnols. Après avoir vidé le vaisseau, après l'avoir fouillé, sondé, visité, du pont en bas, les accapareurs restèrent les mains vides: il n'y avait réellement que des nids d'oiseaux. La tristesse désespérée des Espagnols excita la gaieté des Anglais. Ils accablèrent donc leurs prisonniers des réflexions les plus moqueuses sur l'étrange chargement qu'ils avaient pris aux îles Philippines.

À son retour sur le brigantin, l'officier fit à son commandant un récit circonstancié de la visite qu'il venait de faire.

– Les Espagnols n'avaient point menti, dit-il en riant; ils étaient véritablement gardiens d'un fumier d'ordures; je les ai débarrassés de ce sale arrimage.

– Vous avez bien fait, répondit le stupide commandant, et, comme le vaisseau est espagnol, nous devons le garder; il n'a plus que du ballast, il est vrai, mais le corps a quelque valeur.

– Vraiment, s'écria encore le stupide commandant, ces pauvres Espagnols avaient perdu la tête le jour où il leur vint la sotte idée de remplir leur vaisseau de bourbe, et à plus forte raison de mettre cette puante glaise dans des sacs.

À la suite de ce beau raisonnement, le capitaine chargea un midshipman et quatre marins de prendre la direction du vaisseau et de le conduire dans le port le plus voisin.

La seule chose sensée que fit ce John Bull fut de transporter sur le brigantin les prisonniers espagnols, qui, sans cette précaution, se seraient certainement permis de reprendre leur vaisseau.

À son arrivée dans un port chinois, le commandant raconta d'un air plaisant le tour de moquerie qu'il avait joué aux Espagnols. Son récit fut accueilli par un blâme si général, que le niais personnage comprit enfin la perte considérable qu'il venait de faire.

À cette époque, les nids mangeables se vendaient au marché chinois trente-deux dollars espagnols la rattie, ce qui faisait évaluer la charge du vaisseau à quatre-vingt-dix mille livres. Le pauvre diable de capitaine, dont vingt ans de service n'avaient pas garni l'escarcelle de cent livres d'économie, se désespéra, s'arracha les cheveux et reprit la mer avec l'espoir de regagner le vaisseau.

Pour la première fois de sa vie, le commandant du brigantin se recommanda à la miséricorde de Dieu; mais le ciel ne jugea pas à propos d'écouter cette sordide prière, et le vaisseau, mal dirigé par les marins, échoua sur les côtes de la Chine. La trouvaille de quatre livres d'or n'aurait pas donné aux Chinois la satisfaction qu'ils ressentirent en voyant arriver près d'eux cette cargaison de nids d'hirondelles.

 

L'annonce de l'aubaine parcourut le pays comme un feu grégeois; alors les timides Chinois oublièrent leur crainte du danger, ne firent attention ni aux vents ni aux vagues, et se précipitèrent à travers le ressac écumant. Les forts foulèrent aux pieds les faibles, les frères passèrent sur leurs frères, et tous arrivèrent sur le vaisseau naufragé; le pauvre vaisseau fut si bien pillé qu'il flotta sur l'eau aussi légèrement que le ferait une boîte à thé vide; pas un morceau, pas même un fragment de la cargaison ne fut laissé sur les parois du fond de cale.

Le vainqueur de la prise dont je venais de m'emparer à mon tour appartenait à la classe savante du commandant anglais. Ce fut donc son ignorance qui fit mon succès, et, pour être bien certain de ne pas perdre ma prise, je la mis en touage derrière le grab.

Louis, le munitionnaire, qui était avec moi, me demanda la permission d'aller à bord du navire capturé pour y faire l'expérience culinaire de la soupe renommée de nids d'hirondelles. Cette soupe a, dans la Chine, une si grande réputation de saveur, qu'elle a donné naissance à ce proverbe: «Si l'esprit de la vie, si l'âme immortelle quittait le corps d'un homme, l'odeur seule de ce mets divin le ferait revenir, sachant bien que le paradis ne peut offrir de délices qui soient comparables à cette merveilleuse nourriture.»

– Capitaine, me dit Louis avant de quitter le grab, si je parviens à introduire en Europe cet excellent potage, et le non moins célèbre arrah-punch, je serai, à bon droit, aussi connu que Van Tromp ou que le prince de Galles? Hein! dites! savez-vous?

Excité par cette glorieuse ambition, Louis le Grand fit mille politesses au cuisinier chinois, et se mit si joyeusement à l'ouvrage, que vers le soir il me pria de lui envoyer un bateau, afin de m'apporter un échantillon de son triomphant succès.

Ce mets est bon, mais il est trop gluant pour un estomac habitué comme l'était le mien à une chère simple et frugale. Le nid, fondu par la cuisson, devient une gelée brune; on ajoute à cette gelée des nerfs de daim, des pieds de cochon, les nageoires d'un jeune requin, des œufs de pluvier, du macis, de la cannelle et du poivre rouge.

La fameuse soupe de tortue a le goût fade en comparaison de l'épicé potage aux nids d'hirondelles; cependant la réelle saveur du mets mérite d'être connue par les nombreux gastronomes européens, et je les engage fort à faire cette offrande à leur précieux palais.

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