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Un Cadet de Famille, v. 2/3

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L

– Je vais me rendre auprès de lady Zéla, me dit la duègne, et dans une heure elle sera préparée à recevoir visite.

L'heure demandée par la vieille femme fut suivie de tant de minutes, que bien certainement mon ardeur se serait refroidie jusqu'à l'indifférence si j'avais été un amoureux vif et impatient. Je dois peut-être ajouter que la certitude d'être solidement marié aidait beaucoup à calmer mes désirs, de plus que cette heure d'attente, étant celle où j'avais l'habitude de fumer ma pipe en savourant avec lenteur le nectar de mon café, fit qu'elle ne me parut ni plus longue ni plus courte que tout autre moment de la journée. Je n'ai jamais perdu ce vice ou plutôt cette vertu, car au moment où je parle, si je me trouve dans l'obligation de sortir avant d'avoir pris mon café ou fumé ma pipe, je suis aussi bourru qu'un dogue auquel on prend un os ou qu'une femme qui voit son mari, harassé de fatigue, s'étendre nonchalamment sur un chapeau neuf posé avec soin au milieu d'un fauteuil.

Au lieu de me perdre dans les vagues rêveries d'un amoureux, je me perdais dans l'odorante fumée de tabac de Skiray; j'en remplissais mes poumons, j'en savourais l'enivrante odeur, odeur aussi douce et aussi parfumée que celle des roses de Bénarès. Tantôt mes lèvres capricieuses retenaient la vapeur, tantôt elles la renvoyaient comme un jet d'eau vers le ciel, tantôt encore elles la faisaient monter en spirales pour la laisser s'empreindre des chatoyantes couleurs d'un rayon de soleil égaré sur moi. Ce jeu amusait et absorbait tellement mon attention, que je n'avais point vu entrer la vieille femme arabe. Je suppose que les beautés de l'intéressante duègne s'étaient cachées, comme celles de la lune, sous un nuage ou sous une éclipse, car sa sombre figure me fit tressaillir, et je crus un instant que la fumée de ma pipe s'était condensée dans une sorcière noire.

– Lady Zéla, me dit la vieille Arabe d'un ton de reproche, a attendu jusqu'à ce que le café servi pour vous fût entièrement froid et que les confitures fussent devenues aigres.

– Personne n'est venu m'avertir, répondis-je en me levant.

La figure de la messagère était si froide et si irritée, que bien certainement un seul de ses regards avait dû opérer la transformation de l'atmosphère du café et de la qualité des confitures. Cependant elle dissimula sa colère et me répondit d'un ton plaintif:

– Je suis restée ici debout pendant un si long espace de temps, que mes pieds y ont pris racine.

Je me mis à rire; la pauvre vieille disait vrai, et voici pourquoi: la chaleur de ses pieds nus avait fait fondre le goudron, et comme le vaisseau était penché de côté, l'Arabe avait toutes les peines du monde à se maintenir en équilibre.

Après avoir cherché dans mon esprit les choses les plus aimables, après les avoir dites à la messagère d'un ton et d'un air aussi gracieux que possible, je la suivis dans la cabine qu'habitait Zéla.

La porte du mystérieux sanctuaire fut ouverte par une petite esclave malaise (cette esclave était le premier cadeau que j'avais fait à Zéla), et je pénétrai dans la chambre de ma jolie captive avec autant de respect, d'émotion et de silence qu'en met une femme pieuse en entrant dans le sanctuaire d'une église. La jeune fille était assise les jambes croisées sur une petite couche, et elle était si hermétiquement enveloppée dans une draperie blanche (deuil national de son pays), qu'il me fut impossible de distinguer les merveilleuses perfections vantées par l'Arabe. La pose de Zéla avait la grâce froide et digne des statues de marbre qu'on pose aux portes des temples égyptiens; mais un mouvement me révéla bientôt que la charmante statue était une créature humaine. Après avoir lentement décroisé ses jambes, la jeune fille se leva, glissa ses pieds nus dans des pantouffles brodées, s'avança vers moi et me prit la main, que de son front elle porta à ses lèvres.

– Asseyez-vous, je vous prie, ma chère sœur, lui dis-je, tout ému de cette naïve caresse, de ce gracieux témoignage de sa reconnaissance.

Zéla reprit sa première position et resta immobile; ses bras retombèrent nonchalamment le long de son corps, et ses pieds mignons se cachèrent dans le lin du vêtement qui l'enveloppait, comme se cachent de petits oiseaux sous l'aile de leur mère.

La seule chose visible de cet ensemble de grâces (suivant la vieille Arabe) était les cheveux, et ces cheveux, d'un noir de jais, couvraient Zéla tout entière. J'avais senti et savouré, avec un inexprimable bonheur la douce pression des lèvres tremblantes de la belle Arabe, et l'imagination, ou peut-être un léger contour que la fantaisie me fit voir gravé sur ma main, me dépeignait la bouche de Zéla adorablement petite (je déteste les grandes bouches); et je pense maintenant que cette passion silencieuse forma le premier anneau de la chaîne de diamant qui nous unit, chaîne qui n'a pu être brisée ni par le temps ni par l'usage.

Quelques minutes s'écoulèrent en silence. J'étais plongé dans l'extase d'un enchantement indéfinissable; mais j'avoue que je fus presque heureux d'en être distrait quand la porte s'ouvrit pour donner passage à la duègne, les mains chargées d'un plateau sur lequel étaient servis du café et diverses espèces de confitures.

Zéla se leva une seconde fois. Je fis un geste pour essayer de l'en empêcher, mais la vieille femme me pria de rester assis et silencieux. Zéla prit une petite tasse sur un plateau d'argent et me la présenta.

J'étais si occupé à regarder, à admirer la blancheur et la délicatesse de forme des jolis doigts de Zéla, que je renversai le café en portant la tasse à mes lèvres, tasse que j'aurais pu avaler sans peine, car elle n'était pas plus grande que l'aromatique coquille du macis (enveloppe de la muscade).

Quelques jours après ma première entrevue avec Zéla, la vieille femme me fit observer qu'elle regardait la maladresse de mon action comme d'un très-mauvais présage pour mon bonheur à venir.

Après m'avoir offert des confitures, Zéla rendit le plateau à la duègne, et se rassit sur sa couche.

J'ôtai de mon doigt un anneau d'or entouré de deux cercles formés avec des poils de chameau (l'anneau donné par le père de la jeune fille), et je l'offris à Zéla.

La pauvre enfant baissa les yeux et sanglota si amèrement que son ample veste se soulevait sous les battements de son cœur. Je voulus cacher l'objet dont la vue réveillait de si douloureux souvenirs; mais la jeune fille tendit la main vers moi, saisit l'anneau, le porta à ses lèvres et le baigna de ses larmes.

La vieille Arabe dit quelques mots à Zéla, et, sans être guidée par le regard, la belle enfant tendit vers moi ses jolies petites mains, prit une des miennes, et glissa doucement l'anneau à mon doigt.

Cet anneau était l'antique sceau de la tribu de son père, et, comme tous les cachets des princes, il rendait vrai le faux, faux le vrai; il donnait ou il reprenait, il faisait ou il défaisait les lois, selon la capricieuse volonté de celui qui en était l'heureux possesseur.

Avant de laisser retomber ma main, Zéla la porta encore à son front et l'effleura doucement de ses lèvres.

Je pris vivement dans ma poche une bague que j'avais choisie dans les bijoux de de Ruyter, bague d'un grand prix, car elle était massive, d'or pur, et fermée par un rubis de la grosseur d'un grain de raisin; et, prenant avec tendresse la main de Zéla, qui pendait immobile entre les plis de son grand voile, je plaçai cette bague au second doigt de sa main droite.

La vieille femme sourit.

L'approbation tacite de ce sourire éveilla mon audace; je gardai, pressée entre les miennes, la main de Zéla, et j'en couvris de baisers les petits doigts tremblants.

J'outre-passais sans doute les droits que j'avais sur Zéla, car le front de la vieille femme se rembrunit, ou, pour mieux dire, les rides de sa figure devinrent plus profondes, changement de physionomie peu avantageux aux agréments extérieurs de ce gardien de l'étiquette, dont le temps et le soleil avaient donné au teint l'ineffaçable couleur du bronze. Je laissai tomber la main de Zéla, qui alla se cacher, toute rougissante d'effroi ou de pudeur, sous les plis de son voile blanc.

L'échange mutuel de nos bagues était la déclaration définitive de notre mariage.

– Chère lady, dis-je à Zéla, veuillez me donner vos ordres; que puis-je faire pour vous être agréable, pour vous rendre moins tristes et moins longues les heures de votre isolement? J'ai mis en liberté toutes les personnes qui appartenaient à la tribu de votre père, et elles sont traitées par mes ordres avec la plus grande bonté. Je suis un étranger, chère lady, j'ignore une grande partie de vos habitudes; daignez donc, je vous en supplie, guider ma conduite par vos bienveillants conseils. Le rais, qu'on nomme ici le père des Arabes, vous aime avec tendresse; il sera, si vous le voulez, l'écho de vos pensées; parlez-lui, ordonnez; entendre et obéir ne seront pour moi qu'une seule et même chose.

Zéla ne répondit à mes supplications que par de violents sanglots.

Cette douleur m'attrista profondément; je gardai le silence, puis la crainte de devenir importun me fit songer à la retraite.

– Ma chère sœur, dis-je en me levant, calmez-vous, je vous en prie, et souvenez-vous de mes paroles: Je suis et je serai toujours votre esclave le plus humble, le plus soumis et le plus dévoué.

Après avoir salué l'éplorée jeune fille, je sortis de la cabine triste et heureux à la fois.

LI

Je rendis plusieurs visites à ma jolie captive avant que le bonheur d'entendre sa voix musicale me fût accordé. Zéla semblait muette et souvent aussi immobile qu'une statue de marbre. Ni supplications ardentes ni prières murmurées tout bas n'avaient le don d'émouvoir cette insensibilité extérieure, qui puisait peut-être son calme dans la grande froideur de ses sentiments pour moi. Cependant, malgré l'apparente monotonie de nos tête-à-tête, malgré la tristesse dans laquelle ils me jetaient, j'éprouvais un véritable bonheur auprès de Zéla, bonheur étrange, mystérieux, indéfinissable, bonheur réel pourtant, car il occupait les heures du jour, car il remplissait de rêves enchanteurs le sommeil de la nuit.

 

Après avoir soigneusement cherché à être agréable à Zéla en l'entourant de toutes les choses qui, par leur possession, pouvaient lui apporter un amusement, je fouillai dans l'immense butin enlevé aux Marratti. Les vêtements, les meubles, les bijoux, enfin tout ce qui appartenait à Zéla, tout ce qui venait de son père ou de sa tribu, fut déposé dans la cabine de la jeune fille. Le désir de lui plaire, celui d'attirer son regard, celui plus ardent encore d'entendre sa voix mélodieuse, me rendaient infatigable; mais, à mon grand chagrin, Zéla parut si froide, si indifférente, si insensible, que j'en arrivai à croire qu'il serait infiniment plus logique d'adorer une momie des pyramides, et bien certainement, si l'exaspération que je ressentais n'avait pas été adoucie par les généreuses paroles de mon ami Aston, je me serais donné l'amer plaisir d'exprimer à Zéla le vif mécontentement que me faisait éprouver sa conduite. Dans l'excès de ma mauvaise humeur, je me jurais à moi-même de cesser entièrement mes visites; mais tout en jurant je consultais ma montre pour savoir combien d'heures ou de minutes me séparaient encore de l'instant de mon entrevue avec elle. J'aurais, je l'avoue, difficilement renoncé au bonheur de la voir, et quoique ma visite fût un monologue ou un silence, elle était l'oasis de ma vie, le repos de mon existence active.

Heureusement pour moi la vieille Arabe n'était ni discrète, ni silencieuse, ni réservée. Quand elle traversait le pont pour remplir soit une commission de Zéla auprès du rais, soit une partie de son service, elle s'arrêtait et me parlait de la jeune fille. Dans les premiers jours de ses longues causeries, je maudissais souvent la force des jambes de la vieille, car les miennes se fatiguaient à rester ainsi stationnaires; mais ni engagement, ni prières ne pouvaient parvenir à persuader à la duègne que je lui permettais de s'asseoir.

– Non, me disait-elle d'une voix grave, je dois rester debout devant mon malek, et, du reste, sa bonté me permettrait-elle de prendre un siége qu'il me serait encore impossible d'user de cette bienveillante autorisation. Lady Zéla attend mon retour pour prendre son café.

Je conclus de là que la jeune fille était douée d'une merveilleuse patience, si elle attendait ainsi une douzaine de fois par jour la rentrée de sa camériste, qui causait souvent de longues heures avec moi.

J'avais tant de plaisir à écouter, à faire répéter à la vieille femme que Zéla n'était pas insensible à mes soins, qu'elle disait que j'étais bon, que je l'étais non-seulement parce qu'elle le jugeait ainsi, mais parce que son peuple le trouvait, qu'il était bien dommage que je ne parlasse sa langue qu'imparfaitement, bien dommage encore que j'appartinsse à une tribu si éloignée de la sienne, qu'elle était fâchée que la grande Kala passée (mer Noire) se trouvât entre moi et le pays de ses pères, mais que j'étais doux, bon, beau comme un zèbre, et qu'elle aimait à entendre ma voix.

Ce délicieux poison rallumait des espérances qui commençaient à s'éteindre; il me faisait croire à l'avenir et souffrir avec patience les douleurs du présent. À mes yeux la bonne vieille devint un personnage amusant, spirituel; elle s'embellit de ses paroles comme d'un fard, et je finis par trouver sa voix dure et sèche plus musicale que le son harmonieux d'une harpe éolienne. Mes veilles de nuit s'abrégeaient merveilleusement, elles se remplissaient de l'éclatante lumière des yeux de Zéla, que je n'avais cependant pas vus.

Je ne m'explique pas encore par quelle puissance attractive et magnétique j'ai pu si tendrement aimer Zéla, dont je n'avais pas entendu la voix, dont je n'avais pas rencontré le regard, dont je n'avais pas même reçu un signe de sympathie, car son premier et bienveillant accueil n'avait été que l'accomplissement d'une coutume; elle avait reçu son sauveur, son mari, mais le cœur n'entrait pour rien dans le témoignage de son respect et de sa gratitude.

Mon esprit indépendant ne s'était jamais plié ni même arrêté à la recherche de ce grand sentiment qu'on appelle l'amour, et en vérité je ne sais pas quand et pourquoi, où et comment il a pu pénétrer et remplir si exclusivement mon cœur.

Avant de comprendre que j'aimais ardemment Zéla, les soins dont je l'entourais m'apparaissaient sous la forme froide de l'accomplissement d'un devoir, devoir sacré, parce qu'il m'avait été imposé par un père mourant, par un père dont la suprême volonté me confiait son enfant prisonnière et orpheline. Dans la transparente pureté de la jeunesse, les scènes touchantes se reflètent comme sur un lac d'azur, et cette scène de deuil, d'exil, de larmes, fut la première dans laquelle le hasard me fit jouer un rôle, la première où un appel sympathique fut fait aux bons sentiments de mon cœur, qui alors était une fontaine scellée, mais qui s'ouvrit bientôt à la pitié et à la tendresse, et maintenant l'amour en coule comme un puissant torrent, il emporte tout ce qu'il trouve devant lui.

Le pauvre petit oiseau captif bâtissait donc silencieusement son nid sous l'abri de mon cœur, tandis que je le croyais tranquillement encagé dans la chambre qui lui servait de prison.

Les paroles de la duègne, en ranimant le feu de mes espérances, me conduisirent plus souvent auprès de Zéla, dont je regardais pendant des heures entières la passive main pressée entre les miennes. L'air qui entourait la jeune fille me semblait chargé de parfums odoriférants, et le contact de ses insensibles cheveux, plus gracieux que les branches pendantes d'un saule, remplissait mon âme d'amour quand par hasard ils effleuraient ma joue. Tous mes sens me parurent délicieusement raffinés, et un monde de nouvelles pensées, un monde d'idées naquit dans mon cœur.

Quand enfin il me fut permis de voir la radieuse splendeur des grands yeux noirs de Zéla, mes membres chancelèrent, mon cœur palpita convulsivement, et, les deux mains de la jeune fille enfermées dans les miennes, je restai pendant un quart d'heure dans l'extase d'une adoration absolue et muette. Je ne sais pas si la jeune fille remarqua mon agitation, si elle en fut émue ou seulement flattée; mais elle retira vivement ses mains et couvrit ses yeux de diamant. Je les avais assez vus: leur regard de flamme avait embrasé mon cœur, et le feu en devint inextinguible.

D'une voix entrecoupée, Zéla murmura quelques paroles qui bourdonnèrent à mon oreille comme le chant d'un colibri, oiseau charmant et gazouilleur des bosquets de cannebiers. L'haleine de Zéla fut plus odoriférante que ne le sont ces arbres. La tête me tourna, et je crus devenir fou en contemplant le monde de délices qui s'ouvrait devant mes yeux.

C'est ainsi que l'amour s'alluma dans mon sein, un amour pur, profond, ardent et impérissable. Depuis le jour où je plongeai mon regard dans le brillant miroir où se reflétait l'âme divine de Zéla, elle fut l'étoile de ma vie, la déité à laquelle je devais offrir la virginité de mes affections. Jamais un saint dévot ne s'est consacré à son Dieu avec une adoration plus intense que la mienne. Je n'étais ni l'époux ni l'amant de Zéla, j'étais son esclave; ma vie lui appartenait sans partage, elle était tout pour moi, j'étais à elle pour elle.

Quand la triste mortalité rendra mon corps au néant, quand mon âme s'envolera, comme une colombe longtemps captive, elle n'aura de joie et de repos que le jour où il lui sera permis d'être réunie à celle de Zéla. Alors ces deux âmes sœurs se confondront ensemble, et comme un rayon de soleil elles s'élanceront brillantes dans l'éternité.

LII

Aucune circonstance digne d'être mentionnée ne marque dans mes souvenirs l'époque de ce mémorable voyage. Nous nous trouvâmes bientôt dans la latitude de l'île Maurice, à trente-deux lieues N. – O. de l'île Bourbon.

En visitant l'île Maurice, en 1521, les Portugais la nommèrent l'île des Cygnes, parce qu'elle était l'asile favori de cet oiseau. Les lourds et avares Hollandais furent les premiers qui prirent possession de cette île, mais vers une époque très-éloignée du passage des Portugais, c'est-à-dire vers l'an 1600. Ces nouveaux possesseurs changèrent le doux nom de l'île des Cygnes en celui de Maurice, faisant, par cette dénomination, un compliment à l'amiral dont Maurice était le prénom.

Comme je l'ai déjà dit, les Français succédèrent aux Hollandais, et ils appelèrent l'île île de France; ils en firent leur place de ralliement et le rendez-vous de tous leurs croiseurs. Les Français avaient soin d'apprendre le moment du départ des flottes indiennes appartenant à la compagnie qui rentraient dans leur patrie ou qui partaient pour l'étranger. Dans l'un ou l'autre cas, ils envoyaient leurs vaisseaux pour les arrêter, et les vaisseaux, secrètement armés en guerre, avaient des lettres de marque.

Ce mode d'attaque faisait beaucoup de tort aux flottes anglaises, qui souvent marchaient protégées par leurs propres vaisseaux de guerre. Mais les petits croiseurs français, qui naviguaient très-vite et qui étaient remplis d'aventuriers intrépides, s'attachaient aux flottes anglaises comme s'attachent des Arabes vagabonds autour d'une caravane dans le désert; tandis que les vaisseaux de guerre anglais étaient empêchés d'agir par la crainte de perdre de vue les vaisseaux marchands, qui pouvaient être arrêtés d'un autre côté pendant leur absence.

Les Français s'exposaient rarement à attaquer les Anglais en plein jour ou quand il faisait beau temps, à moins cependant qu'ils ne fussent soutenus par une frégate, presque toujours à leur suite, dans l'espoir de s'emparer de quelque traînard. Quand il faisait mauvais temps et pendant les nuits obscures, les Français trompaient les Anglais en faisant de faux signaux pour les attirer; cela avait lieu au moment des rafales, qui sont très-fréquentes dans ces latitudes. Si les Anglais perdaient leur convoi de vue, ce qui arrivait souvent, ils étaient sûrs d'être attaqués par un ou par plusieurs de ces corsaires français; mais étant tous très-bien armés, les vaisseaux réussissaient quelquefois à se défendre non-seulement contre les vaisseaux de guerre secrets de l'ennemi, mais encore ils parvenaient à chasser bravement l'escadre française.

La possession de l'île Maurice était d'une très-grande importance pour les Français, car elle les mettait à même de pouvoir harceler le commerce de l'Angleterre et de tenir un pied dans l'Inde. Ils n'épargnaient aucune dépense pour fortifier l'île, et, pour dire la vérité, ils employèrent peu de temps pour obtenir le résultat d'en rendre le sol utile et productif. Ils y introduisirent et y cultivèrent avec succès les épices et les fruits de l'Inde. Ils y ajoutèrent du riz et plusieurs espèces de blé: celui de Bourbon, de la Cochinchine et de Madagascar. Mais l'île étant très-petite (elle n'a que dix-neuf lieues de circonférence), les améliorations apportées par les Français furent naturellement fort limitées.

Par leur négligence, les Hollandais avaient laissé le plus précieux de leurs ports, au nord-ouest, se remplir de la boue et des pierres envoyées par le torrent des montagnes qui s'élèvent tout auprès.

Dirigé par un gouverneur habile et entreprenant, les Français débarrassèrent ce port, bâtirent un mur et construisirent un magnifique bassin pour recevoir leurs vaisseaux de guerre et les mettre à l'abri des vents, qui sont toujours, dans les tempêtes, d'une violence épouvantable.

Nous découvrîmes bientôt la terre de Bourbon, et nous arrivâmes bientôt en vue de l'île Maurice.

Cette île a une forme ovale, et la partie dont nous rasions le côté nord-ouest est grande, inégale, ayant çà et là des signes de végétation.

– Ce côté de l'île, nous dit de Ruyter, a été retourné sens dessus dessous par l'action des volcans, et les gens instruits de cet événement croient que l'île Maurice était autrefois liée à celle de Bourbon, mais qu'elles ont été divisées en deux par la force d'un feu intérieur.

Nous vîmes plusieurs énormes cavernes voûtées dans lesquelles la mer s'écoulait avec un bruit de tonnerre; de gros morceaux de rocher gris, rudes et calcinés, étaient entassés les uns sur les autres dans un désordre fantastique, puis la terre s'éleva peu à peu, et nous vîmes des roches escarpées, même au centre de l'île, s'unissant à une montagne qui s'élève comme un dôme.

– Cette montagne, dit de Ruyter, était autrefois une plaine élevée de treize cents pieds au-dessus de la mer, quoique, du côté où nous sommes, elle nous paraisse d'une roideur impraticable; l'autre côté, au Port-Louis, a l'élévation si graduelle qu'un cheval peut aller au galop jusqu'à son sommet, qu'on nomme le Piton du milieu. Ce piton, pointu comme un pain de sucre, est entouré par une plaine.

 

Nous découvrîmes encore sept montagnes qui ressemblaient à sept grands géants tenant un conseil; puis plusieurs petits promontoires étendant dans la mer leurs racines pleines de rochers, et qui formaient de magnifiques baies, des rivages couverts de sable blanc et des vallées étroites, entrecoupées par des ruisseaux et des rivières verdoyantes et boisées. Ces vallées étaient remplies d'arbrisseaux et de fleurs.

Aston, de Ruyter et moi, nous étions debout sur le pont, armés de télescopes, et nous admirions le ravissant paysage qui se déroulait devant nos yeux.

– Que cette vallée est tranquille et belle! dis-je à mes amis; allons y demeurer.

Puis, quand la marche du vaisseau nous montrait un site plus enchanteur encore, nous répétions la même exclamation.

Tous les trois, nous aimions les beautés de la nature, et de Ruyter se plaisait à nous faire admirer les changements merveilleux de ce splendide panorama.

– Vraiment, m'écriai-je, cette île est le paradis des poëtes orientaux. Quelle est la personne sensée qui voudra quitter cette terre après l'avoir connue? Ô mes amis, abandonnons l'incertain océan, abandonnons la mer capricieuse, la mer aux sourires perfides qui nous attire vers la souffrance, vers le désappointement et vers la mort!

Aston n'était pas moins enthousiasmé que moi, et notre enchantement était partagé par tout l'équipage. La joie illuminait toutes les figures, chaque cause personnelle de chagrin ou de mécontentement était oubliée; l'union et l'harmonie la plus parfaite régnaient sur le vaisseau. Quand nous jetâmes l'ancre, les hommes montèrent aux mâts comme des écureuils, et dans un instant les voiles furent ferlées. Des canots rôdèrent bientôt autour du grab, presque submergés par la grande quantité de poissons et de fruits qu'ils venaient nous offrir.

Le plaisir qui remplissait mon cœur était presque de l'ivresse, car j'avais à mes côtés ma petite fée orientale, ma belle Zéla, qui, cédant à mes ardentes prières, avait consenti à m'accompagner sur le pont.

Quand le doux vent de la terre vint jouer dans les cheveux de la jeune fille, quand il pressa contre elle ses légers vêtements de gaze, en révélant les contours de ses formes élégantes, Aston la regarda avec une admiration surprise, et compara la belle enfant à un jeune faon.

De Ruyter, qui parlait parfaitement la langue de Zéla, s'approcha d'elle pour lui adresser quelques paroles d'affectueuse bienvenue. Il prit sa main; mais, stupéfait de la merveilleuse beauté de la jeune fille, il resta silencieux, ne pouvant que par sa muette contemplation lui exprimer combien il la trouvait belle. Après quelques secondes de cet éloquent silence, de Ruyter parla à la jeune Arabe d'une voix douce et caressante comme un chant, puis, se tournant vers moi, il me dit en anglais:

– Cette jeune fille est une fée de l'Orient; elle est trop délicate et trop frêle pour être touchée par la main d'un homme. Je vous félicite de tout mon cœur, mon cher Trelawnay, et il n'existe pas un homme qui puisse rester froid et indifférent devant votre bonheur. Par le ciel! mon ami, je croyais que votre mariage était un sacrifice; mais je trouve que vous possédez un diamant pour lequel un roi donnerait sa couronne. Souvenez-vous, mon garçon, que si vous ne gardez pas ce trésor comme on garde son propre cœur, le bonheur vous abandonnera, et la fortune sera toujours impuissante pour vous donner une femme comparable à lady Zéla.

La jeune fille regardait autour d'elle comme une gazelle effrayée. Surprise de se voir entourée et regardée par tant d'étrangers, elle rougit; la pauvre enfant aurait bien voulu rentrer dans sa cabine; mais je tenais sa main emprisonnée dans la mienne et je feignais de ne pas comprendre la prière de son regard.

Pour retenir Zéla le plus longtemps possible auprès de moi, j'envoyai chercher un tapis et des coussins, puis, environnée de ses femmes, la jeune fille s'assit sur le pont.

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