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CHAPITRE XXV
DES NOUVELLES CONNAISSANCES ACQUISES PAR M. PAUL PENDANT SON VOYAGE
Paul en savait assez déjà pour redouter un peu de se trouver seul chargé d’une mission qu’il considérait comme passablement importante. Il eût été fort simple d’écrire à l’entrepreneur de menuiserie de venir au château, mais le grand cousin avait demandé à M. de Gandelau d’envoyer Paul le trouver, afin de mettre à l’épreuve son inspecteur et savoir comment il se tirerait d’affaire. Le grand cousin avait amplement donné ses instructions, les avait fait répéter plusieurs fois; Paul avait pris note des points importants. Il était muni des plans pour donner le nombre des baies, les mains des portes, les surfaces des parquets, les développements des lambris, des cimaises, des plinthes, etc.
En arrivant à Châteauroux, vers dix heures du matin, Paul trouva en effet l’ingénieur, M. Victorien, l’ami du grand cousin, qui l’attendait à la gare.
M. Victorien était un homme jeune encore, bien que ses cheveux coupés en brosse fussent grisonnants. Un teint basané, l’œil clair, le nez aquilin, donnaient à sa physionomie un certain air martial qui plut tout d’abord à notre apprenti architecte. Une lettre du grand cousin l’avait informé des circonstances qui faisaient que Paul s’adonnait depuis six mois à la bâtisse; M. Victorien connaissait un peu M. de Gandelau et professait pour son caractère une estime particulière. Il n’en fallait pas tant pour qu’il reçût le voyageur comme un jeune frère. Mme Victorien, petite femme brune et rondelette, qui semblait être l’antithèse de son mari, grand et sec, ne trouvait rien d’assez bon pour son hôte. À déjeuner, Paul eut à répondre à toutes les questions qui lui furent adressées… Comment on avait supporté au château les épreuves dernières,… ce qu’était la maison nouvelle,… si elle était avancée… combien on y employait d’ouvriers… comment se faisaient les travaux? Paul répondit du mieux qu’il put et se hasarda même à faire quelques croquis pour expliquer à ses hôtes et la situation de la maison neuve et son degré d’avancement.
«Mais, lui dit M. Victorien, je vois que vous avez profité des leçons de votre cousin, l’homme de ma connaissance qui fait le plus rapidement un croquis explicatif.»
Ce compliment encouragea Paul, qui raconta comment s’était faite jusqu’à ce jour son éducation d’architecte.
«Nous avons tout le temps demain d’aller voir votre menuisier; si vous voulez, vous m’accompagnerez sur des travaux d’éclusage que je fais faire à deux lieues d’ici. Cela pourra vous intéresser.»
Paul s’empressa d’accepter, bien que Mme Victorien se récriât et prétendît que son jeune hôte devait être fatigué, qu’il fallait le laisser reposer; qu’il s’était levé de grand matin, etc.
«Allons donc! dit M. Victorien: fatigué… à son âge, avec cette mine, et parce qu’il est resté deux heures assis dans un wagon? Prépare-nous un bon dîner pour notre retour vers sept heures et tu verras si notre ami n’y fait pas honneur. Ne nous a-t-il pas dit, d’ailleurs, qu’il était à cinq heures sur pied chaque matin et qu’il courait tout le jour? Partons!»
Un petit char à bancs entraîna bientôt nos deux compagnons loin de la ville.
«Ainsi donc, dit M. Victorien à la première côte, votre cousin n’a pas été autrement fatigué de sa courte campagne. Je ne l’ai vu qu’un instant lorsqu’il est passé ici avec son corps… C’est un homme énergique, mais je sais qu’il ne se ménage pas toujours assez… Comme il s’explique clairement… n’est-ce pas?… Il y a plaisir à prendre de lui des leçons. Nous avons été camarades, et il a hésité quelque temps s’il se ferait architecte ou ingénieur civil. Il était capable d’être l’un ou l’autre.
–Quelle est donc la différence entre un architecte et un ingénieur? hasarda Paul.
–Diable, vous me faites là une question à laquelle il est difficile de répondre… Laissez-moi vous dire un apologue.
«Il y avait autrefois deux petits jumeaux qui se ressemblaient si bien que leur mère les confondait. Non seulement ils avaient les mêmes traits, la même taille, la même démarche, mais aussi les mêmes goûts et les mêmes aptitudes. Il fallait travailler de ses mains, car les parents étaient pauvres. Tous deux se firent maçons. Ils devinrent habiles, et ce qu’ils faisaient, chacun, était également bien. Le père, qui était un esprit étroit, pensa que ces quatre mains qui travaillaient aux mêmes ouvrages avec une égale perfection, produiraient davantage et mieux encore en divisant le travail par paires de mains. Donc, à l’une des paires il dit: «Vous, vous ne ferez que les travaux au-dessous du sol;» à l’autre: «Vous ne ferez que les travaux au-dessus du sol.» Les frères pensèrent que cela n’avait guère de sens, puisqu’ils s’aidaient aussi bien dans un cas que dans l’autre; mais comme ils étaient enfants soumis, ils obéirent. Seulement, ces ouvriers qui jusqu’alors étaient d’accord et se prêtaient un mutuel concours au bénéfice de l’ouvrage, ne cessèrent de se disputer depuis lors. Celui qui travaillait au-dessus des caves trouvait qu’on ne lui préparait pas convenablement ses fondements, et celui qui établissait ceux-ci prétendait qu’on ne tenait pas compte des conditions de leur structure. Si bien qu’ils se séparèrent, et chacun d’eux, ayant pris l’habitude de la spécialité qu’on lui avait imposée, demeura impropre à faire autre chose.
–Je crois saisir votre apologue, mais…
–Mais cela ne vous explique pas pourquoi on établit une différence entre un ingénieur et un architecte. De fait, un ingénieur habile peut être un bon architecte, comme un architecte savant doit être un bon ingénieur. Les ingénieurs font les ponts, les canaux, les travaux de ports, les endiguements, ce qui ne les empêche pas d’élever des phares, de bâtir des usines, des magasins et bien d’autres constructions. Les architectes devraient savoir faire toutes ces choses-là; ils les faisaient jadis, parce qu’alors les frères jumeaux n’étaient pas séparés, ou plutôt qu’ils ne faisaient qu’une seule et même personne. Mais depuis que cette unique individualité s’est divisée, les deux moitiés vont chacune de leur côté. Si les ingénieurs bâtissent un pont, les architectes disent qu’il est laid et ils n’ont pas toujours tort de le dire. Si les architectes élèvent un palais, les ingénieurs trouvent, non sans raison, que les matériaux y sont maladroitement employés, sans économie et sans une connaissance exacte de leurs propriétés de durée ou de résistance.
–Mais pourquoi les ingénieurs font-ils des ponts que les architectes ne trouvent pas beaux?
–Parce que la question d’art a été séparée de la question de science, de calcul, par ce père à l’esprit borné qui a cru que les deux choses ne pouvaient tenir dans un même cerveau. Aux architectes on a dit: «Vous serez artistes, ne voyez que la forme, ne vous occupez que de la forme;» aux ingénieurs on a dit: «Vous ne vous occuperez que de la science et de l’application scientifique; la forme ne vous regarde pas, laissez cela aux artistes qui rêvent les yeux ouverts et sont impropres à raisonner.»
«Ah! cela semble étrange à votre jeune esprit, je le vois bien. C’est tout simplement absurde, par cette raison que l’art de l’architecture n’est qu’une conséquence de l’art de construire, c’est-à-dire d’employer les matériaux suivant leurs qualités ou leurs propriétés, et que les formes d’architecture dérivent notoirement de ce judicieux emploi… Mais, mon jeune ami, en prenant de l’âge vous en verrez bien d’autres dans notre pauvre pays tout embourbé dans les routines… Psst! Coco en route! c’est tout plaine maintenant!»
On arriva bientôt à l’éclusage. Deux batardeaux, l’un en aval, l’autre en amont, barraient le cours d’eau; un gros siphon en fonte faisait passer le courant par-dessus les travailleurs occupés à fonder les murs (bajoyers) formant la chambre de l’écluse; Paul se fit expliquer la fonction de ce siphon, ce qu’il eut vite compris, puisqu’il en avait fait avec des tuyaux de plume et de la cire, et avait ainsi vidé des verres d’eau. Il n’avait jamais supposé que ce petit appareil hydraulique pût recevoir une si formidable application. Il vit comment se faisait le béton que l’on coulait sous les murs latéraux de la chambre, c’est-à-dire de l’espace compris entre les deux portes d’écluse. Un cheval tirait sur un grand levier de bois qui faisait mouvoir un arbre en fer pivotant dans un cylindre vertical, et qui, étant muni de palettes, mêlait la chaux éteinte avec le sable introduit au sommet de ce cylindre. Une vanne laissait, par le bas, s’échapper le mortier bien corroyé dans des brouettes que des hommes transportaient sur une aire de madriers où on le mêlait avec une quantité double de cailloux, au moyen de râteaux. Puis d’autres ouvriers transportaient le béton bien mélangé, jusqu’à une trémie qui le conduisait au fond de la fouille où d’autres ouvriers l’étalaient par couches et le pilonnaient à l’aide de dames de bois. Paul se fit expliquer également la disposition des portes, le radier, le busc ou seuil sur lequel devaient butter les vantaux busqués de l’écluse, c’est-à-dire présentant un angle obtus vers l’amont, pour résister à l’action du courant. Il vit l’atelier des charpentiers où l’on mettait les portes d’écluse sur épure. Tout en surveillant ses ouvrages et donnant ses ordres, M. Victorien expliquait à Paul la fonction de chaque partie du travail, et celui-ci prenait des notes et faisait des croquis sur son carnet, pour conserver le souvenir de ce qu’il entendait et voyait. Cette attention de Paul parut faire plaisir à M. Victorien. Aussi, quand on remonta en voiture pour rentrer à la ville, l’ingénieur ne manqua pas de compléter ses explications. Il lui décrivit les portes d’écluse des ports de mer, comment on en faisait actuellement qui avait jusqu’à trente mètres et plus d’ouverture, partie en fer, partie en bois, ou entièrement en fer, et promit de lui montrer, à la maison, les tracés de quelques-uns de ces éclusages. Les deux voyageurs en vinrent à parler des ponts et comment on parvenait à fonder leurs piles au milieu d’un courant.
M. Victorien lui fit comprendre comment, à l’aide des moyens fournis par l’industrie moderne, on arrivait à fonder des piles au milieu de fleuves larges, profonds et rapides, où, autrefois, on ne considérait pas cette opération comme praticable; comment on coulait des tubes en tôle jumeaux, verticalement, de façon que leur extrémité inférieure touchât le fond; comment, à l’aide de machines puissantes, on comprimait l’air dans ces énormes colonnes creuses, de manière à en chasser l’eau, et comment alors on établissait une maçonnerie remplissant ces cylindres, de telle sorte qu’on obtenait ainsi des piles parfaitement solides, stables, et pouvant résister à de fortes charges; que, la tôle devant se détruire à la longue, les colonnes de maçonnerie demeuraient intactes, ayant eu le temps de prendre une parfaite consistance.
Les explications de M. Victorien ouvraient ainsi à Paul un nouvel horizon d’études, et il se demandait s’il aurait jamais le temps d’apprendre toutes ces choses, car M. Victorien ne manquait pas de lui répéter à chaque instant qu’un architecte ne devait pas ignorer ces moyens de construction, parce qu’il pouvait se faire qu’il eût à les employer. Aussi paraissait-il préoccupé. M. Victorien s’en aperçut et lui dit: «Parlons d’autre chose, car il me semble que vous êtes un peu fatigué.
–Non point, reprit Paul, mais j’ai eu de la peine à mettre dans ma tête tout ce que mon cousin me disait, quand il s’agissait seulement de bâtir une maison, et je croyais que, quand j’aurais bien compris les choses diverses qu’il m’expliquait, j’aurais le résumé de tout ce que je devais apprendre, et voilà que je m’aperçois qu’il est bien d’autres choses relatives à la construction, qu’il est nécessaire de savoir, et… dame…
–Et cela vous inquiète, vous effraye… Prenez le temps, ne cherchez pas à comprendre tout à la fois: écoutez attentivement, voilà tout. Peu à peu cela se débrouillera dans votre esprit, se classera. Soyez tranquille,… les jeunes cerveaux sont composés d’une quantité de tiroirs vides. On ne doit demander à la jeunesse que de les ouvrir; chaque connaissance vient d’elle-même se classer dans celui qui lui convient. Plus tard, on n’a plus que la peine d’ouvrir le tiroir qui contient telle ou telle chose emmagasinée presque sans qu’on s’en doute; on la trouve intacte, propre à être employée à l’usage convenable. Seulement, il faut toujours tenir tous ses tiroirs ouverts à l’époque de la cueillette, époque qui est courte. Si on laisse fermés les tiroirs pendant la première jeunesse, c’est-à-dire de douze à vingt-cinq ans, plus tard, c’est une rude besogne que de les remplir, car les serrures sont rouillées; ou ils se sont remplis, on ne sait comment, d’un fatras inutile dont on n’a que faire.» Ainsi devisant, les deux voyageurs rentrèrent à la maison où Mme Victorien leur avait fait préparer un bon souper, égayé par la présence de deux bambins revenus de l’école, et qui furent bientôt au mieux avec Paul.
La journée suivante fut consacrée à voir l’entrepreneur de menuiserie, à lui expliquer les détails apportés et à préparer les marchés, ce à quoi M. Victorien aida quelque peu Paul. Cependant, celui-ci, bien stylé par son cousin, se tira de sa mission à son honneur, et il fut très flatté quand, au sortir de la conférence, l’entrepreneur ne l’appela plus que monsieur l’Inspecteur, en lui donnant toutes sortes d’explications techniques que Paul ne comprenait pas toujours, ce dont il se garda bien de rien laisser paraître, se réservant de demander à son cousin les éclaircissements qui lui faisaient défaut.
On alla voir le surlendemain matin quelques édifices curieux dans les environs, et le soir, à neuf heures, Paul rentrait au château, sa valise pleine de renseignements que M. Victorien lui avait donnés sur les ponts, les écluses, les matériaux du pays et leur emploi.
CHAPITRE XXVI
LA COUVERTURE ET LA PLOMBERIE
Bien qu’au mois de juin il fût possible de rentrer au lycée, à Paris, Mme de Gandelau insista pour que son fils restât l’été près d’elle. Elle craignait le typhus. Puis, on n’était pas sans inquiétudes sur la tranquillité de la grande ville, si cruellement éprouvée et ravagée. Un instituteur des environs, homme plus instruit que ne le sont en général ces modestes délégués de l’instruction publique, vint donc chaque jour donner une ou deux heures de leçons à Paul pour qu’il n’oubliât pas ce qu’il savait de latin, et le reste du temps fut consacré à la surveillance des travaux qui avançaient à vue d’œil. Les murs étaient élevés, les planchers posés, on commençait le levage de la charpente des combles; et s’il n’y avait plus autant de détails à donner aux ouvriers, la surveillance devait être plus minutieuse, d’autant que le grand cousin ne laissait rien passer et voulait qu’on lui rendît compte de chaque chose. Parfois, quand Paul revenait du chantier, le grand cousin lui demandait s’il avait vu telle ou telle partie; si Paul hésitait, il lui disait: «Eh bien! mon ami, il faut retourner voir cela et m’en rendre compte, non demain, mais tout de suite.» Et Paul enfourchait son poney. Aussi avait-il pris l’habitude, pour éviter ces allées et venues qui lui semblaient au moins monotones, de ne rentrer qu’après avoir examiné en détail tous les points qui pouvaient provoquer une question de la part du grand cousin. C’était surtout sur les chaînages que celui-ci avait fixé l’attention de Paul. Il lui demandait à plusieurs reprises comment les ancres étaient posées; et si les explications ne concordaient pas, il fallait retourner au chantier et ne pas le quitter que les choses ne fussent placées devant les yeux de l’inspecteur, ainsi qu’il avait été ordonné. D’ailleurs, les visites au chantier en compagnie de Paul avaient lieu trois fois par semaine, et, sur place, les instructions étaient données devant lui aux entrepreneurs. Le grand cousin avait toujours le soin de faire répéter ces instructions par son inspecteur, pour être assuré qu’elles étaient comprises.
Il fallut s’occuper des chéneaux, des écoulements des eaux pluviales et de la couverture.
«Les couvertures sont généralement assez mal faites dans les constructions de province, dit le grand cousin, et surtout les ouvrages de plomberie; aussi aurons-nous à prendre souci de cette partie importante de notre bâtisse, car une maison mal couverte est comme un homme incomplètement ou mal vêtu. L’un et l’autre contractent des maladies incurables. Ici nous n’avons pas de bons plombiers-couvreurs, il faudra se décider à en faire venir de Paris; cela nous coûtera un peu plus cher; mais, au fond, c’est une économie, car nous éviterons des réparations incessantes et des malfaçons irréparables. Nous adopterons la couverture en ardoises à crochets.
«On pose vulgairement l’ardoise sur de la volige de sapin ou de bois blanc, à l’aide de clous; mais pour enfoncer ces clous dans la volige, il faut percer l’ardoise de deux trous, puisqu’on maintient chacune d’elles avec deux clous. Sous l’effort du vent, les ardoises battent, élargissent les trous et finissent par échapper la tête de ces clous; alors elles tombent. Pour replacer une seule ardoise, il faut en enlever plusieurs, et la dernière doit nécessairement être percée de trous dans le pureau, c’est-à-dire sur la partie vue de l’ardoise. Avec les crochets, on évite ces inconvénients, et les réparations peuvent être faites par la première personne venue. Ces crochets sont fabriqués en cuivre rouge, ce qui permet de les ouvrir et de les fermer plus de vingt-cinq fois sans les casser. De plus, l’ardoise étant maintenue à sa pince, c’est-à-dire à sa partie inférieure, ne ballotte plus sous l’action du vent, et aucun effort ne la peut déranger. Dans le système ordinaire de couverture en ardoises, il y a, l’une sur l’autre, trois épaisseurs de chacune de ces lames. Le pureau étant de 0m,11c, les ardoises ont donc 0m,33c de longueur. Pour poser de l’ardoise à crochets, au lieu de volige, on cloue des lattes sur les chevrons, espacées de 0m,11c l’une de l’autre, d’axe en axe (fig. 60). Vous voyez ainsi en A la position des lattes et celle de chaque ardoise.
Fig. 60.


Les crochets passent dans l’intervalle laissé entre ces ardoises et viennent saisir chacune de leurs extrémités. En coupe, je vous montre en B, moitié d’exécution, le lattis C cloué sur les chevrons, et le crochet dont la pointe est enfoncée dans ce lattis, avec son retour E retenant la pince de l’ardoise. Cela va donc de soi pour les pans, mais non pour les retours, arêtiers ou noues. Quand on a des noues et des arêtiers, les ardoises n’étant pas flexibles, il faut employer du plomb ou du zinc; le premier de ces métaux vaut beaucoup mieux que l’autre et est moins sujet à se briser ou à s’altérer. Pour les arêtiers, on cloue des noquets, qui sont des lames de plomb pliées sur le bois, remplaçant l’ardoise et chevauchées avec celle-ci; pour les noues, on étend dans l’angle rentrant, une lame de plomb sur laquelle, des deux côtés, viennent poser les ardoises. Mais vous étudierez les détails infinis de la couverture quand les ouvriers seront à la besogne, car ces sortes de travaux exigent des soins minutieux; on a à lutter contre un ennemi subtil: l’eau. Celle-ci cherche toutes les issues, elle profite de chaque négligence pour s’introduire chez vous; d’autant que, poussée par le vent, elle acquiert une puissance et une activité qu’elle n’aurait pas si elle tombait verticalement, en bonne et sage pluie. Aussi, sous les climats où les ondées sont douces, ne tombent que par des temps calmes, les couvertures sont naïves, n’exigent pas les précautions innombrables que réclament nos contrées; et c’est pourquoi j’adopte le système d’ardoises à crochets. Ici, les vents ouest et nord-ouest sont violents, chassent la pluie et la neige sous un angle de 30°. Les ardoises retenues seulement à la tête, bâillent, se soulèvent au pureau; et la pluie et la neige d’entrer. C’est pourquoi aussi nous avons donné à nos combles un angle de 60°: car la pluie, chassée violemment, arrive généralement perpendiculairement à cette inclinaison et ne risque pas alors de s’introduire sous les pureaux.
«L’établissement des chéneaux exige encore une grande attention. Il faut donner à leur fond une inclinaison suffisante, soit 0m,03c par mètre, pour assurer l’écoulement; mais il faut aussi à chaque lame de métal plomb ou zinc, qui forme le canal, un ressaut, une petite marche de 0m,04c à 0m,05c afin que l’eau ne s’introduise pas sous les jointures. Ces nécessités exigent donc que l’on donne aux chéneaux une profondeur suffisante pour trouver en bas de ces pentes des points culminants aux chutes ou tuyaux de descente, et que ces tuyaux ne soient pas trop distants les uns des autres pour ne pas faire faire à l’eau de trop longs parcours. De plus, il faut ménager sur la paroi externe des chéneaux, des exutoires ou petites gargouilles de trop-plein, pour que si la neige ou la glace vient à encombrer les orifices des tuyaux, l’eau trouve à s’écouler. Il est prudent d’ailleurs de donner au revers interne du chéneau une hauteur plus grande qu’au bord externe, pour qu’en aucun cas, l’eau n’entre à l’intérieur. Voici donc (fig. 61) le profil que nous donnerons à nos chéneaux. Le bahut A ayant 0m,40c de hauteur, la planche formant la rive externe du chéneau aura 0m,33c. Vous vous rappelez que sur la tablette de corniche nous laissons une pente donnant un vide entre chaque joint, pour aérer le dessous du chéneau et pour faciliter l’écoulement des eaux, s’il survient une fuite. Donc, notre chéneau se composera d’une planche de chêne B formant fond, d’une rive C formant la face, et d’un boudin rapporté sur le champ de la rive. Cette planche de face sera légèrement inclinée, pour que le plomb du chéneau tende moins à s’affaisser.
Fig. 61.

«La chute du comble étant en D, nos lames de plomb seront fixées en E à l’aide de clous, suivront la coupe du canal et viendront se retourner en G en formant agrafure. Nous poserons sur la face une autre lame de plomb qui formera de même agrafure en H, puis en I avec des agrafes de zinc clouées sur la planche. Ces lames de plomb seront maintenues sur cette face à l’aide de vis dont les têtes seront masquées par des mamelons a soudés; puis un boudin K se prendra dans les deux agrafures G et H.
«Au préalable, les fonds et rives externes des chéneaux seront réunis par des équerres en fer L, entaillées, lesquelles seront scellées à la base du bahut. Ces équerres seront posées en dehors et non en dedans du chéneau. C’est de distance en distance, sur ces faces du chéneau, que nous percerons les trous pour recevoir les petites gargouilles de trop-plein M.
«Les tuyaux de descente posés dans les angles rentrants du bâtiment viendront emmancher leur orifice supérieur dans un vide ménagé dans la corniche, ainsi que vous l’indique le détail N. Un manchon de plomb réunira le fond du chéneau avec cet orifice des tuyaux de fonte et ne sera soudé, bien entendu, qu’avec ce fond de chéneau, restant libre à sa partie pénétrant dans le tuyau. Pour obtenir les pentes nécessaires dans le fond du chéneau, on établira des renformis de plâtre avec arrêts pour les ressauts, au droit de chaque lame, ainsi que vous voyez en O. Chacune de ces lames ne devra pas dépasser une longueur de 3m,00.
«Les faîtages des combles et des lucarnes seront de même établis en plomb et agrafés ainsi que vous l’indique le tracé P. On cloue d’abord deux languettes de plomb b, couvrant l’ardoise d, puis on roule les parties laissées libres de ces languettes avec des feuilles de plomb g, qui elles-mêmes viennent s’agrafer en h avec la lame i qui couvre le faîtage. Celle-ci est, de plus, maintenue par des vis dont la tête est masquée par un morceau de plomb; ainsi elle ne peut être dérangée par le vent.
«Je ne fais que vous indiquer ici les points principaux de l’industrie du couvreur-plombier, laquelle est fort délicate et exige des soins infinis. Vous étudierez cela par le menu pendant l’exécution, quand nous aurons de bons ouvriers à l’œuvre. Parmi ceux de Paris, il en est d’une habileté remarquable. Ce sont eux qui établiront aussi dans la maison les distributions d’eau, les water-closets, bains, etc. Mais je dois vous faire une recommandation importante: Les plombs posés sur du bois de chêne non flotté s’oxydent avec une rapidité prodigieuse. L’acide acétique que contient ce bois fait passer, en quelques mois, les lames de plomb superposées à l’état de blanc de céruse, surtout si ce bois n’est pas suffisamment ventilé sur la face opposée. Je vous désignerai donc les bois qu’il faudra seuls laisser employer pour les chéneaux et les chanlattes des faîtages. Nous prendrons des vieux bois provenant des démolitions de l’ancien moulin, et qui, débités, seront dans les conditions convenables, car ces bois ont depuis longtemps jeté leur sève.
«Votre emploi d’inspecteur consistera surtout, lorsque les ouvriers plombiers commenceront leur travail, à peser scrupuleusement les métaux apportés et à faire emmagasiner devant vous les rognures. Ces hommes, habitués à se préoccuper de la main d’œuvre, travaillent un peu en artistes, ils négligent volontiers les intérêts matériels; ils laissent traîner le plomb, l’étain dans tous les coins du chantier. Vous sentez qu’il ne faut pas exposer nos garçons de campagne à de fâcheuses tentatives.
«Il faudra donc que vous pesiez toutes les matières à leur entrée, puis les rognures. Celles-ci devront être emmagasinées devant vous en lieu bien fermé. La différence entre le poids entré et celui des restes compose la fourniture due, puisque la plomberie se paye au poids.
«Le marché du menuisier, que vous m’avez rapporté, indique l’envoi des parquets, portes et fenêtres pour la fin d’août, je crois?
–Oui, et l’entrepreneur m’a dit que, pour les parquets, ayant beaucoup de bois approvisionné, il pourrait commencer à poser dès le 1er août.
–Ce serait trop tôt, il faut laisser un peu sécher toute la bâtisse. Cet entrepreneur est assez actif; s’il commence au 1er septembre, il aura fini au 1er octobre; nous ferons alors venir les peintres, et au 1er décembre notre maison peut être considérée comme terminée.
«Il faudra penser aussi au marbrier, pour lui commander les chambranles des cheminées. Ce n’est pas trop tôt. Avez-vous donné au menuisier les dimensions des foyers de ces cheminées?
–Oui, elles étaient marquées sur les plans.
–Eh bien, faites un double de ces plans et nous l’enverrons au marbrier. Il faudra encore, pour cette fourniture, avoir affaire à une maison de Paris; ce sera moins cher et nous aurons plus de choix. C’est une chose bien fâcheuse que d’être toujours obligé de recourir à Paris aujourd’hui, pour cent questions de détail qui intéressent la construction.
«Mais, sauf dans quelques grands centres comme Lyon, Tours, Bordeaux, Rouen, Nantes, Marseille, où l’on trouve des maisons assez bien montées, en province il n’y a rien. Ce n’était pas ainsi autrefois; c’est un des fruits de notre système de centralisation à outrance.
«J’essaye, tant que je le puis, de réagir contre cette funeste tendance; mais, quand on est pressé, il faut nécessairement revenir à ces grands centres de l’industrie du bâtiment. Pour avoir nos marbres de cheminées à Châteauroux, ou même à Tours, il faudrait attendre six mois et nous les payerions plus cher. Le fournisseur auquel nous nous adresserions ne manquerait pas de recourir à Paris; autant aller à la source nous-mêmes. Pour le vestibule-serre, sur le jardin, pour la marquise, sur l’entrée, avec des détails bien faits, notre serrurier les établira; c’est un ouvrier intelligent. Les charpentiers et les serruriers sont généralement bons en province.
–Pourquoi cela?
–Parce que les charpentiers ont conservé leur organisation en corporations, ou au moins quelque chose d’équivalent, et qu’il faut, pour entrer dans ce corps, subir des épreuves.
«Quant aux serruriers, dans les provinces, ils ont maintenu l’habitude de la forge; et la forge, c’est toute la serrurerie. Dans les grandes villes au contraire, on s’est pris de passion pour la fonte, et les ouvriers de bâtiments se sont déshabitués du menu travail de forge. Ils n’ont plus été qu’ajusteurs. Cependant, depuis quelques années, il y a réaction, et vous avez pu voir, à l’Exposition de 1867, des pièces de forge d’une excellente exécution. Mais les architectes, eux aussi, se sont déshabitués de ces sortes d’ouvrages, et bien peu savent comment on travaille le fer au marteau, comment se fait une soudure; ils donnent à leurs entrepreneurs des détails inexécutables ou qui leur imposent, sans profit, des difficultés nombreuses. Il faudrait donc que les architectes connussent les moyens de fabrication de chacune des industries qu’ils emploient, et ce n’est pas à l’École des Beaux-Arts qu’on leur apprend cela. On trouve meilleur de leur persuader que la matière est faite pour obéir à toutes les fantaisies de l’artiste; cela évite des explications et rend l’enseignement moins compliqué. Le contribuable, le propriétaire qui fait bâtir, payent cette belle doctrine un peu cher, et les industries de bâtiment sans haute direction se fourvoient en essayant de réaliser les fantaisies de ces messieurs.»
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