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Читать книгу: «Les mystères d'Udolphe», страница 34

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–Hélas! bien infortuné, dit l'abbesse, qui connaît mal notre sainte religion! Emilie écoutait Agnès dans le silence et le respect: elle regardait la miniature, et s'assurait encore de la ressemblance de ce portrait avec celui qu'elle avait vu à Udolphe.—Cette figure ne m'est pas inconnue, dit-elle, pour faire expliquer la religieuse sans d'abord lui parler trop brusquement d'Udolphe.—Vous vous trompez, lui dit Agnès, et vous ne l'avez sûrement jamais vue.—Non, reprit Emilie; mais j'ai vu sa ressemblance parfaite.—Impossible, s'écria sœur Agnès, qu'on peut maintenant appeler la signora Laurentini.—C'était dans le château d'Udolphe, continua Emilie, en la regardant fixement.—D'Udolphe! s'écria Laurentini, d'Udolphe en Italie?—Précisément, dit Emilie.—Vous me connaissez alors, lui dit Laurentini, et vous êtes la fille de la marquise.

Emilie, étonnée de cette positive assertion, répondit:—Je suis fille de M. Saint-Aubert, et la dame que vous nommez m'est absolument étrangère.—Vous le croyez? reprit Laurentini.

Emilie lui demanda par quelle raison elle pensait le contraire.

–Votre ressemblance, dit la religieuse. On sait que la marquise était fort attachée à un gentilhomme de Gascogne, quand elle épousa le marquis par obéissance pour son père. Femme infortunée!

Emilie, se rappelant l'excessive émotion de M. Saint-Aubert au nom de la marquise, aurait alors éprouvé une émotion différente de la surprise, si elle eût moins connu la probité de son père. Le respect qu'elle avait pour lui ne lui permit pas de s'arrêter à la supposition que lui insinuait la signora Laurentini; son intérêt pourtant devint extrême, et elle la conjura de s'expliquer plus clairement.—Ne me pressez pas sur ce sujet, reprit la religieuse: il est trop terrible pour moi: puissé-je pour jamais l'effacer de ma mémoire! Elle soupira profondément, et demanda à Emilie comment elle avait su son nom.—Par le portrait que j'ai vu à Udolphe, reprit Emilie, et la ressemblance de celui-ci.—Vous avez donc été à Udolphe? dit la religieuse avec une extrême émotion. Quelles scènes ce lieu me rappelle! scènes de félicité, de souffrance et d'horreur!

A ce moment, le terrible spectacle dont Emilie avait été témoin dans une chambre du château lui revint à la mémoire; elle regarda la signora et se rappela ses derniers mots, que des années de prières et de pénitence ne pouvaient pas ravir la souillure d'un meurtre; elle se vit obligée de les attribuer à une autre cause qu'au délire: elle sentit un degré d'horreur inexprimable en croyant voir un assassin… Toute la conduite de Laurentini confirmait cette supposition; Emilie se perdit dans un abîme de perplexité, et, ne sachant par quelles questions éclaircir de tels doutes, elle dit seulement à mots interrompus:—Votre soudain départ d'Udolphe!

Laurentini fit un soupir.

–Tous les bruits qui courent, dit Emilie… la chambre au couchant… ce voile de deuil… l'objet qu'il couvre… quand les meurtres sont connus.

La religieuse s'écria:—Quoi! encore? Et, s'efforçant de la relever, ses regards égarés semblaient suivre un objet.—Revenir du tombeau! Quoi! du sang, du sang aussi!—Il n'y eut pas de sang; tu ne peux pas le dire.—Oui, ne souris pas, ne souris pas avec cette pitié.

Laurentini tomba en convulsion. Emilie, incapable d'endurer plus longtemps une telle scène, s'échappa de la chambre, et envoya quelques religieuses pour rester avec l'abbesse. Blanche et les pensionnaires qui se trouvèrent au parloir se pressèrent autour d'Emilie, et, alarmées de l'effroi qu'elle manifestait, elles lui firent ensemble mille questions. Emilie évita d'y répondre, et dit seulement que sœur Agnès était à l'agonie. On se sépara de bonne heure. Quand Emilie fut retirée, les scènes dont elle avait été témoin se retracèrent à elle avec une affreuse énergie. Dans une religieuse mourante, trouver la signora Laurentini, celle qui, au lieu d'avoir été victime de Montoni, semblait elle-même coupable d'un crime abominable! C'était un grand sujet de surprise et de méditation.

CHAPITRE XLII

Quelques circonstances singulières vinrent distraire Emilie de ses chagrins, et excitèrent en elle autant de surprise que d'horreur. Peu de jours après la mort de la signora Laurentini, le testament de cette dame fut ouvert en présence des supérieures du couvent. On trouva que le tiers de ses propriétés était légué au plus proche parent de la marquise de Villeroi, et que ce legs regardait Emilie. L'abbesse depuis longtemps connaissait le secret de sa famille; mais Saint-Aubert, qui s'était fait connaître au religieux qui l'avait assisté, avait exigé que ce secret fût à jamais dérobé à sa fille. Cependant les discours échappés à la signora Laurentini, la confession étrange qu'elle fit à ses derniers moments, firent juger nécessaire à l'abbesse d'entretenir sa jeune amie sur un sujet qu'elle n'avait jamais entamé. Dans ce dessein, elle avait demandé à la voir le lendemain du jour où elle avait visité la religieuse. L'indisposition d'Emilie avait empêché celle-ci d'aller au couvent: mais, après l'ouverture du testament elle fut mandée de nouveau; et s'étant rendue à Sainte-Claire elle y apprit des détails qui l'affectèrent beaucoup. Comme le récit que fit l'abbesse supprimait plusieurs particularités qui peuvent intéresser le lecteur, et que l'histoire de la religieuse est liée à celle de la marquise, nous omettrons la conversation du parloir, et nous joindrons à notre relation une histoire abrégée de la défunte sœur.

HISTOIRE DE LA SIGNORA LAURENTINI DI UDOLPHO

Elle était fille unique et héritière de l'ancienne maison d'Udolphe, dans le territoire de Venise. Le premier malheur de sa vie, celui qui fut la source de toutes ses infortunes, fut que ses parents, dont les soins auraient dû modérer la violence de ses passions et lui apprendre à les gouverner elle-même, ne firent que les fomenter par une coupable indulgence. Ils chérissaient en elle leurs propres sentiments; soit qu'ils louassent, soit qu'ils reprissent leur fille, c'était au gré de leur inclination, et non d'une tendresse raisonnée. L'éducation ne fut pour elle qu'un mélange de faiblesse et d'opiniâtreté qui l'irrita. Les conseils qu'on lui donnait devinrent autant de contestations où le respect filial et l'amour paternel étaient également oubliés. Mais comme cet amour paternel revenait toujours le premier, et se désarmait le plus aisément, la signora croyait avoir vaincu; et l'effort que l'on faisait pour vaincre ses passions leur prêtait une force nouvelle.

La mort de son père et de sa mère la laissa livrée à elle-même dans l'âge si dangereux de la jeunesse et de la beauté. Elle aimait le grand monde, s'enivrait du poison de la louange, et méprisait l'opinion publique, quand elle contredisait ses goûts. Son esprit était vif et brillant; elle avait tous les talents, tous les charmes dont se compose le grand art de séduire. Sa conduite fut telle que pouvaient le faire présager la faiblesse de ses principes et la force de ses passions.

Parmi ses nombreux soupirants fut le marquis de Villeroi. En voyageant en Italie, il vit Laurentini à Venise; il devint passionné pour elle. La signora fut éprise à son tour de la figure, des grâces, des qualités du marquis, le plus aimable des seigneurs français. Elle sut cacher les dangers de son caractère, les taches de sa conduite; et le marquis demanda sa main. Avant la conclusion de ses noces, elle alla au château d'Udolphe; le marquis l'y suivit. Là, moins réservée, moins prudente peut-être qu'elle n'avait été jusqu'alors, elle donna lieu à son amant de former quelques doutes sur la convenance des nœuds qu'il était prêt à serrer. Une information plus exacte le convainquit de son erreur, et celle qui devait être sa femme ne devint que sa maîtresse.

Après avoir passé quelques semaines à Udolphe, il fut tout à coup rappelé en France. Il partit avec répugnance, le cœur rempli de la signora, avec laquelle pourtant il avait su différer de conclure son mariage. Pour l'aider à soutenir une telle séparation, il lui donna sa parole de revenir célébrer ses noces aussitôt que ses affaires lui en laisseraient la liberté. Consolée par cette assurance, Laurentini le laissa partir. Bientôt après, Montoni, son parent, vint à Udolphe, et renouvela des propositions que déjà elle avait rejetées, et qu'elle rejeta encore. Ses pensées se tournaient toutes vers le marquis de Villeroi. Elle éprouvait pour lui tout le délire d'un amour italien, fomenté par la solitude dans laquelle elle s'était confinée. Elle avait perdu le goût des plaisirs et de la société; son unique jouissance était de contempler et de baigner de larmes un portrait du marquis. Elle visite les lieux témoins de leur félicité, elle épanche son cœur dans ses lettres. Elle comptait les jours, les semaines qui devaient s'écouler avant l'époque probable de son retour. Ce période passa; les semaines qui suivirent devinrent un poids insupportable. L'imagination de Laurentini, absorbée par une seule idée, se dérangea. Son cœur était dévoué à un objet unique; la vie lui devint odieuse quand elle crut avoir perdu cet objet.

Plusieurs mois se passèrent sans qu'elle reçût un seul mot du marquis. Ses jours se partageaient entre les violences, les accès d'une passion furieuse, et la sombre langueur du plus noir désespoir. Elle s'isola de tout; elle s'enfermait des semaines entières sans parler à personne, excepté à sa confidente. Elle écrivait des fragments de lettres, relisait celles qu'autrefois elle avait reçues du marquis, pleurait sur son portrait, et lui parlait des heures entières, tantôt pour l'accabler de reproches, tantôt pour l'accabler d'amour.

A la fin, on répandit autour d'elle le bruit que le marquis s'était marié en France. Déchirée par la jalousie, par l'amour, par l'indignation, elle prit le parti d'aller secrètement en ce pays; et si le fait était vrai, elle prétendait assouvir sa vengeance. Elle ne dit qu'à sa confidente le projet qu'elle avait formé, et elle l'engagea à la suivre. Elle rassembla tous ses diamants, et ceux qu'elle avait recueillis de toutes les branches de sa famille; la valeur en était immense; on les porta dans une ville voisine; Laurentini les y reprit; et, accompagnée d'une seule femme, elle se rendit secrètement à Livourne, et s'y embarqua pour la France.

A son arrivée en Languedoc, elle sut que le marquis de Villeroi était marié depuis quelque temps. Son désespoir la priva de sa raison. Elle formait, elle abandonnait tour à tour l'horrible projet de poignarder le marquis, son épouse, et elle-même. Elle s'arrêta enfin à l'idée de se présenter devant lui, de lui reprocher sa conduite, et de se tuer en sa présence. Mais quand elle l'eut revu, quand elle eut retrouvé le constant objet de ses pensées et de sa tendresse, le ressentiment fit place à l'amour; le courage lui manqua; le conflit de tant d'émotions contraires la rendit tremblante, et elle s'évanouit à ses pieds.

Le marquis ne fut pas à l'épreuve de tant de beauté et de sensibilité: toute l'énergie d'un premier sentiment se réveilla. La raison, non l'indifférence, avait en lui combattu sa passion. L'honneur ne lui avait pas permis d'épouser la signora; il avait cherché à se vaincre; il avait cherché une compagne pour laquelle il n'avait que de l'estime, de la considération et une affection raisonnable. Mais la douceur, les vertus de cette femme aimable, ne purent le consoler d'une indifférence qu'elle cherchait vainement à cacher. Il soupçonnait depuis quelque temps que son cœur était engagé à un autre, lorsque Laurentini arriva en Languedoc. Cette artificieuse Italienne connut bientôt l'empire qu'elle avait repris sur lui. Calmée par cette découverte, elle se détermina à vivre et à multiplier les artifices, pour conduire le marquis au forfait diabolique qu'elle croyait propre à assurer son bonheur. Elle suivit son projet avec une dissimulation profonde et une patience imperturbable: elle détacha entièrement le marquis de son épouse. Sa douceur, sa bonté, sa froideur, si opposées aux manières empressées d'une Italienne, eurent bientôt cessé de lui plaire. La signora en profita pour éveiller en lui la jalousie de l'orgueil: car il ne pouvait plus sentir celle de l'amour. Elle alla jusqu'à lui désigner la personne pour qui elle affirmait que la marquise le trahissait. Laurentini avait exigé le serment, que jamais le rival du marquis ne serait l'objet de sa vengeance; elle pensait qu'en la restreignant ainsi d'un côté, elle lui donnerait de l'autre plus d'atrocité et de violence: elle songea que le marquis en serait plus porté à participer à l'acte horrible qui devenait indispensable à ses desseins et devait anéantir l'obstacle qui semblait seul empêcher son bonheur.

L'innocente marquise observait avec une extrême douleur le changement de son époux envers elle. En sa présence, il était pensif et réservé; sa conduite devenait austère et même dure; il la laissait en larmes, et pendant des heures entières elle pleurait sur sa froideur, et faisait des projets pour regagner son affection. Sa conduite l'affligeait d'autant plus, qu'elle avait épousé le marquis uniquement par obéissance: elle en avait aimé un autre, et ne doutait pas que son propre choix n'eût rendu son bonheur certain. Laurentini, qui ne tarda pas à le découvrir, en fit près du marquis un ample usage. Elle lui suggéra tant de preuves apparentes sur l'infidélité de sa femme, que, dans l'excès de sa fureur et le ressentiment de l'outrage qu'il croyait avoir reçu, il prononça l'arrêt de sa mort. On lui donna un poison lent; et la marquise mourut victime d'une jalousie habile et d'une coupable faiblesse.

Le triomphe de Laurentini fut court. Ce moment, qu'elle avait regardé comme devant combler tous ses vœux, devint le commencement d'un supplice qu'elle endura jusqu'à sa mort.

La soif de la vengeance, premier mobile de son atrocité, fut aussitôt éteinte que satisfaite, et la laissa en proie à une pitié, à des remords inutiles. Les années de bonheur qu'elle s'était promises avec le marquis de Villeroi en eussent sans doute été empoisonnées; mais il trouva aussi le remords dans l'accomplissement de sa vengeance, et sa complice lui devint odieuse. Ce qui lui avait paru une conviction lui parut alors s'évanouir comme un songe: et il fut surpris, après que sa femme eut subi son supplice, de ne trouver aucune preuve du crime pour lequel il l'avait condamnée. En apprenant qu'elle expirait, il avait senti tout à coup la persuasion intime de son innocence; et l'assurance solennelle qu'elle-même lui en donna n'ajouta rien à celle qui le pénétrait.

Dans la première horreur du remords et du désespoir, il voulait se livrer lui-même à la justice avec celle qui l'avait plongé dans l'abîme du crime. Après cette crise violente, il changea de résolution: il vit une fois Laurentini, et ce fut pour la maudire comme l'auteur détestable de ce forfait. Il déclara qu'il n'épargnait sa vie que pour qu'elle consacrât ses jours à la prière et à la pénitence. Accablée du mépris et de la haine d'un homme pour qui elle s'était rendue si coupable, frappée d'horreur pour le crime inutile dont elle s'était souillée, la signora Laurentini renonça au monde; et, victime effrayante d'une passion effrénée, elle prit le voile à Sainte-Claire.

Le marquis partit du château de Blangy, et jamais il n'y revint. Il tâcha d'étourdir ses remords dans le tumulte de la guerre et les dissipations de la capitale. Ses efforts furent vains: un nuage impénétrable paraissait l'entourer; ses plus intimes amis ne pouvaient se l'expliquer, et il mourut enfin dans des tourments presque égaux à ceux de Laurentini. Le médecin qui avait observé l'état de la marquise après sa mort avait été engagé au silence à force de présents. Les soupçons de quelques domestiques se bornèrent à un murmure sourd, et jamais cette affaire n'avait été approfondie. Si ce murmure parvint au père de la marquise, si le défaut de preuves l'empêcha de poursuivre le marquis, c'est ce qu'on ne saurait assurer. Un fait certain, c'est que sa famille la regretta sincèrement, et surtout M. Saint-Aubert, son frère; car tel était le degré d'alliance qui existait entre le père d'Emilie et la marquise: il soupçonna le genre de sa mort. Immédiatement après la mort de cette sœur bien-aimée, il écrivit au marquis et reçut de lui plusieurs lettres. Le sujet n'en fut pas connu, mais sans doute elles avaient rapport à elle. Ces lettres, celles de la marquise, qui confiait à son frère la cause de son malheur, composaient les papiers que Saint-Aubert avait ordonné de brûler. L'intérêt, le repos d'Emilie, lui avaient fait désirer qu'elle ignorât cette tragique histoire. L'affliction que lui avait causée la mort si prématurée d'une sœur chérie l'avait empêché de prononcer jamais son nom, excepté à madame Saint-Aubert. Craignant surtout la vive sensibilité d'Emilie, il lui avait laissé ignorer totalement et l'histoire et le nom de la marquise, et la parenté qui existait entre elles. Il avait exigé le même silence de sa sœur, madame Chéron, et elle l'avait rigoureusement observé.

C'était sur quelques lettres de la marquise qu'en partant de la vallée Emilie vit pleurer son père; c'était à son portrait qu'il avait fait de si tendres caresses. Une mort si cruelle peut expliquer l'émotion qu'il témoigna lorsque Voisin la nomma devant lui. Il voulut être enseveli près du monument des Villeroi, où étaient déposés les restes de sa sœur. Le mari de celle-ci était mort dans le nord de la France, et on l'y avait enterré.

Le confesseur qui assista Saint-Aubert à son lit de mort le reconnut pour frère de feu la marquise. Par tendresse pour Emilie, Saint-Aubert le conjura de lui cacher cette circonstance, et fit demander la même grâce à l'abbesse en lui recommandant sa fille.

Laurentini, en arrivant en France, avait caché très-soigneusement son nom. Quand elle entra dans le couvent, elle-même, pour mieux déguiser sa véritable histoire, fit circuler celle qu'avait crue sœur Françoise. L'abbesse n'était point au couvent quand elle avait fait profession, et toute la vérité ne lui était pas connue. Le cruel remords qui oppressait Laurentini, le désespoir d'un amour frustré, l'amour qu'elle conservait pour le marquis, avaient égaré son esprit. Après les premières crises, une sombre mélancolie s'empara d'elle, et fut rarement, jusqu'à sa mort, interrompue par des accès violents. Durant plusieurs années, son seul plaisir fut d'errer la nuit dans les bois. Elle portait un luth, et y joignait souvent la mélodie de sa charmante voix; elle répétait les plus beaux airs de l'Italie avec l'énergique sentiment qui remplissait constamment son cœur. Le médecin qui prenait soin d'elle recommanda aux supérieures de tolérer ce caprice, comme le seul moyen de la calmer. On souffrait que la nuit elle parcourût les bois, suivie de la seule femme qu'elle avait amenée d'Italie. Mais comme cette permission blessait la règle, on la tint secrète; et cette musique mystérieuse, liée à tant d'autres circonstances, fit répandre le bruit que le château et son voisinage étaient fréquentés par des revenants.

Avant l'égarement de sa raison, et avant de faire ses vœux de religion, elle avait fait un testament.

La ressemblance d'Emilie et de sa malheureuse tante avait été souvent observée par Laurentini; mais ce fut surtout à l'heure de sa mort, au moment même où sa conscience lui montrait sans cesse la marquise, que cette ressemblance la frappa, et que, dans son délire, elle crut voir la marquise elle-même. Elle osa affirmer, en recouvrant ses sens, qu'Emilie devait être la fille de cette dame. Elle en était convaincue; elle savait que sa rivale, en épousant le marquis, lui préférait un autre amant; elle ne faisait aucun doute qu'une passion déréglée n'eût, comme la sienne, conduit la marquise à quelque égarement.

Cependant le crime que, d'après des aveux mal compris, Emilie supposait avoir été commis par Laurentini dans les murs même d'Udolphe, n'avait jamais eu lieu. Emilie avait été trompée par le spectacle affreux dont elle avait eu tant d'effroi; et c'était ce spectacle qui d'abord lui faisait attribuer les remords de la religieuse à un meurtre exécuté dans le château.

On peut se souvenir que dans une chambre, à Udolphe, était un grand voile noir dont la situation avait piqué la curiosité d'Emilie. Le voile cachait un objet qui la remplit d'horreur: en le soulevant, au lieu d'un tableau, elle vit dans l'enfoncement une figure humaine dont les traits défigurés avaient la pâleur de la mort. Elle était couverte d'un linceul, et couchée tout de son long dans une espèce de tombeau. Ce qui rendait cette vue plus effroyable était que cette figure semblait être déjà la proie des vers, et que ses mains et son visage en laissaient voir les traces. On imagine bien aisément qu'un si hideux objet ne se regardait pas deux fois. Emilie, quand elle l'aperçut, laissa retomber le voile, et la terreur qu'elle avait eue l'empêcha d'y revenir. Si elle eût eu le courage de regarder plus attentivement, son erreur et son effroi se seraient dissipés en même temps; elle aurait reconnu que la figure était en cire. Cette histoire, quoique extraordinaire, n'est pas sans quelque exemple dans les annales de la dure servitude où la superstition monastique a souvent plongé le genre humain. Un membre de la maison d'Udolphe avait offensé en un point les prérogatives de l'Eglise; on le condamna à contempler plusieurs heures par jour l'image en cire d'un cadavre. Cette pénitence, qui devait servir à lui rappeler un sort inévitable, avait pour but de réprimer dans le marquis d'Udolphe un orgueil dont celui de Rome se trouvait choqué. Non-seulement il subit sa pénitence, mais dans son testament il exigea de ses héritiers la conservation de la figure. Il mettait à ce prix la propriété d'un domaine, et regardait comme très-utile l'humiliante moralité que cette figure enseignait. Il l'avait fait encadrer dans la muraille de son appartement; mais aucun de ses héritiers n'imita une telle pénitence.

En apprenant que la marquise de Villeroi était la sœur de M. Saint-Aubert, Emilie se sentit très-diversement affectée. Au milieu de la tristesse que lui causait la mort prématurée de cette infortunée, elle se vit soulagée des conjectures pénibles où l'avait jetée la téméraire assertion de Laurentini sur sa naissance et sur l'honneur de ses parents. Sa confiance dans les principes de Saint-Aubert ne lui permettait guère d'imaginer qu'il eût manqué à la délicatesse. Elle répugnait à se croire fille d'un autre que de celle qu'elle avait toujours aimée, respectée comme sa mère; elle l'aurait cru difficilement; mais sa ressemblance avec la feue marquise, la conduite de Dorothée, les assertions de Laurentini, le mystérieux attachement de Saint-Aubert, lui avaient inspiré des doutes que sa raison ne pouvait ni détruire ni confirmer; elle s'en trouvait délivrée, et la conduite de son père s'expliquait. Son cœur n'était plus oppressé que par le malheur d'une parente aimable, et par la terrible leçon que donnait la religieuse mourante. Trop d'indulgence pour ses premières passions avait conduit par degrés la signora Laurentini à un crime dont le seul nom dans sa jeunesse l'eût sûrement fait frémir d'horreur; crime dont de longues années de pénitence n'avaient pu effacer le souvenir ni décharger sa conscience.

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03 августа 2018
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