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Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)

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Malgré la dissipation où mon être moral semblait s'être absorbé et comme évaporé, j'avais toujours mes heures de rêverie douloureuse et de sombres réflexions dont je ne faisais part à personne. J'étais parfois si triste en faisant mes folies, que j'étais forcée de m'avouer malade pour ne pas m'épancher. Mes compagnes anglaises se moquaient de moi et me disaient: «

You are low-spirited to-day? — What is the matter with you?

»

18




        18



        Cette phrase et la suivante ne sont pas littéralement traduisibles:

Vos esprits sont bas

 (abattus)

aujourd'hui. Qu'est-ce que vous avez?



 Isabelle avait coutume de répéter quand j'étais jaune et abattue: «

She is in her low-spirits, in her spiritual absences

»

19




        19





Elle est bas espritée; elle est dans ses absences spirituelles.





. Elle faisait ma charge, je riais, et je gardais mon secret.



J'étais diable moins par goût que par laisser-aller. J'aurais tourné à la sagesse si mes diables l'eussent voulu. Je les aimais, ils me faisaient rire, ils m'arrachaient à moi-même: mais cinq minutes de sévérité de M

me

 Alicia me faisaient plus de bien, parce que, dans cette sévérité, soit amitié particulière, soit charité chrétienne, je sentais un intérêt plus sérieux et plus durable qu'il n'y en avait dans cet échange de gaîté entre mes compagnes et moi. Si j'avais pu vivre à l'ouvroir ou dans la cellule de ma chère mère, au bout de trois jours je n'aurais plus compris qu'on s'amusât sur les toits ou dans les caves.



J'avais besoin de chérir quelqu'un et de le placer dans ma pensée habituelle au-dessus de tous les autres êtres, de rêver en lui la perfection, le calme, la force, la justice: de vénérer enfin un objet supérieur à moi, et de rendre dans mon cœur un culte assidu à quelque chose comme Dieu ou comme

Corambé

. Ce quelque chose prenait les traits graves et sereins de Maria Alicia. C'était mon idéal, mon saint amour, c'était la mère de mon choix.



Quand j'avais fait le diable tout le jour, je me glissais le soir dans sa cellule après la prière. C'était une des prérogatives de mon adoption. La prière finissait à huit heures et demie. Nous montions l'escalier de notre dortoir, et nous trouvions dans les longs corridors (qu'on appelait dortoirs aussi, parce que toutes les portes des cellules y donnaient) les nonnes alignées sur deux rangs, et rentrant chez elles en psalmodiant à haute voix des prières en latin. Elles s'arrêtaient devant une madone qui était sur le dernier palier, et là elles se séparaient, après plusieurs versets et répons. Chacune entrait dans sa cellule sans rien dire, car, entre la prière et le sommeil, le silence leur était imposé.



Mais celles qui avaient une fonction à remplir auprès des malades ou auprès de leurs filles étaient dispensées de s'astreindre à ce réglement. J'avais donc le droit d'entrer chez ma mère entre neuf heures moins un quart et neuf heures. Lorsque neuf heures sonnaient à la grande horloge, il fallait que sa lumière fût éteinte et que je fusse rentrée au dortoir. C'était donc quelquefois cinq ou six minutes seulement qu'elle pouvait m'accorder, encore avec préoccupation et l'oreille attentive aux

quarts

,

demi-quarts

 et

avant-quarts

 que sonnait la vieille horloge, car M

me

 Alicia était scrupuleusement fidèle à l'observance des moindres règles, et elle n'y eût pas voulu manquer d'une seconde.



«Allons, me disait-elle en m'ouvrant sa porte, que je grattais d'une certaine façon pour me faire admettre,

voilà encore mon tourment

!» C'était sa formule habituelle, et le ton dont elle la disait était si bon, si accueillant, son sourire était si tendre et son regard si doux que je me trouvais parfaitement encouragée à entrer. «Voyons, disait-elle, que venez-vous me dire de nouveau? Auriez-vous été sage, par hasard, aujourd'hui? — Non. — Mais vous n'êtes pas en bonnet de nuit, cependant? (On sait que c'était la marque de pénitence qui était devenue à peu près adhérente à mon chef.) — Je ne l'ai eu que deux heures, ce soir, disais-je. — Ah! fort bien! Et ce matin? — Ce matin, je l'avais à l'église. Je me suis glissée derrière les autres pour que vous ne le vissiez point. — Ah! ne craignez rien! je vous regarde le moins possible, pour ne pas voir ce vilain bonnet. Eh bien! vous l'aurez donc encore demain? — Oh! probablement! — Vous ne voulez donc pas changer? — Je ne peux pas encore. — Alors qu'est-ce que vous venez faire chez moi? — Vous voir et me faire gronder. — Ah! cela vous amuse? — Cela me fait du bien. — Je ne m'en aperçois pas du tout, et cela me fait du mal, à moi, méchante enfant! — Ah! tant mieux! lui disais-je, cela prouve que vous m'aimez. — Et que vous ne m'aimez pas!» reprenait-elle.



Alors elle me grondait, et j'avais un grand plaisir à être grondée par elle. «Au moins, me disais-je, voilà une mère qui m'aime pour moi et qui a raison avec moi.» Je l'écoutais avec le recueillement d'une personne bien décidée à se convertir, et pourtant je n'y songeais nullement.



«Allons me disait-elle, vous changerez, je l'espère; vos sottises vous ennuieront, et Dieu parlera à votre âme. — Le priez-vous beaucoup pour moi? — Oui, beaucoup. — Tous les jours? — Tous les jours. — Vous voyez bien que si j'étais sage, vous m'aimeriez moins et ne penseriez pas si souvent à moi.»



Elle ne pouvait s'empêcher de rire, car elle avait ce fond de gaîté qui est le cachet des bons esprits et des bonnes consciences. Elle me prenait par les épaules et me secouait comme pour faire sortir le diable dont j'étais possédée. Puis l'heure sonnait, et elle me jetait à la porte en riant. Et je remontais au dortoir, emportant, comme par influence magnétique, quelque chose de la sérénité et de la candeur de cette belle âme.



Je n'ai dit ces détails que pour compléter le portrait de ma chère Marie Alicia, car j'aurai beaucoup à revenir sur mes relations avec elle. J'achève maintenant ma nomenclature en disant que nous avions quatre sœurs converses dont je ne me rappelle bien que deux, la sœur Thérèse et la sœur Hélène.





Sister Teresa

 était une grande vieille d'un beau type. Elle était gaie, brusque, moqueuse, adorablement bonne. C'est encore un de mes chers souvenirs. C'est elle qui m'avait baptisée

Madcap

. Elle ne savait pas un mot de français et ne pouvait, dans aucune langue, dire correctement trois paroles. C'était une Ecossaise, maigre, forte, très active, vous repoussant toujours de manière à vous attirer, se plaisant aux niches qu'on lui faisait, et capable de vous châtier à coups de balai, tout en riant plus haut que vous. Elle aussi aimait les diables et ne les craignait point.



Elle avait l'emploi de distiller l'eau de menthe, ce qui était une industrie très perfectionnée dans notre couvent. On cultivait la plante dans de grands carrés réservés, au jardin des religieuses. Trois ou quatre fois par semaine, on la fauchait comme une luzerne, et on l'apportait dans une vaste cave qui servait de laboratoire à la sœur Thérèse. Cette cave était située juste au-dessous de la grande classe, et on y descendait par un large escalier. C'était donc naturellement une de nos premières étapes quand nous partions pour nos escapades. Mais quand la distilleuse était absente, tout était fermé avec le plus grand soin, et quand elle était présente, il ne fallait pas songer à folâtrer au milieu de ses alambics et de ses cornues. On s'arrêtait devant la porte ouverte et on la taquinait en paroles, ce qu'elle acceptait fort bien. Cependant, moi qui savais faire tranquillement mes impertinences, j'arrivai bientôt à pénétrer dans le sanctuaire. Je me tins d'abord pendant quelque temps en observation; j'aimais à la regarder. Seule dans cette grande cave éclairée par un jour blanc, qui, du soupirail, tombait sur sa robe violette, sur son voile d'un noir grisâtre et sur sa figure accentuée de lignes, terne de couleur comme une terre cuite, elle avait l'air d'une sorcière de Macbeth faisant ses évocations autour des fourneaux. Parfois elle était immobile comme une statue, assise auprès de l'alambic où le précieux breuvage coulait goutte à goutte: elle lisait la Bible en silence, ou murmurait ses offices d'une voix rauque et monotone. Elle était belle dans sa rude vieillesse comme un portrait de Rembrandt.



Un jour qu'elle était absorbée ou assoupie, j'arrivai jusqu'à elle sur la pointe des pieds, et quand elle me vit au milieu de ses flacons et de tout l'attirail fragile qu'un combat folâtre eût compromis, force lui fut de capituler et de souffrir ma curiosité. Elle était si bonne qu'elle me prit en affection, Dieu sait pourquoi, et que je pus dès lors me glisser souvent à ses côtés. Quand elle vit que je n'étais pas maladroite et que je ne brisais rien, elle se laissa distraire et désennuyer par mes flâneries, et, tout en me reprochant de n'être pas à la classe, elle ne me poussa jamais dehors, comme elle faisait des autres. L'odeur de la menthe lui causait des maux d'yeux et des migraines. Je l'aidais à étaler et à remuer son fourrage embaumé, et dans les jours d'été, quand on étouffait dans la classe, je trouvais un bien-être extrême à me réfugier dans cette cave dont le parfum me charmait.

 



L'autre sœur converse, sœur Hélène, était la maîtresse servante du couvent. Elle faisait les lits au dortoir, balayait l'église, etc. Comme après M

me

 Alicia, c'est la religieuse qui m'a été la plus chère, je parlerai beaucoup d'elle en temps et lieu; mais, à la phase de mon récit où je me trouve, je n'ai rien à en dire. Je fus longtemps sans faire la moindre attention à elle.



Les deux autres converses faisaient la cuisine. Ainsi, au couvent comme ailleurs, il y avait une aristocratie et une démocratie. Les

dames de chœur

 vivaient en patriciennes. Elles avaient des robes blanches et du linge fin. Les converses travaillaient comme des prolétaires et leur vêtement sombre était plus grossier. C'étaient de vraies femmes du peuple, sans aucune éducation, et beaucoup moins absorbées par l'église et les offices que par les travaux de ce grand ménage. Elles n'étaient pas en nombre pour y suffire, et il y avait en outre deux servantes séculières, Marie-Anne et Marie-Josephe, sa nièce, deux créatures excellentes qui me dédommageaient bien de Rose et de Julie.



En général on était bon comme Dieu dans cette grande famille féminine. Je n'y ai pas rencontré une seule méchante compagne, et parmi les religieuses et les maîtresses, sauf M

lle

 D... je n'ai trouvé que tendresse ou tolérance. Comment ne chérirais-je pas le souvenir de ces années, les plus tranquilles, les plus heureuses de ma vie? J'y ai souffert de moi-même au physique et au moral, mais, en aucun temps et en aucun lieu, je n'ai moins souffert de la part des autres.





CHAPITRE TREIZIEME





Départ d'Isabelle pour la Suisse. — Amitié protectrice de Sophie pour moi. — Fanelly. — La liste des affections. — Anna. — Isabelle quitte le couvent. — Fanelly me console. — Retour sur le passé. — Précautions mal entendues des religieuses. — Je fais des vers. — J'écris mon premier roman. — Ma grand'mère revient à Paris. — M. Abraham. — Études sérieuses pour la présentation à la cour. — Je retombe dans mes chagrins de famille. — On me met en présence d'épouseurs. — Visites chez de vieilles comtesses. — On me donne une cellule. — Description de ma cellule. — Je commence à m'ennuyer de la

diablerie

. — La vie des saints. — Saint Siméon le Stylite, saint Augustin, saint Paul. — Le Christ au jardin des Oliviers. — L'Évangile. — J'entre un soir dans l'église.





Mon premier chagrin à la grande classe fut le départ d'Isabelle. Ses parens l'emmenaient en Suisse avec sa sœur aînée, qui n'était pas au couvent. Isabelle partit, joyeuse de faire un si beau voyage, ne regrettant que Sophie, et faisant fort peu d'attention à mes larmes. J'en fus blessée. J'aimais Sophie et j'en étais doublement jalouse: jalouse, parce qu'elle me préférait Isabelle; jalouse, parce que Isabelle me la préférait. J'eus quelques jours de grand chagrin. Mais la jalousie en amitié n'est point mon mal: je la méprise et m'en défends assez bien. Quand je vis Sophie pleurer son amie et dédaigner mes consolations, je ne fis pas la superbe. Je la priai de m'associer à ses regrets, d'être triste avec moi sans se gêner et de me parler d'Isabelle sans jamais craindre de lasser ma patience et mon affection. «Au fait, me dit Sophie en se jetant dans mes bras, je ne sais pas pourquoi nous t'avions traitée comme un enfant, Isabelle et moi. Tu as plus de cœur qu'on ne pense, et je te jure amitié sérieuse. Tu me permettras d'aimer Isabelle avant tout. Elle y a droit par ancienneté, mais après Isabelle, je sens que c'est toi que j'aime plus que tout le monde ici.»



J'acceptai joyeusement la part qui m'était faite, et je devins l'inséparable de Sophie. Elle fut toujours aimable et charmante: mais je dois dire que, pour l'élan du cœur et le dévoûment complet, je fis toujours les frais de cette amitié; Sophie était exclusive malgré elle. Son âme ne pouvait se partager. Je l'accusai quelquefois d'ingratitude, puis je sentis que j'avais tort, et, sans la quitter d'une semelle, j'ouvris mon cœur à d'autres amitiés.



Mary partit pour un voyage en Angleterre. Elle devait revenir bientôt, et je ne m'en affectai pas beaucoup, parce que mon entrée à la grande classe nous avait beaucoup séparées, et qu'à son retour elle devait m'y rejoindre. Mais son absence se prolongea. Elle ne revint qu'au bout d'un an et pour rentrer à la petite classe. L'affection qui s'empara de moi me dédommagea de toutes ces pertes, et je trouvai dans Fanelly de Brisac la plus aimante de toutes mes amies.



C'était une petite blonde, fraîche comme une rose et d'une physionomie si vive, si franche, si bonne, qu'on avait du plaisir à la regarder. Elle avait de magnifiques cheveux cendrés qui tombaient en longues boucles sur ses yeux bleus et sur ses joues rondelettes. Comme elle remuait toujours, qu'elle ne savait pas marcher sans courir, ni courir sans bondir comme une balle, ce perpétuel flottement de cheveux était la chose la plus gaie du monde. Ses lèvres vermeilles ne savaient que sourire, et, comme elle était de Nérac, elle avait un petit accent gascon qui réjouissait l'oreille. Ses sourcils se rejoignaient au-dessus de son petit nez, ses yeux pétillaient comme des étincelles. Elle agissait et entreprenait toujours, elle ne connaissait pas la rêverie. Elle babillait sans désemparer. Elle était tout feu, tout cœur, tout soleil, un vrai type méridional, la plus aimable, la plus vivante, la plus prévenante compagne que j'aie jamais eue.



Elle m'aima la première et me le dit sans savoir comment j'y répondrais. J'y répondis tout de suite et de tout mon cœur, sans savoir où cela me mènerait. Mais ma bonne étoile avait présidé à ce pacte d'inspiration. Je trouvai en elle un trésor de bonté, la douceur d'un ange dans la pétulance d'un démon, un esprit rayonnant de santé morale, une abondance de cœur inépuisable, une complaisance empressée, ingénieuse, active, une droiture et une générosité d'instincts à toute épreuve, un caractère comme on n'en rencontre pas trois dans la vie pour l'unité, l'égalité, la sûreté. Cette personne-là a toujours vécu loin de moi depuis, nous ne nous sommes presque pas écrit. Elle n'était pas

écriveuse

, comme nous disions au couvent: nous ne nous sommes pas revues. Elle s'est mariée avec un homme très estimable, M. le Franc de Pompignan, mais dont la religion politique et sociale doit être tout l'opposé de la mienne. Elle doit donc vivre dans un milieu où je suis considérée très probablement comme un suppôt de l'Antechrist

20




        20



        Ce n'est pas une raison pour omettre de rappeler la belle action qui s'est passée depuis que ces lignes sont écrites. Sous-préfet à Nérac, M. de Pompignan est descendu dans un puits méphitique où personne n'osait se risquer, pour en retirer de pauvres ouvriers asphyxiés. Parvenu au but de ses efforts, M. de Pompignan, qui par deux fois déjà s'était évanoui, replongeant toujours avec un nouveau courage, faillit payer de sa vie l'admirable dévoûment de son cœur.



. Mais en dépit de tout cela, il y a une chose dont je suis aussi assurée que de ma propre existence, c'est que Fanelly m'aime toujours tendrement et ardemment, c'est qu'aucun nuage n'a passé sur cette irrésistible et complète sympathie que nous avons éprouvée l'une pour l'autre, il y a trente ans, c'est qu'elle ne pense jamais à moi sans se dire qu'elle m'aime et sans être certaine que je l'aime aussi. Qui ne l'eût aimée? Elle n'avait pas un seul défaut, pas un seul travers. A la voir si rieuse, si échevelée, si

en l'air

, on eût pu croire qu'elle ne pensait à rien, et cependant elle pensait toujours à vous être agréable; elle vivait pour ainsi dire de l'affection qu'elle vous portait et du plaisir qu'elle voulait vous donner. Je la vois toujours entrant dans la classe dix fois par jour (car elle savait sortir de classe comme personne) et remuant sa jolie tête blonde à droite et à gauche pour me chercher. Elle était myope malgré ses beaux yeux. «

Ma tante

, disait-elle, où est donc

ma tante

? qu'a-t-on fait de ma tante? Mesdemoiselles, mesdemoiselles, qui a vu ma tante? — Eh! je suis là, lui disais-je. Viens donc auprès de moi.



— Ah! c'est bien, ma tante! Tu m'as gardé ma place à côté de toi. C'est bien, c'est bien, nous allons rire. Mais qu'est-ce que tu as, ma tante? Tu as l'air soucieux, voyons, dis-moi ce que tu as?



— Mais rien.



— En ce cas, ris donc, est-ce que tu t'ennuies? Eh, oui, je parie! Il y a au moins une heure que tu es tranquille. Viens, décampons; j'ai découvert quelque chose de charmant.»



Et elle m'emmenait battre les buissons dans le jardin, ou les pavés dans le cloître, et elle avait toujours préparé quelque folle surprise pour me divertir. Il n'y avait pas moyen d'être triste ou seulement rêveuse avec elle, et ce qu'il y avait de remarquable dans ce charmant naturel, c'est que son tourbillonnement ne fatiguait jamais. Elle vous arrachait à vous-même et ne vous faisait jamais regretter de vous être laissé aller. Elle était pour moi la santé, la vie de l'âme et du corps. C'était le ciel qui me l'envoyait, à moi qui avais, qui ai toujours eu besoin précisément de l'initiative des autres pour exister.



Je trouvais fort doux d'être aimée ainsi, et je dois ajouter que cette enfant est dans ma vie le seul être dont je me sois sentie aimée à toute heure avec la même intensité et la même placidité.



Comment fit-elle durant deux années d'intimité pour ne pas se lasser de moi un seul instant? C'est qu'elle avait une libéralité de cœur tout exceptionnelle. C'est aussi qu'elle avait un esprit peu ordinaire. Elle avait trouvé le secret de me transformer, de me rendre amusante, de m'arracher si bien à mes langueurs et à mes abattemens, qu'elle en était venue à me croire vivante comme elle. Elle ne se doutait pas que c'était elle qui me donnait la vie.



On avait au couvent l'enfantine et plaisante habitude d'établir et de respecter le classement de ses amitiés. L'on exigeait cela les unes des autres, ce qui prouve que la femme est née jalouse, et tient à ses droits dans l'affection, à défaut d'autres droits à faire valoir dans la société. Ainsi, on dressait la liste de ses relations plus ou moins intimes: on les classait par ordre, et les initiales des quatre ou cinq noms préférés étaient comme une devise qu'on lisait sur les cahiers, sur les murs, sur les couvercles de pupitre, comme autrefois l'on mettait certains chiffres et certaines couleurs sur ses armes et sur son palefroi. Quand on avait donné la première place, on n'avait pas le droit de la reprendre pour la donner à une autre. L'ancienneté faisait loi. Ainsi ma liste de la grande classe portait invariablement Isabella Clifford en tête, et puis Sophie Cary. Quand vint Fanelly, elle ne put avoir que la troisième place, et bien que Fanelly n'eût pas de meilleures amies que moi, bien qu'elle n'en eût jamais d'autres que les miennes, elle accepta sans jalousie et sans chagrin cette troisième place. Après elle vint Anna Vié, qui eut la quatrième; et pendant près d'une année je ne formai pas d'autres relations. Le nom de M

me

 Alicia couronnait toujours la liste; elle brillait seule, au-dessus, comme mon soleil. Les initiales de mes quatre compagnes formaient le mot

Isfa

, que je traçais sur tous les objets à mon usage dans la classe, comme une formule cabalistique. Quelquefois je l'entourais d'une auréole de petits a pour signifier qu'Alicia remplissait tout le reste de mon cœur. Combien de fois M

me

 Eugénie, qui, avec sa vue débile, voyait cependant tout, et mettait son petit nez curieux dans toutes nos paperasses, s'est-elle creusé l'esprit pour découvrir ce que signifiait ce mot mystérieux! Chacune de nous, ayant un logogriphe du même genre, lui laissait présumer que nous avions une langue de convention, et qu'à l'aide de ce langage nous conspirions contre son autorité. Mais elle interrogeait vainement. On lui disait que c'étaient des lettres jetées au hasard pour essayer les plumes. Le mystère est une si belle chose quand il ne cache aucun secret!



Anna Vié, ma

quatrième

, était une personne très intelligente, gaie, railleuse, malicieuse, la plus spirituelle du couvent en paroles. Il était impossible de ne pas se plaire avec elle. Elle était laide et pauvre, et ces deux disgrâces dont elle riait sans cesse, faisaient son plus grand charme; orpheline, elle avait pour tout appui un vieil oncle grec, M. de Césarini, qu'elle connaissait peu et craignait beaucoup. Diable au premier chef, rageuse surtout, redoutée pour son ironie, elle avait pourtant un noble et généreux cœur. Sa gaîté brillante cachait un grand fonds d'amertume. Son avenir, qui se présentait toujours à elle sous des couleurs sombres, son esprit, qui la faisait craindre plus qu'aimer; ses pauvres petites robes noires, fanées, sa petite taille, qui ne se développait point, son teint jaune et bilieux, ses petits yeux étranges, tout lui était un sujet de plaisanterie apparente et de douleur secrète. A cause de cela, on la croyait envieuse des avantages des autres. Cela n'était point. Elle avait une grande droiture de jugement, une grande élévation d'idées, et quand elle vous aimait assez pour ne plus rire avec vous, elle pleurait avec noblesse et s'emparait de votre sympathie. Longtemps nous caressâmes ensemble le rêve qu'elle viendrait habiter Nohant quand j'y retournerais. Ma grand'mère souriait à ce projet; mais l'oncle d'Anna, à qui celle-ci en parla d'abord, ne s'y montra pas favorable.

 



Je l'ai revue une ou deux fois depuis notre séparation. Elle avait épousé un M. Desparbès de Lussan, de la famille de M

me

 de Lussan, qui avait été l'amie intime de ma grand'mère. Anna, mariée, n'était plus la même personne. Elle avait grandi, son teint s'était éclairci: sans être jolie, elle était devenue agréable. Elle habitait la campagne à Ivry. Son mari n'était ni jeune, ni riche ni

avenant

, mais elle s'en louait beaucoup, et, soit pour lui complaire, soit pour se réconcilier avec son sort, qui ne paraissait pas enivrant, elle était devenue dévote, de sceptique très obstinée que je l'avais connue.



Un autre changement qui m'étonna davantage et qui m'affligea, fut la contrainte et la froideur de ses manières avec moi. Je n'étais pourtant pas George Sand alors, et je ne songeais guère à le devenir. J'étais encore catholique, et si inconnue en ce monde que personne ne songeait à dire du mal de moi. La réserve de mon ancienne amie ne m'eût peut-être pas empêchée de la revoir, car je croyais deviner quelle n'était pas plus heureuse dans le monde qu'au couvent, et qu'elle aurait besoin de s'épancher avec moi quand nous serions seules; mais je n'habitais point Paris, et les douze ou treize ans que j'ai passés a Nohant après mon mariage ont nécessairement rompu la plupart de mes relations de couvent. J'ai su qu'Anna avait perdu son mari après quelques années de mariage, et je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Puisse-t-elle être heureuse! Elle avait toujours désespéré de pouvoir l'être, et pourtant elle le méritait beaucoup.



Pendant près d'un an, Sophie, Fanelly, Anna et moi, nous fûmes inséparables. Je fus le lien entre elles; car, avant que Sophie m'eût acceptée pour sa

seconde

, et que les deux autres m'eussent adoptée pour leur

première

, elles n'avaient pas marché ensemble. Notre intimité fut sans nuages. Je souffrais bien un peu des fréquentes

indifférences

 de Sophie, qui se croyait obligée d'aimer Isabelle absente plus que moi, tandis que je me croyais obligée d'aimer Isabelle absente et Sophie indifférente plus que Fanelly et Anna, qui m'adoraient généreusement. Mais c'était la règle, la loi. On aurait cru mériter l'odieuse qualification d'inconstante si on eût dérangé l'ordre de la liste. Pourtant je dois dire à ma justification qu'en dépit de la liste, en dépit de l'ancienneté, en dépit des promesses échangées, je ne pouvais m'empêcher de sentir que j'aimais Fanelly plus que toutes les autres, et je lui faisais souvent cet étrange raisonnement: «Par ma volonté tu n'es que ma troisième, mais contre ma volonté tu es ma première et peut-être ma seule.» Elle riait. «Qu'est-ce que cela me fait, me disait-elle, que tu me comptes la troisième, si tu m'aimes comme je t'aime? va,

ma tante

, je ne t'en demande pas davantage. Je ne suis pas fière, et j'aime celles que tu aimes.» Isabelle revint de Suisse au bout de quelques mois, mais elle vint nous dire adieu, elle quittait définitivement le couvent. Elle partait pour l'Angleterre. J'eus un désespoir complet, d'autant plus que, tout absorbée par Sophie, elle s'apercevait à peine de ma présence et se retourna pour dire: «

Qu'a donc cette petite à pleurer comme cela?

» Je trouvai le mot bien dur; mais comme Sophie lui dit que j'avais été sa consolatrice et qu'elle m'avait prise pour amie, Isabelle s'efforça de me consoler et voulut que je fusse en tiers dans leur promenade. Elle revint nous voir une autre fois, et partit peu de temps après. Elle a fait un riche mariage. Je ne l'ai jamais revue.



Sophie ne se consola pas de cette séparation. Pour moi, dont l'amitié avait été plus courte et moins heureuse, je m'en laissai consoler par ma chère Fanelly, et je fis bien; car Isabelle n'avait jamais vu en moi qu'un enfant, et d'ailleurs, elle était peut-être plus sentimentale que tendre.



Mon année, presque mes dix-huit ans de

diablerie

 s'écoulèrent comme un jour et sans que j'en eusse pour ainsi dire conscience. Sophie et Anna prétendaient s'ennuyer mortellement au couvent, et que ce fût un

genre

 ou une réalité, toutes mes compagnes disaient la même chose. Il n'y avait que les dévotes qui se fussent interdit la plainte, et elles n'en paraissaient pas plus gaies. Tous ces enfans avaient été apparemment bien heureux dans leurs familles. Celles qui, comme Anna, n'avaient pas de famille, et dont les jours de sortie n'étaient rien moins que gais, rêvaient un monde de plaisir, de bals, de délices, de voyages, que sais-je! tout ce qui était la liberté et l'absence d'occupations réglées. La claustration et la règle sont apparemment ce qu'il y a de plus antipathique à l'adolescence.



Pour moi, si je souffris physiquement de la claustration, je ne m'en aperçus pas au moral; mon imagination ne devançait pas les années, et l'avenir me faisait plus de peur que d'envie. Je n'ai jamais aimé à regarder devant moi. L'inconnu m'effraie, j'aime mieux le passé qui m'attriste. Le présent est toujours une sorte de compromis entre ce que l'on a désiré et ce que l'on a obtenu. Tel qu'il est, on l'accepte ou on le subit, on sait qu'on a déjà subi ou accepté beaucoup de choses, mais que sait-on de ce qu'on pourra subir ou accepter le lendemain? Je n'ai jamais voulu me laisser dire ma bonne aventure, je ne croyais certes pas à la divination; mais l'avenir matériel me paraît toujours quelque chose de si grave que je n'aime pas qu'on m'en parle, même en rébus et en jongleries. Pour mon compte, je n'ai jamais fait à Dieu qu'une demande dans mes prières: c'est d'avoir la force de supporter ce qui m'arriverait.



Avec cette disposition d'esprit, qui n'a jamais changé, je me trouvai donc heureuse au couvent plus qu'ailleurs; car là, personne ne connaissant à fond le passé des autres, personne ne pouvait parler aux autres de ce qui devait leur arriver. Les parens parlent toujours de l'avenir à leurs enfans. Cet avenir de leur progéniture, c'est leur continuel souci, leur tendre et inquiète préoccupation. Ils voudraient l'arranger, l'assurer: ils y consument toute leur vie, et pourtant la destinée dément et déjoue toutes leurs prévisions. Les enfans ne profitent jamais des recommandations qu'on leur a faites. Certain instinct d'indépendance ou de curiosité les pousse même le plus souvent en sens contraire. Les nonnes n'ont pas le même genre de sollicitude pour les enfans qu'elles élèvent. Pour elles, il n'y a pas d'avenir sur la terre. Elles ne voient que le ciel ou l'enfer, et l'avenir, dans leur langage, s'appelle le salut. Avant même d'être dévote, ce genre d'avenir ne m'effrayait pas comme l'autre. Puisque, selon les catholiques, on est libre de choisir entre le salut et la damnation, puisque la grâce n'est jamais en défaut, et que la moindre bonne volonté vous jette dans une voie où les anges mêmes daignent marcher devant vous, je me disais avec une confiance superbe que je ne courais aucun danger, que j'y penserais quand je voudrais, et je ne me pressais pas d'y penser. Je n'étais pas sensible aux considérations d'intérêt personnel. Elles n'ont jamais agi sur moi, même en matière de religion. Je voulais aimer Dieu pour la s

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