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Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)

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CHAPITRE QUATORZIEME

Tolle, lege.— La lampe du sanctuaire. — Invasion étrange du sentiment religieux. — Opinion d'Anna, de Fanelly et de Louise. — Retour et plaisanteries de Mary. — Confession générale. — L'abbé de Prémord. — Le jésuitisme et le mysticisme. — Communion et ravissement.

A peine eus-je mis le pied dans l'église, que j'oubliai ma vieille bossue. Elle trotta et disparut comme un rat dans je ne sais quelle fente de la boiserie. Mes regards ne la suivirent pas. L'aspect de l'église pendant la nuit m'avait saisie et charmée. Cette église, ou plutôt cette chapelle, n'avait rien de remarquable, qu'une propreté exquise. C'était un grand carré long, sans architecture, tout blanchi à neuf, et plus semblable, pour la simplicité, à un temple anglican qu'à une église catholique. Il y avait, comme je l'ai dit, quelques tableaux au fond du chœur; l'autel, fort modeste, était orné de beaux flambeaux, de fleurs toujours fraîches et de jolies étoffes. La nef était divisée en trois parties: le chœur, où n'entraient que les prêtres et quelques personnes du dehors par permission spéciale, aux jours de fête21, l'avant-chœur, où se tenaient les pensionnaires, les servantes et les locataires; l'arrière-chœur ou le chœur des dames, où se tenaient les religieuses. Ce dernier sanctuaire était parqueté, ciré tous les matins, de même que les stalles des nonnes, qui suivaient en hémicycle la muraille du fond, et qui étaient en beau noyer brillant comme une glace. Une grille de fer à petites croisures, avec une porte semblable, qu'on ne fermait pourtant jamais, entre les religieuses et nous, séparait ces deux nefs. De chaque côté de cette porte de lourds piliers de bois cannelés, d'un style rococo, soutenaient l'orgue et la tribune découverte qui formait comme un jubé élevé entre les deux parties de l'église. Ainsi, contre l'usage, l'orgue se trouvait isolé et presque au centre du vaisseau, ce qui doublait la sonorité et l'effet des voix quand nous chantions des chœurs ou des motets aux grandes fêtes. Notre avant-chœur était pavé de sépultures, et sur les grandes dalles on lisait l'épitaphe des antiques doyennes du couvent, mortes avant la révolution, plusieurs personnages ecclésiastiques et même laïques du temps de Jacques Stuart, certains Trockmorton, entre autres, gisaient là sous nos pieds, et l'on disait que quand on allait dans l'église à minuit, tous ces morts soulevaient leurs dalles avec leurs têtes décharnées, et vous regardaient avec des yeux ardens pour vous demander des prières.

Pourtant, malgré l'obscurité qui régnait dans l'église, l'impression que j'y ressentis n'eut rien de lugubre. Elle n'était éclairée que par la petite lampe d'argent du sanctuaire, dont la flamme blanche se répétait dans les marbres polis du pavé, comme une étoile dans une eau immobile. Son reflet détachait quelques pâles étincelles sur les angles des cadres dorés, sur les flambeaux ciselés de l'autel et sur les lames d'or du tabernacle. La porte placée au fond de l'arrière-chœur était ouverte à cause de la chaleur, ainsi qu'une des grandes croisées qui donnaient sur le cimetière. Les parfums du chèvrefeuille et du jasmin couraient sur les ailes d'une fraîche brise. Une étoile perdue dans l'immensité était comme encadré par le vitrage et semblait me regarder attentivement. Les oiseaux chantaient, c'était un calme, un charme, un recueillement, un mystère, dont je n'avais jamais eu l'idée.

Je restai en contemplation sans songer à rien. Peu à peu les rares personnes éparses dans l'église se retirèrent doucement. Une religieuse agenouillée au fond de l'arrière-chœur resta la dernière, puis ayant assez médité, et voulant lire, elle traversa l'avant-chœur et vint allumer une petite bougie à la lampe du sanctuaire. Lorsque les religieuses entraient là, elles ne se bornaient pas à saluer en pliant le genou jusqu'à terre, elles se prosternaient littéralement devant l'autel, et restaient un instant comme écrasées, comme anéanties devant le Saint des saints. Celle qui vint en ce moment était grande et solennelle. Ce devait être Mme Eugénie, Mme Xavier ou Mme Monique. Nous ne pouvions guère reconnaître ces dames à l'église, parce qu'elles n'y entraient que le voile baissé et la taille entièrement cachée sous un grand manteau d'étamine noire qui traînait derrière elles.

Ce costume grave, cette démarche lente et silencieuse, cette action simple mais gracieuse d'attirer à elle la lampe d'argent en élevant le bras pour en saisir l'anneau, le reflet que la lumière projeta sur sa grande silhouette noire lorsqu'elle fit remonter la lampe, sa longue et profonde prosternation sur le pavé avant de reprendre dans le même silence et avec la même lenteur le chemin de sa stalle, tout, jusqu'à l'incognito de cette religieuse qui ressemblait à un fantôme prêt à percer les dalles funéraires pour rentrer dans sa couche de marbre, me causa une émotion mêlée de terreur et de ravissement. La poésie du saint lieu s'empara de mon imagination, et je restai encore après que la nonne eut fait sa lecture et se fut retirée.

L'heure s'avançait, la prière était sonnée, on allait fermer l'église. J'avais tout oublié. Je ne sais ce qui se passait en moi. Je respirais une atmosphère d'une suavité indicible, et je la respirais par l'âme plus encore que par les sens. Tout à coup je ne sais quel ébranlement se produisit dans tout mon être, un vertige passe devant mes yeux comme une lueur blanche dont je me sens enveloppée. Je crois entendre une voix murmurer à mon oreille, Tolle, lege. Je me retourne, croyant que c'est Marie Alicia qui me parle. J'étais seule.

Je ne me fis point d'orgueilleuse illusion, je ne crus point à un miracle. Je me rendis fort bien compte de l'espèce d'hallucination où j'étais tombée. Je n'en fus ni enivrée ni effrayée. Je ne cherchai ni à l'augmenter ni à m'y soustraire. Seulement, je sentis que la foi s'emparait de moi, comme je l'avais souhaité, par le cœur. J'en fus si reconnaissante, si ravie, qu'un torrent de larmes inonda mon visage. Je sentis encore que j'aimais Dieu, que ma pensée embrassait et acceptait pleinement cet idéal de justice, de tendresse et de sainteté que je n'avais jamais révoqué en doute, mais avec lequel je ne m'étais jamais trouvée en communication directe; je sentis enfin cette communication s'établir soudainement comme si un obstacle invincible se fût abîmé entre le foyer d'ardeur infinie et le feu assoupi dans mon âme. Je voyais un chemin vaste, immense, sans bornes, s'ouvrir devant moi: je brûlais de m'y élancer. Je n'étais plus retenue par aucun doute, par aucune froideur. La crainte d'avoir à me reprendre à railler en moi-même au lendemain la fougue de cet entraînement ne me vint pas seulement à la pensée. J'étais de ceux qui vont sans regarder derrière eux, qui hésitent longtemps devant un certain Rubicon à passer, mais qui, en touchant la rive, ne voient déjà plus celle qu'ils viennent de quitter.

«Oui, oui, le voile est déchiré, me disais-je; je vois rayonner le ciel, j'irai! Mais avant tout, rendons grâce?»

«A qui, comment? Quel est ton nom? disais-je au Dieu inconnu qui m'appelait à lui. Comment te prierai-je? quel langage digne de toi et capable de te manifester mon amour? mon âme pourra-t-elle te parler? Je l'ignore mais n'importe, tu lis en moi; tu vois bien que je t'aime.» Et mes larmes coulaient comme une pluie d'orage, mes sanglots brisaient ma poitrine, j'étais tombée derrière mon banc. J'arrosais littéralement le pavé de mes pleurs.

La sœur qui venait fermer l'église entendit gémir et pleurer: elle chercha, non sans frayeur, et vint à moi sans me reconnaître, sans que je la reconnusse moi-même sous son voile et dans les ténèbres. Je me levai vite, et sortis sans songer à la regarder ni à lui parler. Je remontai à tâtons dans ma cellule; c'était un voyage. La maison était si bien agencée en corridors et en escaliers, que, pour aller de l'église à cette cellule, qui touchait à l'église même, il me fallait faire des détours et des circuits qui prenaient au moins cinq minutes en grimpant vite. Le dernier escalier tournant, quoique assez large et peu rapide, était si déjeté qu'il était impossible de le franchir sans précaution et sans bien se tenir à la corde qui servait de rampe: à la descente, il vous précipitait en avant malgré qu'on en eût.

On avait fait la prière sans moi à la classe: mais j'avais mieux prié que personne ce jour-là. Je m'endormis brisée de fatigue, mais dans un état de béatitude indicible. Le lendemain, la comtesse qui, par hasard, avait remarqué mon absence de la prière, me demanda où j'avais passé la soirée. Je n'étais pas menteuse, et lui répondis sans hésiter: «A l'église.» Elle me regarda d'un air de doute, vit que je disais vrai et garda le silence. Je ne fus point punie; je ne sais quelles réflexions cette bizarrerie de ma part lui suggéra.

 

Je ne cherchai pas Mme Alicia pour lui ouvrir mon cœur. Je ne fis aucune déclaration à mes amies les diables. Je ne me sentais pas pressée de divulguer le secret de mon bonheur. Je n'en avais pas la moindre honte. Je n'eus aucune espèce de combat à livrer contre ce que les dévots appellent le respect humain: mais j'étais comme avare de ma joie intérieure. J'attendais avec impatience l'heure de la méditation de l'église. J'avais encore dans l'oreille le Tolle, lege! de ma veillée d'extase. Il me tardait de relire de livre divin; et cependant je ne l'ouvris point. J'y rêvais, je le savais presque par cœur, je le contemplais pour ainsi dire en moi-même. Le côté miraculeux qui m'avait choquée ne m'occupa plus. Non-seulement je n'avais plus besoin d'examiner, mais je sentais comme du mépris pour l'examen après l'émotion puissante que j'avais goûtée dans sa plénitude, je me disais qu'il eût fallu être folle, ou sottement ennemie de soi-même, pour chercher à analyser, à commenter, à discuter la source de pareilles délices.

A partir de ce jour, toute lutte cessa, ma dévotion eut tout le caractère d'une passion. Le cœur une fois pris, la raison fut mise à la porte avec résolution, avec une sorte de joie fanatique. J'acceptai tout, je crus à tout, sans combats, sans souffrance, sans regret, sans fausse honte. Rougir de ce qu'on adore, allons donc! Avoir besoin de l'assentiment d'autrui pour se donner sans réserve à ce qu'on sent parfait et chérissable de tous points! Je n'avais rien de plus excellent qu'une autre dans le caractère; mais je n'étais point lâche, je n'aurais pas pu l'être, l'eussé-je essayé.

Au bout de quatre ou cinq jours, Anna, remarquant que j'étais silencieuse et absorbée, et que j'allais à l'église tous les soirs, me dit d'un air stupéfait: «Ah ça, mon cher Calepin, qu'est-ce à dire? On jurerait que tu deviens dévote! — C'est fait, mon enfant, lui répondis-je tranquillement. — Pas possible! — Je t'en donne ma parole d'honneur. — Eh bien, reprit-elle après avoir réfléchi un instant, je ne te dirai rien pour t'en détourner. Je crois que ce serait inutile. Tu es une nature passionnée; je l'ai toujours pensé. Je ne pourrai pas te suivre sur ce terrain-là. Je suis une nature plus froide, je raisonne. J'envie ton bonheur, je t'approuve de ne point hésiter; mais je ne crois pas que jamais j'arrive à la foi aveugle. Si ce miracle s'opérait pourtant, je ferais comme toi, j'en conviendrais sincèrement. — M'aimeras-tu moins? lui demandai-je. — A présent tu t'en consolerais aisément, reprit-elle. La dévotion absorbe et dédommage de tout. Mais comme j'ai pour ta sincérité la plus parfaite estime, je resterai ton amie quoi qu'il arrive.» Elle ajouta d'excellentes paroles encore, et se montra toujours pleine de raison, d'affection et d'indulgence pour moi.

Sophie ne prit pas beaucoup garde à mon changement. La diablerie passait de mode. Ma conversion lui portait le dernier coup. Peut-être étions-nous toutes également ennuyées de notre inaction, sans nous l'être avoué les unes aux autres. D'ailleurs Sophie était un diable mélancolique, et parfois elle avait de courts accès de dévotion, mêlés de profondes tristesses qu'elle ne voulait ni expliquer ni avouer.

Celle que je craignais le plus d'affliger était Fanelly. Elle m'épargna la peine de lui refuser de courir davantage avec elle, elle me prévint. «Eh bien, ma tante, me dit-elle, te voilà donc rangée? Soit! Si tu t'en trouves bien, j'en serai heureuse, et si cela te fait plaisir, je me rangerai aussi. Je suis capable de devenir dévote pour faire comme toi et pour être toujours avec toi.»

Elle l'eût fait comme elle le disait, cette généreuse et abondante nature, si cela eût dépendu d'un mouvement de son cœur. Mais ses idées n'avaient pas la fixité et l'exclusivisme des miennes. D'ailleurs parmi les diables il n'y en avait que deux. Anna et moi, qui fussions susceptibles de ce qu'on appelait une conversion. Les autres n'avaient jamais protesté, elles n'étaient pas pieuses, parce qu'elles étaient dissipées, mais elles croyaient quand même, et du jour où la diablerie cessa, elles furent plus régulières dans leurs exercices de piété sans devenir dévotes exaltées pour cela.

Anna était esprit fort. C'était bien le mot pour elle, qui avait de l'esprit tout de bon et de la force dans la volonté. Pour moi, que l'on qualifiait d'esprit fort aussi, je n'avais ni force ni esprit. Il n'y avait de force en moi que celle de la passion, et quand celle de la religion vint à éclater, elle dévora tout dans mon cœur; rien dans mon cerveau ne lui fit obstacle.

J'ai dit qu'Anna aussi se jeta dans la piété après son mariage, mais tant qu'elle resta au couvent elle garda son incrédulité. Ma ferveur me rendit probablement moins agréable pour elle, et quoi qu'elle eût la générosité de ne me le faire jamais sentir, je fus naturellement entraînée vers d'autres intimités, comme je le dirai bientôt.

J'étais restée liée avec Louise de Larochejaquelein. Elle était encore à la petite classe, parce qu'elle était plus jeune que nous, mais elle était beaucoup plus raisonnable et plus instruite que moi. Je la rencontrai dans les cloîtres peu de jours après ma conversion, et ce fut la seule personne dont j'eus la curiosité de saisir la première impression. Comme elle n'était ni diable, ni bête, ni fervente, son jugement était une chose à part.

«Eh bien! me dit-elle, es-tu toujours aussi désœuvrée, aussi tapageuse?

— Que penserais-tu de moi, lui dis-je, si je t'apprenais que je me sens enflammée par la religion?

— Je dirais, me répondit-elle, que tu fais bien, et je t'aimerais encore plus que je ne t'aime.»

Elle m'embrassa avec une grande effusion de cœur, et n'ajouta aucun autre encouragement, voyant sans doute à mon air que j'irais plus loin que ses conseils.

Mary revint d'Angleterre ou d'Irlande dans ce temps-là. Elle avait grandi de toute la tête, sa figure avait pris une expression encore plus mâle, et ses manières étaient plus que jamais celles d'un garçon naïf, impétueux et insouciant. Elle rentra à la petite classe et y ressuscita si bien la diablerie que ses parens la reprirent au bout de quelques mois. Elle se moqua impitoyablement de ma dévotion, et quand nous nous rencontrions, elle me poursuivait des sarcasmes les plus comiques. Elle ne me fâcha pourtant jamais, car elle avait de l'esprit de bon aloi, c'est-à-dire de l'esprit sans amertume et une raillerie qui divertissait trop pour pouvoir blesser. Je raconterai dans la suite de mes Mémoires comment nous nous sommes retrouvées vers l'âge de quarante ans, nous aimant toujours et nous retraçant avec plaisir nos jeunes années.

Mais me voici arrivée à un moment où il faut que je parle un peu de moi isolément, car ma ferveur me fit, pendant quelques mois, une vie solitaire et sans expansion apparente.

Ma conversion subite ne me donna pas le temps de respirer. Tout entière à mon nouvel amour, j'en voulus savourer toutes les joies. Je fus trouver mon confesseur pour le prier de me réconcilier officiellement avec le ciel. C'était un vieux prêtre, le plus paternel, le plus simple, le plus sincère, le plus chaste des hommes, et pourtant c'était un jésuite, un père de la foi, comme on disait depuis la révolution. Mais il n'y avait en lui que droiture et charité. Il s'appelait l'abbé de Prémord, et confessait la moindre partie du troupeau; l'abbé de Villèle, qui était le directeur en titre de la communauté et des pensionnaires, ne pouvant suffire à tout.

On nous envoyait à confesse, bon gré, mal gré, tous les mois, usage détestable qui violentait la conscience et condamnait à l'hypocrisie celles qui n'avaient pas le courage de la résistance.

«Mon père, dis-je à l'abbé, vous savez bien comment je me suis confessée jusqu'ici, c'est-à-dire que vous savez que je ne me suis pas confessée du tout. Je suis venue vous réciter une formule d'examen de conscience qui court la classe et qui est la même pour toutes celles qui viennent à confesse contraintes et forcées. Aussi ne m'avez-vous jamais donné l'absolution que je ne vous ai jamais demandée non plus. Aujourd'hui je vous la demande et je veux me repentir et m'accuser sérieusement. Mais je vous avoue que je ne me souviens d'aucun péché volontaire; j'ai vécu, j'ai pensé, j'ai cru comme on me l'avait enseigné. Si c'était un crime de nier la religion, ma conscience, qui était muette, ne m'a avertie de rien. Pourtant je dois faire pénitence, aidez-moi à me connaître et à voir en moi-même ce qui est coupable et ce qui ne l'est pas.

— Attendez, mon enfant, me dit-il. Je vois que ceci est une confession générale, comme on dit, et que nous aurons beaucoup à causer. Asseyez-vous.» Nous étions dans la sacristie, j'allai prendre une chaise et lui demandai s'il voulait m'interroger. «Non pas, me dit-il, je ne fais jamais de question: Voici la seule que je vous adresserai. Avez-vous donc l'habitude de chercher vos examens de conscience dans les formulaires? — Oui, mais il y a bien des péchés que je ne sais pas avoir commis, car je n'y comprends rien. — C'est bien, je vous défends de jamais consulter aucun formulaire et de chercher les secrets de votre conscience ailleurs qu'en vous-même. A présent, causons. Racontez-moi simplement et tranquillement toute votre existence, telle que vous vous la rappelez, telle que vous la concevez et la jugez. N'arrangez rien, ne cherchez ni le bien ni le mal de vos actions et de vos pensées; ne voyez en moi ni un juge ni un confesseur; parlez-moi comme à une amie. Je vous dirai ensuite ce que je crois devoir encourager ou corriger en vous dans l'intérêt de votre salut, c'est-à-dire de votre bonheur en cette vie et en l'autre.

Ce plan me mit bien à l'aise. Je lui racontai ma vie avec effusion, moins longuement que je ne l'ai fait ici, mais avec assez de détails et de précision cependant pour que le récit durât plus de trois heures. L'excellent homme m'écouta avec une attention soutenue, avec un intérêt paternel; plusieurs fois je le vis essuyer ses larmes, surtout quand j'arrivai à la fin et que je lui exposai simplement comment la grâce m'avait touchée au moment où je m'y attendais le moins.

C'était un vrai jésuite que l'abbé de Prémord, et en même temps un honnête homme, un cœur sensible et doux. Sa morale était pure, humaine, vivante pour ainsi dire. Il ne poussait pas au mysticisme, il prêchait terre à terre avec une grande onction et une grande bonhomie. Il ne voulait pas qu'on s'absorbât dans le rêve anticipé d'un monde meilleur, au point d'oublier l'art de se bien conduire dans celui-ci; voilà pourquoi je dis que c'était un vrai jésuite, malgré sa candeur et sa vertu.

Quand j'eus fini de causer, je lui demandai de me juger et de me choisir les points où j'étais coupable, afin que, m'agenouillant devant lui, j'eusse à les rappeler en confession et à m'en repentir pour mériter une absolution générale. Mais il me répondit: «Votre confession est faite. Si vous n'avez pas été éclairée plus tôt de la grâce, ce n'est pas votre faute. C'est à présent que vous pourriez devenir coupable si vous perdiez le fruit des salutaires émotions que vous avez éprouvées. Agenouillez-vous pour recevoir l'absolution que je vais vous donner de tout mon cœur.»

Quand il eut prononcé la formule sacramentelle, il me dit: «Allez en paix, vous pouvez communier demain. Soyez calme et joyeuse, ne vous embarrassez pas l'esprit de vains remords, remerciez Dieu d'avoir touché votre cœur; soyez toute à l'ivresse d'une sainte union de votre âme avec le Sauveur.»

C'était me parler comme il fallait, mais on verra bientôt que ce saint quiétisme ne suffisait pas à l'ardeur de mon zèle et que j'étais cent fois plus dévote que mon confesseur; ceci soit dit à la louange de ce digne homme: il avait atteint, je crois, l'état de perfection et ne connaissait plus les orages d'un prosélytisme ardent. Sans lui, je crois bien que je serais ou folle, ou religieuse cloîtrée à l'heure qu'il est. Il m'a guérie d'une passion délirante pour l'idéal chrétien. Mais en cela fut-il chrétien catholique, ou jésuite homme du monde?

Je communiai le lendemain, jour de l'Assomption, 15 août. J'avais quinze ans et n'avais pas approché du sacrement depuis ma première communion à La Châtre. C'était dans la soirée du 4 août que j'avais ressenti ces émotions, ces ardeurs inconnues que j'appelais ma conversion. On voit que j'avais été droit au but; j'étais pressée de faire acte de foi et de rendre, comme on disait, témoignage devant le Seigneur.

 
FIN DU TOME SEPTIÈME
2121 Quelquefois les mêmes prêtres qui officiaient, tantôt dans notre chapelle, tantôt dans celle des Écossais, amenaient chez nous, pour servir la messe, quelque pieux élève, fier de remplir l'office d'enfant de chœur. Je me souviens d'avoir vu là plusieurs fois, sous la robe de pourpre et le blanc surplis, le frère d'une de nos plus belles compagnes, qui était aussi un des plus beaux garçons du collége voisin. C'était celui qu'on a appelé depuis dans le monde le beau Dorsay, et que je n'ai connu que peu de temps avant sa mort, alors que, plein de généreuse sollicitude pour les victimes politiques, jusque sur son lit d'agonie, il était le noble et courageux Dorsay. Sa sœur, la belle et bonne Ida Dorsay, était sortie du couvent lorsque j'y entrai, mais elle y venait souvent voir ses anciennes amies. Elle a épousé le comte de Guiche; elle est aujourd'hui duchesse de Grammont.
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