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Consuelo

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Sur ces entrefaites, le voyageur silencieux, qui n’avait fait qu’une courte apparition au souper, vint appeler M. Mayer, qui sortit avec lui. Consuelo profita de ce moment pour gronder Joseph de sa facilité à écouter les belles paroles du premier venu et les inspirations du bon vin.

Ai-je donc dit quelque chose de trop? dit Joseph effrayé.

– Non, reprit-elle; mais c’est déjà une imprudence que de faire société aussi longtemps avec des inconnus. À force de me regarder, on peut s’apercevoir ou tout au moins se douter que je ne suis pas un garçon. J’ai eu beau frotter mes mains avec mon crayon pour les noircir, et les tenir le plus possible sous la table, il eût été impossible qu’on ne remarquât point leur faiblesse, si heureusement ces deux messieurs n’avaient été absorbés, l’un par la bouteille, et l’autre par son propre babil. Maintenant le plus prudent serait de nous éclipser, et d’aller dormir dans une autre auberge; car je ne suis pas tranquille avec ces nouvelles connaissances qui semblent vouloir s’attacher à nos pas.

– Eh quoi! dit Joseph, nous en aller honteusement comme des ingrats, sans saluer et sans remercier cet honnête homme, cet illustre professeur, peut-être? Qui sait si ce n’est pas le grand Hasse lui-même que nous venons d’entretenir.

– Je vous réponds que non; et si vous aviez eu votre tête, vous auriez remarqué une foule de lieux communs misérables qu’il a dits sur la musique. Un maître ne parle point ainsi. C’est quelque musicien des derniers rangs de l’orchestre, bonhomme, grand parleur et passablement ivrogne. Je ne sais pourquoi je crois voir, à sa figure, qu’il n’a jamais soufflé que dans du cuivre; et, à son regard de travers, on dirait qu’il a toujours un œil sur son chef d’orchestre.

– Corno, ou clarino secondo, s’écria Joseph en éclatant de rire, ce n’en est pas moins un convive agréable.

– Et vous, vous ne l’êtes guère, répliqua Consuelo avec un peu d’humeur; allons, dégrisez-vous, et faisons nos adieux; mais partons.

– La pluie tombe à torrents; écoutez comme elle bat les vitres!

– J’espère que vous n’allez pas vous endormir sur cette table?» dit Consuelo en le secouant pour l’éveiller.

M. Mayer rentra en cet instant.

En voici bien d’une autre! s’écria-t-il gaiement. Je croyais pouvoir coucher ici et repartir demain pour Chamb; mais voilà mes amis qui me font rebrousser chemin, et qui prétendent que je leur suis nécessaire pour une affaire d’intérêt qu’ils ont à Passaw. Il faut que je cède! Ma foi, mes enfants, si j’ai un conseil à vous donner, puisqu’il me faut renoncer au plaisir de vous emmener à Dresde, c’est de profiter de l’occasion. J’ai toujours deux places à vous donner dans ma chaise, ces messieurs ayant la leur. Nous serons demain matin à Passaw, qui n’est qu’à six milles d’ici. Là, je vous souhaiterai un bon voyage. Vous serez près de la frontière d’Autriche, et vous pourrez même descendre le Danube en bateau jusqu’à Vienne, à peu de frais et sans fatigue.»

Joseph trouva la proposition admirable pour reposer les pauvres pieds de Consuelo. L’occasion semblait bonne, en effet, et la navigation sur le Danube était une ressource à laquelle ils n’avaient point encore pensé. Consuelo accepta donc, voyant d’ailleurs que Joseph n’entendrait rien aux précautions à prendre pour la sécurité de leur gîte ce soir-là. Dans l’obscurité, retranchée au fond de la voiture, elle n’avait rien à craindre des observations de ses compagnons de voyage, et M. Mayer disait qu’on arriverait à Passaw avant le jour. Joseph fut enchanté de sa détermination. Cependant Consuelo éprouvait je ne sais quelle répugnance, et la tournure des amis de M. Mayer lui déplaisait de plus en plus. Elle lui demanda si eux aussi étaient musiciens.

Tous plus ou moins», lui répondit-il laconiquement.

Ils trouvèrent les voitures attelées, les conducteurs sur leur banquette, et les valets d’auberge, fort satisfaits des libéralités de M. Mayer, s’empressant autour de lui pour le servir jusqu’au dernier moment. Dans un intervalle de silence, au milieu de cette agitation, Consuelo entendit un gémissement qui semblait partir du milieu de la cour. Elle se retourna vers Joseph, qui n’avait rien remarqué; et ce gémissement s’étant répété une seconde fois, elle sentit un frisson courir dans ses veines. Cependant personne ne parut s’apercevoir de rien, et elle put attribuer cette plainte à quelque chien ennuyé de sa chaîne. Mais quoi qu’elle fit pour s’en distraire, elle en reçut une impression sinistre. Ce cri étouffé au milieu des ténèbres, du vent, et de la pluie, parti d’un groupe de personnes animées ou indifférentes, sans qu’elle pût savoir précisément si c’était une voix humaine ou un bruit imaginaire, la frappa de terreur et de tristesse. Elle pensa tout de suite à Albert; et comme si elle eût cru pouvoir participer à ces révélations mystérieuses dont il semblait doué, elle s’effraya de quelque danger suspendu sur la tête de son fiancé ou sur la sienne propre.

Cependant la voiture roulait déjà. Un nouveau cheval plus robuste encore que le premier la traînait avec vitesse. L’autre voiture, également rapide, marchait tantôt devant, tantôt derrière. Joseph babillait sur nouveaux frais avec M. Mayer, et Consuelo essayait de s’endormir, faisant semblant de dormir déjà pour autoriser son silence.

La fatigue surmonta enfin la tristesse et l’inquiétude, et elle tomba dans un profond sommeil. Lorsqu’elle s’éveilla, Joseph dormait aussi, et M. Mayer était enfin silencieux. La pluie avait cessé, le ciel était pur, et le jour commençait à poindre. Le pays avait un aspect tout à fait inconnu pour Consuelo. Seulement elle voyait de temps en temps paraître à l’horizon les cimes d’une chaîne de montagnes qui ressemblait au Bœhmerwald.

À mesure que la torpeur du sommeil se dissipait, Consuelo remarquait avec surprise la position de ces montagnes, qui eussent dû se trouver à sa gauche, et qui se trouvaient à sa droite. Les étoiles avaient disparu, et le soleil, qu’elle s’attendait à voir lever devant elle, ne se montrait pas encore. Elle pensa que ce qu’elle voyait était une autre chaîne que celle du Bœhmerwald. M. Mayer ronflait, et elle n’osait adresser la parole au conducteur de la voiture, seul personnage éveillé qui s’y trouvât en ce moment.

Le cheval prit le pas pour monter une côte assez rapide, et le bruit des roues s’amortit dans le sable humide des ornières. Ce fut alors que Consuelo entendit très distinctement le même sanglot sourd et douloureux qu’elle avait entendu dans la cour de l’auberge à Biberek. Cette voix semblait partir de derrière elle. Elle se retourna machinalement, et ne vit que le dossier de cuir contre lequel elle était appuyée. Elle crut être en proie à une hallucination; et, ses pensées se reportant toujours sur Albert, elle se persuada avec angoisse qu’en cet instant même il était à l’agonie, et qu’elle recueillait, grâce à la puissance incompréhensible de l’amour que ressentait cet homme bizarre, le bruit lugubre et déchirant de ses derniers soupirs. Cette fantaisie s’empara tellement de son cerveau, qu’elle se sentit défaillir; et, craignant de suffoquer tout à fait, elle demanda au conducteur, qui s’arrêtait pour faire souffler son cheval à mi-côte, la permission de monter le reste à pied. Il y consentit, et mettant pied à terre lui-même, il marcha auprès du cheval en sifflant.

Cet homme était trop bien habillé pour être un voiturier de profession. Dans un mouvement qu’il fit, Consuelo crut voir qu’il avait des pistolets à sa ceinture. Cette précaution dans un pays aussi désert que celui où ils se trouvaient, n’avait rien que de naturel; et d’ailleurs la forme de la voiture, que Consuelo examina en marchant à côté de la roue, annonçait qu’elle portait des marchandises. Elle était trop profonde pour qu’il n’y eût pas, derrière la banquette du fond, une double caisse, comme celles où l’on met les valeurs et les dépêches. Cependant elle ne paraissait pas très chargée, un seul cheval la traînait sans peine. Une observation qui frappa Consuelo bien davantage fut de voir son ombre s’allonger devant elle; et, en se retournant, elle trouva le soleil tout à fait sorti de l’horizon au point opposé où elle eût dû le voir, si la voiture eût marché dans la direction de Passaw.

De quel côté allons-nous donc? demanda-t-elle au conducteur en se rapprochant de lui avec empressement: nous tournons le dos à l’Autriche.

– Oui, pour une demi-heure, répondit-il avec beaucoup de tranquillité; nous revenons sur nos pas, parce que le pont de la rivière que nous avons à traverser est rompu, et qu’il nous faut faire un détour d’un demi-mille pour en retrouver un autre.»

Consuelo, un peu tranquillisée, remonta dans la voiture, échangea quelques paroles indifférentes avec M. Mayer, qui s’était éveillé, et qui se rendormit bientôt (Joseph ne s’était pas dérangé un moment de son somme), et l’on arriva au sommet de la côte. Consuelo vit se dérouler devant elle un long chemin escarpé et sinueux, et la rivière dont lui avait parlé le conducteur se montra au fond d’une gorge; mais aussi loin que l’œil pouvait s’étendre, on n’apercevait aucun pont, et l’on marchait toujours vers le nord. Consuelo inquiète et surprise ne put se rendormir.

Une nouvelle montée se présenta bientôt, le cheval semblait très fatigué. Les voyageurs descendirent tous, excepté Consuelo, qui souffrait toujours des pieds. C’est alors que le gémissement frappa de nouveau ses oreilles, mais si nettement et à tant de reprises différentes, qu’elle ne put l’attribuer davantage à une illusion de ses sens; le bruit partait sans aucun doute du double fond de la voiture. Elle l’examina avec soin, et découvrit, dans le coin où s’était toujours tenu M. Mayer, une petite lucarne de cuir en forme de guichet, qui communiquait avec ce double fond. Elle essaya de la pousser, mais elle n’y réussit pas. Il y avait une serrure, dont la clef était probablement dans la poche du prétendu professeur.

 

Consuelo, ardente et courageuse dans ces sortes d’aventures, tira de son gousset un couteau à lame forte et bien coupante, dont elle s’était munie en partant, peut-être par une inspiration de la pudeur, et avec l’appréhension vague de dangers auxquels le suicide peut toujours soustraire une femme énergique. Elle profita d’un moment où tous les voyageurs étaient en avant sur le chemin, même le conducteur, qui n’avait plus rien à craindre de l’ardeur de son cheval; et élargissant, d’une main prompte et assurée, la fente étroite que présentait la lucarne à son point de jonction avec le dossier, elle parvint à l’écarter assez pour y coller son œil et voir dans l’intérieur de cette case mystérieuse. Quels furent sa surprise et son effroi, lorsqu’elle distingua, dans cette logette étroite et sombre, qui ne recevait d’air et de jour que par une fente pratiquée en haut, un homme d’une taille athlétique, bâillonné, couvert de sang, les mains et les pieds étroitement liés et garrottés, et le corps replié sur lui-même, dans un état de gêne et de souffrances horribles! Ce qu’on pouvait distinguer de son visage était d’une pâleur livide, et il paraissait en proie aux convulsions de l’agonie.

LXXI. Glacée d’horreur, Consuelo sauta à terre; et, allant rejoindre Joseph…

Glacée d’horreur, Consuelo sauta à terre; et, allant rejoindre Joseph, elle lui pressa le bras à la dérobée, pour qu’il s’éloignât du groupe avec elle. Lorsqu’ils eurent une avance de quelques pas:

Nous sommes perdus si nous ne prenons la fuite à l’instant même, lui dit-elle à voix basse; ces gens-ci sont des voleurs et des assassins. Je viens d’en avoir la preuve. Doublons le pas, et jetons-nous à travers champs; car ils ont leurs raisons pour nous tromper comme ils le font.»

Joseph crut qu’un mauvais rêve avait troublé l’imagination de sa compagne. Il comprenait à peine ce qu’elle lui disait. Lui-même se sentait appesanti par une langueur inusitée; et les tiraillements d’estomac qu’il éprouvait lui faisaient croire que le vin qu’il avait bu la veille était frelaté par l’aubergiste et mêlé de méchantes drogues capiteuses. Il est certain qu’il n’avait pas fait une assez notable infraction à sa sobriété habituelle pour se sentir assoupi et abattu comme il l’était.

Chère signora, répondit-il, vous avez le cauchemar, et je crois l’avoir en vous écoutant. Quand même ces braves gens seraient des bandits, comme il vous plaît de l’imaginer, quelle riche capture pourraient-ils espérer en s’emparant de nous?

– Je l’ignore, mais j’ai peur; et si vous aviez vu comme moi un homme assassiné dans cette même voiture où nous voyageons…»

Joseph ne put s’empêcher de rire; car cette affirmation de Consuelo avait en effet l’air d’une vision.

Eh! ne voyez-vous donc pas tout au moins qu’ils nous égarent? reprit-elle avec feu; qu’ils nous conduisent vers le nord, tandis que Passaw et le Danube sont derrière nous? Regardez où est le soleil, et voyez dans quel désert nous marchons, au lieu d’approcher d’une grande ville!»

La justesse de ces observations frappa enfin Joseph, et commença à dissiper la sécurité, pour ainsi dire léthargique, où il était plongé.

Eh bien, dit-il, avançons; et s’ils ont l’air de vouloir nous retenir malgré nous, nous verrons bien leurs intentions.

– Et si nous ne pouvons leur échapper tout de suite, du sang-froid, Joseph, entendez-vous? Il faudra jouer au plus fin, et leur échapper dans un autre moment.»

Alors elle le tira par le bras, feignant de boiter plus encore que la souffrance ne l’y forçait, et gagnant du terrain néanmoins. Mais ils ne purent faire dix pas de la sorte sans être rappelés par M. Mayer, d’abord d’un ton amical, bientôt avec un accent plus sévère, et enfin comme ils n’en tenaient pas compte, par les jurements énergiques des autres. Joseph tourna la tête, et vit avec terreur un pistolet braqué sur eux par le conducteur qui accourait à leur poursuite.

Ils vont nous tuer, dit-il à Consuelo en ralentissant sa marche.

– Sommes-nous hors de portée? lui dit-elle avec sang-froid, en l’entraînant toujours et en commençant à courir.

– Je ne sais, répondit Joseph en tâchant de l’arrêter; croyez-moi, le moment n’est pas venu. Ils vont tirer sur vous.

– Arrêtez-vous, ou vous êtes morts, cria le conducteur qui courait plus vite qu’eux, et les tenait à portée du pistolet, le bras étendu.

– C’est le moment de payer d’assurance, dit Consuelo en s’arrêtant; Joseph, faites et dites comme moi. Ah! ma foi, dit-elle à haute voix en se retournant, et en riant avec l’aplomb d’une bonne comédienne, si je n’avais pas trop de mal aux pieds pour courir davantage, je vous ferais bien voir que la plaisanterie ne prend pas.»

Et, regardant Joseph qui était pâle comme la mort, elle affecta de rire aux éclats, en montrant cette figure bouleversée aux autres voyageurs qui s’étaient rapprochés d’eux.

Il l’a cru! s’écria-t-elle avec une gaieté parfaitement jouée. Il l’a cru, mon pauvre camarade! Ah! Beppo, je ne te croyais pas si poltron. Eh! monsieur le professeur, voyez donc Beppo, qui s’est imaginé tout de bon que monsieur voulait lui envoyer une balle!»

Consuelo affectait de parler vénitien, tenant ainsi en respect par sa gaieté l’homme au pistolet, qui n’y entendait rien. M. Mayer affecta de rire aussi.

Puis, se tournant vers le conducteur:

Quelle est donc cette mauvaise plaisanterie? lui dit-il non sans un clignement d’œil que Consuelo observa très bien. Pourquoi effrayer ainsi ces pauvres enfants?

– Je voulais savoir s’ils avaient du cœur, répondit l’autre en remettant ses pistolets dans son ceinturon.

– Hélas! dit malignement Consuelo, monsieur aura maintenant une triste opinion de toi, mon ami Joseph. Quant à moi, je n’ai pas eu peur, rendez-moi justice! monsieur Pistolet.

– Vous êtes un brave, répondit M. Mayer; vous feriez un joli tambour, et vous battriez la charge à la tête d’un régiment, sans sourciller au milieu de la mitraille.

– Ah! cela, je n’en sais rien, répliqua-t-elle; peut-être aurais-je eu peur, si j’avais cru que monsieur voulût nous tuer tout de bon. Mais nous autres Vénitiens, nous connaissons tous les jeux, et on ne nous attrape pas comme cela.

– C’est égal, la mystification est de mauvais goût», reprit M. Mayer.

Et, adressant la parole au conducteur, il parut le gronder un peu; mais Consuelo n’en fut pas dupe, et vit bien aux intonations de leur dialogue qu’il s’agissait d’une explication dont le résultat était qu’on croyait s’être mépris sur son intention de fuir.

Consuelo étant remontée dans la voiture avec les autres:

Convenez, dit-elle en riant à M. Mayer, que votre conducteur à pistolets est un drôle de corps! Je vais l’appeler à présent signor Pistola. Eh bien, pourtant, monsieur le professeur, convenez que ce n’était pas bien neuf, ce jeu-là!

– C’est une gentillesse allemande, dit monsieur Mayer; on a plus d’esprit que cela à Venise, n’est-ce pas?

– Oh! savez-vous ce que des Italiens eussent fait à votre place pour nous jouer un bon tour? Ils auraient fait entrer la voiture dans le premier buisson venu de la route, et ils se seraient tous cachés. Alors, quand nous nous serions retournés, ne voyant plus rien, et croyant que le diable avait tout emporté, qui eût été bien attrapé? moi, surtout qui ne peux plus me traîner; et Joseph aussi, qui est poltron comme une vache du Bœhmerwald, et qui se serait cru abandonné dans ce désert.»

M. Mayer riait de ses facéties enfantines qu’il traduisait à mesure au signor Pistola, non moins égayé que lui de la simplicité du gondolier. Oh! vous êtes par trop madré! répondait Mayer; on ne se frottera plus à vous faire des niches! Et Consuelo, qui voyait l’ironie profonde de ce faux bonhomme percer enfin sous son air jovial et paternel, continuait de son côté à jouer ce rôle du niais qui se croit malin, accessoire connu de tout mélodrame.

Il est certain que leur aventure en était un assez sérieux; et, tout en faisant sa partie avec habileté, Consuelo sentait qu’elle avait la fièvre. Heureusement c’est dans la fièvre qu’on agit, et dans la stupeur qu’on succombe.

Elle se montra dès lors aussi gaie qu’elle avait été réservée jusque-là; et Joseph, qui avait repris toutes ses facultés, la seconda fort bien. Tout en paraissant ne pas douter qu’ils approchassent de Passaw, ils feignirent d’ouvrir l’oreille aux propositions d’aller à Dresde, sur lesquelles M. Mayer ne manqua pas de revenir. Par ce moyen, ils gagnèrent toute sa confiance, et le mirent à même de trouver quelque expédient pour leur avouer honnêtement qu’il les y menait sans leur permission. L’expédient fut bientôt trouvé. M. Mayer n’était pas novice dans ces sortes d’enlèvements. Il y eut un dialogue animé en langue étrangère entre ces trois individus, M. Mayer, le signor Pistola, et le Silencieux. Et puis tout à coup ils se mirent à parler allemand, et comme s’ils continuaient le même sujet:

Je vous le disais bien; s’écria M. Mayer, nous avons fait fausse route; à preuve que leur voiture ne reparaît pas. Il y a plus de deux heures que nous les avons laissés derrière nous, et j’ai eu beau regarder à la montée, je n’ai rien aperçu.

– Je ne la vois pas du tout! dit le conducteur en sortant la tête de la voiture, et en la rentrant d’un air découragé.»

Consuelo avait fort bien remarqué, dès la première montée, la disparition de cette autre voiture avec laquelle on était parti de Biberek.

J’étais bien sûr que nous étions égarés, observa Joseph; mais je ne voulais pas le dire.

– Eh! pourquoi diable ne le disiez-vous pas? reprit le Silencieux, affectant un grand déplaisir de cette découverte.

– C’est que cela m’amusait! dit Joseph, inspiré par l’innocent machiavélisme de Consuelo; c’est drôle de se perdre en voiture! je croyais que cela n’arrivait qu’aux piétons.

– Ah bien! voilà qui m’amuse aussi, dit Consuelo. Je voudrais à présent que nous fussions sur la route de Dresde!

– Si je savais où nous sommes, repartit M. Mayer, je me réjouirais avec vous, mes enfants; car je vous avoue que j’étais assez mécontent d’aller à Passaw pour le bon plaisir de messieurs mes amis, et je voudrais que nous nous fussions assez détournés pour avoir un prétexte de borner là notre complaisance envers eux.

– Ma foi, monsieur le professeur, dit Joseph, il en sera ce qu’il vous plaira; ce sont vos affaires. Si nous ne vous gênons pas, et si vous voulez toujours de nous pour aller à Dresde, nous voilà tout prêts à vous suivre, fut-ce au bout du monde. Et toi, Bertoni, qu’en dis-tu?

– J’en dis autant, répondit Consuelo. Vogue la galère!

– Vous êtes de braves enfants! répondit Mayer en cachant sa joie sous son air de préoccupation; mais je voudrais bien savoir pourtant où nous sommes.

– Où que nous soyons, il faut nous arrêter, dit le conducteur; le cheval n’en peut plus. Il n’a rien mangé depuis hier soir, et il a marché toute la nuit. Nous ne serons fâchés, ni les uns ni les autres, de nous restaurer aussi. Voici un petit bois. Nous avons encore quelques provisions, halte!»

On entra dans le bois, le cheval fut dételé. Joseph et Consuelo offrirent leurs services avec empressement; on les accepta sans méfiance. On pencha la chaise sur ses brancards; et, dans ce mouvement, la position du prisonnier invisible devenant sans doute plus douloureuse, Consuelo l’entendit encore gémir; Mayer l’entendit aussi, et regarda fixement Consuelo pour voir si elle s’en était aperçue. Mais, malgré la pitié qui déchirait son cœur, elle sut paraître sourde et impassible. Mayer fit le tour de la voiture, Consuelo, qui s’était éloignée, le vit ouvrir à l’extérieur une petite porte de derrière, jeter un coup d’œil dans l’intérieur de la double caisse, la refermer, et remettre la clef dans sa poche.

La marchandise est-elle avariée? cria le Silencieux à M. Mayer.

– Tout est bien, répondit-il avec une indifférence brutale, et il fit tout disposer pour le déjeuner.

– Maintenant, dit Consuelo rapidement à Joseph en passant auprès de lui, fais comme moi et suis tous mes pas.»

Elle aida à étendre les provisions sur l’herbe, et à déboucher les bouteilles. Joseph l’imita en affectant beaucoup de gaieté; M. Mayer vit avec plaisir ces serviteurs volontaires se dévouer à son bien-être. Il aimait ses aises, et se mit à boire et à manger ainsi que ses compagnons avec des manières plus gloutonnes et plus grossières qu’il n’en avait montré la veille. Il tendait à chaque instant son verre à ses deux nouveaux pages, qui, à chaque instant, se levaient, se rasseyaient, et repartaient pour courir, de côté et d’autre, épiant le moment de courir une fois pour toutes, mais attendant que le vin et la digestion rendissent moins clairvoyants ces gardiens dangereux. Enfin, M. Mayer, se laissant aller sur l’herbe et déboutonnant sa veste, offrit au soleil sa grosse poitrine ornée de pistolets; le conducteur alla voir si le cheval mangeait bien, et le Silencieux se mit à chercher dans quel endroit du ruisseau vaseux au bord duquel on s’était arrêté, cet animal pourrait boire. Ce fut le signal de la délivrance. Consuelo feignit de chercher aussi. Joseph s’engagea avec elle dans les buissons; et, dès qu’ils se virent cachés dans l’épaisseur du feuillage, ils prirent leur course comme deux lièvres à travers bois. Ils n’avaient plus guère à craindre les balles dans ce taillis épais; et quand ils s’entendirent rappeler, ils jugèrent qu’ils avaient pris assez d’avance pour continuer sans danger.

 

Il vaut pourtant mieux répondre, dit Consuelo en s’arrêtant; cela détournera les soupçons, et nous donnera le temps d’un nouveau trait de course.»

Joseph, répondit donc:

Par ici, par ici! il y a de l’eau!

– Une source, une source!» cria Consuelo.

Et courant aussitôt à angle droit, afin de dérouter l’ennemi, ils repartirent légèrement. Consuelo ne pensait plus à ses pieds malades et enflés, Joseph avait triomphé du narcotique que M. Mayer lui avait versé la veille. La peur leur donnait des ailes.

Ils couraient ainsi depuis dix minutes, dans la direction opposée à celle qu’ils avaient prise d’abord, et ne se donnant pas le temps d’écouter les voix qui les appelaient de deux côtés différents, lorsqu’ils trouvèrent la lisière du bois, et devant eux un coteau rapide bien gazonné qui s’abaissait jusqu’à une route battue, et des bruyères semées de massifs d’arbres.

Ne sortons pas du bois, dit Joseph. Ils vont venir ici, et de cet endroit élevé ils nous verront dans quelque sens que nous marchions.

Consuelo hésita un instant, explora le pays d’un coup d’œil rapide, et lui dit:

Le bois est trop petit pour nous cacher longtemps. Devant nous il y a une route, et l’espérance d’y rencontrer quelqu’un.

– Eh! s’écria Joseph, c’est la même route que nous suivions tout à l’heure. Voyez! elle fait le tour de la colline et remonte sur la droite vers le lieu d’où nous sommes partis. Que l’un des trois monte à cheval, et il nous rattrapera avant que nous ayons gagné le bas du terrain.

– C’est ce qu’il faut voir, dit Consuelo. On court vite en descendant. Je vois quelque chose là-bas sur le chemin, quelque chose qui monte de ce côté. Il ne s’agit que de l’atteindre avant d’être atteints nous-mêmes. Allons!»

Il n’y avait pas de temps à perdre en délibérations. Joseph se fia aux inspirations de Consuelo: la colline fut descendue par eux en un instant, et ils avaient gagné les premiers massifs, lorsqu’ils entendirent les voix de leurs ennemis à la lisière du bois. Cette fois, ils se gardèrent de répondre, et coururent encore, à la faveur des arbres et des buissons, jusqu’à ce qu’ils rencontrèrent un ruisseau encaissé, que ces mêmes arbres leur avaient caché. Une longue planche servait de pont; ils traversèrent, et jetèrent ensuite la planche au fond de l’eau.

Arrivés à l’autre rive, ils la descendirent, toujours protégés par une épaisse végétation; et, ne s’entendant plus appeler, ils jugèrent qu’on avait perdu leurs traces, ou bien qu’on ne se méprenait plus sur leurs intentions, et qu’on cherchait à les atteindre par surprise. Mais bientôt la végétation du rivage fut interrompue, et ils s’arrêtèrent, craignant d’être vus. Joseph avança la tête avec précaution parmi les dernières broussailles, et vit un des brigands en observation à la sortie du bois, et l’autre (vraisemblablement le signor Pistola, dont ils avaient déjà éprouvé la supériorité à la course), au bas de la colline, non loin de la rivière. Tandis que Joseph s’assurait de la position de l’ennemi, Consuelo s’était dirigée du côté de la route; et tout à coup elle revint vers Joseph:

C’est une voiture qui vient, lui dit-elle, nous sommes sauvés! Il faut la joindre avant que celui qui nous poursuit se soit avisé de passer l’eau.»

Ils coururent dans la direction de la route en droite ligne, malgré la nudité du terrain; la voiture venait à eux au galop.

Oh! mon Dieu! dit Joseph, si c’était l’autre voiture, celle des complices?

– Non, répondit Consuelo, c’est une berline à six chevaux, deux postillons, et deux courriers; nous sommes sauvés, te dis-je, encore un peu de courage.»

Il était bien temps d’arriver au chemin; le Pistola avait retrouvé l’empreinte de leurs pieds sur le sable au bord du ruisseau. Il avait la force et la rapidité d’un sanglier. Il vit bientôt dans quel endroit la trace disparaissait, et les pieux qui avaient assujetti la planche. Il devina la ruse, franchit l’eau à la nage, retrouva la marque des pas sur la rive, et, les suivant toujours, il venait de sortir des buissons; il voyait les deux fugitifs traverser la bruyère… mais il vit aussi la voiture; il comprit leur dessein, et, ne pouvant plus s’y opposer, il rentra dans les broussailles et s’y tint sur ses gardes.

Aux cris des deux jeunes gens, qui d’abord furent pris pour des mendiants, la berline ne s’arrêta pas. Les voyageurs jetèrent quelques pièces de monnaie; et leurs courriers d’escorte, voyant que nos fugitifs, au lieu de les ramasser, continuaient à courir en criant à la portière, marchèrent sur eux au galop pour débarrasser leurs maîtres de cette importunité. Consuelo, essoufflée et perdant ses forces comme il arrive presque toujours au moment du succès, ne pouvait faire sortir un son de son gosier, et joignait les mains d’un air suppliant, en poursuivant les cavaliers, tandis que Joseph, cramponné à la portière, au risque de manquer prise et de se faire écraser, criait d’une voix haletante:

Au secours! au secours! nous sommes poursuivis; au voleur! à l’assassin!»

Un des deux voyageurs qui occupaient la berline parvint enfin à comprendre ces paroles entrecoupées, et fit signe à un des courriers qui arrêta les postillons. Consuelo, lâchant alors la bride de l’autre courrier à laquelle elle s’était suspendue, quoique le cheval se cabrât et que le cavalier la menaçât de son fouet, vint se joindre à Joseph; et sa figure animée par la course frappa les voyageurs, qui entrèrent en pourparler.

Qu’est-ce que cela signifie, dit l’un des deux: est-ce une nouvelle manière de demander l’aumône! On vous a donné, que voulez-vous encore? ne pouvez-vous répondre?»

Consuelo était comme prête à expirer. Joseph, hors d’haleine, ne pouvait que dire:

Sauvez-nous, sauvez-nous! et il montrait le bois et la colline sans réussir à retrouver la parole.

– Ils ont l’air de deux renards forcés à la chasse, dit l’autre voyageur; attendons que la voix leur revienne.»

Et les deux seigneurs, magnifiquement équipés, les regardèrent en souriant d’un air de sang-froid qui contrastait avec l’agitation des pauvres fugitifs.

Enfin, Joseph réussit à articuler encore les mots de voleurs et d’assassins; aussitôt les nobles voyageurs se firent ouvrir la voiture, et, s’avançant sur le marche-pied, regardèrent de tous côtés, étonnés de ne rien voir qui pût motiver une pareille alerte. Les brigands s’étaient cachés, et la campagne était déserte et silencieuse. Enfin, Consuelo, revenant à elle, leur parla ainsi, en s’arrêtant à chaque phrase pour respirer:

Nous sommes deux pauvres musiciens ambulants; nous avons été enlevés par des hommes que nous ne connaissons pas, et qui, sous prétexte de nous rendre service, nous ont fait monter dans leur voiture et voyager toute la nuit. Au point du jour, nous nous sommes aperçus qu’on nous trompait, et qu’on nous menait vers le nord, au lieu de suivre la route de Vienne. Nous avons voulu fuir; ils nous ont menacés, le pistolet à la main. Enfin, ils se sont arrêtés dans les bois que voici, nous nous sommes échappés, et nous avons couru vers votre voiture. Si vous nous abandonnez ici, nous sommes perdus; ils sont à deux pas de la route, l’un dans les buissons, les autres dans le bois.

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