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Consuelo

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L. Il s’en fallait de beaucoup que les autres habitants du château fussent aussi tranquilles…

Il s’en fallait de beaucoup que les autres habitants du château fussent aussi tranquilles. Amélie était furieuse, et ne daignait plus rendre la moindre visite à la malade. Elle affectait de ne point adresser la parole à Albert, de ne jamais tourner les yeux vers lui, et de ne pas même répondre à son salut du matin et du soir. Ce qu’il y eut de plus affreux, c’est qu’Albert ne parut pas faire la moindre attention à son dépit.

La chanoinesse, voyant la passion bien évidente et pour ainsi dire déclarée de son neveu pour l’aventurière, n’avait plus un moment de repos. Elle se creusait l’esprit pour imaginer un moyen de faire cesser le danger et le scandale; et, à cet effet, elle avait de longues conférences avec le chapelain. Mais celui-ci ne désirait pas très vivement la fin d’un tel état de choses. Il avait été longtemps inutile et inaperçu dans les soucis de la famille. Son rôle reprenait une sorte d’importance depuis ces nouvelles agitations, et il pouvait enfin se livrer au plaisir d’espionner, de révéler, d’avertir, de prédire, de conseiller, en un mot de remuer à son gré les intérêts domestiques, en ayant l’air de ne toucher à rien, et en se mettant à couvert de l’indignation du jeune comte derrière les jupes de la vieille tante. À eux deux, ils trouvaient sans cesse de nouveaux sujets de crainte, de nouveaux motifs de précaution, et jamais aucun moyen de salut. Chaque jour, la bonne Wenceslawa abordait son neveu avec une explication décisive au bord des lèvres, et chaque jour un sourire moqueur ou un regard glacial faisait expirer la parole et avorter le projet. À chaque instant elle guettait l’occasion de se glisser auprès de Consuelo, pour lui adresser une réprimande adroite et ferme; à chaque instant Albert, comme averti par un démon familier, venait se placer sur le seuil de la chambre, et du seul froncement de son sourcil, comme le Jupiter Olympien, il faisait tomber le courroux et glaçait le courage des divinités contraires à sa chère Ilion. La chanoinesse avait cependant entamé plusieurs fois la conversation avec la malade; et comme les moments où elle pouvait la voir tête à tête étaient rares, elle avait mis le temps à profit en lui adressant des réflexions assez saugrenues, qu’elle croyait très significatives. Mais Consuelo était si éloignée de l’ambition qu’on lui supposait, qu’elle n’y avait rien compris. Son étonnement, son air de candeur et de confiance, désarmaient tout de suite la bonne chanoinesse, qui, de sa vie, n’avait pu résister à un accent de franchise ou à une caresse cordiale. Elle s’en allait, toute confuse, avouer sa défaite au chapelain, et le reste de la journée se passait à faire des résolutions pour le lendemain.

Cependant Albert, devinant fort bien ce manège, et voyant que Consuelo commençait à s’en étonner, et à s’en inquiéter, prit le parti de le faire cesser. Il guetta un jour Wenceslawa au passage; et pendant qu’elle croyait tromper sa surveillance en surprenant Consuelo seule de grand matin, il se montra tout à coup, au moment où elle mettait la main sur la clef pour entrer dans la chambre de la malade.

Ma bonne tante, lui dit-il en s’emparant de cette main et en la portant à ses lèvres, j’ai à vous dire bien bas une chose qui vous intéresse. C’est que la vie et la santé de la personne qui repose ici près me sont plus précieuses que ma propre vie et que mon propre bonheur. Je sais fort bien que votre confesseur vous fait un cas de conscience de contrarier mon dévouement pour elle, et de détruire l’effet de mes soins. Sans cela, votre noble cœur n’eût jamais conçu la pensée de compromettre par des paroles amères et des reproches injustes le rétablissement d’une malade à peine hors de danger. Mais puisque le fanatisme ou la petitesse d’un prêtre peuvent faire de tels prodiges que de transformer en cruauté aveugle la piété la plus sincère et la charité la plus pure, je m’opposerai de tout mon pouvoir au crime dont ma pauvre tante consent à se faire l’instrument. Je garderai ma malade la nuit et le jour, je ne la quitterai plus d’un instant; et si malgré mon zèle on réussit à me l’enlever, je jure, par tout ce qu’il y a de plus redoutable à la croyance humaine, que je sortirai de la maison de mes pères pour n’y jamais rentrer. Je pense que quand vous aurez fait connaître ma détermination à M. le chapelain, il cessera de vous tourmenter et de combattre les généreux instincts de votre cœur maternel.»

La chanoinesse stupéfaite ne put répondre à ce discours qu’en fondant en larmes. Albert l’avait emmenée à l’extrémité de la galerie, afin que cette explication ne fût pas entendue de Consuelo. Elle se plaignit vivement du ton de révolte et de menace que son neveu prenait avec elle, et voulut profiter de l’occasion pour lui démontrer la folie de son attachement pour une personne d’aussi basse extraction que la Nina.

Ma tante, lui répondit Albert en souriant, vous oubliez que si nous sommes issus du sang royal des Podiebrad, nos ancêtres les monarques ne l’ont été que par la grâce des paysans révoltés et des soldats aventuriers. Un Podiebrad ne doit donc jamais voir dans sa glorieuse origine qu’un motif de plus pour se rapprocher du faible et du pauvre, puisque c’est là que sa force et sa puissance ont planté leurs racines, il n’y a pas si longtemps qu’il puisse déjà l’avoir oublié.»

Quand Wenceslawa raconta au chapelain cette orageuse conférence, il fut d’avis de ne pas exaspérer le jeune comte en insistant auprès de lui, et de ne pas le pousser à la révolte en tourmentant sa protégée.

C’est au comte Christian lui-même qu’il faut adresser vos représentations, dit-il. L’excès de votre tendresse a trop enhardi le fils; que la sagesse de vos remontrances éveille enfin l’inquiétude du père, afin qu’il prenne à l’égard de la dangereuse personne des mesures décisives.

– Croyez-vous donc, reprit la chanoinesse, que je ne me sois pas encore avisée de ce moyen? Mais, hélas! mon frère a vieilli de quinze ans pendant les quinze jours de la dernière disparition d’Albert. Son esprit a tellement baissé, qu’il n’est plus possible de lui faire rien comprendre à demi-mot. Il semble qu’il fasse une sorte de résistance aveugle et muette à l’idée d’un chagrin nouveau; il se réjouit comme un enfant d’avoir retrouvé son fils, et de l’entendre raisonner en apparence comme un homme sensé. Il le croit guéri radicalement, et ne s’aperçoit pas que le pauvre Albert est en proie à un nouveau genre de folie plus funeste que l’autre. La sécurité de mon frère à cet égard est si profonde, et il en jouit si naïvement, que je ne me suis pas encore senti le courage de la détruire, en lui ouvrant les yeux tout à fait sur ce qui se passe. Il me semble que cette ouverture, lui venant de vous, serait écoutée avec plus de résignation, et qu’accompagnée de vos exhortations religieuses, elle serait plus efficace et moins pénible.

– Une telle ouverture est trop délicate, répondit le chapelain, pour être abordée par un pauvre prêtre comme moi. Dans la bouche d’une sœur, elle sera beaucoup mieux placée, et votre seigneurie saura en adoucir l’amertume par les expressions d’une tendresse que je ne puis me permettre d’exprimer familièrement à l’auguste chef de la famille.»

Ces deux graves personnages perdirent plusieurs jours à se renvoyer le soin d’attacher le grelot; et pendant ces irrésolutions où la lenteur et l’apathie de leurs habitudes trouvaient bien un peu leur compte, l’amour faisait de rapides progrès dans le cœur d’Albert. La santé de Consuelo se rétablissait à vue d’œil, et rien ne venait troubler les douceurs d’une intimité que la surveillance des argus les plus farouches n’eût pu rendre plus chaste et plus réservée qu’elle ne l’était par le seul fait d’une pudeur vraie et d’un amour profond.

Cependant la baronne Amélie ne pouvant plus supporter l’humiliation de son rôle, demandait vivement à son père de la reconduire à Prague. Le baron Frédéric, qui préférait le séjour des forêts à celui des villes, lui promettait tout ce qu’elle voulait, et remettait chaque jour au lendemain la notification et les apprêts de son départ. La jeune fille vit qu’il fallait brusquer les choses, et s’avisa d’un expédient inattendu. Elle s’entendit avec sa soubrette, jeune Française, passablement fine et décidée; et un matin, au moment où son père partait pour la chasse, elle le pria de la conduire en voiture au château d’une dame de leur connaissance, à qui elle devait depuis longtemps une visite. Le baron eut bien un peu de peine à quitter son fusil et sa gibecière pour changer sa toilette et l’emploi de sa journée. Mais il se flatta que cet acte de condescendance rendrait Amélie moins exigeante; que la distraction de cette promenade emporterait sa mauvaise humeur, et l’aiderait à passer sans trop murmurer quelques jours de plus au château des Géants. Quand le brave homme avait une semaine devant lui, il croyait avoir assuré l’indépendance de toute sa vie; sa prévoyance n’allait point au-delà. Il se résigna donc à renvoyer Saphyr et Panthère au chenil; et Attila, le faucon, retourna sur son perchoir d’un air mutin et mécontent qui arracha un gros soupir à son maître.

Enfin le baron monte en voiture avec sa fille, et au bout de trois tours de roue s’endort profondément selon son habitude en pareille circonstance. Aussitôt le cocher reçoit d’Amélie l’ordre de tourner bride et de se diriger vers la poste la plus voisine. On y arrive après deux heures de marche rapide; et lorsque le baron ouvre les yeux, il voit des chevaux de poste attelés à son brancard tout prêts à l’emporter sur la route de Prague.

Eh bien, qu’est-ce? où sommes-nous? où allons-nous? Amélie, ma chère enfant, quelle distraction est la vôtre? Que signifie ce caprice, ou cette plaisanterie?»

À toutes les questions de son père la jeune baronne ne répondait que par des éclats de rire et des caresses enfantines. Enfin, quand elle vit le postillon à cheval et la voiture rouler légèrement sur le sable de la grande route, elle prit un air sérieux, et d’un ton fort décidé elle parla ainsi:

 

Cher papa, ne vous inquiétez de rien. Tous nos paquets ont été fort bien faits. Les coffres de la voiture sont remplis de tous les effets nécessaires au voyage. Il ne reste au château des Géants que vos armes et vos bêtes, dont vous n’avez que faire à Prague, et que d’ailleurs on vous renverra dès que vous les redemanderez. Une lettre sera remise à mon oncle Christian, à l’heure de son déjeuner. Elle est tournée de manière à lui faire comprendre la nécessité de notre départ, sans l’affliger trop, et sans le fâcher contre vous ni contre moi. Maintenant je vous demande humblement pardon de vous avoir trompé; mais il y avait près d’un mois que vous aviez consenti à ce que j’exécute en cet instant. Je ne contrarie donc pas vos volontés en retournant à Prague dans un moment où vous n’y songiez pas précisément, mais où vous êtes enchanté, je gage, d’être délivré de tous les ennuis qu’entraînent la dissolution et les préparatifs d’un déplacement. Ma position devenait intolérable, et vous ne vous en aperceviez pas. Voilà mon excuse et ma justification. Daignez m’embrasser et ne pas me regarder avec ces yeux courroucés qui me font peur.»

En parlant ainsi, Amélie étouffait, ainsi que sa suivante, une forte envie de rire; car jamais le baron n’avait eu un regard de colère pour qui que ce fût, à plus forte raison pour sa fille chérie. Il roulait en ce moment de gros yeux effarés et, il faut l’avouer, un peu hébétés par la surprise. S’il éprouvait quelque contrariété de se voir jouer de la sorte, et un chagrin réel de quitter son frère et sa sœur aussi brusquement, sans leur avoir dit adieu, il était si émerveillé de ce qui arrivait, que son mécontentement se changeait en admiration, et il ne pouvait que dire:

Mais comment avez-vous fait pour arranger tout cela sans que j’en aie eu le moindre soupçon? Pardieu, j’étais loin de croire, en ôtant mes bottes et en faisant rentrer mon cheval, que je partais pour Prague, et que je ne dînerais pas ce soir avec mon frère! Voilà une singulière aventure, et personne ne voudra me croire quand je la raconterai… Mais où avez-vous mis mon bonnet de voyage, Amélie, et comment voulez-vous que je dorme dans la voiture avec ce chapeau galonné sur les oreilles?

– Votre bonnet? le voici, cher papa, dit la jeune espiègle en lui présentant sa toque fourrée, qu’il mit à l’instant sur son chef avec une naïve satisfaction.

– Mais ma bouteille de voyage? vous l’avez oubliée certainement, méchante petite fille?

– Oh! certainement non, s’écria-t-elle en lui présentant un large flacon de cristal, garni de cuir de Russie, et monté en argent; je l’ai remplie moi-même du meilleur vin de Hongrie qui soit dans la cave de ma tante. Goûtez plutôt, c’est celui que vous préférez.

– Et ma pipe? et mon sac de tabac turc?

– Rien ne manque, dit la soubrette. Monsieur le baron trouvera tout dans les poches de la voiture; nous n’avons rien oublié, rien négligé pour qu’il fit le voyage agréablement.

– À la bonne heure!, dit le baron en chargeant sa pipe; ce n’en est pas moins une grande scélératesse que vous faites là, ma chère Amélie. Vous rendez votre père ridicule, et vous êtes cause que tout le monde va se moquer de moi.

– Cher papa, répondit Amélie, c’est moi qui suis bien ridicule aux yeux du monde, quand je parais m’obstiner à épouser un aimable cousin qui ne daigne pas me regarder, et qui, sous mes yeux, fait une cour assidue à ma maîtresse de musique. Il y a assez longtemps que je subis cette humiliation, et je ne sais trop s’il est beaucoup de filles de mon rang, de mon air et de mon âge, qui n’en eussent pas pris un dépit plus sérieux. Ce que je sais fort bien, c’est qu’il y a des filles qui s’ennuient moins que je ne le fais depuis dix-huit mois, et qui, pour en finir, prennent la fuite ou se font enlever. Moi, je me contente de fuir en enlevant mon père. C’est plus nouveau et plus honnête: qu’en pense mon cher papa?

– Tu as le diable au corps!» répondit le baron en embrassant sa fille; et il fit le reste du voyage fort gaiement, buvant, fumant et dormant tour à tour, sans se plaindre et sans s’étonner davantage.

Cet événement ne produisit pas autant d’effet dans la famille que la petite baronne s’en était flattée. Pour commencer par le comte Albert, il eût pu passer une semaine sans y prendre garde; et lorsque la chanoinesse le lui annonça, il se contenta de dire:

Voici la seule chose spirituelle que la spirituelle Amélie ait su faire depuis qu’elle a mis le pied ici. Quant à mon bon oncle, j’espère qu’il ne sera pas longtemps sans nous revenir.

– Moi, je regrette mon frère, dit le vieux Christian, parce qu’à mon âge on compte par semaines et par jours. Ce qui ne vous paraît pas longtemps, Albert, peut être pour moi l’éternité, et je ne suis pas aussi sûr que vous de revoir mon pacifique et insouciant Frédéric. Allons! Amélie l’a voulu, ajouta-t-il en repliant et jetant de côté avec un sourire la lettre singulièrement cajoleuse et méchante que la jeune baronne lui avait laissée: rancune de femme ne pardonne pas. Vous n’étiez pas nés l’un pour l’autre, mes enfants, et mes doux rêves se sont envolés!»

En parlant ainsi, le vieux comte regardait son fils avec une sorte d’enjouement mélancolique, comme pour surprendre quelque trace de regret dans ses yeux. Mais il n’en trouva aucune; et Albert, en lui pressant le bras avec tendresse, lui fit comprendre qu’il le remerciait de renoncer à des projets si contraires à son inclination.

Que ta volonté soit faite, mon Dieu, reprit le vieillard, et que ton cœur soit libre, mon fils! Tu te portes bien, tu parais calme et heureux désormais parmi nous. Je mourrai consolé, et la reconnaissance de ton père te portera bonheur après notre séparation.

– Ne parlez pas de séparation, mon père! s’écria le jeune comte, dont les yeux se remplirent subitement de larmes. Je n’ai pas la force de supporter cette idée.»

La chanoinesse, qui commençait à s’attendrir, fut aiguillonnée en cet instant par un regard du chapelain, qui se leva et sortit du salon avec une discrétion affectée.

C’était lui donner l’ordre et le signal. Elle pensa, non sans douleur et sans effroi, que le moment était venu de parler; et, fermant les yeux comme une personne qui se jette par la fenêtre pour échapper à l’incendie, elle commença ainsi en balbutiant et en devenant plus pâle que de coutume:

Certainement Albert chérit tendrement son père, et il ne voudrait pas lui causer un chagrin mortel…»

Albert leva la tête, et regarda sa tante avec des yeux si clairs et si pénétrants, qu’elle fut toute décontenancée, et n’en put dire davantage. Le vieux comte parut ne pas avoir entendu cette réflexion bizarre, et, dans le silence qui suivit, la pauvre Wenceslawa resta tremblante sous le regard de son neveu, comme la perdrix sous l’arrêt du chien qui la fascine et l’enchaîne.

Mais le comte Christian, sortant de sa rêverie au bout de quelques instants, répondit à sa sœur comme si elle eût continué de parler, ou comme s’il eût pu lire dans son esprit les révélations qu’elle voulait lui faire.

Chère sœur, dit-il, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de ne pas vous tourmenter de choses auxquelles vous n’entendez rien. Vous n’avez su de votre vie ce que c’était qu’une inclination de cœur, et l’austérité d’une chanoinesse n’est pas la règle qui convient à un jeune homme.

– Dieu vivant! murmura la chanoinesse bouleversée, ou mon frère ne veut pas me comprendre, ou sa raison et sa piété l’abandonnent. Serait-il possible qu’il voulût encourager par sa faiblesse ou traiter légèrement…

– Quoi? ma tante, dit Albert d’un ton ferme et avec une physionomie sévère. Parlez, puisque vous êtes condamnée à le faire. Formulez clairement votre pensée. Il faut que cette contrainte finisse, et que nous nous connaissions les uns les autres.

– Non, ma sœur, ne parlez pas, répondit le comte Christian; vous n’avez rien de neuf à me dire. Il y a longtemps que je vous entends à merveille sans en avoir l’air. Le moment n’est pas venu de s’expliquer sur ce sujet. Quand il en sera temps, je sais ce que j’aurai à faire.»

Il affecta aussitôt de parler d’autre chose, et laissa la chanoinesse consternée, Albert incertain et troublé.

Quand le chapelain sut de quelle manière le chef de la famille avait reçu l’avis indirect qu’il lui avait fait donner, il fut saisi de crainte. Le comte Christian, sous un air d’indolence et d’irrésolution, n’avait jamais été un homme faible. Parfois on l’avait vu sortir d’une sorte de somnolence par des actes de sagesse et d’énergie. Le prêtre eut peur d’avoir été trop loin et d’être réprimandé. Il s’attacha donc à détruire son ouvrage au plus vite, et à persuader à la chanoinesse de ne plus se mêler de rien. Quinze jours s’écoulèrent de la manière la plus paisible, sans que rien pût faire pressentir à Consuelo qu’elle était un sujet de trouble dans la famille. Albert continua ses soins assidus auprès d’elle, et lui annonça le départ d’Amélie comme une absence passagère dont il ne lui fit pas soupçonner le motif. Elle commença à sortir de sa chambre; et la première fois qu’elle se promena dans le jardin, le vieux Christian soutint de son bras faible et tremblant les pas chancelants de la convalescente.

LI. Ce fut un bien beau jour pour Albert que celui où il vit sa Consuelo reprendre à la vie…

Ce fut un bien beau jour pour Albert que celui où il vit sa Consuelo reprendre à la vie, appuyée sur le bras de son vieux père, et lui tendre la main en présence de sa famille, en disant avec un sourire ineffable:

Voici celui qui m’a sauvée, et qui m’a soignée comme si j’étais sa sœur.»

Mais ce jour, qui fut l’apogée de son bonheur, changea tout à coup, et plus qu’il ne l’avait voulu prévoir, ses relations avec Consuelo. Désormais associée aux occupations et rendue aux habitudes de la famille, elle ne se trouva plus que rarement seule avec lui. Le vieux comte, qui paraissait avoir pris pour elle une prédilection plus vive qu’avant sa maladie, l’entourait de ses soins avec une sorte de galanterie paternelle dont elle se sentait profondément touchée. La chanoinesse, qui ne disait plus rien, ne s’en faisait pas moins un devoir de veiller sur tous ses pas, et de venir se mettre en tiers dans tous ses entretiens avec Albert. Enfin, comme celui-ci ne donnait plus aucun signe d’aliénation mentale, on se livra au plaisir de recevoir et même d’attirer les parents et les voisins, longtemps négligés. On mit une sorte d’ostentation naïve et tendre à leur montrer combien le jeune comte de Rudolstadt était redevenu sociable et gracieux; et Consuelo paraissant exiger de lui, par ses regards et son exemple, qu’il remplit le vœu de ses parents, il lui fallut bien reprendre les manières d’un homme du monde et d’un châtelain hospitalier.

Cette rapide transformation lui coûta extrêmement. Il s’y résigna pour obéir à celle qu’il aimait. Mais il eût voulu en être récompensé par des entretiens plus longs et des épanchements plus complets. Il supportait patiemment des journées de contrainte et d’ennui, pour obtenir d’elle le soir un mot d’approbation et de remerciement. Mais, quand la chanoinesse venait, comme un spectre importun, se placer entre eux, et lui arracher cette pure jouissance, il sentait son âme s’aigrir et sa force l’abandonner. Il passait des nuits cruelles, et souvent il approchait de la citerne, qui n’avait pas cessé d’être pleine et limpide depuis le jour où il l’avait remontée portant Consuelo dans ses bras. Plongé dans une morne rêverie, il maudissait presque le serment qu’il avait fait de ne plus retourner à son ermitage. Il s’effrayait de se sentir malheureux, et de ne pouvoir ensevelir le secret de sa douleur dans les entrailles de la terre.

L’altération de ses traits, après ces insomnies, le retour passager, mais de plus en plus fréquent, de son air sombre et distrait, ne pouvaient manquer de frapper ses parents et son amie. Mais celle-ci avait trouvé le moyen de dissiper ces nuages, et de reprendre son empire chaque fois qu’elle était menacée de le perdre. Elle se mettait à chanter; et aussitôt le jeune comte, charmé ou subjugué, se soulageait par des pleurs, ou s’animait d’un nouvel enthousiasme. Ce remède était infaillible, et, quand il pouvait lui dire quelques mots à la dérobée:

Consuelo, s’écriait-il, tu connais le chemin de mon âme. Tu possèdes la puissance refusée au vulgaire, et tu la possèdes plus qu’aucun être vivant en ce monde. Tu parles le langage divin, tu sais exprimer les sentiments les plus sublimes, et communiquer les émotions puissantes de ton âme inspirée. Chante donc toujours quand tu me vois succomber. Les paroles que tu prononces dans tes chants ont peu de sens pour moi; elles ne sont qu’un thème abrégé, une indication incomplète, sur lesquels la pensée musicale s’exerce et se développe. Je les écoute à peine; ce que j’entends, ce qui pénètre au fond de mon cœur, c’est ta voix, c’est ton accent, c’est ton inspiration. La musique dit tout ce que l’âme rêve et pressent de plus mystérieux et de plus élevé. C’est la manifestation d’un ordre d’idées et de sentiments supérieurs à ce que la parole humaine pourrait exprimer. C’est la révélation de l’infini; et, quand tu chantes, je n’appartiens plus à l’humanité que par ce que l’humanité a puisé de divin et d’éternel dans le sein du Créateur. Tout ce que ta bouche me refuse de consolation et d’encouragement dans le cours ordinaire de la vie, tout ce que la tyrannie sociale défend à ton cœur de me révéler, tes chants me le rendent au centuple. Tu me communiques alors tout ton être, et mon âme te possède dans la joie et dans la douleur, dans la foi et dans la crainte, dans le transport de l’enthousiasme et dans les langueurs de la rêverie.»

 

Quelquefois Albert disait ces choses à Consuelo en espagnol, en présence de sa famille. Mais la contrariété évidente que donnaient à la chanoinesse ces sortes d’à-parte, et le sentiment de la convenance, empêchaient la jeune fille d’y répondre. Un jour enfin elle se trouva seule avec lui au jardin, et comme il lui parlait encore du bonheur qu’il éprouvait à l’entendre chanter:

Puisque la musique est un langage plus complet et plus persuasif que la parole, lui dit-elle, pourquoi ne le parlez-vous jamais avec moi, vous qui le connaissez peut-être encore mieux?

– Que voulez-vous dire, Consuelo? s’écria le jeune comte frappé de surprise. Je ne suis musicien qu’en vous écoutant.

– Ne cherchez pas à me tromper, reprit-elle: je n’ai jamais entendu tirer d’un violon une voix divinement humaine qu’une seule fois dans ma vie, et c’était par vous, Albert; c’était dans la grotte du Schreckenstein. Je vous ai entendu ce jour-là, avant que vous m’ayez vue. J’ai surpris votre secret; il faut que vous me le pardonniez, et que vous me fassiez entendre encore cet admirable chant, dont j’ai retenu quelques phrases, et qui m’a révélé des beautés inconnues dans la musique.»

Consuelo essaya à demi-voix ces phrases, dont elle se souvenait confusément et qu’Albert reconnut aussitôt.

C’est un cantique populaire sur des paroles hussitiques, lui dit-il. Les vers sont de mon ancêtre Hyncko Podiebrad, le fils du roi Georges, et l’un des poètes de la patrie. Nous avons une foule de poésies admirables de Streye, de Simon Lomnicky, et de plusieurs autres, qui ont été mis à l’index par la police impériale. Ces chants religieux et nationaux, mis en musique par les génies inconnus de la Bohême, ne se sont pas tous conservés dans la mémoire des Bohémiens. Le peuple en a retenu quelques-uns, et Zdenko, qui est doué d’une mémoire et d’un sentiment musical extraordinaires, en sait par tradition un assez grand nombre que j’ai recueillis et notés. Ils sont bien beaux, et vous aurez du plaisir à les connaître. Mais je ne pourrai vous les faire entendre que dans mon ermitage. C’est là qu’est mon violon et toute ma musique. J’ai des recueils manuscrits fort précieux des vieux auteurs catholiques et protestants. Je gage que vous ne connaissez ni Josquin, dont Luther nous a transmis plusieurs thèmes dans ses chorals, ni Claude le jeune, ni Arcadelt, ni George Rhaw, ni Benoît Ducis, ni Jean de Weiss. Cette curieuse exploration ne vous engagera-t-elle pas, chère Consuelo, à venir revoir ma grotte, dont je suis exilé depuis si longtemps, et visiter mon église, que vous ne connaissez pas encore non plus?»

Cette proposition, tout en piquant la curiosité de la jeune artiste, fut écoutée en tremblant. Cette affreuse grotte lui rappelait des souvenirs qu’elle ne pouvait se retracer sans frissonner, et l’idée d’y retourner seule avec Albert, malgré toute la confiance qu’elle avait prise en lui, lui causa une émotion pénible dont il s’aperçut bien vite.

Vous avez de la répugnance pour ce pèlerinage, que vous m’aviez pourtant promis de renouveler; n’en parlons plus, dit-il. Fidèle à mon serment, je ne le ferai pas sans vous.

– Vous me rappelez le mien, Albert, reprit-elle; je le tiendrai dès que vous l’exigerez. Mais, mon cher docteur, vous devez songer que je n’ai pas encore la force nécessaire. Ne voudrez-vous donc pas auparavant me faire voir cette musique curieuse, et entendre cet admirable artiste qui joue du violon beaucoup mieux que je ne chante?

– Je ne sais pas si vous raillez, chère sœur; mais je sais bien que vous ne m’entendrez pas ailleurs que dans ma grotte. C’est là que j’ai essayé de faire parler selon mon cœur cet instrument dont j’ignorais le sens, après avoir eu pendant plusieurs années un professeur brillant et frivole, chèrement payé par mon père. C’est là que j’ai compris ce que c’est que la musique, et quelle sacrilège dérision une grande partie des hommes y a substituée. Quant à moi, j’avoue qu’il me serait impossible de tirer un son de mon violon, si je n’étais prosterné en esprit devant la Divinité. Même si je vous voyais froide à mes côtés, attentive seulement à la forme des morceaux que je joue, et curieuse d’examiner le plus ou moins de talent que je puis avoir, je jouerais si mal que je doute que vous pussiez m’écouter. Je n’ai jamais, depuis que je sais un peu m’en servir, touché cet instrument, consacré pour moi à la louange du Seigneur ou au cri de ma prière ardente, sans me sentir transporté dans le monde idéal, et sans obéir au souffle d’une sorte d’inspiration mystérieuse que je ne puis appeler à mon gré, et qui me quitte sans que j’aie aucun moyen de la soumettre et de la fixer. Demandez-moi la plus simple phrase quand je suis de sang-froid, et, malgré le désir que j’aurai de vous complaire, ma mémoire me trahira, mes doigts deviendront aussi incertains que ceux d’un enfant qui essaie ses premières notes.

– Je ne suis pas indigne, répondit Consuelo attentive et pénétrée, de comprendre votre manière d’envisager la musique. J’espère bien pouvoir m’associer à votre prière avec une âme assez recueillie et assez fervente pour que ma présence ne refroidisse pas votre inspiration. Ah! pourquoi mon maître Porpora ne peut-il entendre ce que vous dites sur l’art sacré, mon cher Albert! il serait à vos genoux. Et pourtant ce grand artiste lui-même ne pousse pas la rigidité aussi loin que vous, et il croit que le chanteur et le virtuose doivent puiser le souffle qui les anime dans la sympathie et l’admiration de l’auditoire qui les écoute.

– C’est peut-être que le Porpora, quoi qu’il en dise, confond en musique le sentiment religieux avec la pensée humaine; c’est peut-être aussi qu’il entend la musique sacrée en catholique; et si j’étais à son point de vue, je raisonnerais comme lui. Si j’étais en communion de foi et de sympathie avec un peuple professant un culte qui serait le mien, je chercherais, dans le contact de ces âmes animées du même sentiment religieux que moi, une inspiration que jusqu’ici j’ai été forcé de chercher dans la solitude, et que par conséquent j’ai imparfaitement rencontrée. Si j’ai jamais le bonheur d’unir, dans une prière selon mon cœur, ta voix divine, Consuelo, aux accents de mon violon, sans aucun doute je m’élèverai plus haut que je n’ai jamais fait, et ma prière sera plus digne de la Divinité. Mais n’oublie pas, chère enfant, que jusqu’ici mes croyances ont été abominables à tous les êtres qui m’environnent; ceux qu’elles n’auraient pas scandalisés en auraient fait un sujet de moquerie. Voilà pourquoi j’ai caché, comme un secret entre Dieu, le pauvre Zdenko, et moi, le faible don que je possède. Mon père aime la musique, et voudrait que cet instrument, aussi sacré pour moi que les cistres des mystères d’Éleusis, servît à son amusement. Que deviendrais-je, grand Dieu! s’il me fallait accompagner une cavatine à Amélie, et que deviendrait mon père si je lui jouais un de ces vieux airs hussitiques qui ont mené tant de Bohémiens aux mines ou au supplice, ou un cantique plus moderne de nos pères luthériens, dont il rougit de descendre? Hélas! Consuelo, je ne sais guère de choses plus nouvelles. Il en existe sans doute, et d’admirables. Ce que vous m’apprenez de Haendel et des autres grands maîtres dont vous êtes nourrie me paraît supérieur, à beaucoup d’égards, à ce que j’ai à vous enseigner à mon tour. Mais, pour connaître et apprendre cette musique, il eût fallu me mettre en relation avec un nouveau monde musical; et c’est avec vous seule que je pourrai me résoudre à y entrer, pour y chercher les trésors longtemps ignorés ou dédaignés que vous allez verser sur moi à pleines mains.

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