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Consuelo

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XXXVIII. Consuelo, après avoir reçu les remerciements et le baiser que la bonne Wenceslawa…

Consuelo, après avoir reçu les remerciements et le baiser que la bonne Wenceslawa, toute triste, lui donna au front, reprit le chemin de sa chambre avec précaution, pour ne point réveiller Amélie, à qui on avait caché l’entreprise. Elle demeurait au premier étage, tandis que la chambre de la chanoinesse était au rez-de-chaussée. Mais en montant l’escalier, elle laissa tomber son flambeau, qui s’éteignit avant qu’elle eût pu le ramasser. Elle pensa pouvoir s’en passer pour retrouver son chemin, d’autant plus que le jour commençait à poindre; mais, soit que son esprit fût préoccupé étrangement, soit que son courage, après un effort au-dessus de son sexe, vînt à l’abandonner tout à coup, elle se troubla au point que, parvenue à l’étage qu’elle habitait, elle ne s’y arrêta pas, continua de monter jusqu’à l’étage supérieur, et entra dans le corridor qui conduisait à la chambre d’Albert, située presque au-dessus de la sienne; mais elle s’arrêta glacée d’effroi à l’entrée de cette galerie, en voyant une ombre grêle et noire se dessiner devant elle, glisser comme si ses pieds n’eussent pas touché le carreau, et entrer dans cette chambre vers laquelle Consuelo se dirigeait, pensant que c’était la sienne. Elle eut, au milieu de sa frayeur, assez de présence d’esprit pour examiner cette figure, et pour voir rapidement dans le vague du crépuscule qu’elle avait la forme et l’accoutrement de Zdenko. Mais qu’allait-il faire dans la chambre de Consuelo à une pareille heure, et de quel message était-il chargé pour elle? Elle ne se sentit point disposée à affronter ce tête-à-tête, et redescendit pour chercher la chanoinesse. Ce fut après avoir descendu un étage qu’elle reconnut son corridor, la porte de sa chambre, et s’aperçut que c’était dans celle d’Albert qu’elle venait de voir entrer Zdenko.

Alors mille conjectures se présentèrent à son esprit redevenu calme et attentif. Comment l’idiot pouvait-il pénétrer la nuit dans ce château si bien fermé, si bien examiné chaque soir par la chanoinesse et les domestiques? Cette apparition de Zdenko la confirmait dans l’idée qu’elle avait toujours eue que le château avait une secrète issue et peut-être une communication souterraine avec le Schreckenstein. Elle courut frapper à la porte de la chanoinesse, qui déjà s’était barricadée dans son austère cellule, et qui fit un grand cri en la voyant paraître sans lumière et un peu pâle.

Tranquillisez-vous, chère madame, lui dit la jeune fille; c’est un nouvel événement assez bizarre, mais qui n’a rien d’effrayant: je viens de voir Zdenko entrer dans la chambre du comte Albert.

– Zdenko! mais vous rêvez, ma chère enfant; par où serait-il entré? J’ai fermé toutes les portes avec le même soin qu’à l’ordinaire, et pendant tout le temps de votre course au Schreckenstein, je n’ai pas cessé de faire bonne garde; le pont a été levé, et quand vous l’avez passé pour rentrer, je suis restée la dernière pour le faire relever.

– Quoi qu’il en soit, madame, Zdenko est dans la chambre du comte Albert. Il ne tient qu’à vous de venir vous en convaincre.

– J’y vais sur-le-champ, répondit la chanoinesse, et l’en chasser comme il le mérite. Il faut que ce misérable y soit entré pendant le jour. Mais quels desseins l’amènent ici? Sans doute il cherche Albert, ou il vient l’attendre; preuve, ma pauvre enfant, qu’il ne sait pas plus que nous où il est!

– Eh bien, allons toujours l’interroger, dit Consuelo.

– Un instant, un instant! dit la chanoinesse qui, au moment de se mettre au lit, avait ôté deux de ses jupes, et qui se croyait trop légèrement vêtue, n’en ayant plus que trois; je ne puis pas me présenter ainsi devant un homme, ma chère. Allez chercher le chapelain ou mon frère le baron, le premier que vous rencontrerez… Nous ne pouvons nous exposer seules vis-à-vis de cet homme en démence… Mais j’y songe! une jeune personne comme vous, ne peut aller frapper à la porte de ces messieurs… Allons, allons, je me dépêche; dans un petit instant je serai prête.»

Et elle se mit à refaire sa toilette avec d’autant plus de lenteur qu’elle voulait se dépêcher davantage, et que, dérangée dans ses habitudes régulières comme elle ne l’avait pas été depuis longtemps, elle avait tout à fait perdu la tête. Consuelo, impatiente d’un retard pendant lequel Zdenko pouvait sortir de la chambre d’Albert et se cacher dans le château sans qu’il fût possible de l’y découvrir, retrouva toute son énergie.

Chère madame, dit-elle en allumant un flambeau, occupez-vous d’appeler ces messieurs; moi, je vais voir si Zdenko ne nous échappe pas.»

Elle monta précipitamment les deux étages, et ouvrit d’une main courageuse la porte d’Albert qui céda sans résistance; mais elle trouva la chambre déserte. Elle pénétra dans un cabinet voisin, souleva tous les rideaux, se hasarda même à regarder sous le lit et derrière tous les meubles. Zdenko n’y était plus, et n’y avait laissé aucune trace de son entrée.

Plus personne!» dit-elle à la chanoinesse qui venait clopin-clopant, accompagnée de Hanz et du chapelain: le baron était déjà couché et endormi; il avait été impossible de le réveiller.

Je commence à craindre, dit le chapelain un peu mécontent de la nouvelle alerte qu’on venait de lui donner, que la signora Porporina ne soit la dupe de ses propres illusions…

– Non, monsieur le chapelain, répondit vivement Consuelo, personne ici n’en a moins que moi.

– Et personne n’a plus de force et de dévouement, c’est la vérité, reprit le bonhomme; mais dans votre ardente espérance, vous croyez, signora, voir des indices où il n’y en a malheureusement point.

– Mon père, dit la chanoinesse, la Porporina est brave comme un lion, et sage comme un docteur. Si elle a vu Zdenko, Zdenko est venu ici. Il faut le chercher dans toute la maison; et comme tout est bien fermé, Dieu merci, il ne peut nous échapper.»

On réveilla les autres domestiques, et on chercha de tous côtés. Il n’y eut pas une armoire qui ne fût ouverte, un meuble qui ne fût dérangé. On remua jusqu’au fourrage des immenses greniers. Hanz eut la naïveté do chercher jusque dans les larges bottes du baron. Zdenko ne s’y trouva pas plus qu’ailleurs. On commença à croire que Consuelo avait rêvé; mais elle demeura plus persuadée que jamais qu’il fallait trouver l’issue mystérieuse du château, et elle résolut de porter à cette découverte toute la persévérance de sa volonté. À peine eut-elle pris quelques heures de repos qu’elle commença son examen. Le bâtiment qu’elle habitait (le même où se trouvait l’appartement d’Albert) était appuyé et comme adossé à la colline. Albert lui-même avait choisi et fait arranger son logement dans cette situation pittoresque qui lui permettait de jouir d’un beau point de vue vers le sud, et d’avoir du côté du levant un joli petit parterre en terrasse, de plain-pied avec son cabinet de travail. Il avait le goût des fleurs, et en cultivait d’assez rares sur ce carré de terres rapportées au sommet stérile de l’éminence. La terrasse était entourée d’un mur à hauteur d’appui, en larges pierres de taille, assis sur des rocs escarpés, et de ce belvédère fleuri on dominait le précipice de l’autre versant et une partie du vaste horizon dentelé du Bœhmerwald. Consuelo, qui n’avait pas encore pénétré dans ce lieu, en admira la belle position et l’arrangement pittoresque; puis elle se fit expliquer par le chapelain à quel usage était destinée cette terrasse avant que le château eût été transformé, de forteresse, en résidence seigneuriale.

C’était, lui dit-il, un ancien bastion, une sorte de terrasse fortifiée, d’où la garnison pouvait observer les mouvements des troupes dans la vallée et sur les flancs des montagnes environnantes. Il n’est point de brèche offrant un passage qu’on ne puisse découvrir d’ici. Autrefois une haute muraille, avec des jours pratiqués de tous côtés, environnait cette plate-forme, et défendait les occupants contre les flèches ou les balles de l’ennemi.

– Et qu’est-ce que ceci? demanda Consuelo en s’approchant d’une citerne située au centre du parterre, et dans laquelle on descendait par un petit escalier rapide et tournant.

– C’est une citerne qui fournissait toujours et en abondance une eau de roche excellente aux assiégés; ressource inappréciable pour un château fort!

– Cette eau est donc bonne à boire? dit Consuelo en examinant l’eau verdâtre et mousseuse de la citerne. Elle me paraît bien trouble.

– Elle n’est plus bonne maintenant, ou du moins elle ne l’est pas toujours, et le comte Albert n’en fait usage que pour arroser ses fleurs. Il faut vous dire qu’il se passe depuis deux ans dans cette fontaine un phénomène bien extraordinaire. La source, car c’en est une, dont le jaillissement est plus ou moins voisin dans le cœur de la montagne, est devenue intermittente. Pendant des semaines entières le niveau s’abaisse extraordinairement, et le comte Albert fait monter, par Zdenko, de l’eau du puits de la grande cour pour arroser ses plantes chéries. Et puis, tout à coup, dans l’espace d’une nuit, et quelquefois même d’une heure, cette citerne se remplit d’une eau tiède, trouble comme vous la voyez. Quelquefois elle se vide rapidement; d’autres fois l’eau séjourne assez longtemps et s’épure peu à peu, jusqu’à devenir froide et limpide comme du cristal de roche. Il faut qu’il se soit passé cette nuit un phénomène de ce genre; car, hier encore, j’ai vu la citerne claire et bien pleine, et je la vois en ce moment trouble comme si elle eût été vidée et remplie de nouveau.

– Ces phénomènes n’ont donc pas un cours régulier?

– Nullement, et je les aurais examinés avec soin, si le comte Albert, qui défend l’entrée de ses appartements et de son parterre avec l’espèce de sauvagerie qu’il porte en toutes choses, ne m’eût interdit cet amusement. J’ai pensé, et je pense encore, que le fond de la citerne est encombré de mousses et de plantes pariétaires qui bouchent par moments l’accès à l’eau souterraine, et qui cèdent ensuite à l’effort du jaillissement.

 

– Mais comment expliquez-vous la disparition subite de l’eau en d’autres moments?

– À la grande quantité que le comte en consomme pour arroser ses fleurs.

– Il faudrait bien des bras, ce me semble, pour vider cette fontaine. Elle n’est donc pas profonde?

– Pas profonde? Il est impossible d’en trouver le fond!

– En ce cas, votre explication n’est pas satisfaisante, dit Consuelo, frappée de la stupidité du chapelain.

– Cherchez-en une meilleure, reprit-il un peu confus et un peu piqué de son manque de sagacité.

– Certainement, j’en trouverai une meilleure, pensa Consuelo vivement préoccupée des caprices de la fontaine.

– Oh! si vous demandiez au comte Albert ce que cela signifie, reprit le chapelain qui aurait bien voulu faire un peu l’esprit fort pour reprendre sa supériorité aux yeux de la clairvoyante étrangère, il vous dirait que ce sont les larmes de sa mère qui se tarissent et se renouvellent dans le sein de la montagne. Le fameux Zdenko, auquel vous supposez tant de pénétration, vous jurerait qu’il y a là dedans une sirène qui chante fort agréablement à ceux qui ont des oreilles pour l’entendre. À eux deux ils ont baptisé ce puits la source des Pleurs. Cela peut être fort poétique, et il ne tient qu’à ceux qui aiment les fables païennes de s’en contenter.»

Je ne m’en contenterai pas, pensa Consuelo, et je saurai comment ces pleurs se tarissent.»

Quant à moi, poursuivit le chapelain, j’ai bien pensé qu’il y avait une perte d’eau dans un autre coin de la citerne…

– Il me semble que sans cela, reprit Consuelo, la citerne, étant le produit d’une source, aurait toujours débordé.

– Sans doute, sans doute, reprit le chapelain, ne voulant pas avoir l’air de s’aviser de cela pour la première fois; il ne faut pas venir de bien loin pour découvrir une chose aussi simple! Mais il faut bien qu’il y ait un dérangement notoire dans les canaux naturels de l’eau, puisqu’elle ne garde plus le nivellement régulier qu’elle avait naguère.

– Sont-ce des canaux naturels, ou des aqueducs faits de main d’homme? demanda l’opiniâtre Consuelo: voilà ce qu’il importerait de savoir.

– Voilà ce dont personne ne peut s’assurer, répondit le chapelain, puisque le comte Albert ne veut point qu’on touche à sa chère fontaine, et a défendu positivement qu’on essayât de la nettoyer.

– J’en étais sûre! dit Consuelo en s’éloignant; et je pense qu’on fera bien de respecter sa volonté, car Dieu sait quel malheur pourrait lui arriver, si on se mêlait de contrarier sa sirène!»

Il devient à peu près certain pour moi, se dit le chapelain en quittant Consuelo, que cette jeune personne n’a pas l’esprit moins dérangé que monsieur le comte. La folie serait-elle contagieuse? Ou bien maître Porpora nous l’aurait-il envoyée pour que l’air de la campagne lui rafraîchît le cerveau? À voir l’obstination avec laquelle elle se faisait expliquer le mystère de cette citerne, j’aurais gagé qu’elle était fille de quelque ingénieur des canaux de Venise, et qu’elle voulait se donner des airs entendus dans la partie; mais je vois bien à ses dernières paroles, ainsi qu’à l’hallucination qu’elle a eue à propos de Zdenko ce matin, et à la promenade qu’elle nous a fait faire cette nuit au Schreckenstein, que c’est une fantaisie du même genre. Ne s’imagine-t-elle pas retrouver le comte Albert au fond de ce puits! Malheureux jeunes gens! que n’y pouvez-vous retrouver la raison et la vérité!»

Là-dessus, le bon chapelain alla dire son bréviaire en attendant le dîner.

Il faut, pensait Consuelo de son côté, que l’oisiveté et l’apathie engendrent une singulière faiblesse d’esprit, pour que ce saint homme, qui a lu et appris tant de choses, n’ait pas le moindre soupçon de ce qui me préoccupe à propos de cette fontaine. Ô mon Dieu, je vous en demande pardon, mais voilà un de vos ministres qui fait bien peu d’usage de son raisonnement! Et ils disent que Zdenko est imbécile!»

Là-dessus, Consuelo alla donner à la jeune baronne une leçon de solfège, en attendant qu’elle pût recommencer ses perquisitions.

XXXIX. Avez-vous jamais assisté au décroissement de l’eau…

Avez-vous jamais assisté au décroissement de l’eau, et l’avez-vous quelquefois observée quand elle remonte? demanda-t-elle tout bas dans la soirée au chapelain, qui était fort en train de digérer.

– Quoi! qu’y a-t-il? s’écria-t-il en bondissant sur sa chaise, et en roulant de gros yeux ronds.

– Je vous parle de la citerne, reprit-elle sans se déconcerter; avez-vous observé par vous-même la production du phénomène?

– Ah! bien, oui, la citerne; j’y suis, répondit-il avec un sourire de pitié. Voilà, pensa-t-il, sa folie qui la reprend.

– Mais, répondez-moi donc, mon bon chapelain, dit Consuelo, qui poursuivait sa méditation avec l’espèce d’acharnement qu’elle portait dans toutes ses occupations mentales, et qui n’avait aucune intention malicieuse envers le digne homme.

– Je vous avouerai, mademoiselle, répondit-il d’un ton très froid, que je ne me suis jamais trouvé à même d’observer ce que vous me demandez; et je vous déclare que je ne me suis jamais tourmenté au point d’en perdre le sommeil.

– Oh! j’en suis bien certaine», reprit Consuelo impatientée.

Le chapelain haussa les épaules, et se leva péniblement de son siège, pour échapper à cette ardeur d’investigation.

Eh bien, puisque personne ici ne veut perdre une heure de sommeil pour une découverte aussi importante, j’y consacrerai ma nuit entière, s’il le faut», pensa Consuelo.

Et, en attendant l’heure de la retraite, elle alla, enveloppée de son manteau, faire un tour de jardin.

La nuit était froide et brillante; les brouillards s’étaient dissipés à mesure que la lune, alors pleine, avait monté dans l’empyrée. Les étoiles pâlissaient à son approche; l’air était sec et sonore. Consuelo, irritée et non brisée par la fatigue, l’insomnie, et la perplexité généreuse, mais peut-être un peu maladive, de son esprit, sentait quelque mouvement de fièvre, que la fraîcheur du soir ne pouvait calmer. Il lui semblait toucher au terme de son entreprise. Un pressentiment romanesque, qu’elle prenait pour un ordre et un encouragement de la Providence, la tenait active et agitée. Elle s’assit sur un tertre de gazon planté de mélèzes, et se mit à écouter le bruit faible et plaintif du torrent au fond de la vallée. Mais il lui sembla qu’une voix plus douce et plus plaintive encore se mêlait au murmure de l’eau et montait peu à peu jusqu’à elle. Elle s’étendit sur le gazon pour mieux saisir, étant plus près de la terre, ces sons légers que la brise emportait à chaque instant. Enfin elle distingua la voix de Zdenko. Il chantait en allemand; et elle recueillit les paroles suivantes, arrangées tant bien que mal sur un air bohémien, empreint du même caractère naïf et mélancolique que celui qu’elle avait déjà entendu:

Il y a là-bas, là-bas, une âme en peine et en travail, qui attend sa délivrance.

Sa délivrance, sa consolation tant promise.

La délivrance semble enchaînée, la consolation semble impitoyable.

Il y a là-bas, là-bas, une âme en peine et en travail qui se lasse d’attendre.»

Quand la voix cessa de chanter, Consuelo se leva, chercha des yeux Zdenko dans la campagne, parcourut tout le parc et tout le jardin pour le trouver, l’appela de divers endroits, et rentra sans l’avoir aperçu.

Mais une heure après qu’on eut dit tout haut en commun une longue prière pour le comte Albert, auquel on invita tous les serviteurs de la maison à se joindre, tout le monde étant couché, Consuelo alla s’installer auprès de la fontaine des Pleurs, et, s’asseyant sur la margelle, parmi les capillaires touffues qui y croissaient naturellement, et les iris qu’Albert y avait plantés, elle fixa ses regards sur cette eau immobile, où la lune, alors parvenue à son zénith, plongeait son image comme dans un miroir.

Au bout d’une heure d’attente, et comme la courageuse enfant, vaincue par la fatigue, sentait ses paupières s’appesantir, elle fut réveillée par un léger bruit à la surface de l’eau. Elle ouvrit les yeux, et vit le spectre de la lune s’agiter, se briser, et s’étendre en cercles lumineux sur le miroir de la fontaine. En même temps un bouillonnement et un bruit sourd, d’abord presque insensible et bientôt impétueux, se manifestèrent; elle vit l’eau baisser en tourbillonnant comme dans un entonnoir, et, en moins d’un quart d’heure, disparaître dans la profondeur de l’abîme.

Elle se hasarda à descendre plusieurs marches. L’escalier, qui semblait avoir été pratiqué pour qu’on pût approcher à volonté du niveau variable de l’eau, était formé de blocs de granit enfoncés ou taillés en spirale dans le roc. Ces marches limoneuses et glissantes n’offraient aucun point d’appui, et se perdaient dans une effrayante profondeur. L’obscurité, un reste d’eau qui clapotait encore au fond du précipice incommensurable, l’impossibilité d’assurer ses pieds délicats sur cette vase filandreuse, arrêtèrent la tentative insensée de Consuelo; elle remonta à reculons avec beaucoup de peine, et se rassit tremblante et consternée sur la première marche.

Cependant l’eau semblait toujours fuir dans les entrailles de la terre. Le bruit devint de plus en plus sourd, jusqu’à ce qu’il cessa entièrement; et Consuelo songea à aller chercher de la lumière pour examiner autant que possible d’en haut l’intérieur de la citerne. Mais elle craignit de manquer l’arrivée de celui qu’elle attendait, et se tint patiemment immobile pendant près d’une heure encore. Enfin, elle crût apercevoir une faible lueur au fond du puits; et, se penchant avec anxiété, elle vit cette tremblante clarté monter peu à peu. Bientôt elle n’en douta plus; Zdenko montait la spirale en s’aidant d’une chaîne de fer scellée aux parois du rocher. Le bruit que sa main produisait en soulevant cette chaîne et en la laissant retomber de distance en distance, avertissait Consuelo de l’existence de cette sorte de rampe, qui cessait à une certaine hauteur, et qu’elle n’avait pu ni voir ni soupçonner. Zdenko portait une lanterne, qu’il suspendit à un croc destiné à cet usage, et planté dans le roc à environ vingt pieds au-dessous du sol; puis il monta légèrement et rapidement le reste de l’escalier, privé de chaîne et de point d’appui apparent. Cependant Consuelo, qui observait tout avec la plus grande attention, le vit s’aider de quelques pointes de rocher, de certaines plantes pariétaires plus vigoureuses que les autres, et peut-être de quelques clous recourbés qui sortaient du mur, et dont sa main avait l’habitude. Dès qu’il fut à portée de voir Consuelo, celle-ci se cacha et se déroba à ses regards en rampant derrière la balustrade de pierre à demi circulaire qui couronnait le haut du puits, et qui s’interrompait seulement à l’entrée de l’escalier. Zdenko sortit, et se mit à cueillir lentement dans le parterre, avec beaucoup de soin et comme en choisissant certaines fleurs, un gros bouquet; puis il entra dans le cabinet d’Albert, et, à travers le vitrage de la porte, Consuelo le vit remuer longtemps les livres, et en chercher un, qu’il parut enfin avoir trouvé; car il revint vers la citerne en riant et en se parlant à lui-même d’un ton de contentement, mais d’une voix faible et presque insaisissable, tant il semblait partagé entre le besoin de causer tout seul, selon son habitude, et la crainte d’éveiller les hôtes du château.

Consuelo ne s’était pas encore demandé si elle l’aborderait, si elle le prierait de la conduire auprès d’Albert; et il faut avouer qu’en cet instant, confondue de ce qu’elle voyait, éperdue au milieu de son entreprise, joyeuse d’avoir deviné la vérité tant pressentie, mais émue de l’idée de descendre au fond des entrailles de la terre et des abîmes de l’eau, elle ne se sentit pas le courage d’aller d’emblée au résultat, et laissa Zdenko redescendre comme il était monté, reprendre sa lanterne, et disparaître en chantant d’une voix qui prenait de l’assurance à mesure qu’il s’enfonçait dans les profondeurs de sa retraite:

La délivrance est enchaînée, la consolation est impitoyable.»

Le cœur palpitant, le cou tendu, Consuelo eut dix fois son nom sur les lèvres pour le rappeler. Elle allait s’y décider par un effort héroïque, lorsqu’elle pensa tout à coup que la surprise pouvait faire chanceler cet infortuné sur cet escalier difficile et périlleux, et lui donner le vertige de la mort. Elle s’en abstint, se promettant d’être plus courageuse le lendemain, en temps opportun.

Elle attendit encore pour voir remonter l’eau, et cette fois le phénomène s’opéra plus rapidement. Il y avait à peine un quart d’heure qu’elle n’entendait plus Zdenko et qu’elle ne voyait plus de lueur de lanterne, lorsqu’un bruit sourd, semblable au grondement lointain du tonnerre, se fit entendre; et l’eau, s’élançant avec violence, monta en tournoyant et en battant les murs de sa prison avec un bouillonnement impétueux. Cette irruption soudaine de l’eau eut quelque chose de si effrayant, que Consuelo trembla pour le pauvre Zdenko, en se demandant si, à jouer avec de tels périls, et à gouverner ainsi les forces de la nature, il ne risquait pas d’être emporté par la violence du courant, et de reparaître à la surface de la fontaine, noyé et brisé comme ces plantes limoneuses qu’elle y voyait surnager.

 

Cependant le moyen devait être bien simple; il ne s’agissait que de baisser et de relever une écluse, peut-être de poser une pierre en arrivant, et de la déranger en s’en retournant. Mais cet homme, toujours préoccupé et perdu dans ses rêveries bizarres, ne pouvait-il pas se tromper et déranger la pierre un instant trop tôt? Venait-il par le même souterrain qui servait de passage à l’eau de la source? Il faudra pourtant que j’y passe avec ou sans lui, se dit Consuelo, et cela pas plus tard que la nuit prochaine; car il y a là-bas une âme en travail et en peine qui m’attend et qui se lasse d’attendre. Ceci n’a point été chanté au hasard; et ce n’est pas sans but que Zdenko, qui déteste l’allemand et qui le prononce avec difficulté, s’est expliqué aujourd’hui dans cette langue.

Elle alla enfin se coucher; mais elle eut tout le reste de la nuit d’affreux cauchemars. La fièvre faisait des progrès. Elle ne s’en apercevait pas, tant elle se sentait encore pleine de force et de résolution; mais à chaque instant elle se réveillait en sursaut, s’imaginant être encore sur les marches du terrible escalier, et ne pouvant le remonter, tandis que l’eau s’élevait au-dessous d’elle avec le rugissement et la rapidité de la foudre.

Elle était si changée le lendemain, que tout le monde remarqua l’altération de ses traits. Le chapelain n’avait pu s’empêcher de confier à la chanoinesse que cette agréable et obligeante personne lui paraissait avoir le cerveau dérangé; et la bonne Wenceslawa, qui n’était pas habituée à voir tant de courage et de dévouement autour d’elle, commençait à croire que la Porporina était tout au moins une jeune fille fort exaltée et d’un tempérament nerveux très excitable. Elle comptait trop sur ses bonnes portes doublées de fer, et sur ses fidèles clefs, toujours grinçantes à sa ceinture, pour avoir cru longtemps à l’entrée et à l’évasion de Zdenko l’avant-dernière nuit. Elle adressa donc à Consuelo des paroles affectueuses et compatissantes, la conjurant de ne pas s’identifier au malheur de la famille, jusqu’à en perdre la santé, et s’efforçant de lui donner, sur le retour prochain de son neveu, des espérances qu’elle commençait elle-même à perdre dans le secret de son cœur.

Mais elle fut émue à la fois de crainte et d’espoir, lorsque Consuelo lui répondit, avec un regard brillant de satisfaction et un sourire de douce fierté:

Vous avez bien raison de croire et d’attendre avec confiance, chère madame. Le comte Albert est vivant et peu malade, je l’espère; car il s’intéresse encore à ses livres et à ses fleurs du fond de sa retraite. J’en ai la certitude; et j’en pourrais donner la preuve.

– Que voulez-vous dire, chère enfant? s’écria la chanoinesse, dominée par son air de conviction: qu’avez-vous appris? qu’avez-vous découvert? Parlez, au nom du ciel! rendez la vie à une famille désolée!

– Dites au comte Christian que son fils existe, et qu’il n’est pas loin d’ici. Cela est aussi vrai que je vous aime et vous respecte.»

La chanoinesse se leva pour courir vers son frère, qui n’était pas encore descendu au salon; mais un regard et un soupir du chapelain l’arrêtèrent.

Ne donnons pas à la légère une telle joie à mon pauvre Christian, dit-elle en soupirant à son tour. Si le fait venait bientôt démentir vos douces promesses, ah! ma chère enfant! nous aurions porté le coup de la mort à ce malheureux père.

– Vous doutez donc de ma parole? répliqua Consuelo étonnée.

– Dieu m’en garde, noble Nina! mais vous pouvez vous faire illusion! Hélas! cela nous est arrivé si souvent à nous-mêmes! Vous dites que vous avez des preuves, ma chère fille; ne pourriez-vous nous les mentionner?

– Je ne le peux pas… du moins il me semble que je ne le dois pas, dit Consuelo un peu embarrassée. J’ai découvert un secret auquel le comte Albert attache certainement beaucoup d’importance, et je ne crois pas pouvoir le trahir sans son aveu.

– Sans son aveu! s’écria la chanoinesse en regardant le chapelain avec irrésolution. L’aurait-elle vu?»

Le chapelain haussa imperceptiblement les épaules, sans comprendre la douleur que son incrédulité causait à la pauvre chanoinesse.

Je ne l’ai pas vu, reprit Consuelo; mais, je le verrai bientôt, et vous aussi, j’espère. Voilà pourquoi je craindrais de retarder son retour en contrariant ses volontés par mon indiscrétion.

– Puisse la vérité divine habiter dans ton cœur, généreuse créature, et parler par ta bouche! dit Wenceslawa en la regardant avec des yeux inquiets et attendris. Garde ton secret, si tu en as un; et rends-nous Albert, si tu en as la puissance. Tout ce que je sais, c’est que, si cela se réalise, j’embrasserai tes genoux comme j’embrasse en ce moment ton pauvre front… humide et brûlant! ajouta-t-elle, après avoir touché de ses lèvres le beau front embrasé de la jeune fille, et en se retournant vers le chapelain d’un air ému.

– Si elle est folle, dit-elle à ce dernier lorsqu’elle put lui parler sans témoins, c’est toujours un ange de bonté, et il semble qu’elle soit occupée de nos souffrances plus que nous-mêmes. Ah! mon père! il y a une malédiction sur cette maison! Tout ce qui porte un cœur sublime y est frappé de vertige, et notre vie se passe à plaindre ce que nous sommes forcés d’admirer!

– Je ne nie pas les bons mouvements de cette jeune étrangère, répondit le chapelain. Mais il y a du délire dans son fait, n’en doutez pas, madame. Elle aura rêvé du comte Albert cette nuit, et elle nous donne imprudemment ses visions pour des certitudes. Gardez-vous d’agiter l’âme pieuse et soumise de votre vénérable frère par des assertions si frivoles. Peut-être aussi ne faudrait-il pas trop encourager les témérités de cette signora Porporina… Elles peuvent la précipiter dans des dangers d’une autre nature que ceux qu’elle a voulu braver jusqu’ici…

– Je ne vous comprends pas, dit avec une grave naïveté la chanoinesse Wenceslawa.

– Je suis fort embarrassé de m’expliquer, reprit le digne homme… Pourtant il me semble… que si un commerce secret, bien honnête et bien désintéressé sans doute, venait à s’établir entre cette jeune artiste et le noble comte…

– Eh bien? dit la chanoinesse en ouvrant de grands yeux.

– Eh bien, madame, ne pensez-vous pas que des sentiments d’intérêt et de sollicitude, fort innocents dans leur principe, pourraient, en peu de temps, à l’aide de circonstances et d’idées romanesques, devenir dangereux pour le repos et la dignité de la jeune musicienne?

– Je ne me serais jamais avisée de cela! s’écria la chanoinesse, frappée de cette réflexion. Croiriez-vous donc, mon père, que la Porporina pourrait oublier sa position humble et précaire dans des relations quelconques avec un homme si élevé au-dessus d’elle que l’est mon neveu Albert de Rudolstadt?

– Le comte Albert de Rudolstadt pourrait l’y aider lui-même, sans le vouloir, par l’affectation qu’il met à traiter de préjugés les respectables avantages du rang et de la naissance.

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