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Consuelo

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XXXV. Après bien des détours et des retours dans les inextricables sentiers de cette forêt jetée sur un terrain montueux et tourmenté…

Après bien des détours et des retours dans les inextricables sentiers de cette forêt jetée sur un terrain montueux et tourmenté, Consuelo se trouva sur une élévation semée de roches et de ruines qu’il était assez difficile de distinguer les unes des autres, tant la main de l’homme, jalouse de celle du temps, y avait été destructive. Ce n’était plus qu’une montagne de débris, où jadis un village avait été brûlé par l’ordre du redoutable aveugle, le célèbre chef calixtin Jean Ziska, dont Albert croyait descendre, et dont il descendait peut-être en effet. Durant une nuit profonde et lugubre, le farouche et infatigable capitaine ayant commandé à sa troupe de donner l’assaut à la forteresse des Géants, alors gardée pour l’empereur par des Saxons, il avait entendu murmurer ses soldats, et un entre autres dire non loin de lui: «Ce maudit aveugle croit que, pour agir, chacun peut, comme lui, se passer de la lumière.» Là-dessus Ziska, se tournant vers un des quatre disciples dévoués qui l’accompagnaient partout, guidant son cheval ou son chariot, et lui rendant compte avec précision de la position topographique et des mouvements de l’ennemi, il lui avait dit, avec cette sûreté de mémoire ou cet esprit de divination qui suppléaient en lui au sens de la vue: «Il y a ici près un village? – Oui, père, avait répondu le conducteur taborite; à ta droite, sur une éminence, en face de la forteresse.» Alors Ziska avait fait appeler le soldat mécontent dont le murmure avait fixé son attention: «Enfant, lui avait-il dit, tu te plains des ténèbres, va-t’en bien vite mettre le feu au village qui est sur l’éminence, à ma droite; et, à la lueur des flammes, nous pourrons marcher et combattre.»

L’ordre terrible avait été exécuté. Le village incendié avait éclairé la marche et l’assaut des taborites. Le château des Géants avait été emporté en deux heures, et Ziska en avait pris possession. Le lendemain, au jour, on remarqua et on lui fit savoir qu’au milieu des décombres du village, et tout au sommet de la colline qui avait servi de plate-forme aux soldats pour observer les mouvements de la forteresse, un jeune chêne, unique dans ces contrées, et déjà robuste, était resté debout et verdoyant, préservé apparemment de la chaleur des flammes qui montaient autour de lui par l’eau d’une citerne qui baignait ses racines.

Je connais bien la citerne, avait répondu Ziska. Dix des nôtres y ont été jetés par les damnés habitants de ce village, et depuis ce temps la pierre qui la couvre n’a point été levée. Qu’elle y reste et leur serve de monument, puisque, aussi bien, nous ne sommes pas de ceux qui croient les âmes errantes repoussées à la porte des cieux par le patron romain (Pierre, le porte-clefs, dont ils ont fait un saint), parce que les cadavres pourrissent dans une terre non bénite par la main des prêtres de Bélial. Que les os de nos frères reposent en paix dans cette citerne; leurs âmes sont vivantes. Elles ont déjà revêtu d’autres corps, et ces martyrs combattent parmi nous, quoique nous ne les connaissions point. Quant aux habitants du village, ils ont reçu leur paiement; et quant au chêne, il a bien fait de se moquer de l’incendie: une destinée plus glorieuse que celle d’abriter des mécréants lui était réservée. Nous avions besoin d’une potence, et la voici trouvée. Allez-moi chercher ces vingt moines augustins que nous avons pris hier dans leur couvent, et qui se font prier pour nous suivre. Courons les pendre haut et court aux branches de ce brave chêne, à qui cet ornement rendra tout à fait la santé.»

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le chêne, depuis ce temps là, avait été nommé le Hussite, la pierre de la citerne, Pierre d’épouvante, et le village détruit sur la colline abandonnée, Schreckenstein.

Consuelo avait déjà entendu raconter dans tous ses détails, par la baronne Amélie, cette sombre chronique. Mais, comme elle n’en avait encore aperçu le théâtre que de loin, ou pendant la nuit au moment de son arrivée au château, elle ne l’eût pas reconnu, si, en jetant les yeux au-dessous d’elle, elle n’eût vu, au fond du ravin que traversait la route, les formidables débris du chêne, brisé par la foudre, et qu’aucun habitant de la campagne, aucun serviteur du château n’avait osé dépecer ni enlever, une crainte superstitieuse s’attachant encore pour eux, après plusieurs siècles, à ce monument d’horreur, à ce contemporain de Jean Ziska.

Les visions et les prédictions d’Albert avaient donné à ce lieu tragique un caractère plus émouvant encore. Aussi Consuelo, en se trouvant seule et amenée à l’improviste à la pierre d’épouvante, sur laquelle même elle venait de s’asseoir, brisée de fatigue, sentit-elle faiblir son courage, et son cœur se serrer étrangement. Non seulement, au dire d’Albert, mais à celui de tous les montagnards de la contrée, des apparitions épouvantables hantaient le Schreckenstein, et en écartaient les chasseurs assez téméraires pour venir y guetter le gibier. Cette colline, quoique très rapprochée du château, était donc souvent le domicile des loups et des animaux sauvages, qui y trouvaient un refuge assuré contre les poursuites du baron et de ses limiers. L’impassible Frédéric ne croyait pas beaucoup, pour son compte, au danger d’y être assailli par le diable, avec lequel il n’eût pas craint d’ailleurs de se mesurer corps à corps; mais, superstitieux à sa manière, et dans l’ordre de ses préoccupations dominantes, il était persuadé qu’une pernicieuse influence y menaçait ses chiens, et les y atteignait de maladies inconnues et incurables. Il en avait perdu plusieurs pour les avoir laissés se désaltérer dans les filets d’eau claire qui s’échappaient des veines de la colline, et qui provenaient peut-être de la citerne condamnée, antique tombeau des hussites. Aussi rappelait-il de toute l’autorité de son sifflet sa griffonne Pankin ou son double-nez Saphyr, lorsqu’ils s’oubliaient aux alentours du Schreckenstein.

Consuelo, rougissant des accès de pusillanimité qu’elle avait résolu de combattre, s’imposa de rester un instant sur la pierre fatale, et de ne s’en éloigner qu’avec la lenteur qui convient à un esprit calme, en ces sortes d’épreuves.

Mais, au moment où elle détournait ses regards du chêne calciné qu’elle apercevait à deux cents pieds au-dessous d’elle, pour les reporter sur les objets environnants, elle vit qu’elle n’était pas seule sur la pierre d’épouvante, et qu’une figure incompréhensible venait de s’y asseoir à ses côtés, sans annoncer son approche par le moindre bruit.

C’était une grosse tête ronde et béante, remuant sur un corps contrefait, grêle et crochu comme une sauterelle, couvert d’un costume indéfinissable qui n’était d’aucun temps et d’aucun pays, et dont le délabrement touchait de près à la malpropreté. Cependant cette figure n’avait d’effrayant que son étrangeté et l’imprévu de son apparition car elle n’avait rien d’hostile. Un sourire doux et caressant courait sur sa large bouche, et une expression enfantine adoucissait l’égarement d’esprit que trahissaient le regard vague et les gestes précipités. Consuelo, en se voyant seule avec un fou, dans un endroit où personne assurément ne fût venu lui porter secours, eut véritablement peur, malgré les révérences multipliées et les rires affectueux que lui adressait cet insensé. Elle crut devoir lui rendre ses saluts et ses signes de tête, pour ne pas l’irriter; mais elle se hâta de se lever et de s’éloigner, toute pâle et toute tremblante.

Le fou ne la poursuivit point, et ne fit rien pour la rappeler; il grimpa seulement sur la pierre d’épouvante pour la suivre des yeux, et continua à la saluer de son bonnet en sautillant et en agitant ses bras et ses jambes, tout en articulant à plusieurs reprises un mot bohême que Consuelo ne comprit pas. Quand elle se vit à une certaine distance de lui, elle reprit un peu de courage pour le regarder et l’écouter. Elle se reprochait déjà d’avoir eu horreur de la présence d’un de ces malheureux que, dans son cœur, elle plaignait et vengeait des mépris et de l’abandon des hommes un instant auparavant. «C’est un fou bienveillant, se dit-elle, c’est peut-être un fou par amour. Il n’a trouvé de refuge contre l’insensibilité et le dédain que sur cette roche maudite où nul autre n’oserait habiter, et où les démons et les spectres sont plus humains pour lui que ses semblables, puisqu’ils ne l’en chassent pas et ne troublent pas l’enjouement de son humeur. Pauvre homme! qui ris et folâtres comme un petit enfant, avec une barbe grisonnante et un dos voûté! Dieu, sans doute, te protège et te bénit dans ton malheur, puisqu’il ne t’envoie que des pensées riantes, et qu’il ne t’a point rendu misanthrope et furieux comme tu aurais droit de l’être!»

Le fou, voyant qu’elle ralentissait sa marche, et paraissant comprendre son regard bienveillant, se mit à lui parler bohême avec une excessive volubilité; et sa voix avait une douceur extrême, un charme pénétrant, qui contrastait avec sa laideur. Consuelo, ne le comprenant pas, songea qu’elle devait lui donner l’aumône; et, tirant une pièce de monnaie de sa poche, elle la posa sur une grosse pierre, après avoir élevé le bras pour la lui montrer et lui désigner l’endroit où elle la déposait. Mais le fou se mit à rire plus fort en se frottant les mains et en lui disant en mauvais allemand:

Inutile, inutile! Zdenko n’a besoin de rien, Zdenko est heureux, bien heureux! Zdenko a de la consolation, consolation, consolation!»

Puis, comme s’il se fût rappelé un mot qu’il cherchait depuis longtemps, il s’écria avec un éclat de joie, et intelligiblement, quoiqu’il prononçât fort mal:

Consuelo, Consuelo, Consuelo de mi alma!»

Consuelo s’arrêta stupéfaite, et lui adressant la parole en espagnol:

Pourquoi m’appelles-tu ainsi? lui cria-t-elle, qui t’a appris ce nom? Comprends-tu la langue que je te parle?»

 

À toutes ces questions, dont Consuelo attendit vainement la réponse, le fou ne fit que sautiller en se frottant les mains comme un homme enchanté de lui-même; et d’aussi loin qu’elle put saisir les sons de sa voix, elle lui entendit répéter son nom sur des inflexions différentes, avec des rires et des exclamations de joie, comme lorsqu’un oiseau parleur s’essaie à articuler un mot qu’on lui a appris, et qu’il entrecoupe du gazouillement de son chant naturel.

En reprenant le chemin du château, Consuelo se perdait dans ses réflexions. «Qui donc, se disait-elle, a trahi le secret de mon incognito, au point que le premier sauvage que je rencontre dans ces solitudes me jette mon vrai nom à la tête? Ce fou m’aurait-il vue quelque part? Ces gens-là voyagent: peut-être a-t-il été en même temps que moi à Venise.» Elle chercha en vain à se rappeler la figure de tous les mendiants et de tous les vagabonds qu’elle avait l’habitude de voir sur les quais et sur la place Saint-Marc, celle du fou de la pierre d’épouvante ne se présenta point à sa mémoire.

Mais, comme elle repassait le pont-levis, il lui vint à l’esprit un rapprochement d’idées plus logique et plus intéressant. Elle résolut d’éclaircir ses soupçons, et se félicita secrètement de n’avoir pas tout à fait manqué son but dans l’expédition qu’elle venait de tenter.

XXXVI. Lorsqu’elle se retrouva au milieu de la famille abattue et silencieuse…

Lorsqu’elle se retrouva au milieu de la famille abattue et silencieuse, elle qui se sentait pleine d’animation et d’espérance, elle se reprocha la sévérité avec laquelle elle avait accusé secrètement l’apathie de ces gens profondément affligés. Le comte Christian et la chanoinesse ne mangèrent presque rien à déjeuner, et le chapelain n’osa pas satisfaire son appétit; Amélie paraissait en proie à un violent accès d’humeur. Lorsqu’on se leva de table, le vieux comte s’arrêta un instant devant la fenêtre, comme pour regarder le chemin sablé de la garenne par où Albert pouvait revenir, et il secoua tristement la tête comme pour dire: Encore un jour qui a mal commencé et qui finira de même!

Consuelo s’efforça de les distraire en leur récitant avec ses doigts sur le clavier quelques-unes des dernières compositions religieuses de Porpora, qu’ils écoutaient toujours avec une admiration et un intérêt particuliers. Elle souffrait de les voir si accablés et de ne pouvoir leur dire qu’elle avait de l’espérance. Mais quand elle vit le comte reprendre son livre, et la chanoinesse son aiguille, quand elle fut appelée auprès du métier de cette dernière pour décider si un certain ornement devait avoir au centre quelques points bleus ou blancs, elle ne put s’empêcher de reporter son intérêt dominant sur Albert, qui expirait peut-être de fatigue et d’inanition dans quelque coin de la forêt, sans savoir retrouver sa route, ou qui reposait peut-être sur quelque froide pierre, enchaîné par la catalepsie foudroyante, exposé aux loups et aux serpents, tandis que, sous la main adroite et persévérante de la tendre Wenceslawa, les fleurs les plus brillantes semblaient éclore par milliers sur la trame, arrosées parfois d’une larme furtive, mais stérile.

Aussitôt qu’elle put engager la conversation avec la boudeuse Amélie, elle lui demanda ce que c’était qu’un fou fort mal fait qui courait le pays singulièrement vêtu, en riant comme un enfant aux personnes qu’il rencontrait.

Eh! c’est Zdenko! répondit Amélie; vous ne l’aviez pas encore aperçu dans vos promenades? On est sûr de le rencontrer partout, car il n’habite nulle part.

– Je l’ai vu ce matin pour la première fois, dit Consuelo, et j’ai cru qu’il était l’hôte attitré du Schreckenstein.

– C’est donc là que vous avez été courir dès l’aurore? Je commence à croire que vous êtes un peu folle vous-même, ma chère Nina, d’aller ainsi seule de grand matin dans ces lieux déserts, où vous pourriez faire de plus mauvaises rencontres que celle de l’inoffensif idiot Zdenko.

– Être abordée par quelque loup à jeun? reprit Consuelo en souriant; la carabine du baron votre père doit, ce me semble, couvrir de sa protection tout le pays.

– Il ne s’agit pas seulement des bêtes sauvages, dit Amélie; le pays n’est pas si sûr que vous croyez, par rapport aux animaux les plus méchants de la création, les brigands et les vagabonds. Les guerres qui viennent de finir ont ruiné assez de familles pour que beaucoup de mendiants se soient habitués à aller au loin demander l’aumône, le pistolet à la main. Il y a aussi des nuées de ces zingari égyptiens, qu’en France on nous fait l’honneur d’appeler bohémiens, comme s’ils étaient originaires de nos montagnes pour les avoir infestées au commencement de leur apparition en Europe. Ces gens-là, chassés et rebutés de partout, lâches et obséquieux devant un homme armé, pourraient bien être audacieux avec une belle fille comme vous; et je crains que votre goût pour les courses aventureuses ne vous expose plus qu’il ne convient à une personne aussi raisonnable que ma chère Porporina affecte de l’être.

– Chère baronne, reprit Consuelo, quoique vous sembliez regarder la dent du loup comme un mince péril auprès de ceux qui m’attendent, je vous avouerai que je la craindrais beaucoup plus que celle des zingari. Ce sont pour moi d’anciennes connaissances, et, en général, il m’est difficile d’avoir peur des êtres faibles, pauvres et persécutés. Il me semble que je saurai toujours dire à ces gens-là ce qui doit m’attirer leur confiance et leur sympathie; car, si laids, si mal vêtus et si méprisés qu’ils soient, il m’est impossible de ne pas m’intéresser à eux particulièrement.

– Brava, ma chère! s’écria Amélie avec une aigreur croissante. Vous voilà tout à fait arrivée aux beaux sentiments d’Albert pour les mendiants, les bandits et les aliénés; et je ne serais pas surprise de vous voir un de ces matins vous promener comme lui, appuyée sur le bras un peu malpropre et très mal assuré de l’agréable Zdenko.»

Ces paroles frappèrent Consuelo d’un trait de lumière qu’elle cherchait depuis le commencement de l’entretien, et qui la consola de l’amertume de sa compagne.

Le comte Albert vit donc en bonne intelligence avec Zdenko? demanda-t-elle avec un air de satisfaction qu’elle ne songea point à dissimuler.

– C’est son plus intime, son plus précieux ami, répondit Amélie avec un sourire de dédain. C’est le compagnon de ses promenades, le confident de ses secrets, le messager, dit-on, de sa correspondance avec le diable. Zdenko et Albert sont les seuls qui osent aller à toute heure s’entretenir des choses divines les plus biscornues sur la pierre d’épouvante. Albert et Zdenko sont les seuls qui ne rougissent point de s’asseoir sur l’herbe avec les zingari qui font halte sous nos sapins, et de partager avec eux la cuisine dégoûtante que préparent ces gens-là dans leurs écuelles de bois. Ils appellent cela communier, et on peut dire que c’est communier sous toutes les espèces possibles. Ah! quel époux! quel amant désirable que mon cousin Albert, lorsqu’il saisira la main de sa fiancée dans une main qui vient de presser celle d’un zingaro pestiféré, pour la porter à cette bouche qui vient de boire le vin du calice dans la même coupe que Zdenko!

– Tout ceci peut être fort plaisant, dit Consuelo; mais, quant à moi, je n’y comprends rien du tout.

– C’est que vous n’avez pas de goût pour l’histoire, reprit Amélie, et que vous n’avez pas bien écouté tout ce que je vous ai raconté des hussites et des protestants, depuis plusieurs jours que je m’égosille à vous expliquer scientifiquement les énigmes et les pratiques saugrenues de mon cousin. Ne vous ai-je pas dit que la grande querelle des hussites avec l’Église romaine était venue à propos de la communion sous les deux espèces? Le concile de Bâle avait prononcé que c’était une profanation de donner aux laïques le sang du Christ sous l’espèce du vin, alléguant, voyez le beau raisonnement! que son corps et son sang étaient également contenus sous les deux espèces, et que qui mangeait l’un buvait l’autre. Comprenez-vous?

– Il me semble que les Pères du concile ne se comprenaient pas beaucoup eux-mêmes. Ils eussent dû dire, pour être dans la logique, que la communion du vin était inutile; mais profanatoire! pourquoi, si, en mangeant le pain, on boit aussi le sang?

– C’est que les hussites avaient une terrible soif de sang, et que les Pères du concile les voyaient bien venir. Eux aussi avaient soif du sang de ce peuple; mais, ils voulaient le boire sous l’espèce de l’or. L’Église romaine a toujours été affamée et altérée de ce suc de la vie des nations, du travail et de la sueur des pauvres. Les pauvres se révoltèrent, et reprirent leur sueur et leur sang dans les trésors des abbayes et sur la chape des évêques. Voilà tout le fond de la querelle, à laquelle vinrent se joindre, comme je vous l’ai dit, le sentiment d’indépendance nationale et la haine de l’étranger. La dispute de la communion en fut le symbole. Rome et ses prêtres officiaient dans des calices d’or et de pierreries; les hussites affectaient d’officier dans des vases de bois, pour fronder le luxe de l’Église, et pour simuler la pauvreté des apôtres. Voilà pourquoi Albert, qui s’est mis dans la cervelle de se faire hussite, après que ces détails du passé ont perdu toute valeur et toute signification; Albert, qui prétend connaître la vraie doctrine de Jean Huss mieux que Jean Huss lui-même, invente toutes sortes de communions, et s’en va communiant sur les chemins avec les mendiants, les païens, et les imbéciles. C’était la manie des hussites de communier partout, à toute heure, et avec tout le monde.

– Tout ceci est fort bizarre, répondit Consuelo, et ne peut s’expliquer pour moi que par un patriotisme exalté, porté jusqu’au délire, je le confesse, chez le comte Albert. La pensée est peut-être profonde, mais les formes qu’il y donne me semblent bien puériles pour un homme aussi sérieux et aussi savant. La véritable communion ne serait-elle pas plutôt l’aumône? Que signifient de vaines cérémonies passées de mode, et que ne comprennent certainement pas ceux qu’il y associe?

– Quant à l’aumône, Albert ne s’en fait pas faute; et si on le laissait aller, il serait bientôt débarrassé de cette richesse que, pour ma part, je voudrais bien lui voir fondre dans la main de ses mendiants.

– Et pourquoi cela?

– Parce que mon père ne conserverait pas la fatale idée de m’enrichir en me faisant épouser ce démoniaque. Car il faut que vous le sachiez, ma chère Porporina, ajouta Amélie avec une intention malicieuse, ma famille n’a point renoncé à cet agréable dessein. Ces jours derniers, lorsque la raison de mon cousin brilla comme un rayon fugitif du soleil entre les nuages, mon père revint à l’assaut avec plus de fermeté que je ne le croyais capable d’en montrer avec moi. Nous eûmes une querelle assez vive, dont le résultat paraît être qu’on essaiera de vaincre ma résistance par l’ennui de la séquestration, comme une citadelle qu’on veut prendre par la famine. Ainsi donc, si je faiblis, si je succombe, il faudra que j’épouse Albert malgré lui, malgré moi, et malgré une troisième personne qui fait semblant de ne pas s’en soucier le moins du monde.

– Nous y voilà! répondit Consuelo en riant: j’attendais cette épigramme, et vous ne m’avez accordé l’honneur de causer avec vous ce matin que pour y arriver. Je la reçois avec plaisir, parce que je vois dans cette petite comédie de jalousie un reste d’affection pour le comte Albert plus vive que vous ne voulez l’avouer.

– Nina! s’écria la jeune baronne avec énergie, si vous croyez voir cela, vous avez peu de pénétration, et si vous le voyez avec plaisir, vous avez peu d’affection pour moi. Je suis violente, orgueilleuse peut-être, mais non dissimulée. Je vous l’ai dit: la préférence qu’Albert vous accorde m’irrite contre lui, non contre vous. Elle blesse mon amour-propre, mais elle flatte mon espérance et mon penchant. Elle me fait désirer qu’il fasse pour vous quelque bonne folie qui me débarrasse de tout ménagement envers lui, en justifiant cette aversion que j’ai longtemps combattue, et qu’il m’inspire enfin sans mélange de pitié ni d’amour.

– Dieu veuille, répondit Consuelo avec douceur, que ceci soit le langage de la passion, et non celui de la vérité! car ce serait une vérité bien dure dans la bouche d’une personne bien cruelle!»

L’aigreur et l’emportement qu’Amélie laissa percer dans cet entretien firent peu d’impression sur l’âme généreuse de Consuelo. Elle ne songeait plus, quelques instants après, qu’à son entreprise; et ce rêve qu’elle caressait, de ramener Albert à sa famille, jetait une sorte de joie naïve sur la monotonie de ses occupations. Il lui fallait bien cela pour échapper à l’ennui qui la menaçait, et qui, étant la maladie la plus contraire et la plus inconnue jusqu’alors à sa nature active et laborieuse, lui fût devenu mortel. En effet, lorsqu’elle avait donné à son élève indocile et inattentive une longue et fastidieuse leçon, il ne lui restait plus qu’à exercer sa voix et à étudier ses vieux auteurs. Mais cette consolation, qui ne lui avait jamais manqué, lui était opiniâtrement disputée. Amélie, avec son oisiveté inquiète, venait à chaque instant la troubler et l’interrompre par de puériles questions ou des observations hors de propos. Le reste de la famille était affreusement morne. Déjà cinq mortels jours s’étaient écoulés sans que le jeune comte reparût, et chaque journée de cette absence ajoutait à l’abattement et à la consternation des précédentes.

 

Dans l’après-midi, Consuelo, errant dans les jardins avec Amélie, vit Zdenko sur le revers du fossé qui les séparait de la campagne. Il paraissait occupé à parler tout seul, et, à son ton, on eût dit qu’il se racontait une histoire. Consuelo arrêta sa compagne, et la pria de lui traduire ce que disait l’étrange personnage.

Comment voulez-vous que je vous traduise des rêveries sans suite et sans signification? dit Amélie en haussant les épaules. Voici ce qu’il vient de marmotter, si vous tenez à le savoir:

“Il y avait une fois une grande montagne toute blanche, toute blanche, et à côté une grande montagne toute noire, toute noire, et à côté une grande montagne toute rouge, toute rouge…”

Cela vous intéresse-t-il beaucoup?

– Peut-être, si je pouvais savoir la suite. Oh! que ne donnerais-je pas pour comprendre le bohême! Je veux l’apprendre.

– Ce n’est pas tout à fait aussi facile que l’italien ou l’espagnol; mais vous êtes si studieuse, que vous en viendrez à bout si vous voulez: je vous l’enseignerai, si cela peut vous faire plaisir.

– Vous serez un ange. À condition, toutefois, que vous serez plus patiente comme maîtresse que vous ne l’êtes comme élève. Et maintenant que dit ce Zdenko?

– Maintenant ce sont ses montagnes qui parlent.

“Pourquoi, montagne rouge, toute rouge, as-tu écrasé la montagne toute noire? et toi, montagne blanche, toute blanche, pourquoi as-tu laissé écraser la montagne noire, toute noire?”»

Ici Zdenko se mit à chanter avec une voix grêle et cassée, mais d’une justesse et d’une douceur qui pénétrèrent Consuelo jusqu’au fond de l’âme. Sa chanson disait:

Montagnes noires et montagnes blanches, il vous faudra beaucoup d’eau de la montagne rouge pour laver vos robes:

Vos robes noires de crimes, et blanches d’oisiveté, vos robes souillées de mensonges, vos robes éclatantes d’orgueil.

Les voilà toutes deux lavées, bien lavées; vos robes qui ne voulaient pas changer de couleur; les voilà usées, bien usées, vos robes qui ne voulaient pas traîner sur le chemin.

Voilà toutes les montagnes rouges, bien rouges! Il faudra toute l’eau du ciel, toute l’eau du ciel, pour les laver.»

Est-ce une improvisation ou une vieille chanson du pays? demanda Consuelo à sa compagne.

– Qui peut le savoir? répondit Amélie: Zdenko est un improvisateur inépuisable ou un rapsode bien savant. Nos paysans aiment passionnément à l’écouter, et le respectent comme un saint, tenant sa folie pour un don du ciel plus que pour une disgrâce de la nature. Ils le nourrissent et le choient, et il ne tiendrait qu’à lui d’être l’homme le mieux logé et le mieux habillé du pays; car chacun se dispute le plaisir et l’avantage de l’avoir pour hôte. Il passe pour un porte-bonheur, pour un présage de fortune. Quand le temps menace, si Zdenko vient à passer, on dit: Ce ne sera rien; la grêle ne tombera pas ici. Si la récolte est mauvaise, on prie Zdenko de chanter; et comme il promet toujours des années d’abondance et de fertilité, on se console du présent dans l’attente d’un meilleur avenir. Mais Zdenko ne veut demeurer nulle part, sa nature vagabonde l’emporte au fond des forêts. On ne sait point où il s’abrite la nuit, où il se réfugie contre le froid et l’orage. Jamais, depuis dix ans, on ne l’a vu entrer sous un autre toit que celui du château des Géants, parce qu’il prétend que ses aïeux sont dans toutes les maisons du pays, et qu’il lui est défendu de se présenter devant eux. Cependant il suit Albert jusque dans sa chambre, parce qu’il est aussi dévoué et aussi soumis à Albert que son chien Cynabre. Albert est le seul mortel qui enchaîne à son gré cette sauvage indépendance, et qui puisse d’un mot faire cesser son intarissable gaieté, ses éternelles chansons, et son babil infatigable. Zdenko a eu, dit-on, une fort belle voix, mais il l’a épuisée à parler, à chanter et à rire. Il n’est guère plus âgé qu’Albert, quoiqu’il ait l’apparence d’un homme de cinquante ans. Ils ont été compagnons d’enfance. Dans ce temps-là, Zdenko n’était qu’à demi fou. Descendant d’une ancienne famille (un de ses ancêtres figure avec quelque éclat dans la guerre des hussites), il montrait assez de mémoire et d’aptitude pour que ses parents, voyant la faiblesse de son organisation physique, l’eussent destiné au cloître. On l’a vu longtemps en habit de novice d’un ordre mendiant: mais on ne put jamais l’astreindre au joug de la règle; et quand on l’envoyait en tournée avec un des frères de son couvent, et un âne chargé des dons des fidèles, il laissait là la besace, l’âne et le frère, et s’en allait prendre de longues vacances au fond des bois. Lorsque Albert entreprit ses voyages, Zdenko tomba dans un noir chagrin, jeta le froc aux orties, et se fit tout à fait vagabond. Sa mélancolie se dissipa peu à peu; mais l’espèce de raison qui avait toujours brillé au milieu de la bizarrerie de son caractère s’éclipsa tout à fait. Il ne dit plus que des choses incohérentes, manifesta toutes sortes de manies incompréhensibles, et devint réellement insensé. Mais comme il resta toujours sobre, chaste et inoffensif, on peut dire qu’il est idiot plus que fou. Nos paysans l’appellent l’innocent, et rien de plus.

– Tout ce que vous m’apprenez de ce pauvre homme me le rend sympathique, dit Consuelo; je voudrais bien lui parler. Il sait un peu l’allemand?

– Il le comprend, et il peut le parler tant bien que mal. Mais, comme tous les paysans bohêmes, il a horreur de cette langue; et plongé d’ailleurs dans ses rêveries comme le voilà, il est fort douteux qu’il vous réponde si vous l’interrogez.

– Essayez donc de lui parler dans sa langue, et d’attirer son attention sur nous», dit Consuelo.

Amélie appela Zdenko à plusieurs reprises, lui demandant en bohémien s’il se portait bien, et s’il désirait quelque chose; mais elle ne put jamais lui faire relever sa tête penchée vers la terre, ni interrompre un petit jeu qu’il faisait avec trois cailloux, un blanc, un rouge, et un noir, qu’il poussait l’un contre l’autre en riant, et en se réjouissant beaucoup chaque fois qu’il les faisait tomber.

Vous voyez que c’est inutile, dit Amélie. Quand il n’a pas faim, ou qu’il ne cherche pas Albert, il ne nous parle jamais. Dans l’un ou l’autre cas, il vient à la porte du château, et s’il n’a que faim, il reste sur la porte. On lui donne ce qu’il désire, il remercie, et s’en va. S’il veut voir Albert, il entre, et va frapper à la porte de sa chambre, qui n’est jamais fermée pour lui, et où il reste des heures entières, silencieux et tranquille comme un enfant craintif si Albert travaille, expansif et enjoué si Albert est disposé à l’écouter, jamais importun, à ce qu’il semble, à mon aimable cousin, et plus heureux en ceci qu’aucun membre de sa famille.

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