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Consuelo

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XLIII. À peine Consuelo se fut-elle nommée, que le comte Albert…

À peine Consuelo se fut-elle nommée, que le comte Albert, levant les yeux au ciel et la regardant au visage, changea tout à coup d’attitude et d’expression. Il laissa tomber à terre son précieux violon avec autant d’indifférence que s’il n’en eût jamais connu l’usage; et joignant les mains avec un air d’attendrissement profond et de respectueuse douleur:



C’est donc enfin toi que je revois dans ce lieu d’exil et de souffrance, ô ma pauvre Wanda! s’écria-t-il en poussant un soupir qui semblait briser sa poitrine. Chère, chère et malheureuse sœur! victime infortunée que j’ai vengée trop tard, et que je n’ai pas su défendre! Ah! tu le sais, toi, l’infâme qui t’a outragée a péri dans les tourments, et ma main s’est impitoyablement baignée dans le sang de ses complices. J’ai ouvert la veine profonde de l’Église maudite; j’ai lavé ton affront, le mien, et celui de mon peuple, dans des fleuves de sang. Que veux-tu de plus, âme inquiète et vindicative? Le temps du zèle et de la colère est passé; nous voici aux jours du repentir et de l’expiation. Demande-moi des larmes et des prières; ne me demande plus de sang: j’ai horreur du sang désormais, et je n’en veux plus répandre! Non! non! pas une seule goutte! Jean Ziska ne remplira plus son calice que de pleurs inépuisables et de sanglots amers!»



En parlant ainsi, avec des yeux égarés et des traits animés par une exaltation soudaine, Albert tournait autour de Consuelo, et reculait avec une sorte d’épouvante chaque fois qu’elle faisait un mouvement pour arrêter cette bizarre conjuration.



Il ne fallut pas à Consuelo de longues réflexions pour comprendre la tournure que prenait la démence de son hôte. Elle s’était fait assez souvent raconter l’histoire de Jean Ziska pour savoir qu’une sœur de ce redoutable fanatique, religieuse avant l’explosion de la guerre hussite, avait péri de douleur et de honte dans son couvent, outragée par un moine abominable, et que la vie de Ziska avait été une longue et solennelle vengeance de ce crime. Dans ce moment, Albert, ramené par je ne sais quelle transition d’idées, à sa fantaisie dominante, se croyait Jean Ziska, et s’adressait à elle comme à l’ombre de Wanda, sa sœur infortunée.



Elle résolut de ne point contrarier brusquement son illusion:



Albert, lui dit-elle, car ton nom n’est plus Jean, de même que le mien n’est plus Wanda, regarde-moi bien, et reconnais que j’ai changé, ainsi que toi, de visage et de caractère. Ce que tu viens de me dire, je venais pour te le rappeler. Oui, le temps du zèle et de la fureur est passé. La justice humaine est plus que satisfaite; et c’est le jour de la justice divine que je t’annonce maintenant; Dieu nous commande le pardon et l’oubli. Ces souvenirs funestes, cette obstination à exercer en toi une faculté qu’il n’a point donnée aux autres hommes, cette mémoire scrupuleuse et farouche que tu gardes de tes existences antérieures, Dieu s’en offense, et te la retire, parce que tu en as abusé. M’entends-tu, Albert, et me comprends-tu, maintenant?



– Ô ma mère! répondit Albert, pâle et tremblant, en tombant sur ses genoux et en regardant toujours Consuelo avec un effroi extraordinaire, je vous entends et je comprends vos paroles. Je vois que vous vous transformez, pour me convaincre et me soumettre. Non, vous n’êtes plus la Wanda de Ziska, la vierge outragée, la religieuse gémissante. Vous êtes Wanda de Prachalitz, que les hommes ont appelée comtesse de Rudolstadt, et qui a porté dans son sein l’infortuné qu’ils appellent aujourd’hui Albert.



– Ce n’est point par le caprice des hommes que vous vous appelez ainsi, reprit Consuelo avec fermeté; car c’est Dieu qui vous a fait revivre dans d’autres conditions et avec de nouveaux devoirs. Ces devoirs, vous ne les connaissez pas, Albert, ou vous les méprisez. Vous remontez le cours des âges avec un orgueil impie; vous aspirez à pénétrer les secrets de la destinée; vous croyez vous égaler à Dieu en embrassant d’un coup d’œil et le présent et le passé. Moi, je vous le dis; et c’est la vérité, c’est la foi qui m’inspirent: cette pensée rétrograde est un crime et une témérité. Cette mémoire surnaturelle que vous vous attribuez est une illusion. Vous avez pris quelques lueurs vagues et fugitives pour la certitude, et votre imagination vous a trompé. Votre orgueil a bâti un édifice de chimères, lorsque vous vous êtes attribué les plus grands rôles dans l’histoire de vos ancêtres. Prenez garde de n’être point ce que vous croyez. Craignez que, pour vous punir, la science éternelle ne vous ouvre les yeux un instant, et ne vous fasse voir dans votre vie antérieure des fautes moins illustres et des sujets de remords moins glorieux que ceux dont vous osez vous vanter.»



Albert écouta ce discours avec un recueillement craintif, le visage dans ses mains, et les genoux enfoncés dans la terre.



Parlez! parlez! voix du ciel que j’entends et que je ne reconnais plus! murmura-t-il en accents étouffés. Si vous êtes l’ange de la montagne, si vous êtes, comme je le crois, la figure céleste qui m’est apparue si souvent sur la pierre d’épouvante, parlez; commandez à ma volonté, à ma conscience, à mon imagination. Vous savez bien que je cherche la lumière avec angoisse, et que si je m’égare dans les ténèbres, c’est à force de vouloir les dissiper pour vous atteindre.



– Un peu d’humilité, de confiance et de soumission aux arrêts éternels de la science incompréhensible aux hommes, voilà le chemin de la vérité pour vous, Albert. Renoncez dans votre âme, et renoncez-y fermement une fois pour toutes, à vouloir vous connaître au-delà de cette existence passagère qui vous est imposée; et vous redeviendrez agréable à Dieu, utile aux autres hommes, tranquille avec vous-même. Abaissez votre science superbe; et sans perdre la foi à votre immortalité, sans douter de la bonté divine, qui pardonne au passé et protège l’avenir, attachez-vous à rendre féconde et humaine cette vie présente que vous méprisez, lorsque vous devriez la respecter et vous y donner tout entier, avec votre force, votre abnégation et votre charité. Maintenant, Albert, regardez-moi, et que vos yeux soient dessillés. Je ne suis plus ni votre sœur, ni votre mère; je suis une amie que le ciel vous a envoyée, et qu’il a conduite ici par des voies miraculeuses pour vous arracher à l’orgueil et à la démence. Regardez-moi, et dites-moi, dans votre âme et conscience, qui je suis et comment je m’appelle.»



Albert, tremblant et éperdu, leva la tête, et la regarda encore, mais avec moins d’égarement et de terreur que les premières fois.



Vous me faites franchir des abîmes, lui dit-il; vous confondez par des paroles profondes ma raison, que je croyais supérieure (pour mon malheur) à celle des autres hommes, et vous m’ordonnez de connaître et de comprendre le temps présent et les choses humaines. Je ne le puis. Pour perdre la mémoire de certaines phases de ma vie, il faut que je subisse des crises terribles; et, pour retrouver le sentiment d’une phase nouvelle, il faut que je me transforme par des efforts qui me conduisent à l’agonie. Si vous m’ordonnez, au nom d’une puissance que je sens supérieure à la mienne, d’assimiler ma pensée à la vôtre, il faut que j’obéisse; mais je connais ces luttes épouvantables, et je sais que la mort est au bout. Ayez pitié de moi, vous qui agissez sur moi par un charme souverain; aidez-moi, ou je succombe. Dites-moi qui vous êtes, car je ne vous connais pas; je ne me souviens pas de vous avoir jamais vue: je ne sais de quel sexe vous êtes; et vous voilà devant moi comme une statue mystérieuse dont j’essaie vainement de retrouver le type dans mes souvenirs. Aidez-moi, aidez-moi, car je me sens mourir.»



En parlant ainsi, Albert, dont le visage s’était d’abord coloré d’un éclat fébrile, redevint d’une pâleur effrayante. Il étendit les mains vers Consuelo; mais il les abaissa aussitôt vers la terre pour se soutenir, comme atteint d’une irrésistible défaillance.



Consuelo, en s’initiant peu à peu aux secrets de sa maladie mentale, se sentit vivifiée et comme inspirée par une force et une intelligence nouvelles. Elle lui prit les mains, et, le forçant de se relever, elle le conduisit vers le siège qui était auprès de la table. Il s’y laissa tomber, accablé d’une fatigue inouïe, et se courba en avant comme s’il eût été près de s’évanouir. Cette lutte dont il parlait n’était que trop réelle. Albert avait la faculté de retrouver sa raison et de repousser les suggestions de la fièvre qui dévorait son cerveau; mais il n’y parvenait pas sans des efforts et des souffrances qui épuisaient ses organes. Quand cette réaction s’opérait d’elle-même, il en sortait rafraîchi et comme renouvelé; mais quand il la provoquait par une résolution de sa volonté encore puissante, son corps succombait sous la crise, et la catalepsie s’emparait de tous ses membres. Consuelo comprit ce qui se passait en lui:



Albert, lui dit-elle en posant sa main froide sur cette tête brûlante, je vous connais, et cela suffit. Je m’intéresse à vous, et cela doit vous suffire aussi quant à présent. Je vous défends de faire aucun effort de volonté pour me reconnaître et me parler. Écoutez-moi seulement; et si mes paroles vous semblent obscures, attendez que je m’explique, et ne vous pressez pas d’en savoir le sens. Je ne vous demande qu’une soumission passive et l’abandon entier de votre réflexion. Pouvez-vous descendre dans votre cœur, et y concentrer toute votre existence?



– Oh! que vous me faites de bien! répondit Albert. Parlez-moi encore, parlez-moi toujours ainsi. Vous tenez mon âme dans vos mains. Qui que vous soyez, gardez-la, et ne la laissez point s’échapper; car elle irait frapper aux portes de l’Éternité, et s’y briserait. Dites-moi qui vous êtes, dites-le-moi bien vite; et, si je ne le comprends pas, expliquez-le-moi: car, malgré moi, je le cherche et je m’agite.

 



– Je suis Consuelo, répondit la jeune fille, et vous le savez, puisque vous me parlez d’instinct une langue que seule autour de vous je puis comprendre. Je suis une amie que vous avez attendue longtemps, et que vous avez reconnue un jour qu’elle chantait. Depuis ce jour-là, vous avez quitté votre famille, et vous êtes venu vous cacher ici. Depuis ce jour, je vous ai cherché; et vous m’avez fait appeler par Zdenko à diverses reprises, sans que Zdenko, qui exécutait vos ordres à certains égards, ait voulu me conduire vers vous. J’y suis parvenue à travers mille dangers…



– Vous n’avez pas pu y parvenir si Zdenko ne l’a pas voulu, reprit Albert en soulevant son corps appesanti et affaissé sur la table. Vous êtes un rêve, je le vois bien, et tout ce que j’entends là se passe dans mon imagination. Ô mon Dieu! vous me bercez de joies trompeuses, et tout à coup le désordre et l’incohérence de mes songes se révèlent à moi-même, je me retrouve seul, seul au monde, avec mon désespoir et ma folie! Oh! Consuelo, Consuelo! rêve funeste et délicieux! Où est l’être qui porte ton nom et qui revêt parfois ta figure? Non, tu n’existes qu’en moi, et c’est mon délire qui t’a créé!».



Albert retomba sur ses bras étendus, qui se raidirent et devinrent froids comme le marbre.



Consuelo le voyait approcher de la crise léthargique, et se sentait elle-même si épuisée, si prête à défaillir, qu’elle craignait de ne pouvoir plus conjurer cette crise. Elle essaya de ranimer les mains d’Albert dans ses mains qui n’étaient guère plus vivantes.



Mon Dieu! dit-elle d’une voix éteinte et avec un cœur brisé, assiste deux malheureux qui ne peuvent presque plus rien l’un pour l’autre!»



Elle se voyait seule, enfermée avec un mourant, mourante elle-même, et ne pouvant plus attendre de secours pour elle et pour lui que de Zdenko dont le retour lui semblait encore plus effrayant que désirable.



Sa prière parut frapper Albert d’une émotion inattendue.



Quelqu’un prie à côté de moi, dit-il en essayant de soulever sa tête accablée. Je ne suis pas seul! oh non, je ne suis pas seul, ajouta-t-il en regardant la main de Consuelo enlacée aux siennes. Main secourable, pitié mystérieuse, sympathie humaine, fraternelle! tu rends mon agonie bien douce et mon cœur bien reconnaissant!»



Il colla ses lèvres glacées sur la main de Consuelo, et resta longtemps ainsi.



Une émotion pudique rendit à Consuelo le sentiment de la vie. Elle n’osa point retirer sa main à cet infortuné; mais, partagée entre son embarras et son épuisement, ne pouvant plus se tenir debout, elle fut forcée de s’appuyer sur lui et de poser son autre main sur l’épaule d’Albert.



Je me sens renaître, dit Albert au bout de quelques instants. Il me semble que je suis dans les bras de ma mère. Ô ma tante Wenceslawa! Si c’est vous qui êtes auprès de moi, pardonnez-moi de vous avoir oubliée, vous et mon père, et toute ma famille, dont les noms même étaient sortis de ma mémoire. Je reviens à vous, ne me quittez pas; mais rendez-moi Consuelo; Consuelo, celle que j’avais tant attendue, celle que j’avais enfin trouvée… et que je ne retrouve plus, et sans qui je ne puis plus respirer!»



Consuelo voulut lui parler; mais à mesure que la mémoire et la force d’Albert semblaient se réveiller, la vie de Consuelo semblait s’éteindre. Tant de frayeurs, de fatigues, d’émotions et d’efforts surhumains l’avaient brisée, qu’elle ne pouvait plus lutter. La parole expira sur ses lèvres, elle sentit ses jambes fléchir, ses yeux se troubler. Elle tomba sur ses genoux à côté d’Albert, et sa tête mourante vint frapper le sein du jeune homme. Aussitôt Albert, sortant comme d’un songe, la vit, la reconnut, poussa un cri profond, et, se ranimant, la pressa dans ses bras avec énergie. À travers les voiles de la mort qui semblaient s’étendre sur ses paupières, Consuelo vit sa joie, et n’en fut point effrayée. C’était une joie sainte et rayonnante de chasteté. Elle ferma les yeux, et tomba dans un état d’anéantissement qui n’était ni le sommeil ni la veille, mais une sorte d’indifférence et d’insensibilité pour toutes les choses présentes.



XLIV. Lorsqu’elle reprit l’usage de ses facultés…

Lorsqu’elle reprit l’usage de ses facultés, se voyant assise sur un lit assez dur, et ne pouvant encore soulever ses paupières, elle essaya de rassembler ses souvenirs. Mais la prostration avait été si complète, que ses facultés revinrent lentement; et, comme si la somme de fatigues et d’émotions qu’elle avait supportées depuis un certain temps fût arrivée à dépasser ses forces, elle tenta vainement de se rappeler ce qu’elle était devenue depuis qu’elle avait quitté Venise. Son départ même de cette patrie adoptive, où elle avait coulé des jours si doux, lui apparut comme un songe; et ce fut pour elle un soulagement (hélas! trop court) de pouvoir douter un instant de son exil et des malheurs qui l’avaient causé. Elle se persuada donc qu’elle était encore dans sa pauvre chambre de la corte Minelli, sur le grabat de sa mère, et qu’après avoir eu avec Anzoleto une scène violente et amère dont le souvenir confus flottait dans son esprit, elle revenait à la vie et à l’espérance en le sentant près d’elle, en entendant sa respiration entrecoupée, et les douces paroles qu’il lui adressait à voix basse. Une joie languissante et pleine de délices pénétra son cœur à cette pensée, et elle se souleva avec effort pour regarder son ami repentant et pour lui tendre la main. Mais elle ne pressa qu’une main froide et inconnue; et, au lieu du riant soleil qu’elle était habituée à voir briller couleur de rose à travers son rideau blanc, elle ne vit qu’une clarté sépulcrale, tombant d’une voûte sombre et nageant dans une atmosphère humide; elle sentit sous ses bras la rude dépouille des animaux sauvages, et, dans un horrible silence, la pâle figure d’Albert se pencha vers elle comme un spectre.



Consuelo se crut descendue vivante dans le tombeau; elle ferma les yeux, et retomba sur le lit de feuilles sèches, avec un douloureux gémissement. Il lui fallut encore plusieurs minutes pour comprendre où elle était, et à quel hôte sinistre elle se trouvait confiée. La peur, que l’enthousiasme de son dévouement avait combattue et dominée jusque-là, s’empara d’elle, au point qu’elle craignit de rouvrir les yeux et de voir quelque affreux spectacle, des apprêts de mort, un sépulcre ouvert devant elle. Elle sentit quelque chose sur son front, et y porta la main. C’était une guirlande de feuillage dont Albert l’avait couronnée. Elle l’ôta pour la regarder, et vit une branche de cyprès.



Je t’ai crue morte, ô mon âme, ô ma consolation! lui dit Albert en s’agenouillant auprès d’elle, et j’ai voulu avant de te suivre dans le tombeau te parer des emblèmes de l’hyménée. Les fleurs ne croissent point autour de moi, Consuelo. Les noirs cyprès étaient les seuls rameaux où ma main pût cueillir ta couronne de fiancée. La voilà, ne la repousse pas. Si nous devons mourir ici, laisse-moi te jurer que, rendu à la vie, je n’aurais jamais eu d’autre épouse que toi, et que je meurs avec toi, uni à toi par un serment indissoluble.



– Fiancés, unis! s’écria Consuelo terrifiée en jetant des regards consternés autour d’elle: qui donc a prononcé cet arrêt? qui donc a célébré cet hyménée?



– C’est la destinée, mon ange, répondit Albert avec une douceur et une tristesse inexprimables. Ne songe pas à t’y soustraire. C’est une destinée bien étrange pour toi, et pour moi encore plus. Tu ne me comprends pas, Consuelo, et il faut pourtant que tu apprennes la vérité. Tu m’as défendu tout à l’heure de chercher dans le passé; tu m’as interdit le souvenir de ces jours écoulés qu’on appelle la nuit des siècles. Mon être t’a obéi, et je ne sais plus rien désormais de ma vie antérieure. Mais ma vie présente, je l’ai interrogée, je la connais; je l’ai vue tout entière d’un regard, elle m’est apparue en un instant pendant que tu reposais dans les bras de la mort. Ta destinée, Consuelo, est de m’appartenir, et cependant tu ne seras jamais à moi. Tu ne m’aimes pas, tu ne m’aimeras jamais comme je t’aime. Ton amour pour moi n’est que de la charité, ton dévouement de l’héroïsme. Tu es une sainte que Dieu m’envoie, et jamais tu ne seras une femme pour moi. Je dois mourir consumé d’un amour que tu ne peux partager; et cependant, Consuelo, tu seras mon épouse comme tu es déjà ma fiancée, soit que nous périssions ici et que ta pitié consente à me donner ce titre d’époux qu’un baiser ne doit jamais sceller, soit que nous revoyions le soleil, et que ta conscience t’ordonne d’accomplir les desseins de Dieu envers moi.



– Comte Albert, dit Consuelo en essayant de quitter ce lit couvert de peaux d’ours noirs qui ressemblaient à un drap mortuaire, je ne sais si c’est l’enthousiasme d’une reconnaissance trop vive ou la suite de votre délire qui vous fait parler ainsi. Je n’ai plus la force de combattre vos illusions; et si elles doivent se tourner contre moi, contre moi qui suis venue, au péril de ma vie, vous secourir et vous consoler, je sens que je ne pourrai plus vous disputer ni mes jours ni ma liberté. Si ma vue vous irrite et si Dieu m’abandonne, que la volonté de Dieu soit faite! Vous qui croyez savoir tant de choses, vous ne savez pas combien ma vie est empoisonnée, et avec combien peu de regrets j’en ferais le sacrifice!



– Je sais que tu es bien malheureuse, ô ma pauvre sainte! je sais que tu portes au front une couronne d’épines que je ne puis en arracher. La cause et la suite de tes malheurs, je les ignore, et je ne te les demande pas. Mais je t’aimerais bien peu, je serais bien peu digne de ta compassion, si, dès le jour où je t’ai rencontrée, je n’avais pas pressenti et reconnu en toi la tristesse qui remplit ton âme et abreuve ta vie. Que peux-tu craindre de moi, Consuelo de mon âme? Toi, si ferme et si sage, toi à qui Dieu a inspiré des paroles qui m’ont subjugué et ranimé en un instant, tu sens donc défaillir étrangement la lumière de ta foi et de ta raison, puisque tu redoutes ton ami, ton serviteur et ton esclave? Reviens à toi, mon ange; regarde-moi. Me voici à tes pieds, et pour toujours, le front dans la poussière. Que veux-tu, qu’ordonnes-tu? Veux-tu sortir d’ici à l’instant même, sans que je te suive, sans que je reparaisse jamais devant toi? Quel sacrifice exiges-tu? Quel serment veux-tu que je te fasse? Je puis te promettre tout et t’obéir en tout. Oui, Consuelo, je peux même devenir un homme tranquille, soumis, et, en apparence, aussi raisonnable que les autres. Est-ce ainsi que je te serai moins amer et moins effrayant? Jusqu’ici je n’ai jamais pu ce que j’ai voulu; mais tout ce que tu voudras désormais me sera accordé. Je mourrai peut-être en me transformant selon ton désir; mais c’est à mon tour de te dire que ma vie a toujours été empoisonnée, et que je ne pourrais pas la regretter en la perdant pour toi.



– Cher et généreux Albert, dit Consuelo rassurée et attendrie, expliquez-vous mieux, et faites enfin que je connaisse le fond de cette âme impénétrable. Vous êtes à mes yeux un homme supérieur à tous les autres; et, dès le premier instant où je vous ai vu, j’ai senti pour vous un respect et une sympathie que je n’ai point de raisons pour vous dissimuler. J’ai toujours entendu dire que vous étiez insensé, je n’ai pas pu le croire. Tout ce qu’on me racontait de vous ajoutait à mon estime et à ma confiance. Cependant il m’a bien fallu reconnaître que vous étiez accablé d’un mal moral profond et bizarre. Je me suis, présomptueusement persuadée que je pouvais adoucir ce mal. Vous-même avez travaillé à me le faire croire. Je suis venue vous trouver, et voilà que vous me dites sur moi et sur vous-même des choses d’une profondeur et d’une vérité qui me rempliraient d’une vénération sans bornes, si vous n’y mêliez des idées étranges, empreintes d’un esprit de fatalisme que je ne saurais partager. Dirai-je tout sans vous blesser et sans vous faire souffrir?…



– Dites tout, Consuelo; je sais d’avance ce que vous avez à me dire.



– Eh bien, je le dirai, car je me l’étais promis. Tous ceux qui vous aiment désespèrent de vous. Ils croient devoir respecter, c’est-à-dire ménager, ce qu’ils appellent votre démence; ils craignent de vous exaspérer, en vous laissant voir qu’ils la connaissent, la plaignent, et la redoutent. Moi, je n’y crois pas, et je ne puis trembler en vous demandant pourquoi, étant si sage, vous avez parfois les dehors d’un insensé; pourquoi, étant si bon, vous faites les actes de l’ingratitude et de l’orgueil; pourquoi, étant si éclairé et si religieux, vous vous abandonnez aux rêveries d’un esprit malade et désespéré; pourquoi, enfin, vous voilà seul, enseveli vivant dans un caveau lugubre, loin de votre famille qui vous cherche et vous pleure, loin de vos semblables que vous chérissez avec un zèle ardent, loin de moi, enfin, que vous appeliez, que vous dites aimer, et qui n’ai pu parvenir jusqu’à vous sans des miracles de volonté et une protection divine?

 



– Vous me demandez le secret de ma vie, le mot de ma destinée, et vous le savez mieux que moi, Consuelo! C’est de vous que j’attendais la révélation de mon être, et vous m’interrogez! Oh! je vous comprends; vous voulez m’amener à une confession, à un repentir efficace, à une résolution victorieuse. Vous serez obéie. Mais ce n’est pas à l’instant même que je puis me connaître, me juger, et me transformer de la sorte. Donnez-moi quelques jours, quelques heures du moins, pour vous apprendre et pour m’apprendre à moi-même si je suis fou, ou si je jouis de ma raison. Hélas! hélas! l’un et l’autre sont vrais, et mon malheur est de n’en pouvoir douter! mais de savoir si je dois perdre entièrement le jugement et la volonté, ou si je puis triompher du démon qui m’obsède, voilà ce que je ne puis en cet instant. Prenez pitié de moi, Consuelo! je suis encore sous le coup d’une émotion plus puissante que moi-même. J’ignore ce que je vous ai dit; j’ignore combien d’heures se sont écoulées depuis que vous êtes ici; j’ignore comment vous pouvez y être sans Zdenko, qui ne voulait pas vous y amener; j’ignore même dans quel monde erraient mes pensées quand vous m’êtes apparue. Hélas! j’ignore depuis combien de siècles je suis enfermé ici, luttant avec des souffrances inouïes, contre le fléau qui me dévore! Ces souffrances, je n’en ai même plus conscience quand elles sont passées; il ne m’en reste qu’une fatigue terrible, une stupeur, et comme un effroi que je voudrais chasser… Consuelo, laissez-moi m’oublier, ne fût-ce que pour quelques instants. Mes idées s’éclairciront, ma langue se déliera. Je vous le promets, je vous le jure. Ménagez-moi cette lumière de la réalité longtemps éclipsée dans d’affreuses ténèbres, et que mes yeux ne peuvent soutenir encore! Vous m’avez ordonné de concentrer toute ma vie dans mon cœur. Oui! vous m’avez dit cela; ma raison et ma mémoire ne datent plus que du moment où vous m’avez parlé. Eh bien, cette parole a fait descendre un calme angélique dans mon sein. Mon cœur vit tout entier maintenant, quoique mon esprit sommeille encore. Je crains de vous parler de moi; je pourrais m’égarer et vous effrayer encore par mes rêveries. Je veux ne vivre que par le sentiment, et c’est une vie inconnue pour moi; ce serait une vie de délices, si je pouvais m’y abandonner sans vous déplaire. Ah! Consuelo, pourquoi m’avez-vous dit de concentrer toute ma vie dans mon cœur? Expliquez-vous vous-même; laissez-moi ne m’occuper que de vous, ne voir et ne comprendre que vous… aimer, enfin. Ô mon Dieu! j’aime! j’aime un être vivant, semblable à moi! je l’aime de toute la puissance de mon être! Je puis concentrer sur lui toute l’ardeur, toute la sainteté de mon affection! C’est bien assez de bonheur pour moi comme cela, et je n’ai pas la folie de demander davantage!



– Eh bien, cher Albert, reposez votre pauvre âme dans ce doux sentiment d’une tendresse paisible et fraternelle. Dieu m’est témoin que vous le pouvez sans crainte et sans danger; car je sens pour vous une amitié fervente, une sorte de vénération que les discours frivoles et les vains jugements du vulgaire ne sauraient ébranler. Vous avez compris, par une sorte d’intuition divine et mystérieuse, que ma vie était brisée par la douleur; vous l’avez dit, et c’est la vérité suprême qui a mis cette parole dans votre bouche. Je ne puis pas vous aimer autrement que comme un frère; mais ne dites pas que c’est la charité, la pitié seule qui me guide. Si l’humanité et la compassion m’ont donné le courage de venir ici, une sympathie, une estime particulière pour vos vertus, me donnent aussi le courage et le droit de vous parler comme je fais. Abjurez donc dès à présent et pour toujours l’illusion où vous êtes sur votre propre sentiment. Ne parlez pas d’amour, ne parlez pas d’hyménée. Mon pas

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