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Читать книгу: «Actes et Paroles, Volume 1», страница 7

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CHAMBRE DES PAIRS
1845-1848

I
LA POLOGNE

[Note: Dans la discussion du projet de loi relatif aux depenses secretes M. de Montalembert vint plaider la cause de la Pologne et adjurer le Gouvernement de sortir de sa politique egoiste. M. Guizot repondit que le gouvernement du roi persistait et persisterait dans les deux regles de conduite qu'il s'etait imposees: la non-intervention dans les affaires de Pologne; les secours, l'asile offert aux malheureux polonais. "L'opposition, disait M. Guizot, peut tenir le langage qui lui plait; elle peut, sans rien faire, sans rien proposer, donner a ses reproches toute l'amertume, a ses esperances toute la latitude qui lui conviennent. Il y a, croyez-moi, bien autant, et c'est par egard que je ne dis pas bien plus, de moralite, de dignite, de vraie charite meme envers les polonais, a ne promettre et a ne dire que ce qu'on fait reellement." – En somme, M. Guizot tenait le debat engage pour inutile et ne pensait pas que la discussion des droits de la Pologne, que l'expression du jugement de la France pussent produire aucun effet heureux pour la reconstitution de la nationalite polonaise. Le gouvernement francais, selon M. Guizot, devait remplir son devoir de neutralite en contenant, pour obeir a l'interet legitime de son pays, les sentiments qui s'elevaient aussi dans son ame. – Apres M. le prince de la Moskowa qui repondit a M. Guizot, M. Victor Hugo monta a la tribune. Ce discours, le premier discours politique qu'ait prononce Victor Hugo, fut tres froidement accueilli. (Note de l'editeur.)]

19 mars 1846.

Messieurs,

Je dirai tres peu de mots. Je cede a un sentiment irresistible qui m'appelle a cette tribune.

La question qui se debat en ce moment devant cette noble assemblee n'est pas une question ordinaire, elle depasse la portee habituelle des questions politiques; elle reunit dans une commune et universelle adhesion les dissidences les plus declarees, les opinions les plus contraires, et l'on peut dire, sans craindre d'etre dementi, que personne dans cette enceinte, personne, n'est etranger a ces nobles emotions, a ces profondes sympathies.

D'ou vient ce sentiment unanime? Est-ce que vous ne sentez pas tous qu'il y a une certaine grandeur dans la question qui s'agite? C'est la civilisation meme qui est compromise, qui est offensee par certains actes que nous avons vu s'accomplir dans un coin de l'Europe. Ces actes, messieurs, je ne veux pas les qualifier, je n'envenimerai pas une plaie vive et saignante. Cependant je le dis, et je le dis tres haut, la civilisation europeenne recevrait une serieuse atteinte, si aucune protestation ne s'elevait contre le procede du gouvernement autrichien envers la Gallicie.

Deux nations entre toutes, depuis quatre siecles, ont joue dans la civilisation europeenne un role desinteresse; ces deux nations sont la France et la Pologne. Notez ceci, messieurs: la France dissipait les tenebres, la Pologne repoussait la barbarie; la France repandait les idees, la Pologne couvrait la frontiere. Le peuple francais a ete le missionnaire de la civilisation en Europe; le peuple polonais en a ete le chevalier.

Si le peuple polonais n'avait pas accompli son oeuvre, le peuple francais n'aurait pas pu accomplir la sienne. A un certain jour, a une certaine heure, devant une invasion formidable de la barbarie, la Pologne a eu Sobieski comme la Grece avait eu Leonidas.

Ce sont la, messieurs, des faits qui ne peuvent s'effacer de la memoire des nations. Quand un peuple a travaille pour les autres peuples, il est comme un homme qui a travaille pour les autres hommes, la reconnaissance de tous l'entoure, la sympathie de tous lui est acquise, il est glorifie dans sa puissance, il est respecte dans son malheur, et si, par la durete des temps, ce peuple, qui n'a jamais eu l'egoisme pour loi, qui n'a jamais consulte que sa generosite, que les nobles et puissants instincts qui le portaient a defendre la civilisation, si ce peuple devient un petit peuple, il reste une grande nation.

C'est la, messieurs, la destinee de la Pologne. Mais la Pologne, messieurs les pairs, est grande encore parmi vous; elle est grande dans les sympathies de la France; elle est grande dans les respects de l'Europe! Pourquoi? C'est qu'elle a servi la communaute europeenne; c'est qu'a certains jours, elle a rendu a toute l'Europe de ces services qui ne s'oublient pas.

Aussi, lorsque, il y a quatrevingts ans, cette nation a ete rayee du nombre des nations, un sentiment douloureux, un sentiment de profond respect s'est manifeste dans l'Europe entiere.

En 1773, la Pologne est condamnee; quatrevingts ans ont passe, et personne ne pourrait dire que ce fait soit accompli. Au bout de quatrevingts ans, ce grave fait de la radiation d'un peuple, non, ce n'est point un fait accompli! Avoir demembre la Pologne, c'etait le remords de Frederic II; n'avoir pas releve la Pologne, c'etait le regret de Napoleon.

Je le repete, lorsqu'une nation a rendu au groupe des autres nations de ces services eclatants, elle ne peut plus disparaitre; elle vit, elle vit a jamais! Opprimee ou heureuse, elle rencontre la sympathie; elle la trouve toutes les fois qu'elle se leve.

Certes, je pourrais presque me dispenser de le dire, je ne suis pas de ceux qui appellent les conflits des puissances et les conflagrations populaires. Les ecrivains, les artistes, les poetes, les philosophes, sont les hommes de la paix. La paix fait fructifier les idees en meme temps que les interets. C'est un magnifique spectacle depuis trente ans que cette immense paix europeenne, que cette union profonde des nations dans le travail universel de l'industrie, de la science et de la pensee. Ce travail, c'est la civilisation meme.

Je suis heureux de la part que mon pays prend a cette paix feconde, je suis heureux de sa situation libre et prospere sous le roi illustre qu'il s'est donne; mais je suis fier aussi des fremissements genereux qui l'agitent quand l'humanite est violee, quand la liberte est opprimee sur un point quelconque du globe; je suis fier de voir, au milieu de la paix de l'Europe, mon pays prendre et garder une attitude a la fois sereine et redoutable, sereine parce qu'il espere, redoutable parce qu'il se souvient.

Ce qui fait qu'aujourd'hui j'eleve la parole, c'est que le fremissement genereux de la France, je le sens comme vous tous; c'est que la Pologne ne doit jamais appeler la France en vain; c'est que je sens la civilisation offensee par les actes recents du gouvernement autrichien. Dans ce qui vient de se faire en Gallicie, les paysans n'ont pas ete payes, on le nie du moins; mais ils ont ete provoques et encourages, cela est certain. J'ajoute que cela est fatal. Quelle imprudence! s'abriter d'une revolution politique dans une revolution sociale! Redouter des rebelles et creer des bandits!

Que faire maintenant? Voila la question qui nait des faits eux-memes et qu'on s'adresse de toutes parts. Messieurs les pairs, cette tribune a un devoir. Il faut qu'elle le remplisse. Si elle se taisait, M. le ministre des affaires etrangeres, ce grand esprit, serait le premier, je n'en doute pas, a deplorer son silence.

Messieurs, les elements du pouvoir d'une grande nation ne se composent pas seulement de ses flottes, de ses armees, de la sagesse de ses lois, de l'etendue de son territoire. Les elements du pouvoir d'une grande nation sont, outre ce que je viens de dire, son influence morale, l'autorite de sa raison et de ses lumieres, son ascendant parmi les nations civilisatrices.

Eh bien, messieurs, ce qu'on vous demande, ce n'est pas de jeter la France dans l'impossible et dans l'inconnu; ce qu'on vous demande d'engager dans cette question, ce ne sont pas les armees et les flottes de la France, ce n'est pas sa puissance continentale et militaire, c'est son ascendant moral, c'est l'autorite qu'elle a si legitimement parmi les peuples, cette grande nation qui fait au profit du monde entier depuis trois siecles toutes les experiences de la civilisation et du progres.

Mais qu'est-ce que c'est, dira-t-on, qu'une intervention morale?

Peut-elle avoir des resultats materiels et positifs?

Pour toute reponse, un exemple.

Au commencement du dernier siecle, l'inquisition espagnole etait encore toute-puissante. C'etait un pouvoir formidable qui dominait la royaute elle-meme, et qui, des lois, avait presque passe dans les moeurs. Dans la premiere moitie du dix-huitieme siecle, de 1700 a 1750, le saint-office n'a pas fait moins de douze mille victimes, dont seize cents moururent sur le bucher. Eh bien, ecoutez ceci. Dans la seconde moitie du meme siecle, cette meme inquisition n'a fait que quatrevingt-dix-sept victimes. Et, sur ce nombre, combien de buchers a-t-elle dresses? Pas un seul. Pas un seul! Entre ces deux chiffres, douze mille et quatrevingt-dix-sept, seize cents buchers et pas un seul, qu'y a-t-il? Y a-t-il une guerre? y a-t-il intervention directe et armee d'une nation? y a-t-il effort de nos flottes et de nos armees, ou meme simplement de notre diplomatie? Non, messieurs, il n'y a eu que ceci, une intervention morale. Voltaire et la France ont parle, l'inquisition est morte.

Aujourd'hui comme alors une intervention morale peut suffire. Que la presse et la tribune francaises elevent la voix, que la France parle, et, dans un temps donne, la Pologne renaitra.

Que la France parle, et les actes sauvages que nous deplorons seront impossibles, et l'Autriche et la Russie seront contraintes d'imiter le noble exemple de la Prusse, d'accepter les nobles sympathies de l'Allemagne pour la Pologne.

Messieurs, je ne dis plus qu'un mot. L'unite des peuples s'incarne de deux facons, dans les dynasties et dans les nationalites. C'est de cette maniere, sous cette double forme, que s'accomplit ce difficile labeur de la civilisation, oeuvre commune de l'humanite; c'est de cette maniere que se produisent les rois illustres et les peuples puissants. C'est en se faisant nationalite ou dynastie que le passe d'un empire devient fecond et peut produire l'avenir. Aussi c'est une chose fatale quand les peuples brisent des dynasties; c'est une chose plus fatale encore quand les princes brisent des nationalites.

Messieurs, la nationalite polonaise etait glorieuse; elle eut du etre respectee. Que la France avertisse les princes, qu'elle mette un terme et qu'elle fasse obstacle aux barbaries. Quand la France parle, le monde ecoute; quand la France conseille, il se fait un travail mysterieux dans les esprits, et les idees de droit et de liberte, d'humanite et de raison, germent chez tous les peuples.

Dans tous les temps, a toutes les epoques, la France a joue dans la civilisation ce role considerable, et ceci n'est que du pouvoir spirituel, c'est le pouvoir qu'exercait Rome au moyen age. Rome etait alors un etat de quatrieme rang, mais une puissance de premier ordre. Pourquoi? C'est que Rome s'appuyait sur la religion des peuples, sur une chose d'ou toutes les civilisations decoulent.

Voila, messieurs, ce qui a fait Rome catholique puissante, a une epoque ou l'Europe etait barbare.

Aujourd'hui la France a herite d'une partie de cette puissance spirituelle de Rome; la France a, dans les choses de la civilisation, l'autorite que Rome avait et a encore dans les choses de la religion.

Ne vous etonnez pas, messieurs, de m'entendre meler ces mots, civilisation et religion; la civilisation, c'est la religion appliquee.

La France a ete et est encore plus que jamais la nation qui preside au developpement des autres peuples.

Que de cette discussion il resulte au moins ceci: les princes qui possedent des peuples ne les possedent pas comme maitres, mais comme peres; le seul maitre, le vrai maitre est ailleurs; la souverainete n'est pas dans les dynasties, elle n'est pas dans les princes, elle n'est pas dans les peuples non plus, elle est plus haut; la souverainete est dans toutes les idees d'ordre et de justice, la souverainete est dans la verite.

Quand un peuple est opprime, la justice souffre, la verite, la souverainete du droit, est offensee; quand un prince est injustement outrage ou precipite du trone, la justice souffre egalement, la civilisation souffre egalement. Il y a une eternelle solidarite entre les idees de justice qui font le droit des peuples et les idees de justice qui font le droitdes princes. Dites-le aujourd'hui aux tetes couronnees comme vous le diriez aux peuples dans l'occasion.

Que les hommes qui gouvernent les autres hommes le sachent, le pouvoir moral de la France est immense. Autrefois, la malediction de Rome pouvait placer un empire en dehors du monde religieux; aujourd'hui l'indignation de la France peut jeter un prince en dehors du monde civilise.

Il faut donc, il faut que la tribune francaise, a cette heure, eleve en faveur de la nation polonaise une voix desinteressee et independante; qu'elle proclame, en cette occasion, comme en toutes, les eternelles idees d'ordre et de justice, et que ce soit au nom des idees de stabilite et de civilisation qu'elle defende la cause de la Pologne opprimee. Apres toutes nos discordes et toutes nos guerres, les deux nations dont je parlais en commencant, cette France qui a eleve et muri la civilisation de l'Europe, cette Pologne qui l'a defendue, ont subi des destinees diverses; l'une a ete amoindrie, mais elle est restee grande; l'autre a ete enchainee, mais elle est restee fiere. Ces deux nations aujourd'hui doivent s'entendre, doivent avoir l'une pour l'autre cette sympathie profonde de deux soeurs qui ont lutte ensemble. Toutes deux, je l'ai dit et je le repete, ont beaucoup fait pour l'Europe; l'une s'est prodiguee, l'autre s'est devouee.

Messieurs, je me resume et je finis par un mot. L'intervention de la France dans la grande question qui nous occupe, cette intervention ne doit pas etre une intervention materielle, directe, militaire, je ne le pense pas. Cette intervention doit etre une intervention purement morale; ce doit etre l'adhesion et la sympathie hautement exprimees d'un grand peuple, heureux et prospere, pour un autre peuple opprime et abattu. Rien de plus, mais rien de moins.

II
CONSOLIDATION ET DEFENSE DU LITTORAL

[Note: Dans la seance du 27 juin, un incident fut souleve, par M. de Boissy, sur l'ordre du jour. La chambre avait a discuter deux projets de loi: le premier etait relatif a des travaux a executer dans differents ports de commerce, le second decretait le rachat du havre de Courseulles. M. de Boissy voulait que la discussion du premier de ces projets, qui emportait 13 millions de depense, fut remise apres le vote du budget des recettes. La proposition de M. de Boissy, combattue par M. Dumon, le ministre des travaux publics et par M. Tupinier, rapporteur de la commission qui avait examine les projets de loi, fut rejetee apres ce discours de M. Victor Hugo. La discussion eut lieu dans la seance du 29. (Note de l'editeur.)]

27 juin et 1er juillet 1846.

Messieurs,

Je me reunis aux observations presentees par M. le ministre des travaux publics. Les degradations auxquelles il s'agit d'obvier marchent, il faut le dire, avec une effrayante rapidite. Il y a pour moi, et pour ceux qui ont etudie cette matiere, il y a urgence. Dans mon esprit meme, le projet de loi a une portee plus grande que dans la pensee de ses auteurs. La loi qui vous est presentee n'est qu'une parcelle d'une grande loi, d'une grande loi possible, d'une grande loi necessaire; cette loi, je la provoque, je declare que je voudrais la voir discuter par les chambres, je voudrais la voir presenter et soutenir par l'excellent esprit et l'excellente parole de l'honorable ministre qui tient en ce moment le portefeuille des travaux publics.

L'objet de cette grande loi dont je deplore l'absence, le voici: maintenir, consolider et ameliorer au double point de vue militaire et commercial la configuration du littoral de la France. (Mouvement d'attention.)

Messieurs, si on venait vous dire: Une de vos frontieres est menacee; vous avez un ennemi qui, a toute heure, en toute saison, nuit et jour, investit et assiege une de vos frontieres, qui l'envahit sans cesse, qui empiete sans relache, qui aujourd'hui vous derobe une langue de terre, demain une bourgade, apres-demain une ville frontiere; si l'on vous disait cela, a l'instant meme cette chambre seleverait et trouverait que ce n'est pas trop de toutes les forces du pays pour le defendre contre un pareil danger. Eh bien, messieurs les pairs, cette frontiere, elle existe, c'est votre littoral; cet ennemi, il existe, c'est l'ocean. (Mouvement.) Je ne veux rien exagerer. M. le ministre des travaux publics sait comme moi que les degradations des cotes de France sont nombreuses et rapides; il sait, par exemple, que cette immense falaise, qui commence a l'embouchure de la Somme et qui finit a l'embouchure de la Seine, est dans un etat de demolition perpetuelle. Vous n'ignorez pas que la mer agit incessamment sur les cotes; de meme que l'action de l'atmosphere use les montagnes, l'action de la mer use les cotes. L'action atmospherique se complique d'une multitude de phenomenes. Je demande pardon a la chambre si j'entre dans ces details, mais je crois qu'ils sont utiles pour demontrer l'urgence du projet actuel et l'urgence d'une plus grande loi sur cette matiere. (De toutes parts: Parlez! parlez!)

Messieurs, je viens de le dire, l'action de l'atmosphere qui agit sur les montagnes se complique d'une multitude de phenomenes; il faut des milliers d'annees a l'action atmospherique pour demolir une muraille comme les Pyrenees, pour creer une ruine comme le cirque de Gavarnie, ruine qui est en meme temps le plus merveilleux des edifices. Il faut tres peu de temps aux flots de la mer pour degrader une cote; un siecle ou deux suffisent, quelquefois moins de cinquante ans, quelquefois un coup d'equinoxe. Il y a la destruction continue et la destruction brusque.

Depuis l'embouchure de la Somme jusqu'a l'embouchure de la Seine, si l'on voulait compter toutes les degradations quotidiennes qui ont lieu, on serait effraye. Etretat s'ecroule sans cesse; le Bourgdault avait deux villages il y a un siecle, le village du bord de la mer, et le village du haut de la cote. Le premier a disparu, il n'existe aujourd'hui que le village du haut de la cote. Il y avait une eglise, l'eglise d'en bas, qu'on voyait encore il y a trente ans, seule et debout au milieu des flots comme un navire echoue; un jour l'ouragan a souffle, un coup de mer est venu, l'eglise a sombre. (Mouvement.) Il ne reste rien aujourd'hui de cette population de pecheurs, de ce petit port si utile. Messieurs, vous ne l'ignorez pas, Dieppe s'encombre tous les jours; vous savez que tous nos ports de la Manche sont dans un etat grave, et pour ainsi dire atteints d'une maladie serieuse et profonde.

Vous parlerai-je du Havre, dont l'etat doit vous preoccuper au plus haut degre? J'insiste sur ce point; je sais que ce port n'a pas ete mis dans la loi, je voudrais cependant qu'il fixat l'attention de M. le ministre des travaux publics. Je prie la chambre de me permettre de lui indiquer rapidement quels sont les phenomenes qui ameneront, dans un temps assez prochain, la destruction de ce grand port, qui est a l'Ocean ce que Marseille est a la Mediterranee. (Parlez! parlez!)

Messieurs, il y a quelques jours on discutait devant vous, avec une remarquable lucidite de vues, la question de la marine; cette question a ete traitee dans une autre enceinte avec une egale superiorite. La puissance maritime d'une nation se fonde sur quatre elements: les vaisseaux, les matelots, les colonies et les ports; je cite celui-ci le dernier, quoiqu'il soit le premier. Eh bien, la question des vaisseaux et des matelots a ete approfondie, la question des colonies a ete effleuree; la question des ports n'a pas ete traitee, elle n'a pas meme ete entrevue. Elle se presente aujourd'hui, c'est le moment sinon de la traiter a fond, au moins de l'effleurer aussi. (Oui! oui!)

C'est du gouvernement que doivent venir les grandes impulsions; mais c'est des chambres, c'est de cette chambre en particulier, que doivent venir les grandes indications. (Tres bien!)

Messieurs, je touche ici a un des plus grands interets de la France, je prie la chambre de s'en penetrer. Je le repete et j'y insiste, maintenir, consolider et ameliorer, au profit de notre marine militaire et marchande, la configuration de notre littoral, voila le but qu'on doit se proposer. (Oui, tres bien!) La loi actuelle n'a qu'un defaut, ce n'est pas un manque d'urgence, c'est un manque de grandeur. (Sensation.)

Je voudrais que la loi fut un systeme, qu'elle fit partie d'un ensemble, que le ministre nous l'eut presentee dans un grand but et dans une grande vue, et qu'une foule de travaux importants, serieux, considerables fussent entrepris dans ce but par la France. C'est la, je le repete, un immense interet national. (Vif assentiment.)

Voici, puisque la chambre semble m'encourager, ce qui me parait devoir frapper son attention. Le courant de la Manche…

M. LE CHANCELIER. – J'invite l'orateur a se renfermer dans le projet en discussion.

M. VICTOR HUGO. – Voici ce que j'aurai l'honneur de faire remarquer a M. le chancelier. Une loi contient toujours deux points de vue, le point de vue special et le point de vue general; le point de vue special, vous venez de l'entendre traiter; le point de vue general, je l'aborde.

Eh bien! lorsqu'une loi souleve des questions aussi graves, vous voudriez que ces questions passassent devant la chambre sans etre traitees, sans etre examinees par elle! (Bruit.)

A l'heure qu'il est, la question d'urgence se discute; je crois qu'il ne s'agit que de cette question, et c'est elle que je traite, je suis donc dans la question. (Plusieurs voix: Oui! oui!) Je crois pouvoir demontrer a cette noble chambre qu'il y a urgence pour cette loi, parce qu'il y a urgence pour tout le littoral.

Maintenant si, au nombre des arguments dont je dois me servir, je presente le fait d'une grande imminence, d'un peril demontre, constate, evident pour tous, et en particulier pour M. le ministre des travaux publics, il me semble que je puis, que je dois invoquer cette grande urgence, signaler ce grand peril, et que si je puis reussir a montrer qu'il y a la un serieux interet public, je n'aurai pas mal employe le temps que la chambre aura bien voulu m'accorder. (Adhesion sur plusieurs bancs.)

Si la question d'ordre du jour s'oppose a ce que je continue un developpement que je croyais utile, je prierai la chambre de vouloir bien me reserver la parole au moment de la discussion de cette loi (Sans doute! sans doute!), car je crois necessaire de dire a la chambre certaines choses; mais dans ce moment-ci je ne parle que pour soutenir l'urgence du projet de loi. J'approuve l'insistance de M. le ministre des travaux publics; je l'appuie, je l'appuie energiquement.

Vous nous mettez en presence d'une petite loi; je la vote, je la vote avec empressement; mais j'en provoque une grande.

Vous nous apportez des travaux partiels, je les approuve; mais je voudrais des travaux d'ensemble.

J'insiste sur l'importance de la question. (Parlez! parlez!)

Messieurs, toute nation a la fois continentale et maritime comme la France a toujours trois questions qui dominent toutes les autres, et d'ou toutes les autres decoulent. De ces trois questions, la premiere, la voici: ameliorer la condition de la population. Voici la seconde: maintenir et defendre l'integrite du territoire. Voici la troisieme: maintenir et consolider la configuration du littoral.

Maintenir le territoire, c'est-a-dire surveiller l'etranger.

Consolider le littoral, c'est-a-dire surveiller l'ocean.

Ainsi, trois questions de premier ordre: le peuple, le territoire, le littoral. De ces trois questions, les deux premieres apparaissent frequemment sous toutes les formes dans les deliberations des assemblees. Lorsque l'imprevoyance des hommes les retire de l'ordre du jour, la force des choses les y remet. La troisieme question, le littoral, semble preoccuper moins vivement les corps deliberants. Est-elle plus obscure que les deux autres? Elle se complique, a la verite, d'un element politique et d'un element geologique, elle exige de certaines etudes speciales; cependant elle est, comme les deux autres, un serieux interet public.

Chaque fois que cette question du littoral, du littoral de la France en particulier, se presente a l'esprit, voici ce qu'elle offre de grave et d'inquietant: la degradation de nos dunes et de nos falaises, la ruine des populations riveraines, l'encombrement de nos ports, l'ensablement des embouchures de nos fleuves, la creation des barres et des traverses, qui rendent la navigation si difficile, la frequence des sinistres, la diminution de la marine militaire et de la marine marchande; enfin, messieurs, notre cote de France, nue et desarmee, en presence de la cote d'Angleterre, armee, gardee et formidable! (Emotion.)

Vous le voyez, messieurs, vous le sentez, et ce mouvement de la chambre me le prouve, cette question a de la grandeur, elle est digne d'occuper au plus haut point cette noble assemblee.

Ce n'est pas cependant a la derniere heure d'une session, a la derniere heure d'une legislature, qu'un pareil sujet peut etre aborde dans tous ses details, examine dans toute son etendue. On n'explore pas au dernier moment un si vaste horizon, qui nous apparait tout a coup. Je me bornerai a un coup d'oeil. Je me bornerai a quelques considerations generales pour fixer l'attention de la chambre, l'attention de M. le ministre des travaux publics, l'attention du pays, s'il est possible. Notre but, aujourd'hui, mon but a moi, le voici en deux, mots; je l'ai dit en commencant: voter une petite loi, et en ebaucher une grande.

Messieurs les pairs, il ne faut pas se dissimuler que l'etat du littoral de la France est en general alarmant; le littoral de la France est entame sur un tres grand nombre de points, menace sur presque tous. Je pourrais citer des faits nombreux, je me bornerai a un seul; un fait sur lequel j'ai commence a appeler vos regards a l'une des precedentes seances; un fait d'une gravite considerable, et qui fera comprendre par un seul exemple de quelle nature sont les phenomenes qui menacent de ruiner une partie de nos ports et de deformer la configuration des cotes de France.

Ici, messieurs, je reclame beaucoup d'attention et un peu de bienveillance, car j'entreprends une chose tres difficile; j'entreprends d'expliquer a la chambre en peu de mots, et en le depouillant des termes techniques, un phenomene a l'explication duquel la science depense des volumes. Je serai court et je tacherai d'etre clair.

Vous connaissez tous plus ou moins vaguement la situation grave du Havre; vous rendez-vous tous bien compte du phenomene qui produit cette situation, et de ce qu'est cette situation? Je vais tacher de le faire comprendre a la chambre.

Les courants de la Manche s'appuient sur la grande falaise de Normandie, la battent, la minent, la degradent perpetuellement; cette colossale demolition tombe dans le flot, le flot s'en empare et l'emporte; le courant de l'Ocean longe la cote en charriant cette enorme quantite de matieres, toute la ruine de la falaise; chemin faisant, il rencontre le Treport, Saint-Valery-en-Caux, Fecamp, Dieppe, Etretat, tous vos ports de la Manche, grands et petits, il les encombre et passe outre. Arrive au cap de la Heve, le courant rencontre, quoi? la Seine qui debouche dans la mer. Voila deux forces en presence, le fleuve qui descend, la mer qui passe et qui monte.

Comment ces deux forces vont-elles se comporter? Une lutte s'engage; la premiere chose que font ces deux courants qui luttent, c'est de deposer les fardeaux qu'ils apportent; le fleuve depose ses alluvions, le courant depose les ruines de la cote. Ce depot se fait, ou? Precisement a l'endroit ou la providence a place le Havre-de-Grace.

Ce phenomene a depuis longtemps eveille la sollicitude des divers gouvernements qui se sont succede en France. En 1784 un sondage a ete ordonne, et execute par l'ingenieur Degaule. Cinquante ans plus tard, en 1834, un autre sondage a ete execute par les ingenieurs de l'etat. Les cartes speciales de ces deux sondages existent, on peut les confronter. Voici ce que ces deux cartes demontrent. (Attention marquee.)

A l'endroit precis ou les deux courants se rencontrent, devant le Havre meme, sous cette mer qui ne dit rien au regard, un immense edifice se batit, une construction invisible, sous-marine, une sorte de cirque gigantesque qui s'accroit tous les jours, et qui enveloppe et enferme silencieusement le port du Havre. En cinquante ans, cet edifice s'est accru d'une hauteur deja considerable. En cinquante ans! Et a l'heure ou nous sommes, on peut entrevoir le jour ou ce cirque sera ferme, ou il apparaitra tout entier a la surface de la mer, et ce jour-la, messieurs, le plus grand port commercial de la France, le port du Havre n'existera plus. (Mouvement.)

Notez ceci: dans ce meme lieu quatre ports ont existe et ont disparu, Granville, Sainte-Adresse, Harfleur, et un quatrieme, dont le nom m'echappe en ce moment.

Oui, j'appelle sur ce point votre attention, je dis plus, votre inquietude. Dans un temps donne le Havre est perdu, si le gouvernement, si la science ne trouvent pas un moyen d'arreter dans leur operation redoutable et mysterieuse ces deux infatigables ouvriers qui ne dorment pas, qui ne se reposent pas, qui travaillent nuit et jour, le fleuve et l'ocean!

Messieurs, ce phenomene alarmant se reproduit dans des proportions differentes sur beaucoup de points de notre littoral. Je pourrais citer d'autres exemples, je me borne a celui-ci. Que pourrais-je vous citer de plus frappant qu'un si grand port en proie a un si grand danger?

Lorsqu'on examine l'ensemble des causes qui amenent la degradation de notre littoral … – Je demande pardon a la chambre d'introduire ici une parenthese, mais j'ai besoin de lui dire que je ne suis pas absolument etranger a cette matiere. J'ai fait dans mon enfance, etant destine a l'ecole polytechnique, les etudes preliminaires; j'ai depuis, a diverses reprises, passe beaucoup de temps au bord de la mer; j'ai de plus, pendant plusieurs annees, parcouru tout notre littoral de l'Ocean et de la Mediterranee, en etudiant, avec le profond interet qu'eveillent en moi les interets de la France et les choses de la nature, la question qui vous est, a cette heure, partiellement soumise.

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