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Un Cadet de Famille, v. 2/3

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LXXIV

«J'ai quitté l'Angleterre, il y a sept ou huit ans, avec un vaisseau de la compagnie des Indes orientales, protégé par un convoi, et qui se rendait à Canton. Le premier officier du bord, qui avait opéré avec mon père des transactions mercantiles, et qui lui devait pour une livraison de marchandises considérablement d'argent, eut l'esprit de persuader à mon père de lui fournir encore une grande quantité d'objets. Comme mon père ne s'était point rendu aux désirs de l'officier sans une vive et longue discussion, il fut convenu en dernier ressort, et pour contenter les deux parties, que j'accompagnerais l'officier à bord en qualité de midshipman.

À l'époque où ce marché eut lieu, j'étais employé comme premier commis dans la maison de mon père, et les traités de l'affaire me parurent si avantageux pour ma famille et pour moi, que j'y donnai de grand cœur mon adhésion. Voici quelles étaient les clauses de ce marché: je devais faire le voyage en passager, et recevoir pour le compte de mon père la moitié du bénéfice des ventes qui seraient opérées par l'officier. Si la carrière maritime me convenait, je devais la suivre; sinon, au retour du vaisseau, je m'installais de nouveau dans la maison de mon père.

Je n'ai pas besoin de vous exprimer, monsieur, avec quel plaisir (j'avais quinze ans) je quittai le comptoir paternel, les livres de facture, les livres de compte, pour aller voir un pays dont j'avais entendu faire de merveilleuses descriptions. Au curieux désir qui accompagne tous les voyageurs se joignait l'orgueilleuse joie de prendre place parmi les aspirants de marine, qui étaient si fiers et qui semblaient si heureux lorsqu'ils étaient sur terre. Je ne savais pas à cette époque que la cause de leur joie était leur délivrance momentanée d'un assujettissement tyrannique. Je l'ignorais, mais j'en eusse été instruit que ma satisfaction serait restée la même, tant il me semblait que, sous la protection d'un premier officier, mon initiation au service devait être aussi facile qu'agréable.

Mes illusions se dissipèrent vite, et dès que nous eûmes quitté les downs ma situation devint insupportable. Outre les fonctions serviles et abjectes que mes camarades et moi nous étions obligés de remplir, le premier contre-maître, mon patron, ajouta à ces ennuis le tourment de sa haine. Un jour, étant de faction avec lui, il m'injuria, et, non content d'une méchanceté de paroles que je n'avais point provoquée, il m'accabla de coups. Trop faible et trop timide pour me défendre, je fus dès lors en butte à ses moqueries et à ses mauvais traitements. Une autre fois, et toujours sans cause, l'officier me dit:

– Votre usurier de père vous a fourré auprès de moi pour lui servir d'espion, pour me voler mes profits. Ce vieux juif ne s'est pas contenté de ma parole, il lui a fallu un écrit; mais je veux bien être damné si je ne fais pas de vous un domestique, un esclave.

Ma vie devint de jour en jour plus triste et plus misérable.

Notre capitaine vivait à bord comme une espèce de demi-dieu, et je suis bien certain qu'il se croyait supérieur à l'humanité entière. Il ne fréquentait que deux ou trois des passagers qui appartenaient à la noblesse, et tous ses ordres étaient transmis à l'équipage par le premier officier.

Une nuit, nous étions à la hauteur de Madère, et le vent soufflait avec violence, un homme placé en vigie cria:

– Une voile étrangère à notre gauche!

– Très-bien, répondis-je, je vais avertir.

Mais avant de remplir ma mission, je jetai un coup d'œil sur la mer, où je ne vis qu'un énorme nuage noir. Je trouvai l'officier de faction endormi sur la glissoire d'une caronade. La vue de ce sommeil si calme au moment de la tempête fit naître en moi le premier sentiment de haine et de vengeance qui eût jamais entr'ouvert les replis de mon cœur.»

– Bien! m'écriai-je en interrompant le capitaine, vous avez poignardé le coquin et jeté sa carcasse dans la mer?

« – Non, monsieur, non. J'étais jeune, et ma rancune n'avait encore que la malice de l'enfance. Si je rencontrais aujourd'hui cet homme sans âme, j'agirais peut-être avec plus de vaillance que je ne l'ai fait à cette époque. Je ne troublai point le sommeil de mon ennemi; je descendis doucement auprès du capitaine, que je réveillai en lui disant:

– Il y a un grand vaisseau de notre côté, sous le vent.

– Où est l'officier de quart? me demanda le capitaine en sautant hors de son lit.

– Je l'ai inutilement cherché, monsieur.

– Il n'est pas à son poste! s'écria le capitaine en se précipitant sur le pont.

L'officier dormait toujours; le capitaine courut jusqu'à lui et l'appela par son nom.

En entendant la voix bien connue de son sévère commandant, l'officier épouvanté se dressa sur ses pieds et balbutia quelques excuses.

Mais, sans lui répondre, le capitaine s'éloigna de l'échelle, car on ne pouvait perdre le temps en paroles; un ouragan terrible se préparait, la mer était violente, et la masse noire et remuante que j'avais prise pour un nuage apparaissait sous la forme effrayante d'un énorme vaisseau démâté, lancé vers nous avec une vélocité extraordinaire.

– Abaissez le gouvernail, mettez tous les hommes à l'ouvrage! cria le capitaine d'une voix forte.

Tout s'agita.

Une voix humaine, qui essayait de se faire entendre au milieu de la rumeur des éléments bouleversés, nous héla, et cette voix semblait descendre des hauteurs d'une tour, car l'énorme vaisseau, poussé par le vent et emporté par les vagues gigantesques qui l'élevaient au-dessus de nous, paraissait avoir des proportions énormes.

Les lumières bleues qui brûlaient sur son gaillard d'avant se réfléchissaient dans notre voile de perroquet, bien carguée. Il paraissait inévitable qu'au moment où l'étranger allait être replongé dans l'auge profonde où nous étions placés, sa descente nous écraserait ou nous couperait en deux. Nos voiles se frappaient contre les mâts avec un bruit pareil au roulement du tonnerre, et l'équipage, en chemise, à moitié endormi, se précipitait pêle-mêle hors des écoutilles et jetait des cris horribles en voyant le vaisseau s'avancer vers nous.

Paralysés par l'épouvante, nous restions inactifs, le regard et l'esprit suspendus aux mouvements du vaisseau que la mer et le vent faisaient tournoyer sur lui-même. Cette scène effrayait les plus hardis; les faibles tombaient à genoux, se tordaient les bras ou se précipitaient la tête la première dans les écoutilles. Quoique cet affreux spectacle n'eût duré qu'un moment, cet instant d'angoisse avait eu assez de puissance pour me transformer d'enfant en vieillard.

Une voix forte et distincte nous héla avec une trompette et nous dit:

– Tribord votre gouvernail, si vous ne voulez pas être écrasés!

Au même moment une vague nous éleva en l'air, et l'étranger nous frappa. Ce choc fut suivi d'un craquement horrible: nos hommes répondirent à ce fracas par de désolantes clameurs; je crus tout perdu, et, les mains convulsivement pressées contre les haubans, j'attendis la mort.

Mes yeux étaient fixés sur le vaisseau étranger: je crus le voir passer au-dessus de nous et rester dans l'air comme un rocher gigantesque. Le vent mugissait avec furie dans nos haubans, et la mer inondait de ses lames froides le pont de notre vaisseau.

Après cette pause terrifiante, la confusion, le bruit du vent et des vagues, le murmure des voix me rendirent la raison. L'étranger avait atteint notre quartier, enlevé le bateau de la poupe, ainsi que notre grand mât, mais rien de plus, et nous étions hors de danger. Après avoir hélé une troisième fois, le vaisseau nous demanda notre nom, et nous ordonna de rester auprès de lui toute la nuit, ajoutant à cette demande qu'il appartenait à Sa Majesté Britannique et qu'il s'appelait la Victoire.

Le capitaine n'adressa aucun reproche au premier officier, mais il fut provisoirement mis en prison.

La frayeur causée par la fatale rencontre de ce vaisseau avait été si grande que chacun semblait avoir l'esprit sous la domination d'un mauvais enchantement, et notre capitaine, ainsi que les officiers, n'accomplissaient leur devoir qu'à l'aide des fréquents signaux de la Victoire, qui veillait sur elle et sur nous, tant elle avait peur de nous voir fuir.

Le lendemain je me rendis sur le pont, et je m'aperçus que nous avions perdu notre convoi, et que la Victoire nous faisait signe qu'il fallait la prendre en touage. Pour effectuer ce difficile travail sans mettre un bateau à la mer, qui était très-agitée, nous jetâmes dans l'eau un tonneau vide, ayant une corde que le vaisseau devait prendre à son bord. Ils l'attrapèrent et attachèrent des aussières aussi grandes que nos câbles à la corde; nous les tirâmes à bord et elles furent attachées à un mât; puis, chargés de toutes nos voiles, nous nous dirigeâmes vers l'île de Madère.

Cette entreprise de sauvetage rendait notre situation très-périlleuse; car, malgré l'immense longueur des aussières avec lesquelles nous touâmes, le poids et la grandeur de la Victoire, qui était à cette époque le plus grand vaisseau du monde, nous donnaient des secousses terribles, surtout quand nous étions élevés sur la crête des vagues et qu'elle s'enfonçait auprès de nous dans l'abîme de la mer. Quelquefois les cordes de touage, en dépit de leur grosseur, qui était celle d'un corps humain, cassaient en deux comme un fil d'Écosse, et nous étions obligés de recommencer la tâche dangereuse et difficile de l'attacher à notre bord. Heureusement le vent diminua de violence; car s'il avait gardé sa force première, nous eussions infailliblement échoué.

Le poids de la Victoire était si lourd, qu'outre le danger d'emporter notre mât, il avait fait entr'ouvrir les joints du vaisseau, et la mer débordait sur nous en emportant tout ce qu'elle rencontrait.

 

Notre capitaine héla la Victoire et lui montra les difficultés insurmontables de notre situation.

– Si vous coupez les cordes de touage, répondit le capitaine du vaisseau royal, nous vous ferons couler à fond.

À bord de la Victoire, ils avaient allégé le poids du vaisseau en jetant dans la mer tous les canons de son pont supérieur, et en plaçant des voiles d'orage sur les troncs des mâts inférieurs, et par tous les moyens qui se trouvaient en leur pouvoir.

Le lendemain le vent diminua, mais la mer fut encore très-agitée.

Nous rencontrâmes un grand vaisseau des Indes orientales faisant route pour Madère, nous le fîmes arrêter, et il fut contraint de prendre notre place.

Alors notre capitaine se rendit à bord du vaisseau de feu l'amiral Nelson, et son commandant, après avoir grondé le nôtre pour sa négligence, lui pardonna sa faute en considération du service qu'il avait rendu à la Grande-Bretagne en sauvant le plus précieux de tous les vaisseaux anglais, celui qui portait le corps de Nelson et son triomphant drapeau.

Le commandant de la Victoire donna à notre capitaine un certificat sur lequel étaient détaillés tous les incidents de sa belle conduite. Ce témoignage de satisfaction calma un peu notre fier commandant, dont la colère contre le coupable officier avait disparu avec le danger.

Cette indulgence était naturelle; un lien de parenté unissait les deux hommes, et ils portaient l'un et l'autre le nom de Patterson. Vous savez, monsieur, que les Écossais ont des clans, et qu'il leur importe fort peu que tout le monde soit détruit si leur propre clan est sauvé, ou s'il gagne par la perte générale. Mais je vous demande pardon, monsieur, peut-être y a-t-il parmi eux des hommes très-dignes, très-honnêtes et très-bons.»

LXXV

« – Le premier officier, reprit le capitaine après une pause de quelques secondes, connut bientôt l'auteur de la disgrâce qu'il avait encourue, et je crois fort inutile de vous dire, monsieur, que cette découverte n'adoucit pas à mon égard les cruels procédés de mon chef. J'étais déjà fort misérable, je le devins plus encore; et souvent, bien souvent, je me suis surpris à envier l'existence orageuse du vagabond, et celle du mendiant, sans pain et sans asile. L'un et l'autre n'étaient-ils pas mille fois plus heureux que moi? Mais pardon, monsieur, tout cela est fort peu intéressant pour vous, et cette narration, que votre courtoisie daigne écouter, vous paraît bien insipide et bien longue.»

– Non, non, mon cher capitaine, votre histoire n'est ni dépourvue d'intérêt, ni trop étendue; je l'écoute avec plaisir et avec attention. Continuez-en donc le récit; je suis tout à vous.

Et mes paroles étaient vraies, car chaque mot de ce pauvre homme faisait vibrer en moi un tendre souvenir, souvenir triste et qui mettait devant mes yeux la pâle et mélancolique figure de mon ami Walter. N'existait-il pas en effet entre ce narrateur à demi sauvage et mon pauvre compagnon d'infortune une similitude étrange?

Tous deux, forcément jetés dans une carrière antipathique à leurs goûts, avaient été les victimes d'une haine brutale sans cause, et partant sans excuse. Ce rapport, si poignant pour moi et qui remplissait mon cœur d'une douloureuse compassion, m'attira vers le capitaine.

Sa parole lente, sa voix douce, son regard pensif, me firent oublier les affreuses caricatures qui souillaient son corps, et je ne vis plus ses traits qu'au travers de mes souvenirs ou, pour mieux dire, que dans la beauté de son âme.

« – Enfin, reprit le conteur en me remerciant de mon attention par un bienveillant sourire, nous entrâmes dans la mer de la Chine.

Une nuit le vaisseau était amarré près d'une île (j'ai oublié pour quelle raison), on m'ordonna d'aller me coucher dans le bateau qui était derrière le bâtiment, afin de le garder. J'obéis avec joie, car en entendant cet ordre, l'idée que je pouvais saisir cette occasion pour me sauver me traversa l'esprit. Sans craindre ni même réfléchir sur les dangereux hasards d'une pareille entreprise, je m'abandonnai à l'impulsion rapide qui se faisait la maîtresse de ma conduite.

Je trouvai dans le bateau un mât, une voile et un petit baril d'eau, car la veille on s'en était servi pour aller explorer l'île. La trouvaille inattendue de ces différents objets me persuada que la Providence, après m'avoir inspiré, veillait encore sur moi; ma détermination fut dès lors complétement arrêtée.

Pauvre insensé que j'étais! il ne me vint pas même à l'esprit qu'il me manquait les choses les plus indispensables, et surtout la première de toutes: du pain.

Mon repas du soir était dans ma poche, et il se composait de biscuit et d'un morceau de bœuf. Quant au lendemain, Dieu y pourvoirait, ou, pour mieux dire, je ne songeais ni à mes besoins futurs ni aux difficultés inouïes que j'allais avoir à surmonter.

La nuit était sombre; une brise fraîche soufflait hors du golfe, et la nuit était assez calme.

Quand tout fut tranquille sur le pont, je dénouai le câble qui attachait le bateau, et, après quelques minutes d'anxieuse attente, j'élevai le mât; je virai, et ma légère embarcation se trouva bientôt loin du vaisseau.

Une heure s'écoula, et cette heure eut pour mon cœur palpitant la durée d'un siècle. J'avais si grand'peur d'être vu et par conséquent arrêté dans ma fuite! Les hommes de quart découvrirent l'enlèvement du bateau, car une lanterne fut hissée et je vis distinctement une lumière bleue.

Ce signal m'épouvanta, et je me dirigeai vers l'île de manière à gagner son côté opposé au vent, pour m'y cacher jusqu'à l'entière disparition du vaisseau.

Grâce à mon penchant pour les voyages sur mer, grâce encore à l'intérêt d'enfant et de jeune homme que j'avais pris à examiner les bateaux dans les chantiers du port de Londres, je savais très-bien en gouverner la marche.

Veuillez, monsieur, réfléchir pendant quelques secondes sur l'étrange métamorphose non-seulement de mon esprit, mais encore de mes vues et de mon caractère. Né au milieu du confort d'une existence heureuse, j'avais été, dans l'espace de quelques mois, de fils de famille aimé et libre dans la maison paternelle, transformé en misérable, en domestique, en esclave, et à ce changement déplorable en succédait un peut-être plus déplorable encore, mais dont mon esprit n'approfondissait pas les inévitables douleurs.

Le lendemain de ma fuite, j'entrevis l'abandon réel de ma position, et j'eus peur en me voyant seul, sans vivres, sans carte, sans boussole, sur un petit bateau, frêle planche de salut, pour m'aider à franchir cet abîme immense qu'on appelle l'Océan. Je vous avoue franchement que j'aurais été heureux de reprendre ma chaîne sur le vaisseau. Je pleurai amèrement, et mes mains défaillantes abandonnèrent le gouvernail.

La vie me devint odieuse, et mes yeux aveuglés suivirent d'un regard morne la marche du bateau, qui voguait à la grâce du vent et des flots.

Les cruels tiraillements de la faim m'empêchèrent de dormir. Cependant le besoin de repos est si impérieux pour un corps jeune, qu'après avoir bu quelques gouttes d'eau mes yeux se fermèrent et une somnolence agitée m'étendit, faible et sans courage, dans le fond de ma barque.

Je dormis, et quand je m'éveillai, le jour était resplendissant. Je tendis ma voile au souffle de la brise, et je naviguai avec le vent en cherchant à découvrir dans quelle latitude je me trouvais.

À en juger par la direction du vent et par la position de l'étoile du Nord, je marchais vers les îles de l'archipel de Sooloo, et la terre élevée que j'avais aperçue en m'éveillant était Bornéo. Je naviguai vers le sud, pensant que l'île de Paraguai, près de laquelle j'avais laissé le vaisseau, se trouvait derrière moi.

La brise se maintint douce et fraîche. Nul vaisseau n'apparaissait sur la nappe d'azur de l'Océan, et ma barque volait sur l'eau comme une mouette effrayée.

Je voulais gagner Bornéo, mais le vent changea, et je fus contraint, ne pouvant lutter avec lui, de continuer ma course au gré de son caprice.

La crainte de mourir de faim me donnait d'affreux tiraillements d'estomac. Je surmontai cette douleur, plutôt morale que réelle, et je m'occupai de la course de mon léger bâtiment. Le vent doublait de force, et j'étais sûr d'arriver bientôt à une des nombreuses îles dont je voyais les formes devant moi, et j'étais bien déterminé à descendre sur le premier rivage qui s'offrirait à mes regards.

Je passai la journée dans les spasmes de l'agonie; j'avais horriblement faim, et je me sentais aussi malade que désespéré.

J'atteignis le soir sans découvrir aucune terre, et je perdis de vue celles qui étaient derrière moi. Ces alternatives d'espoir et de mécomptes accablèrent mon esprit, et j'accusai le ciel de m'avoir abandonné sans commisération à mon inexpérience et à ma faiblesse. La nuit était aussi claire que le jour; mais cette clarté, propice si j'avais eu une boussole pour guide, ne m'était d'aucun secours. Triste, fiévreux et maussade, je tenais d'une main faible le gouvernail, lorsqu'un bruit indistinct me fit tressaillir; quelque chose venait de franchir les bords de mon bateau; je me traînai vers cet objet inconnu, et une joie bien naturelle remplit mon cœur, lorsque je découvris un poisson aux écailles argentées et pesant près d'une livre. Mais ma joie fut de courte durée, car je n'avais ni feu pour faire cuire mon imprudent visiteur, ni couteau pour lui enlever son épaisse écaille. J'étais entièrement dépourvu de tout.

Je rejetai le poisson au fond du bateau, et je repris avec désespoir mon poste au gouvernail.

Quelques minutes après, je fus encore arraché à mes sombres réflexions par la vue de quelque chose de noir qui flottait à la surface de l'eau.

Je manœuvrai du côté de cet objet, et je saisis une tortue. Ces deux enfants de la mer, envoyés par cette divine protectrice des malheureux que nous nommons la Providence, en m'ôtant la crainte de mourir de faim, tranquillisèrent mon esprit. Je remerciai le ciel, et après avoir attaché le gouvernail, je m'endormis presque calme.

Malheureusement je fus éveillé par le froid de l'eau qui se précipitait sur moi par-dessus le plat-bord du bateau, penché de côté et tout près de couler à fond. Je sautai sur la voile, dont je défis lestement les nœuds, et, quoique pleine d'eau, la barque se releva.

J'employai tout mon courage et toutes mes forces à vider avec ma casquette ce dangereux réservoir d'eau, et quand j'eus achevé cette pénible besogne, le vent souffla avec violence, la mer s'agita et la lourdeur de l'air me fit pressentir un orage. Je remis la voile à sa place, et le bateau glissa sur la mer avec une rapidité si grande, qu'elle me donna la certitude de pouvoir approcher de la terre avant le lever du soleil.

Les tiraillements d'estomac dont je souffrais depuis quarante-huit heures devinrent si violents, que j'y cherchai un remède dans la repoussante nourriture de mon poisson cru. Je mordis donc sa queue, et, grâce à ma faim, la goût du poisson m'en parut si délicieux que, tout surpris de la rafraîchissante saveur de sa chair rosée, je me demandai comment il était possible qu'on eût adopté la maladroite coutume de faire cuire le poisson. Malgré le vif plaisir que je ressentais en dégustant mon frugal repas, j'eus assez de prudence et d'empire sur moi-même pour en réserver une partie; mais celle que j'avais mangée, au lieu de satisfaire mon appétit, en augmenta l'importunité, et mes souffrances redoublèrent.

Mes regards avides cherchèrent la tortue. Je la vis se débattre convulsivement au fond du bateau, et comme elle avait été sur le point de fuir quand l'eau avait inondé mon frêle esquif, je l'attachai par ses nageoires, et je passai le reste de la nuit à me demander par quels moyens il me serait possible d'arriver à sa chair.

– Quelle imprévoyance, me disais-je en contemplant avec désespoir la forte carapace du crustacé, quelle imprévoyance de m'être hasardé seul sur l'immensité de l'Océan sans couteau, sans vivres et sans boussole! Car il me semblait que la possession de ces trois choses m'aurait facilité et même rendu agréable une navigation de dix ans tout autour du globe.»

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