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Mémoires inédits de Mademoiselle George, publiés d'après le manuscrit original

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–Chère belle, ah! vous faites de la politique et vous voulez lire dans l'avenir. Qui peut savoir ce qui nous est réservé? Pour le moment, je suis dans les meilleures dispositions; si elles changent, vous le saurez, grande diplomate; ce ne sera pas ma faute, mais celle des événements.

–Oui, vous serez entraîné tout entier aux intérêts de votre pays, sans oublier les vôtres. Cher prince, vous connaissez trop les caprices du sort pour vous sacrifier entièrement, n'est-ce pas?

–Tenez, parlons de Brunet; c'est plus gai.

Ce cher Metternich parlait ainsi, et à Dresde l'empereur a eu le tort de ne pas l'acheter: il nous a fait tout le mal que j'avais prédit.

(Dites là-dessus tout ce que vous voudrez, chère bonne.)

Il venait m'offrir de faire des promenades avec lui.

–Je suis sensible à votre attention, mais vous me faites monter dans un cabriolet détestable, que vous conduisez vous-même, ce qui me cause des frayeurs atroces. Ces promenades-là sont très ennuyeuses et je n'en veux plus. Je préfère causer, c'est plus amusant. Quand vous tenez les guides de votre mauvais cheval, on ne dit pas un mot. C'est trop allemand. Je m'amuse bien plus au Raincy, chez Ouvrard voilà de jolies parties. Nous allons là avec Talma, Fleury, Armand. C'est un séjour magnifique.

–Ah! vous voyez le grand financier?

–Financier, comme vous voudrez, mais qui reçoit son monde en grand seigneur. Dernièrement, nous y avons passé trois jours, Mlles Devienne et Mars, et nos trois compagnons Talma, Fleury et Armand. Le temps passa vite. Ah! par exemple, le paysage très joli, de ces charmantes voitures découvertes, mais traînées par deux pauvres chevaux qui ressemblent aux chevaux de M. Demasine. Il est étrange, cet homme! Ce sont des contrastes inouïs. Ce château magnifique que Junot a habité longtemps, où tout le luxe est déployé. Il y là une salle de bains délicieuse: c'est un immense bassin, tout en marbre, où l'eau tombe de partout, comme les bains des Pyrénées; on peut s'y baigner en compagnie de vingt ou trente personnes. Les ornements qui sont charmants, des peintures délicieuses, ottomanes, tapis, rien y manque. C'est un Lucullus que ce charmant et distingué financier. Dans cette superbe propriété, il y a çà et là des habitations ravissantes. Nous logeons, nous, à la Chaumière, au dehors; mais le dedans d'une élégance et d'un confortable parfait; puis, à côté de cela, deux chevaux étiques; voilà!

–Vous allez souvent à cette belle campagne?

–Le plus souvent possible.

Puis ce M. Ouvrard est un homme charmant; les manières les plus distinguées, fin, parlant peu, il s'était fait lui-même, cet homme intelligent. Son origine était peu relevée; on dit qu'il était fils d'un épicier. Il ne le criait pas trop. Je lui disais: «Allez, cher monsieur Ouvrard, vous faites grandement les choses, mais vous êtes un homme sans cœur, depuis que vous avez quitté votre tablier bleu; vous portiez alors votre cœur, mais derrière le dos, et vous ne l'avez jamais remis à la bonne place…» Il riait de bonne foi et ne se blessait point de cette plaisanterie. Mais, cher prince, la vérité, c'est qu'il n'avait point de cœur, mais beaucoup d'orgueil. Pour lui, il était très simple, mais rempli d'élégance, très recherché et très coquet, sans en avoir l'air. Toujours chaussé à merveille, il avait raison: son pied était très petit. Toujours en culottes courtes, des bas de soie, habit boutonné, gilet et cravate blanche; du linge d'une finesse! Très joli homme; les yeux petits, par exemple, mais une très jolie bouche, des dents superbes et un sourire charmant. Oh! il a fait de grandes passions et il en fera encore. Cette belle Mme Tallien a été très longtemps enchaînée; elle a eu de lui une progéniture immense, et il la trompait, cette belle personne. Ce cher Ouvrard est un Lovelace. Il voltigeait beaucoup, il pouvait être constant, mais fidèle, jamais!

(Je vous donne tous ces détails. Ouvrard est un homme gui a marqué beaucoup; on peut donc en parler.)

—Mais, ma chère mademoiselle George, il me semble, à la manière dont vous en parlez, que vous êtes dans la route des trompées?

–Non, je vous l'assure; pas pour le moment du moins. D'ailleurs, parlez-en à Mars; elle vous tiendra le même langage: elle vous dira qu'il est très séduisant et qu'il faut se tenir sur ses gardes. A Paris, il avait un hôtel rue du Mont-Blanc. Alors il nous contait qu'il avait une salle à manger où la table, par un ressort, montait toute servie et disparaissait pour remonter ensuite chargée du nouveau service, afin d'éviter les domestiques. Vous voyez comme il comprend la vie. Nous n'avons pas vu cette demeure féerique, il l'avait vendue, mais nous allions dîner chez lui dans son hôtel, boulevard de la Madeleine, hôtel immense dont il n'habitait que l'entresol; le comte de Rémusat avait tout le reste de l'hôtel, le jardin.

L'entresol d'Ouvrard était à peine meublé; sa femme, que l'on ne voyait jamais, habitait un autre corps de logis. Quelle singulière existence! On était là, comme au Raincy, servi d'une manière financière. Ses enfants venaient, après le dîner, jouer avec ma sœur et la fille de Mlle Mars. Il avait son frère, aimable et bon garçon. Notre ami Florence venait avec nous et ranimait un peu ces dîners, quelquefois assez monotones. Il nous parlait beaucoup de la belle martyre Marie-Antoinette. Il nous citait mille faits de sa bonté, entre autres: un matin—heure à laquelle la reine se faisait coiffer et permettait à Florence, régisseur de la Comédie-Française, de venir prendre ses ordres—on vint dire à la reine que toute une famille en pleurs venait se jeter à ses pieds pour demander la grâce d'un père et d'un mari. La reine se leva aussitôt, et tout en déshabillé du matin, à moitié coiffée, elle fut au-devant de cette famille éplorée et, sans perdre un instant, chez le roi avec toute cette famille, se fait ouvrir, entre, et, jetant cette famille aux pieds du roi, elle s'y jette elle-même pour demander grâce. Elle l'obtint et revint les yeux encore mouillés de larmes et heureuse comme une reine… Noble femme si calomniée, noble cœur de mère, si broyé, et femme si courageuse dans ce qu'il y a de plus sacré, dans son cœur de mère. On dit que dans sa prison, dans cette infâme captivité si longue, elle faisait toujours une réussite pour savoir si on aurait l'atrocité de l'exécuter. Toujours cette hideuse réussite disait oui; on devient superstitieux dans le malheur. Que de souffrances cette adorable femme a éprouvées!

Nous fûmes très émus de ce récit. C'était bien beau et bien sublime de voir cette grande reine venir dans un pareil désordre de toilette. Quel abandon de soi-même pour faire une belle action!

–Florence, assez sur ce sujet; nous ne voulons plus pleurer. Qu'avez-vous donc fait pour le succès de Misanthrope? Vous avez par ce succès gagné vos éperons d'homme habile. Voyons, racontez cela.

–Eh bien, la première représentation avait produit de l'effet sans contredit, mais on doutait des recettes. Il faudrait inventer quelque chose. La deuxième représentation a été assez pâle et nous comptions sur des recettes immenses. A la troisième, Florence avait donné des loges à des dames d'une demi-vertu, celles qui, quoique jolies, manquaient de parures; il leur fit des envois de robes, de chapeaux et de bouquets énormes sous la condition de fondre en larmes, et à quelques-unes l'ordre de se trouver mal. Ce qui fut dit fut fait. On fut obligé d'interrompre plusieurs fois la pièce; on transportait ces malheureuses au foyer, on faisait appeler des médecins, etc. Le manège dura trois ou quatre représentations et le succès fut énorme. Succès qui a un peu coûté à la société, mais dont le résultat fut fabuleux.

–Florence, vous êtes un grand homme. A la santé de Florence!

–Et Lekain, notre admirable Lekain, Florence?

–Ah! oui, admirable! Pas comme Talma!

–Allons donc, mon cher ami! A côté de Talma, votre Lekain eût été rococo, une ganache!

Alors Florence enlevait sa perruque, la foulait aux pieds, et se posait devant nous tous pour imiter Lekain, qui effectivement était un grand artiste. Il paraît que, dans tout ce qui était amour, il se montrait sublime; personne ne parlait comme lui à une femme: Tancrède, Orosmane, Vendôme de Duguesclin (est-ce Vendôme, Valmore? je ne me le rappelle pas!), il était merveilleux. Il était laid, mais la passion l'embellissait tellement que toutes les femmes en étaient folles. Fleury était très partisan de Lekain.

–Fort bien, messieurs; il était amoureux, il versait de belles larmes dans Orosmane; fort bien, mais l'amour, c'est commun. C'est comme nous, c'est vulgaire; mais la fatalité posée sur le front de Talma, mais ces remords, mais cette mélancolie profonde, mais le délire qui nous fait trembler tous! Toutes ces émotions palpitantes, croyez-vous qu'elles ne soient pas plus grandes que vos fades amourettes? Qui est-ce qui n'est pas amoureux? La couronne de lauriers à Talma, la couronne de myrte et de roses à Lekain.

Après les fureurs de Florence, vraie parodie des fureurs d'Oreste, on riait, et, moi, j'emmenais mon Florence dans ma voiture pour le tourmenter encore. Je l'aimais, ce Florence. Il avait de l'esprit, et avait tant vu qu'il avait toujours quelque chose à vous raconter sur ses amours avec la fameuse Sophie Arnould; anecdotes qu'on écoute en riant et que l'on se garde bien de raconter, mon pauvre Florence. Je fais ce que je peux pour me distraire; eh bien, je m'ennuie horriblement; même le théâtre n'a plus pour moi le même attrait. Au résumé, c'est une vie monotone. Nous jouons toujours la même chose; point d'ouvrages nouveaux, excepté les Templiers, qui font beaucoup d'argent, mais qui m'amusent fort peu. Cette Reine est un fort mauvais rôle qui ne m'a pas donné la moindre émotion. Que faisons-nous?

 

–Tenez, mon vieux Florence, je brûle du désir de quitter Paris; j'y étouffe.

–Quitter le Théâtre-Français? Y pensez-vous? Vous seriez perdue et votre pension et votre gloire. On ne l'acquiert qu'au Théâtre-Français. Allons, cette pensée est de la démence. Vous quitteriez tout et bien autre chose que le Théâtre-Français.

–C'est pour cela justement que je veux partir et que je partirai.

–Comment! est-ce que vous n'êtes plus heureuse ailleurs?

–Ne me questionnez pas! Je suis fatiguée du vide que j'éprouve, voilà tout.

–Belle comme vous êtes, entourée par tout ce qu'il y a de distingué dans Paris, toutes les distractions vous sont offertes.

–Mon cher Florence, il y a certaine et haute affection qu'on ne peut remplacer. Mettre à la place peut-être; mais ce ne serait point de mon goût et me paraîtrait indigne. L'air étranger, l'éloignement, voilà ce qu'il me faut et ce que je veux. D'ailleurs, nous n'en sommes pas là; parlons d'autre chose. J'ai dîné chez Mlle Contat, il y a deux jours, avec Mme Gay. C'est une aimable et spirituelle femme; mais, bon Dieu! qu'elle doit être fatiguée! Elle parle bien, mais elle parle sans discontinuer. Mlle Contat est très aimable chez elle; malgré tout, il y a toujours de cette charmante impertinence, dont elle s'est fait une agréable habitude. M. de Paroy est un gentilhomme, qui s'est placé, par attachement sans doute, dans une singulière position. On le prendrait volontiers, malgré ses excellentes manières aristocratique, plutôt pour l'intendant de la maison que pour le futur époux de cette grande artiste. Moi, fort ignorante de cette vie intime, j'étais mal à l'aise, quand Mlle Contat lui disait: «Sonnez, je vous prie, mon cher, pour que l'on serve le café,» et mille autres petits détails insignifiants pour les autres, sans doute habitués à la maison, mais fort étrangers pour moi. Mlle Contat a beaucoup d'esprit, mais avouez, Florence, que c'est manquer de tact. On ne peut pas avoir tout. Mais quel vilain pavillon elle habite là! Une vilaine salle à manger, pas de salon, une chambre à coucher où elle reçoit. C'est affreux! Pourquoi loge-t-elle là, Florence?

Ce pavillon touche à l'Odéon. C'est triste à mourir, mais elle a ce pavillon du gouvernement. Il y a plusieurs artistes qui sont logés pour rien, et toute grande dame qu'est Mlle Contat, elle a accepté ce pavillon.

–Mlle Contat n'est pas riche; elle a pourtant voiture, mon cher?

–Oui; c'est pour ne pas la quitter qu'elle se loge pour rien.

–Elle n'est pas riche. Talma non plus. Mars n'a rien. Vous voyez, votre Paris, pour les artistes, c'est la misère. Vite! de l'air! Dites donc, Florence, j'ai ramené dans ma voiture M. de Maupoux, fils de Mlle Contat. C'est un bon jeune homme, et bien attaché à Mars; il devrait l'épouser.

–Mais son nom, ma chère?

–Son nom! allez vous promener. Son nom, dites-vous? Celui de Mars le vaut. Encore de ces préjugés qui tuent. Voyez en Angleterre, ce sont de grands seigneurs aussi, ils épousent des actrices, et les acteurs comme Garrick sont enterrés dans le caveau des rois. Talma, on ne voudra peut-être pas t'enterrer, toi, l'honneur et la gloire de notre théâtre! Ah! atroces préjugés qui flétrissent ce qu'il y a de beau et de grand. Tenez, Florence, voulez-vous venir en Angleterre? Je vous emmène.

(Ma bonne amie, ne rayez pas ce qui touche à ces préjugés; il faut un peu nous relever, nous autres artistes. Vous sentirez cela mieux que personne et Valmore aussi.)

—Ah! c'est vous, Talma; vous me voyez rouge contre mon ordinaire! Je parlais des préjugés qui n'atteignent que nous. On veut nous flétrir et pourtant, valons-nous moins que les autres? Sommes-nous de mauvais parents? Non, certes, il est rare de trouver parmi notre secte de mauvais cœurs! Ce qui nous blesse, nous autres femmes, bien plus encore que vous autres, c'est d'entendre dire: «Ah! bien, c'est une comédienne dont M. le comte un tel est amoureux; cela ne durera pas! «Vraiment, Talma, cette opinion a dû empêcher bien des pauvres créatures d'entrer dans la bonne voie. A quoi bon, puisque l'on ne leur en sait pas gré? Et les danseuses, c'est bien autre chose! On dit: les dames du Théâtre-Français et les demoiselles de l'Opéra. Nous devons être flattées de cette distinction. Étiez-vous à l'enterrement de Charmeroy, cette charmante danseuse, dit-on?—car, moi, je ne la connaissais pas; je n'avais pas encore débuté, je ne suis pas bien ferrée sur cette époque, je peux me tromper,—morte de la poitrine? On n'a pas voulu la recevoir à l'église des Filles-Saint-Thomas (où est maintenant la Bourse). Vestris, qui était son camarade et son ami particulier, était dans une telle rage que, lui, commença par tout renverser, et il fut suivi de la foule immense qui accompagnait les restes mortels de cette pauvre femme. On prenait son cercueil, on le replaçait. N'est-ce pas un spectacle honteux? Refuser les prières à n'importe qui, n'est-ce pas offenser l'Être suprême? L'Angleterre est donc mieux pour nous, Talma. Partons pour l'Angleterre. Si vous mourez, on vous placera peut-être à côté de Garrick. C'est égal, mon ami, vous êtes bien certain d'une chose qui ne peut vous manquer; c'est que vous n'aurez pas de successeur et que, si l'on dit: «Le roi est mort! Vive le roi!» on ne pourra pas dire: «Talma est mort! Vive Talma!» Talma est mort. La tragédie est morte. C'est glorieux, cela, Talma!

–Tu as la tête montée, Georgina. Te voilà dans une exaltation!

–Cela ne vous fait donc rien, à vous? Tenez, vous n'êtes terrible qu'au théâtre; vous n'avez pas le moindre caractère.

–Mais, ma bobonne—c'est le nom que vous donnait Talma—que veux-tu que je fasse à cela? Ah! mon Dieu! rien!

–Ah! Florence, est-ce que Lekain était calme comme Talma? Il leur faut donc la rampe pour être hommes?

–Non, ma chère, mais ils usent leurs nerfs par les émotions tragiques et aiment le repos domestique.

–Alors, vous n'êtes que des bourgeois déguisés!

–Bobonne, tu es de mauvaise humeur.

–Non, je suis triste et mécontente de tout. Je ne tiens pas sur mon fauteuil. Vous savez, Talma, j'ai besoin de chevaux de poste.

–Florence, vous l'entendez. Elle fera un coup de sa tête, une folie; elle n'a pas la moindre raison! Au moins, ne viens pas me mettre dans la confidence: je te dénoncerais! Tu n'as pas le sens commun!

–C'est possible! Moi, je n'ai pas besoin de la rampe pour avoir de la force et de la volonté.

–Dis donc de l'amour-propre, enfant. Tu es blessée là au cœur, et tu penses à une vengeance de femme. Tu es trop jeune pour savoir que l'on ne peut se venger dans ta position! Pleure, rage, casse tes porcelaines chinoises si tu veux; nous, nous le voulons bien; nous t'aimons comme cela. Mais ailleurs la barrière est posée.

–C'est vrai, mais c'est atroce! Après tout, cher ami, je n'ai pas à me venger. De quoi? de mes entrevues un peu plus rares? Eh! mon Dieu! je devais m'y attendre; mais le cœur est-il prévoyant, surtout à mon âge? Hélas! on croit que tout est durable; on est bien niais, d'accord. Mais on est heureux quelques instants du moins; les premières amours décident de toute notre existence. Si vos jeunes impressions éprouvent des déceptions, toute votre vie n'est plus que méfiance du bonheur. Frappée, on a bien du froid au cœur. On le mérite. Pourquoi est-on assez folle pour aimer ce qu'on ne devrait qu'admirer?

–Ah! Georgina, que tu nous ennuies!

–Je crois bien! Je m'ennuie moi-même. J'ai l'air d'avoir la prétention de philosopher. Ah! que je suis bête, mes chers amis! Je me donne toutes les peines du monde pour être ridicule et faire de l'esprit que je n'ai pas. Laissons aller le temps et parlons cabotinage; c'est plus gai. Cela me va. Florence, vous savez que Mlle Contat préfère Caumont à Grandmesnil dans les financiers.

–Pourquoi cela?

–Caumont a plus de rondeur, plus de franchise; puis Grandmesnil a un organe glapissant qui attaque les nerfs de Contat.

–Pourtant, il est bien parfait dans l'Avare, les Femmes savantes, etc.

–Oui, mais elle le trouve trop savant et il analyse trop. Il veut en savoir plus que l'ignorant Molière, dit-elle, c'est énervant! Beaucoup d'esprit, beaucoup trop. Ce bon Caumont me va mieux.

DEUXIÈME PARTIE
FEUILLES DÉTACHÉES

A Monsieur et Madame Desbordes-Valmore

Bons et chers amis, voici un amas de billets que je confie à votre amitié et plus encore à votre indulgence.

Je compte sur l'amicale patience de Valmore pour déchiffrer toutes ces niaiseries, que le cœur et l'esprit de Mme D… Valmore peut rendre spirituelles. Hélas! c'est mon espérance, et l'espérance donne la vie.

Le journal que vous trouverez et le détail de ma naissance est assez joli.

Vous me trouverez bien hardie de vous envoyer toutes ces balivernes maintenant.

Je n'ai ni style, ni orthographe (ce que c'est que l'éducation!).

Je vous aime tous les trois et vous embrasse.

Le 11 avril.

Madame Dugazon me prit tellement en affection qu'elle voulait à toute fin m'emmener avec elle; mais mon père ne voulut pas, bien entendu, se séparer de son idole. Molé vint après elle: même proposition, même refus. Monvel me fit jouer le Muet, de l'abbé de l'Épée. Il fit tout pour me faire quitter Amiens. C'était une monomanie d'emmener cette pauvre Mimi. On ne peut fuir sa destinée; il a fallu y céder. Toutes ces tentatives me touchaient peu, tout cela ne m'allait pas. Je voulais jouer les grands rôles d'opéra. Je ne sortais pas de là. Mon ambition allait très haut. Je voulais une belle robe pailletée, comme j'en voyais aux premières chanteuses. Je voulais les grands rôles, parce que j'aimais les coups de théâtre. Ah! que j'aurais voulu jouer Laure dans Barbe-Bleue pour avoir le bonheur d'être traînée par les cheveux en désordre! Quand ma petite mère me voyait, elle me disait:

–Eh! mon Dieu, d'où viens-tu, faite ainsi?

–Je viens de jouer Barbe-Bleue.

J'adorais Paul et Virginie parce que là j'avais des scènes dramatiques. On me jetait à gauche, à droite, puis enfin la foudre (composée de deux ou trois pétards) venait abîmer la petite barque dans laquelle j'étais en chemise et tout échevelée, et Paul me rapportait mourante et toute mouillée. La vie m'était rendue. Je me jetais dans les bras de ma mère, sans oublier mon sauveur. La toile tombait au milieu du ravissement général.

Voici une petite anecdote peu intéressante. Vous trouverez peut-être à la placer.

Nous devions jouer à Saint-Cloud Andromaque.

–Comment partez-vous, Talma? Venez-vous avec moi? Je vous emmène.

–Ma chère amie, ta voiture est trop petite pour emmener notre monde. Viens donc dans la mienne?

–Dans votre vilain berlingot, avec vos deux vieux chevaux blancs, vos pères nobles, comme vous les appelez? Joli équipage pour jouer un prince et une princesse.

–Mes chevaux sont très bons; nous irons vite, sois tranquille.

–Va donc pour les pères nobles! Mais n'allez pas flâner, Talma. Je veux dîner à Saint-Cloud, et, si vous n'êtes pas à ma porte avant deux heures, vous ne me trouverez plus.

Il fut exact, mon cher Talma. Nous allons dîner chez Legriel, puis nous préparer pour la représentation. Il faisait une chaleur accablante. Nous étions prêts avant huit heures et l'on ne commença qu'à neuf heures.

Pendant le premier acte, je voyais des chauves souris qui voltigeaient dans les coulisses.

–Bourgoin, avez-vous vu les vilaines bêtes sur la scène?

–Non.

–Ah! Dieu merci! J'en ai une frayeur mortelle, et je me sauverais malgré mon respect pour nos augustes spectateurs.

Me voilà donc en scène, toujours un peu préoccupée de l'apparition de ces demoiselles. Dans ma scène avec Oreste, une énorme bête me passa sous le nez. Adieu, Hermione! Adieu, respect! Je pousse un cri et me sauve. Le Consul riait et toute la salle. Talma me ramène.

–Voyons, tu es folle.

–Je ne suis pas folle, j'ai peur.

Je prends pourtant mon courage à deux mains, je salue le Consul et sa gracieuse femme, leur faisant voir combien je m'excusais. Je joue, ou plutôt je ne joue pas, tant mes yeux étaient attachés sur le point où cette bête s'était montrée. Mais elle change sa direction et va juste tourmenter notre belle Joséphine qui s'était amusée de ma peur. Elle renvoyait cette bête avec son éventail. Toutes les dames d'honneur en faisaient autant. Mais plus de tragédie possible. Le Consul fit suspendre pendant quelques minutes. Les laquais se mirent à la poursuite de cette horrible bête, qui finit par disparaître. Le calme rentra avec sa sortie et nous fîmes tous nos efforts pour faire oublier cette mésaventure, causée par moi d'abord. Nous eûmes un grand succès et M. de Rémusat vint nous complimenter de la part du Consul et de Joséphine.

 
SUR LE GOUT DE L'EMPEREUR POUR LA TRAGÉDIE

Le bulletin dont on demandait à grands cris la lecture, au milieu de n'importe quelle scène. Le commissaire de police arrivait sur le théâtre, son écharpe en ceinture, en portant deux bougies; on lisait au milieu d'une émotion, d'un élan patriotique et d'un enthousiasme que l'on ne peut croire quand on n'en a pas été témoin. Et quand l'empereur, après une de ses grandes victoires, venait assister à une représentation de Corneille, enfants, jeunes gens, vieillards, des tonnerres d'applaudissements! Et lui, toujours si simple, saluant avec le sourire si charmant, se posait dans son fauteuil, écoutant avec une attention si réfléchie le chef-d'œuvre qu'il avait demandé. Cinna était son ouvrage favori.

MON DÉPART POUR SAINT-PÉTERSBOURG

Pourquoi vais-je partir? Pourquoi ai-je quitté Paris, le Théâtre-Français? Le sais-je, grand Dieu! Non, je ne sais pas. Ce départ, ce caprice est venu par la rencontre du comte Tolstoï, ambassadeur de Russie. Depuis quelque temps, je ne voyais pas l'empereur,—par ma faute, sans doute! Ah! oui! bien certainement, par ma faute. J'étais ennuyée, j'avais des dettes, je ne voulais rien demander, je me donnais toutes les raisons; mais, la plus vraie, c'est que je voulais de l'air, de l'air étranger. Ah! qu'une jeune artiste est folle! Être désintéressée, quelle stupidité! On ne change pas sa nature: telle était la mienne. L'argent! à quoi bon? J'aimais bien mieux un succès. Bêtise! Enfin, l'ambassadeur, qui venait souvent me rendre visite, me parlait beaucoup de la Russie, de l'empereur Alexandre. Un de ses aides de camp, le comte Beckendorff, m'engagea de son côté à partir. Je disais oui, le lendemain non. Ce fut à un bal masqué que l'affaire fut conclue. Le comte Tolstoï ne me quitta que quand je lui donnai ma parole de signer le lendemain. Cette même nuit, je rencontrai le jeune Tchernicheff. On venait de me mettre au courant de ses petites intrigues. Je m'amusai donc à l'intriguer quelques instants. A cette époque, il était assez naïf. Il me dit: «Ne me parle pas. J'ai au bras une femme qui m'adore et qui est très jalouse.

–Ah! bon Dieu! jalouse déjà, et tu es ici depuis deux jours! Je ne te croirai que si tu me dis le nom de cette femme; Italienne, sans doute?

–Non, pas Italienne: c'est Mlle George.

Un éclat de rire déconcerta mon présomptueux Busse. Je ne me doutais guère, à cette époque, que cet ingénu ferait tant de mal à la France en soustrayant les plans de la campagne. Infamie!

Je signai le lendemain. J'avais une amie qui me vendit un passeport cent louis. Une amie ne pouvait pas faire moins. Je préparai tout dans le plus grand secret, Florence et mon pauvre et cher Talma étaient seuls dans la confidence. J'avais le cœur bien gros; je laissais mon père que j'adorais, ma jeune sœur, frère, et maman malade. La jeunesse est vraiment égoïste. Je laissais tout ce que j'aimais, et pourquoi? Ma mère malade, que je ne devais plus revoir; si j'avais pu le penser, je serais restée, sans hésiter: on ne veut jamais croire à la séparation éternelle. Puis on ne me disait pas le danger de ma mère. Moi, je pensais les faire venir tous près de moi. Le premier chagrin m'attendait: Ma mère morte à quarante-trois ans! A cette nouvelle, toute ma jeunesse a disparu! J'ai éprouvé plus que du chagrin; j'ai eu des remords.

J'anticipe, je me laisse aller sans ordre. C'est ma vie, c'est mon caractère, c'est ma nature.

Tout était prêt, j'allais partir; j'emmenais avec moi qui j'aimais. Je venais de créer Mandane dans Artaxerxès, du bon Delrieu. Je jouai trois fois et partis le 7 mai 1808. J'embrassai ma mère sans lui dire adieu, et à midi j'étais en fiacre pour rejoindre au premier relai la calèche qui m'attendait. Je ne me reposai pas une minute jusqu'à Strasbourg, espérant arriver assez à temps pour passer le Rhin. Malheureusement, il était trop tard. Force à nous de coucher à Strasbourg. J'étais dans toutes les transes à l'ouverture des portes, que nous attendions avec impatience. Nous traversâmes le pont… nous étions sur la terre étrangère. Un peu plus tard, j'étais ramenée à Paris. Le télégraphe avait joué!

Arrivée à Vienne, je fus de suite appelée chez la princesse Bagration, femme jeune, jolie, spirituelle, et remplie de cette grâce charmante qui vous met tout de suite à l'aise. Je trouvai là toute la haute aristocratie de Vienne: le prince de Ligne, la distinction et les grands airs de sa haute naissance, mais sans orgueil; Cobentzel; il est assez connu.

J'étais avec la princesse quand j'entendis une voix de femme qui criait: «Où est-elle? Je veux la voir.»

–Ah! bon Dieu! dis-je à la princesse, qui est-ce donc?

Je croyais toujours qu'on allait me retourner à Paris. Je me cachai derrière un écran; elle se mit à rire.

–Soyez tranquille, ma chère, c'est Mme de Staël.

Elle était fort enthousiaste, Mme de Staël, fort bruyante. Je passai donc près d'elle et fus accablée de compliments que je ne répéterai certainement pas, mais très flatteurs, dits par une femme si séduisante et si spirituelle. On se trouvait plus que flattée des éloges qu'elle vous jetait avec exagération sans doute, mais enfin vous les receviez et au fond vous en étiez aise.

Je restai à Vienne huit jours, au milieu de ce grand monde, ce grand laisser aller qui donne tant de charme aux véritables bonnes manières, quand enfin l'ambassadeur de France me fit dire qu'il était temps de me remettre en route!

VIENNE

Promenade.—Prater magnifique.—Description à faire de la ville: petites rues étroites, maisons élevées.—Saint Joseph. Stadt superbe.—Entrée par les Gasses.—Belles maisons, rues étroites.—Ville noire.—Faire quelques recherches là-dessus.

Les véritables grands seigneurs ont un type, qu'il est impossible d'imiter. Il y a chez eux un ton si parfait, si laisser aller, de la grâce sans manière; on ne s'y trompe pas. Voyez entrer dans un salon des hommes, des femmes. A la manière dont ils entrent, dont ils vous abordent, vous êtes fixé: là, la vraie noblesse; là, les parvenus. Et pourtant la même mise, la même recherche. Eh bien, non: tout cela est placé, et porté d'une façon qui indique l'habitude du luxe. (Vous auriez à dire des choses charmantes.)

Je quittai Vienne avec regret; la princesse Bagration était si séduisante, sa conversation si spirituelle! Je craignais de ne plus rencontrer une telle personne. Je partis cette fois avec un domestique allemand qui parlait français. Dieu! avant d'arriver à Vienne, que de scènes amusantes et impatientantes. Ne sachant pas l'allemand, ne pouvoir vivre que par signes; obligée, quand vous vouliez un œuf, d'imiter la poule! du lait, imiter la vache; faire les gestes de la femme qui bat le beurre. De la viande? Mon oncle se chargeait d'imiter le bœuf, le mouton. Je riais à en être malade! Et, pour payer, nous leur tendions la main remplie de ducats; ils y puisaient tant qu'ils voulaient! Et ils voulaient beaucoup! Voyager en poste est une dérision. J'avais beau dire au postillon: «Cours vite, je suis pressée.» Je leur faisais signe que j'avais faim, ou que j'étais indisposée. Rien! le petit trot, ni plus, ni moins. Ah! les entêtés, je les aurais battus. Des auberges à cette époque détestables. Mon pauvre Paris, combien je le regrettais, et combien je maudissais l'ambassadeur! Et pourtant nous voyagions dans un pays magnifique. (A parler de l'Allemagne, quelques jolies descriptions sur ce beau pays.)

Nous arrivâmes en Pologne, à Vilna. On sut mon arrivée; le gouverneur me rendit visite et me pria à dîner pour le lendemain. Il y eut soirée, une réunion nombreuse, des femmes ravissantes: les Polonaises sont si gracieuses! Je voulus bien dire quelques vers. La politesse me fit un grand succès. On voulut me remercier de ma complaisance et voilà tout; on m'entoura de mille soins, d'empressement; on me fit des éloges inouïs. Je pris tout cela comme je le devais. Toute fatiguée, j'avais accepté cette invitation et l'on me remerciait. Malgré l'enthousiasme poli, j'étais fort heureuse de rentrer à mon hôtel, d'y prendre quelques heures de repos et de me remettre en route. J'avais hâte d'arriver à Saint-Pétersbourg. (Parlez là de Vilna.)

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