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Mémoires inédits de Mademoiselle George, publiés d'après le manuscrit original

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LE PRINCE SAPIEHA

Au milieu de tout ce bruit, de tous ces beaux succès, il fallait se tenir sur ses gardes. Vous comprenez que bien des tentatives furent faites, bien des déclarations; comment en aurait-il été autrement? Au théâtre, on a toujours des adorateurs; belles ou laides, on en est assailli. Ma mère recevait et éconduisait, c'était son devoir, toutes ces propositions. Il nous arriva une sœur de ma mère, marraine de ma sœur Oribelle, femme très bonne, très coquette et assez légère, inconséquente, et pas le moins du monde sévère. Je l'aimais beaucoup, c'est tout simple; à elle, je disais ce que je n'aurais pas osé dire à ma mère. Puis, elle me flattait. Décidément, on aime la flatterie. Quand je jouais, ma mère me faisait mille observations; elle avait bien raison, ma mère! Ma tante me trouvait toujours superbe; elle avait bien tort, ma tante! mais elle me faisait plaisir. Puis elle me racontait tout ce qu'elle entendait dire. Hélas! elle mentait sans doute; elle me faisait mal, mais elle me faisait plaisir! Ma mère, au contraire, me disait: «J'entendais dire que tu devrais prendre garde à ta démarche; que tes sorties étaient mauvaises, quelquefois trop de précipitation dans ton débit; que cela te rendait parfois la mâchoire lourde.» Elle avait raison, ma mère, mais cela ne me faisait pas plaisir. La flatterie perfide vous perd et on l'aime; on s'éloigne toujours du bien pour se rapprocher du mal. Ce qui devait me rapprocher de ma mère m'en éloignait; ce qui devait m'éloigner de ma tante m'en approchait; par ses éloges exagérés, elle attirait ma confiance. Oh! comment, si jeune, comprendre et faire la part du bien et du mal?

Je vivais bien simplement; j'allais à mon théâtre à pied par cet affreux passage Saint-Guillaume. On m'avait donné pourtant le luxe d'une femme de chambre; luxe indispensable. Je n'aurais jamais consenti à voir ma mère dans les coulisses me tenir mon verre d'eau; elle ne l'aurait pas voulu non plus. Elle ne venait jamais dans les coulisses; elle avait sa loge et s'y tenait toute la soirée. Je trouve si humiliant et si déplacé de voir une mère aux côtés de sa fille: cela donne matière à des interprétations fort sales; c'est ma façon de voir à moi. J'avais bien des petites tracasseries à éprouver de la part de mes antagonistes, bien de vilaines lettres anonymes, moyen si bas et que l'on emploie trop. Quand je jouais bien, des gens enrhumés; mais tout ceci était si peu de chose, je m'en préoccupais si peu! Cela m'animait, au contraire. L'opposition m'a toujours été favorable; c'était un stimulant qui me montait. Un jour, pourtant, on me fit une chose infâme. Je jouais Phèdre, le soir. A midi, je reçus un petit mauvais journal qui disait qu'à Abbeville, pendant une représentation, des décombres étaient tombés du côté du théâtre et avaient atteint le chef d'orchestre; ce chef, c'était mon père. Jugez de mon effroi, de mon désespoir. Comment faire, mon Dieu? Point de chemin de fer, pas de télégraphe électrique. Je ne voulais pas jouer; j'allais partir, j'étais morte. A quatre heures, je reçois une lettre de mon père. La vie me revient: quel coup affreux on m'avait porté! J'écris bien vite que je jouerai. Mais la secousse avait été si violente, si déchirante, que j'arrivai épuisée au théâtre, et qu'au quatrième acte je tombai en scène, à côté de cette bonne Mme Guen qui jouait Œnone. Elle, si chétive, ne put me relever; on vint m'enlever. Le public, si excellent pour moi, demanda de mes nouvelles, et Florence vint annoncer qu'il m'était impossible de continuer. Pas un murmure. Le bruit se répandit bientôt dans la salle de la cause de mon évanouissement. On chercha les auteurs d'une telle infamie, on les connut. Je pouvais poursuivre cette affaire, faire du scandale; je ne l'ai jamais aimé. La rivalité vous rend quelquefois bien cruelle. Tant pis pour celle qui peut avoir l'instinct du mal; elle en sera punie. Quelques jours après, je n'y pensais plus; seulement, je dis à l'oreille de la personne: «Vous êtes bien méchante; mais c'est égal, allez toujours; vous finirez par m'amuser beaucoup.» (Ce fait est vrai. C'était la bonne Duchesnois qui avait fait mettre cet article.)

Les visites ne me manquaient pas, les étrangers surtout. En général, ils aiment les artistes, leur société. Il y avait un vieux marquis de Veuil qui était sans cesse en observation et qui se faisait le cicérone de tout étranger de marque, qui arrivait. Il menait vie joyeuse, le cher marquis; il avait voiture. Comment suffisait-il à cette existence? On ne sait. Mais enfin il était reçu partout. On est si indifférent à Paris, si facile. Vous venez en voiture, vous avez un ruban quelconque à votre boutonnière, vous êtes un homme comme il faut; allons, c'est convenu: on vous reçoit. Il venait me rendre visite à ma loge, accompagné presque toujours d'un beau monsieur couvert de crachats, étranger toujours. Le vieux marquis les présentait tous au cercle du comte de Livry, cercle où l'on jouait. Sans doute que le vieux marquis avait le titre et les émoluments d'introducteur. Il me demanda la permission de me rendre ses devoirs chez moi (il était très bien élevé, le vieux marquis).

–Venez, marquis, je vous recevrai.

Il vit mon modeste réduit; il fut fort surpris.

–Eh bien! oui, monsieur, c'est comme cela; je me trouve très bien.

–Ah! miséricorde! quel tapage! Mais on ne s'entend pas.

–Calmez-vous. C'est mon voisin, le maréchal, qui, malheureusement pour vos oreilles si délicates, a beaucoup de pratiques aujourd'hui! C'est bien fâcheux, j'en suis désolée, mais, moi, j'y suis faite.

–Mais vous ne pouvez pas rester ici.

–J'y reste, à moins que vous n'ayez un palais à m'offrir. Jusque-là, je ne me sépare pas de mon maréchal ferrant: je l'aime!

–Chère demoiselle, il faut être jeune comme vous pour supporter un pareil vacarme.

–Je le supporte et j'en ris.

–Je venais vous prier de recevoir le prince Sapieha, homme distingué, qui adore les artistes et qui cherche leur société. Il va toutes les fois à vos représentations, et il sera très heureux d'être admis auprès de vous.

–Pourquoi pas, si ma mère le permet? Nous recevons beaucoup de monde, mon voisin le maréchal peut vous le dire; je puis donc recevoir le prince Sapieha.

Ma tante poussait beaucoup à cette réception; elle aimait peut-être les Polonais!

Le prince me fut présenté. C'était effectivement un homme tout à fait distingué, grand, mince, une physionomie fine et charmante, élégant sans affectation, très simple, ce qui dénote toujours le grand seigneur. Il resta peu, ne m'accabla pas de compliments, ce qui est encore très distingué d'un homme d'esprit, obtint la permission d'être reçu le lendemain. Il revint et demanda l'autorisation de me faire accepter comme hommage au jeune talent un superbe cachemire rouge, un voile d'Angleterre et un petit bijou de col avec une chaîne et un petit médaillon. Ma mère lui dit:

–Monsieur, si c'est à l'artiste que vous offrez ces cadeaux, elle les recevra comme artiste.

Le prince Sapieha, vraiment grand seigneur, s'était pris pour moi, non pas d'amour, certes, mais bien d'un véritable attachement. Il me voyait comme une enfant qui s'amuse de tout. Le prince Lucien, avant son départ, m'envoya un nécessaire en vermeil magnifique. Il y avait au fond de la théière en vermeil 100 louis en or.

–Tiens, maman, voici des pièces d'or; prend-les bien vite. Ah! qu'il est bon, M. Lucien, de penser à sa petite protégée. Je vais aller le remercier.

Le lendemain, à midi, je fus reçue; il me dit:

–Chère enfant, c'est trop peu de chose. Je voulais faire plus, vous rendre indépendante et heureuse.

–Mais je suis très heureuse, moi!

–Oui, pour le moment. Pensez que tout cela est fragile. Vous êtes jeune, songez à l'avenir. Le public est capricieux; tâchez de vous rendre indépendante, afin de vous retirer, si vous éprouvez un revers.

Il m'avait pris le bras et me faisait parcourir son jardin, me faisant la morale. Il avait bien raison. Il me mena à ma voiture, qu'il avait fait avancer à la grille, qui donnait rue de l'Université. Il y avait, il y a encore là, au même endroit, une pompe. Je n'y passe jamais sans donner, un coup d'œil sur cette grande grille et sans donner un souvenir de reconnaissance au prince Lucien. Il partit le lendemain. Je lui promis de lui écrire tout ce qui m'arriverait. Je le fis pendant quelque temps, puis plus du tout. J'étais ingrate. Je me le suis reproché, mais trop tard, comme cela arrive. Le passé, on l'oublie trop vite; on ne peut plus y revenir, il est trop tard. Hélas! ce mot: trop tard! est affreux!

J'avais très envie d'une paire de bracelets en cheveux de je ne sais qui et dont les fermoirs étaient composés de deux grosses roses. J'avais vu ces bracelets chez un petit bijoutier borgne; ils coûtaient une somme fabuleuse: 200 francs. Il n'y fallait pas songer. Sur les 100 louis du prince Lucien, ma mère fut me les acheter et les mit, sans me prévenir, dans mon nécessaire, que je visitais au moins dix fois par jour. Je vous laisse à penser quelle fut ma joie. Ces deux petits bracelets, les ai-je gardés longtemps! Ils me coûtaient un argent fou en coton; je les changeais tous les jours, ce qui divertissait beaucoup le prince Sapieha.

–Vous ne pouvez pas rester dans ce petit logement; cherchez-en un, il le faut. Ne vous occupez pas du reste.

Ma tante se mit en course, et, rue Saint-Honoré, no 334, en face de l'hôtel de M. Lebrun, troisième Consul, on me fit venir pour voir un appartement au premier étage avec un grand balcon. Oh! pourvu qu'on ne jette pas en bas cette belle maison, et mon cher balcon, mon premier luxe! Appartement de 2,400 francs avec écuries et remises!

–Ah! ma tante, que c'est beau! Mais pas de meubles, pas de chevaux.

–Sois tranquille, je suis chargée de tout.

 

–Par qui?

–Par le prince Sapieha.

–Oui, par le prince Sapieha. C'est très bien, mais je ne l'aime pas; je ne veux donc rien accepter.

–Il le sait, mais cela lui est égal; il veut que tu sois bien comme tu le mérites.

–Il ne veut pas autre chose? A la bonne heure! Après toutes mes conditions bien assises, je laissai faire tout ce que le généreux grand seigneur commandait. Il paraîtra très singulier peut-être de rencontrer tant de magnificence désintéressée. Cela existe et a existé pour moi, et sans doute pour bien d'autres. N'avons-nous pas vu des personnages qui, dans leur testament, ont fait des legs à des artistes? Le prince Sapieha a fait de son vivant des largesses, ce qui est encore plus grand, et plus noblement généreux! Il rendait heureux de suite. Il vaut mieux se faire bénir de son vivant qu'après sa mort. C'est moins égoïste: ce qu'il donnait, il ne l'avait plus, tandis que ne donner qu'après sa mort, c'est de la générosité avare.

On me consultait sur mes goûts. Il ne me fallait que peu; en sortant de mon petit réduit, tout me paraissait du luxe. Je fis ma chambre à coucher en quinze seize lilas et mousseline brodée. Quant au boudoir qui donnait dans ma chambre, je ne voulus rien y mettre, le réservant pour ma femme de chambre; j'étais trop poltronne pour ne pas l'avoir près de moi. Le salon en soie carmélite et garnie de velours noir. Salle à manger tout en blanc. Dans ce temps, le luxe était très modeste. Le moyen âge n'existait pas, les meubles de Boule étaient inconnus. On avait tort; c'est vraiment beau. Il y a maintenant une recherche si élégante dans l'ameublement. Puis les élastiques sont si doux, les divans si commodes, au lieu de nos meubles si durs. On mettait tout à l'antique; c'était beau sans doute, mais c'était triste et sévère. On ne pouvait pas, au milieu de ce genre grec, se mettre à la Pompadour; on aurait eu l'air grotesque. On se mettait en tunique, coiffure à la Titus; c'était très joli et bien affreux de se faire couper ses beaux cheveux! On était moitié homme. Ces tuniques en mousseline de l'Inde étaient bien séduisantes; les épaules nues, les bras, on était vraiment bien. Mais les femmes maigres, c'était triste pour elles!

Il fallait être un peu formée en statue pour porter avec avantage ce costume. Les statues montrent leurs épaules, leur poitrine, leurs bras; j'ai été bien étonnée quand j'ai vu des tragédiennes couvertes jusqu'au col comme les hommes. Je me suis dit: «Peut-être que tout est changé. Ces statues aujourd'hui sont plus modestes; elles veulent être habillées en vestales! Au fait, c'est plus honnête; les mœurs l'exigent; on est devenu si pudique. Puis, la maigreur s'en trouve bien, ce qui n'empêche pas de trouver Vénus et Diane bien belles. On va les voiler, espérons-le; les mœurs le veulent.

(Chers Valmore, excusez tous deux toutes mes bêtises.)

Revenons aux choses humaines. Me voici donc dans mon appartement. Rien n'y manque, et je n'ai point la tête tournée de tout cet éclat. Je marche sur des tapis magnifiques. Je me vois reflétée dans des glaces superbes, je ne me regarde pas plus! Mon bon prince est heureux du bien qu'il me fait. Chaque jour, ce sont de petites surprises. Des porcelaines partout, jusque sur une petite table de ma chambre; table antique toujours, pied de biche doré, marbre blanc. Ma nourrice, pendant que j'étais au spectacle, venait visiter ma chambre, l'épousseter: elle était très propre, ma nourrice, et très maladroite. Toute la table renversée, et toutes les belles porcelaines brisées. Elle craignait mon retour, pauvre Marianne, ou plutôt celui de ma mère. Que faire? Je riais, moi.

–Ne te tourmente pas, va; j'aime mieux cela que si j'étais malade. Laisse dire maman; ne réponds pas surtout. Va bien vite te coucher; demain, il n'y paraîtra plus. Bah! nous en aurons d'autres. Seulement, il ne faudra pas être si propre.

Nous étions à peu près en famille; ma mère, ma tante, toujours très indulgente. Mon frère Charles, qui était premier violon au théâtre de Feydeau, ne logeait pas avec nous, mais venait tous les jours dîner avec sa famille. Mon bon père était toujours à Amiens, et faisait de fréquents voyages à Paris. Nous avions voiture; ma tante avait amené un petit garçon, fils de sa bonne, pauvre fille qui était morte à Amiens, d'une manière bien affreuse. Je me rappelle cet affreux événement. Ma tante venait de prendre un bain de pieds dans un vase en faïence. Elle s'était remise au lit; elle sonna Jane pour prendre le vase. Ma tante logeait au deuxième étage, les fenêtres à balcon. Cette Jane, pour ne pas descendre apparemment, trouva plus commode de vider le vase par la fenêtre. Malheureuse! L'eau du bain était savonneuse: il lui échappa, elle voulut le retenir et tomba sur le pavé, la tête brisée. Ah! l'affreux spectacle! Ma tante, qui fut au désespoir de perdre ainsi cette femme, qu'elle avait à son service depuis douze ans, garda son fils orphelin. C'est le même petit Joseph que je fis habiller en jockey, qu'on nommerait tigre aujourd'hui, et qui montait derrière la voiture pendant le jour. Joseph était très heureux, mais, le soir, il avait une peur effroyable, et nous étions obligés de le prendre avec nous dans la voiture, ce qui m'amusait infiniment. Pauvre petit! nous l'aimions, et ne voulions pas le rendre malheureux et sans doute malade par la peur. «On va me tirer les jambes? Prenez-moi. Je vais tomber!» Tout se passait gaiement. Des succès, des déclarations! J'étais sûre, en rentrant, d'en trouver bon nombre, et souvent de bien bizarres.

Une fois, on me donna rendez-vous aux Catacombes. Fi! l'horreur! «On ne pouvait, disait-on, me voir que là; on devait agir avec mystère, tant les ménagements qu'on avait à garder étaient grands, mais je ne devais rien, rien craindre. Ma position serait compromise en agissant avec moins de prudence. Je sais ce que vous inspirez à un illustre personnage, et il serait dangereux pour moi, si l'on s'apercevait de la passion que vous m'inspirez. Soyez donc confiante; venez, et, si je suis assez heureux pour ne pas vous déplaire, je vous jure que la visite dans un lieu, qui d'abord peut vous paraître lugubre, ne se renouvellera plus. Mon désir ardent est de vous consacrer ma vie et de mettre ma fortune à vos pieds. Si vous consentez, ce soir, à minuit, mettez-vous à votre fenêtre.»

Ah bien! oui, je m'y mettrai à ma fenêtre, mais pour me moquer de vous. Vous pouvez m'attendre, aimable amant, au milieu de votre charmant séjour d'ossements, et y déposer vos soupirs et votre fortune. Allons donc, Clémentine (ma femme de chambre), c'est un fou ou un assassin. Elle est jolie, sa déclaration! Ah! s'il fait pareilles offres de sa fortune, il la gardera longtemps. C'est un juif que cet amoureux-là, et un juif gascon encore!

Ce drôle d'amant m'a poursuivie par trois ou quatre lettres; puis, je n'en ai plus entendu parler. J'ai eu tort de ne pas porter ces lettres au préfet de police! Aujourd'hui, on n'y manquerait pas. Cet imbécile, qui craint de perdre sa position et qui met, dit-il, sa fortune à mes pieds! Renonce à ta position, homme passionné, et démasque-toi au beau soleil; alors on consentira peut-être à te regarder. Quelle plate plaisanterie!

Un autre, c'était un fils de famille qui, si je voulais bien consentir à le recevoir, se déguiserait en femme. C'était plus gai, à la bonne heure! Mais je n'admettais pas les travestissements.

Un autre s'annonçait sous le nom de M. Papillotes. Ceci me parut plaisant. Ma femme de chambre l'avait vu. C'était un homme de quarante-cinq ans environ, très bien, de bonnes manières, mais très original. Il s'était faufilé au théâtre, et, quand je jouais, il causait avec ces messieurs et ces dames. Avec moi, il avait l'air du bon papa… Un jour, il m'entendit tousser:

–Permettez-moi de vous envoyer des sirops des îles; ils sont excellents pour la poitrine.

–Merci, monsieur, j'accepte.

Le lendemain, effectivement, je reçus des caisses de sirops, des caisses de liqueurs des îles, des pains de sucre. Ah çà! ce brave homme est un épicier en gros. Il vint me voir, ce brave homme! Ah! il n'y avait pas de danger à le recevoir. Quel singulier personnage!

–Ah! que vous avez un mauvais coiffeur! Il vous met très mal vos papillotes. Permettez que je vous les mette.

Ah! mon Dieu! c'est peut-être un perruquier. Je riais avec Clémentine à en tomber malade.

–Voyons, donnez du papier à monsieur, puisqu'il veut bien me coiffer.

–Non, non, votre papier n'est pas bon; j'ai le mien dans ma poche.

–Plus de doute, Clémentine, c'est un insolent perruquier.

–Vous avez aussi votre fer à papillotes?

–Non, mademoiselle; il ne faut jamais passer mon papier au feu. Laissez seulement deux heures mes papillotes, et vos cheveux friseront à merveille; vous verrez que vous serez contente.

Je lui laisse ma tête; il me met je ne sais combien de papillotes, puis il me dit:

–Vous me permettez de vous rendre visite dans quelques jours?

–Certainement.

–Clémentine, vous ne laisserez plus entrer cet homme, entendez-vous? Revenez vite m'ôter tout ce papier et me nettoyer la tête. Cette bête d'homme m'a tiré les cheveux et m'a fait un mal horrible. Allons, vite, ôtez-moi tout ce sale papier.

–Ah bien! il est drôle, son papier! Regardez donc, mademoiselle?

Des billets de banque! Ah! pour le coup, c'est un banquier. Il y en avait au moins une vingtaine de 500 francs chacun. (Ma bonne amie Valmore, c'est vrai, je vous le jure.)

Ah! celui-là n'a pas besoin des Catacombes, mais Papillotes est un très joli nom; j'espère qu'il le conservera.

Je suis restée sur M. Papillotes, m'en ayant posé une vingtaine à 500 francs. Malgré la coiffure dorée de ce monsieur, il m'ennuyait, et fort souvent je lui refusais ma porte. C'était mal, car ce cher homme était amoureux de sa profession de coiffeur dont il s'acquittait si bien, ne demandant que très humblement à me baiser la main. Il était d'une courtoisie bien rare, et, en fin de compte, je devais y mettre un terme: toutes les papillotes ne pouvaient me dédommager de la somnolence que sa présence me causait. L'élégant prince Sapieha était spirituel, très amusant. Je le voyais rarement; il avait une passion effrénée pour le jeu: cette passion l'occupait exclusivement. D'ailleurs, il ne m'aimait point d'amour: je l'intéressais, voilà tout. C'était vraiment un ami pour moi. Les conversations d'amitié languissent.

–Comment allez-vous, ma chère enfant?

–Bien; et vous, mon prince?

–Moi, je suis très fatigué, chère. J'ai passé la nuit à jouer; je suis brisé, ce matin. Ah! vous avez joué Aménaïde, hier. Avez-vous eu beaucoup de monde?

–Beaucoup; puis, le Premier Consul y était.

–Diable! Il aime donc bien la tragédie, le Premier Consul? Il y vient presque chaque fois.

–C'est vrai, mais c'est que Talma joue toujours avec moi, et le Premier Consul aime beaucoup Talma. Pour moi, je sens que je suis plus animée, quand je le vois dans sa loge; c'est qu'il s'y connaît, lui! Il doit se voir quelquefois dans ces grands héros; je suis sûre qu'il cause avec eux. Il est si grand aussi, notre Premier Consul; la grandeur lui va si bien; et comme il est beau! Je voudrais le voir, lui parler. On dit qu'il a une voix et une parole si douces. Et quelle jolie petite main! on la voit à merveille: il la pose sur le devant de sa loge. Bien certainement il y a là une intention coquette. Pourquoi pas? Les grands hommes ont bien la leur.

–Ma chère, vous êtes folle de votre Premier Consul.

–Non, je n'en suis pas folle. Je l'aime et l'admire comme tout le monde. Voyez, quand il entre dans sa loge, les femmes se lèvent, l'applaudissent; elles ne sont pas folles de lui, pourtant. C'est de l'enthousiasme, du délire; la police n'y est pour rien. Allez, c'est de l'élan vrai.

Je crois que le cher prince n'était pas de mon opinion. Ah! s'il m'avait dit un mot contre le Consul, je l'aurais très poliment mis à la porte. Ce nom de Napoléon, je l'ai toujours aimé; c'était mon culte, et je n'en ai jamais changé. Je n'ai jamais eu la sottise d'avoir une opinion, moi, femme et artiste. Mais je me suis permis d'adorer le nom, et mes affections sont toujours restées fidèles. Je ne m'en suis jamais cachée; je l'ai dit à qui à voulu m'entendre. N'importe, cela soulageait mon pauvre cœur.

BONAPARTE.—LIAISON AVEC LE PREMIER CONSUL.—TALLEYRAND.—TALMA

Ma première entrevue avec le Premier Consul. Je venais de jouer Iphigénie en Aulide (Clytemnestre). Le Consul assistait à la représentation. En rentrant chez moi, je trouvai le premier valet de chambre du Consul, Constant, qui venait me prier, de la part du Consul, de permettre que l'on vînt me prendre le lendemain, à huit heures du soir, pour me rendre à Saint-Cloud; que le Consul voulait me complimenter lui-même sur mes succès!

 

Je fut saisie d'une manière affreuse, moi qui, quelques jours avant, manifestais au prince le désir ambitieux de parler au Consul. On m'offre cette occasion, et je me trouve pétrifiée. Étais-je contente? En vérité, non, et dans ce moment j'étais fort peu désireuse de grandeurs! Que vais-je faire? Que répondre à ce Constant, qui était là avec sa figure réjouie et qui paraissait fort étonné de l'immobilité de la mienne? Singulière chose que le cœur humain! Moi, qui ne pensais jamais au prince Sapieha, j'y pense alors; lui, si excellent, si grand seigneur, qui m'offre tout ce que je peux désirer, qui est très amusant, qui a d'excellentes manières, qui ne demande qu'à baiser le bout de mes doigts, qui me laisse parfaitement libre, et dans ma tranquille innocence, chose bien convenue entre nous et bien respectée. Que pouvais-je désirer, mon Dieu! Rien! Eh bien, si, j'avais besoin d'être ingrate, et allais l'être en effet. Je l'avoue, la curiosité l'emporta, l'amour-propre peut-être; que sais-je, moi? Je réponds à Constant: «Dites au Premier Consul, monsieur, que j'aurai l'honneur de me rendre demain à Saint-Cloud. Vous pourrez venir me prendre à huit heures, mais pas chez moi, au théâtre. Au théâtre. Pourquoi? Je n'en sais rien. Pour me compromettre tout de suite, sans doute. Sotte vanité qui venait honteusement s'emparer d'une pauvre jeune fille.

J'étais triste après avoir congédié Constant. Je passai une nuit toute d'agitation; j'étais mécontente de moi. Mais que vais-je lui dire, moi, au Consul? Que me veut-il? D'ailleurs, il pouvait bien venir chez moi. Décidément, cette entrevue me trouble et je suis bien tentée de n'y pas aller, à son Saint-Cloud! Malgré toutes ces réflexions, je calculais comment il faudrait m'habiller. En blanc ou en rose? Une belle toilette ou un joli négligé? Bah! je verrai cela demain. Je vais dormir, à la fin. Mon Dieu, pourquoi le Consul a-t-il la fantaisie de me voir? Il est maître, on ne peut le refuser! C'est juste, ce n'est pas ma faute, je ne pouvais pas refuser. Ainsi, dormons.

A huit heures, je sonnai ma femme de chambre:

–Eh bien! Clémentine, je n'ai pas fermé l'œil. J'avais envie de vous sonner pour causer. Voyons, parlez. Que vais-je mettre pour aller là?

–Ah! mademoiselle, que vous êtes de mauvaise humeur! Il y en a tant d'autres qui voudraient être à votre place!

–Tu crois cela, toi? C'est joli!

–Oui, oui, mademoiselle, si la Volnais, la Bourgoin,39 voire même Mlle Mars pouvaient être appelées à votre place, elles seraient ravies. Songez donc ce que c'est que le Premier Consul. Si vous ne le comprenez pas, c'est que vous êtes tout à fait une enfant.

Cette Clémentine était une servante-maîtresse, très fine et très rusée. Elle piquait mon amour-propre par vanité, elle allait au but. Pauvre humanité!

La journée me parut d'une longueur démesurée. Je ne pouvais rester en place; j'allais au bois de Boulogne; je revenais chez mon parfumeur, chez ma marchande de modes; au théâtre, je rencontrai mon bon Talma.

–Qu'as-tu donc? tu as l'air d'une folle. Je te dis bonjour, tu ne me réponds pas; tu me pousses pour passer. Es-tu malade? ou en veux-tu au régisseur?

–C'est vous, Talma, qui êtes fou de me dire ce que vous dites. Je n'ai rien.

Fleury me prit par les mains, le vilain moqueur.

–Voyons, regardez-moi. Vous êtes rouge comme une cerise, aujourd'hui, vous ordinairement pâle comme le lis de la vallée. Êtes-vous en colère? Voyez donc, Contât. Ne lui trouvez-vous pas l'air étrange, un air de conquête? Hé! hé! il y a quelque chose.

Ah! mon Dieu! saurait-on déjà? Qu'est-ce qu'ils me veulent donc, tous ces gens-là?

–J'ai mal à la tête! Est-ce que je ne puis avoir mal à la tête? Vous avez bien la goutte, vous, monsieur Fleury, qui vous moquez de moi. Eh bien, est-ce que vous êtes de bonne humeur, quand vous avez la goutte?

–Oh! qu'elle est méchante! Ne lui parlons plus; elle est en train de nous maltraiter tous, même son bien-aimé Talma. Embrassons-la pour la punir et sauvons-nous.

Charmant et aimable Fleury! Il était toujours marquis, même dans ses pantoufles et dans sa robe de chambre!

Je rentrai vite chez moi. Il me semblait que j'avais un écriteau sur le dos où l'on avait écrit mon rendez-vous. Enfin, six heures. «Allons, Clémentine, habillez-moi: un négligé blanc en mousseline, rien sur la tête; un voile de dentelle, un cachemire, voilà tout.» Je vais aller au théâtre pour passer les deux heures mortelles. «Venez avec moi, vous m'avertirez quand Constant sera là.» Je m'installe dans une loge pour être là bien seule. Volnais vint m'y trouver. Que le bon Dieu la bénisse! Quel ennui! On jouait Misanthropie et repentir, je ne l'oublierai jamais.

–Verrez-vous tout le spectacle, George?

–Non, et vous?

–Non plus; j'ai affaire à neuf heures.

–Bon, elle aussi.

–Où allez-vous donc dans une toilette si riche? Y a-t-il un bal quelque part?

–Non, je vais en soirée. Vous avez une parure bien éclatante. (J'avoue que je préférais la mienne: elle était plus simple.)

Pauvre Volnais. Elle allait chez notre brave gouverneur, le général Junot. Cette parure faisait présager un mauvais goût de l'adorateur. Cette liaison a duré assez de temps. Elle lui a flanqué sur le dos des enfants qu'il n'a jamais faits, mais que Michelot a pris le soin de fabriquer. (Ceci pour toi, mon cher Valmore.)

Clémentine vint:

–On vous attend.

– Ah! Clémentine, que je voudrais revenir chez moi!

Je trouvai Constant au bas de l'escalier de l'entrée des artistes. Nous allâmes prendre la voiture conduite par le fameux César, qui heureusement aimait un peu trop à se rafraîchir, ce qui, le jour de la machine infernale, rue Nicaise, sauva l'empereur et l'impératrice qui se rendaient à l'Opéra, et notre César, étant un peu trop désaltéré, mena ses chevaux avec une telle rapidité que le coup affreux fut manqué.

Nous voilà partis. Ce qui se passa en moi pendant la route, il m'est impossible de le décrire. Mon cœur battait à me briser la poitrine. Je ne causais pas, allez. De temps à autre, je disais à Constant:

–Je meurs de peur. Vous feriez bien de me reconduire chez moi et de dire au Premier Consul que je me suis trouvée indisposée. Faites cela et je vous promets de revenir une autre fois.

–Ah! bien oui, je serais bien reçu!

–Mais quand je vous dis, monsieur, que j'ai une peur tellement forte que je ne pourrai dire un mot, que je serai glacée, et que votre Premier Consul me jugera pour la plus grande bête qu'on ait jamais vue. Savez-vous que j'en serai fort humiliée?

Ce Constant riait de tout son cœur, ce qui me parut assez impertinent.

–Rassurez-vous. Vous verrez combien le Consul est bon, vous serez bien vite remise de votre frayeur. Soyez donc tranquille, il vous attend avec une vive impatience, etc. Ah! nous voilà arrivés! Allons, mademoiselle, rassurez-vous, oui, et tremblez toujours.

Nous traversons l'Orangerie, puis nous arrivons devant la fenêtre de la chambre à coucher donnant sur la terrasse, où Roustan nous attendait. Il soulève le rideau, ferme la fenêtre sur moi, passe dans une autre pièce. Constant me dit: «Je vais prévenir le Premier Consul.»

Me voilà seule dans cette grande chambre; un immense lit au fond et en face des croisées, de grands rideaux soie verte, un grand divan agrandi, estrade en face de la cheminée. De grands candélabres chargés de bougies allumées, un grand lustre. Eh! mon Dieu! c'est éclairé comme un jour de bal. Est-ce effrayant? Rien ne peut échapper aux regards, une tache de rousseur serait vue. Tout est grand ici; pas le moindre petit coin mystérieux où l'on puisse se dérober: tout est découvert. C'est trop beau pour moi! Mettons-nous dans cette bergère. Là, entre le lit et la cheminée, je serai un peu cachée; on ne m'apercevra pas de suite. Ah! cela me rassure un peu; puis, mon voile bien baissé, je serai plus hardie.

39Bourgoin (Marie-Thérèse-Étiennette).—Née à Paris, rue des Deux-Anges, le 4 juillet 1781.—Débute le 13 septembre 1799.—Nouveaux débuts le 28 novembre 1801.—Sociétaire en mars 1802.—Retirée le 1er avril 1829.—Morte à Paris le 11 avril 1833.—Inhumée au Père-Lachaise. (Georges Monval, Liste alphabétique des sociétaires, etc.)
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