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Mémoires inédits de Mademoiselle George, publiés d'après le manuscrit original

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Il n'y a rien pour moi dans ce cœur!

Ses propres paroles. J'étais au supplice, et j'aurais donné tout au monde pour pleurer; mais, aussi, je n'en avais pas envie. Nous étions sur le tapis, près du feu, car il y avait du feu. Mes yeux étaient fixés sur le feu et les chenets brillants, restant là fixée comme une momie. Soit l'éclat du feu ou des chenets, ou de ma sensibilité, si vous l'aimez mieux, deux grosses énormes larmes tombèrent sur ma poitrine, et le Consul, avec une tendresse que je ne peux exprimer, baisa les larmes et les but. (Hélas! comment dire cela? Et pourtant, c'est vrai!)

Je fus tellement touchée au cœur de cette preuve d'amour que je me mis à sangloter de véritables larmes. Que vous dire? Il était délirant de bonheur et de joie. Je lui aurais demandé les Tuileries dans ce moment-là qu'il me les aurait données. Il riait, il jouait avec moi, et il me faisait courir après lui. Pour éviter de se laisser attraper, il montait sur l'échelle qui sert à prendre les livres, et moi, comme l'échelle était sur roulettes et très légère, je promenais l'échelle dans toute la longueur du cabinet. Lui riait et criait: «Tu vas te faire mal. Finis, ou je me fâche…»

(Oh! chère amie, vous pouvez tirer parti de cela; ce sera si joli, raconté par vous, mon bon Valmore.)

Vous saurez la date: l'empereur partait pour visiter le camp de Boulogne.

Ce soir-là, le Consul me fourra dans la gorge un gros paquet de billets de banque.

–Eh, mon Dieu! pourquoi me donnez-vous tout cela?

–Je ne veux pas que ma Georgina manque d'argent pendant mon absence. (Ses propres paroles!)

Il y avait quarante mille francs.

Jamais l'empereur ne m'a fait remettre d'argent par personne. C'était toujours lui qui me le donnait.

Il fut plus tendre, ce soir-là, que je ne l'avais encore vu.

J'oubliais de vous dire que, ce soir-là, il renvoya M. de Talleyrand qui venait travailler avec lui. Le lendemain, je fus chez Talleyrand où j'allais souvent; l'empereur le savait.

–Ah! venez, ma belle, que je vous gronde. Eh bien! on m'a renvoyé hier pour vous.

–Je ne sais ce que vous voulez dire. Comment, on vous a refusé l'entrée de ma loge à Feydeau où j'étais? Vous m'étonnez beaucoup.

–Vous êtes un diplomate trop jeune, vous ne savez pas encore mentir; cela viendra.—Au fait, vous avez raison, je ne suis nullement offensé d'avoir été renvoyé; j'en aurais fait tout autant. Je me suis hâté de revenir à Paris pour faire ma partie. Mais voilà deux fois que je suis congédié pour le même objet. Soyez fière, cela ne m'était jamais arrivé.

Je puis vous attester que ceci est encore vrai. Du reste, ce Talleyrand était toujours charmant; il était si spirituel!

J'étais libre pour quelques jours, pour toujours peut-être. L'absence de quelques jours suffira pour que le Consul ne pense plus à moi; il désirera un autre jouet. Je suis si peu de chose. Pourtant, il a été bien tendre. Cette soirée comptera dans ma vie. Je me suis sentie ingrate, froide. Je ne mérite pas ce qu'il est pour moi. Moi! un rien, qui dans ce moment n'ai pas compris toute la grandeur de ce sentiment, qui faisait tomber cette gloire devant quelques larmes d'une sotte enfant. Je m'en veux; je me méprise.

Tu sentiras ce que vaut cet homme quand il rie te verra plus; tu auras mérité son oubli. Pendant cette absence, je croyais que je respirerais plus à l'aise, que je m'amuserais à courir partout; mais, point. J'étais plus isolée, plus ennuyée. Il fallait jouer: c'était encore la meilleure distraction; mais, vis-à vis de cette salle comble, je voyais un désert. Cette loge où le Consul assistait si souvent à nos représentations tragiques, cette loge vide était si triste. Mon bon Talma lui-même n'avait plus la même émotion. Le soir, il me semblait entendre la voiture qui devait me mener à Saint-Cloud. Tout est donc caprice dans cette vie où l'on ne veut pas ce que l'on possède, et l'on désire ce que l'on n'a plus! Si le Consul ne veut plus me recevoir à son retour, je partirai. Ah! oui! Certainement je ne resterai pas dans cet affreux Paris, si je ne dois plus le revoir. Je ne sais où j'irai, mais je partirai parfaitement heureuse… Je ne pouvais l'être malgré ma jeunesse, mon étourderie, si vous voulez; je sentais bien que ma position très enviée était peu stable. D'un moment à l'autre, le bel édifice devait crouler. Pouvais-je me flatter au point de penser que cette trop brillante position n'aurait pas une fin? Il fallait vivre d'une vie trop incertaine. Ne pensons pas. Ne cherchons pas à voir et marchons.

Je n'avais que mon Talma, qui écoutait toutes mes angoisses avec une patience d'ange. Je devais l'ennuyer.

–Tu as un avenir magnifique, comme artiste, qui te rendra toujours indépendante. Ne rêve donc pas l'impossible. Amuse-toi. J'espère bien que cette déception, si elle arrive, ne te portera pas à te faire carmélite comme la belle La Vallière. Tu serais trop drôle sous le voile et tu ne ferais pas ton année de noviciat, bien certainement.

–Tiens, tu as raison; je ferais triste figure et l'on ne viendrait pas arracher la pauvre comédienne de ce saint asile. On m'y laisserait très bien. Soyons donc franchement comédienne, et pas de fausse dévotion; on est ridicule. Adorons Dieu; je l'adore et fais ma petite prière tous les soirs. Prière à moi: je n'ai jamais voulu en apprendre d'écrites. Je préfère apprendre Racine; ça fait plus d'effet.

–Viens ce soir; tu trouveras David, Gérard, etc.

–C'est bien. Compte sur moi, cher ami.

Je voyais peu de monde chez moi, je refusais presque toutes les visites par crainte. C'était une existence presque toujours contrainte; ma position me commandait une grande réserve. Aussi je ne vivais pas; je m'ennuyais horriblement. Mon bon Talma était souvent près de moi; toujours peureux horriblement, mon bon Talma.

–Prends garde, chère amie. Les femmes t'en veulent; elles sont méchantes. Ne perds pas l'attachement du Consul par ta faute. Point de coups de tête. Évite les affreux cancans.

–Oui, cher Talma. J'ai tout ce que je peux désirer, excepté le bonheur intime. Car, enfin, je suis comme une machine; je ne m'appartiens pas et j'attends qu'on ait envie de me voir. Je ne suis rien dans l'existence de ce grand homme, et je suis, quoi que vous disiez, très isolée. Malgré vos conseils amis, je regrette ma liberté de jeune fille allant, venant, sans conditions, ma volonté à moi: je reçois qui me veut, qui me plaît. Quelle ravissante existence! Rien ne peut se comparer à l'indépendance. J'aime mieux la clef des champs qu'une belle cage dorée. Malheur à qui veut sortir de la sphère où Dieu l'a placé. Je ne suis qu'une sotte. L'amour-propree me pousse; puis, après, je me suis laissée aller à aimer un homme que je ne devais qu'admirer!… Je raisonne ainsi quand je suis loin du Consul. Près de lui, je suis la plus heureuse du monde.

Le Consul, au bout de – jours, revint.

(Cher Valmore, si vous n'avez pas toutes les dates, j'ai prié un ami à moi, Saint-Ange, de me les procurer. C'est un vieil ami d'Harel qui va même me faire une biographie, qui sera très bien.)

Je revis donc le Consul le lendemain de son arrivée aux Tuileries, dans un appartement que je vois toujours: les petites fenêtres au-dessus des grands appartements. Salon, chambre à coucher dans laquelle il y avait une espèce de petit boudoir. Mes chères petites fenêtres, que je vous regarde souvent! Je les aimais tant que j'allais toujours prendre mes bains aux bains Vigier, parce que, de ma baignoire, je voyais mes chères petites fenêtres. J'étais d'un sentimental!

–Voyez, Clémentine, regardez bien ces petites fenêtres avec leurs persiennes. C'est là mon appartement, c'est là que l'on m'aime et que j'aime. Je suis amoureuse de mon bon et beau Consul. Je tremble toujours que cela finisse. Je suis trop peu de chose, je le sens bien; c'est ce qui me désespère! Tenez, je suis assez ridicule pour désirer être une grande dame.

Pour gagner le joli petit appartement, il fallait monter horriblement, passer par des couloirs assez noirs.

–Ah! Constant, que c'est haut! Je n'en puis plus.

–Chut! pas de bruit.

–Pourquoi, chut? A Saint-Cloud, vous ne disiez pas: «Chut!» C'est ennuyeux, vos: chut! Il y a ici du monde partout.

Nous voilà arrivés. J'entrai par un tout petit cabinet qui donnait dans la chambre à coucher. Le Consul n'était pas encore monté. Je me débarrassais de mon cachemire. J'avais l'habitude de mettre deux paires de souliers, parce qu'à Saint-Cloud, je traversais l'Orangerie. J'allais ôter ces premiers souliers quand je m'aperçus que j'en avais perdu un dans ces affreux escaliers.

–Ah! mon Dieu! Constant, j'ai perdu un soulier. Voyez, courez! Mon nom est dans toutes mes chaussures. Que va dire le Consul? Courez vite.

Pendant qu'il court après ce malheureux soulier, le Consul arrive, bon et tendre comme toujours; mais, moi, j'étais toute troublée.

–Qu'avez-vous, Georgina? Voyons, mon enfant, dites-le-moi?

–Je n'ose pas vous dire ce qui m'arrive, mais c'est désolant. J'ai perdu mon soulier dans un de ces vilains escaliers.

–C'est un fort petit malheur!

–Oui, mais ce n'est pas tout: mon nom est écrit dans toutes mes chaussures. Voyez combien c'est désolant; j'en suis toute tremblante.

–Eh bien, chère Georgina, on lira votre nom, et celui qui trouvera le joli soulier blanc le gardera, le coquin! comme ayant appartenu à une belle personne. Ne te tourmente donc pas, et sois tout heureuse de me revoir.

–Je suis très heureuse de vous retrouver pour moi ce que vous avez toujours été. Mais, je vous en prie, sonnez Constant qui court après cet affreux soulier.

Constant entra avec le soulier.

–Ah! à présent, me voilà tout heureuse et tout à la joie de vous revoir.

 

Les questions ne manquèrent pas. Il était vraiment enfant, l'empereur! Je lui dis la vérité.

–Je me suis beaucoup ennuyée; je m'ennuie souvent. Allez, je voudrais toujours être avec vous. Je suis bien ridicule, n'est-il pas vrai? Je sais bien que c'est impossible. Je sais très bien aussi que je ne puis occuper votre pensée. Je suis une petite distraction, voilà tout! C'est triste pourtant, mais cela doit être ainsi.

Le Consul était trop bon pour ne pas me dire le contraire. C'était bonté, pas autre chose, mais cette bienveillante bonté devait me satisfaire.

Je me retirai presque au jour. L'empereur ne s'en préoccupait pas, mais c'était fort embarrassant et très désagréable. Constant, bête comme un pot, faisait attendre la voiture au guichet du côté de l'eau. Je dis à l'empereur que cela m'ennuyait et, dès lors, la voiture attendait au bas du perron.

Je voyais l'empereur presque toujours deux fois par semaine, quelquefois trois.

Un jour où ma toilette était un peu plus coquette,—j'ai oublié de vous dire, je crois, que l'empereur me déshabillait lui-même et me rhabillait lui-même; il mettait tout en ordre comme une bonne femme de chambre,—il me déchaussait, et, comme mes jarretières étaient à boucles, cela l'impatientait, et il me dit de me faire faire de suite des jarretières rondes passant par le pied. Depuis cette époque, trop éloignée pour mes charmes, je n'en porte pas d'autres. Ces détails sont insignifiants pour les Mémoires, mais je veux tout vous dire.

J'avais une jolie couronne de roses blanches. L'empereur qui, ce soir là, était d'une gaîté charmante, se coiffa avec ma couronne, et, en se regardant dans la glace, me dit:

–Hein! Georgina, comme je suis joli avec ta couronne! J'ai l'air d'une mouche dans du lait! (Ce sont ses enfantines paroles.)

Puis, il se mit à chanter et me força à chanter avec lui le duo de la Fausse Magie.

Vous souvient-il de cette fête où l'on voulut nous voir danser?

Voilà ce qu'était l'empereur avec moi. Comme je questionnais toujours Constant pour savoir si le Consul était toujours le même pour moi, il me répondait:

–Dame! J'ignore si le Consul est très fidèle, mais ce que je sais bien, c'est que, lorsqu'il me donne l'ordre de vous venir chercher, ce jour-là il est très léger, et je l'enlève de terre en lui passant sa culotte. Puis, voulez-vous que je vous dise? je crois que le respect et les révérences des grandes dames le fatiguent et le font bâiller; au lieu qu'avec vous, il est toujours gai et joyeux, et quitte de très bonne heure les salons pour venir vous rejoindre! (C'est vrai, tout cela!)

Que Constant est bête de me dire tout cela! Il me fait joie et me laisse, par ses sottes paroles, l'inquiétude au cœur! Il y en a d'autres. Il me préfère. Pourquoi? Parce que je suis sans conséquence, et qu'il est enfant avec une enfant. Je lui fais diversion; c'est beaucoup, mais ce n'est pas assez; cela ne peut être durable! Ah! toujours mon idée fixe: quand ce sera fini, je partirai.

Au lieu de dire: «Enfant, chère bonne, vous trouverez autre chose!» Et pourtant c'était bien enfant!

J'arrive. Constant me dit:

–Le Consul est monté; il vous attend.

J'entre. Personne. Je cherche dans toutes les chambres. J'appelle. Rien! personne! Je sonne:

–Constant, le Consul est redescendu?

–Non, madame; cherchez bien.

Il me fait signe et me montre la porte du boudoir, où je n'avais pas eu l'idée d'entrer. Le Consul était là, caché sous les coussins, et riant comme un écolier. Il m'avait demandé mon portrait, et je le lui apportais. C'est une miniature qu'il ne trouva pas très bien, et il avait raison.

–Eh bien, rendez-le-moi; je m'en ferai faire un autre.

–Non, je le garde; fais-en toujours faire.

–Oui, mais à une condition.

–Ah! des conditions, mademoiselle Georgina! Voyons les conditions.

–Écoutez donc: ce n'est pas amusant de poser, et pour moi surtout qui n'ai pas de patience; aussi je vous fais un grand sacrifice. Eh bien, je veux en échange votre portrait. Voyez-vous, cela, je le veux. Non, je désire, si cela est mieux.

–Si tu es bien sage et bien gentille, je te le donnerai.

Et il ne me fit pas la proposition de me donner une pièce d'or à son effigie, comme on a bien voulu le dire. J'ai eu et j'ai bien son portrait, une adorable miniature, bien donnée par lui à moi.

–Comme je n'ai pas encore votre portrait, je veux aujourd'hui même autre chose. Ne me refusez pas, car aujourd'hui j'ai très mauvaise tête et je me fâcherais.

Il riait à en pleurer.

–Je refuse; je veux voir une grosse colère. Allons, va donc; je refuse.

–Nous allons voir. Sonnez Constant.

–Sonne toi-même; je te le permets.

–Constant, des ciseaux.

–Allons, apporte des ciseaux à madame. Ah! que veux-tu donc faire de ces ciseaux? Que veux-tu donc me couper? Vraiment, tu me fais peur!

Comme il riait, le cher Consul!

–Je veux vous couper une mèche de ces beaux cheveux, si doux et si fins.

–Non, non, ma chère; j'en ai trop peu. Et je lui courais après, tenant mes ciseaux.

–Je n'en veux que quatre: je vous promets de n'en point couper plus. Si vous n'avez pas confiance en moi, je vais m'en aller.

–Ah! la vilaine petite entêtée! Allons, voyons, coupe! Que cela ne se voie pas!

Je coupai quatre ou cinq cheveux.

–Voyez si j'ai tenu parole; j'en ai vraiment trop peu.

–Voyons, câline, coupe encore, mais peu.

–Oui, soyez tranquille.

Et j'en coupai une bonne petite mèche.

–Ah! la vilaine menteuse! c'est énorme!

–Non, voyez bien, pardonnez-moi, cela ne se voit pas du tout. Je veux encore quelque chose.

–Ah çà! auras-tu bientôt fini?

–Tout de suite! Eh bien, je veux que, quand vous viendrez dans votre petite loge,—vous savez bien, votre petite loge où j'aime tant à vous voir,—je veux que vous me montriez mon portrait. Je ne sais comment vous ferez, mais vous me rendrez bien, bien heureuse.

(Chère amie, il n'y a que vous au monde pour tirer parti de tous ces détails qui deviendront charmants, entre vos mains.)

Vous voyez le caractère de l'empereur; vous voyez comme il se livrait tout entier aux caprices d'une gamine. Les grands hommes ont leur côté faible; il leur est doux quelquefois de descendre et de se faire petits pour connaître la vie intime et simple dans les détails, heureux sans doute de s'oublier quelquefois.

Il vint le lendemain entendre les Horaces, et, dans un moment où j'étais placée du côté de sa loge, il leva sa jolie petite main, qui me fit un signe. Avait-il le portrait? je l'ignore. L'intention était déjà assez aimable, et je devais m'en contenter.

Malgré les bruits qui couraient sur mon intimité avec le Consul, les adorateurs (je ne trouve pas d'autre mot, mais c'est mauvais), les adorateurs ne manquaient pas de se présenter. Décidément, je ne voulais pas vivre tout à fait comme une recluse. Je recevais dans ma loge, après mes représentations, des Français, des étrangers de haute distinction. Pourquoi ne pas, de temps en temps, les recevoir chez moi?

On m'annonça un jour le secrétaire du prince de Wurtemberg (historique). Je reçus ce monsieur, qui m'apporta, de la part du prince, une bague magnifique en diamants, qu'il me pria d'accepter, en témoignage du plaisir qu'il avait éprouvé à la représentation des Horaces. C'était un simple hommage qu'il espérait que j'accepterais; et, en outre, une énorme bourse en velours rouge brodée en or, de ces bourses de la forme de celles où l'on fait les quêtes. Cette bourse, d'une dimension colossale, était remplie de louis.

–Monsieur, dites au prince que j'accepte avec plaisir et orgueil la bague qu'il daigne m'offrir. Quant à la bourse, je la refuse. Il peut faire un meilleur usage de cet argent; il soulagera beaucoup d'infortunes. Mais les artistes français n'ont pas l'habitude de recevoir des offrandes d'argent.

Ce monsieur fut très confus.

–Mademoiselle, le prince vous fera ses excuses, si vous voulez bien le recevoir. Il ne voulait point vous blesser en vous offrant cette bourse, et il vous aurait priée—je n'en fais aucun doute—de distribuer vous-même cet argent.

–Remerciez le prince, monsieur, et veuillez lui dire que je fais mes petites aumônes, très modestes, avec ma petite bourse. Oui, M. le prince peut venir et j'aurai grand plaisir à le recevoir et le remercier. (Ceci m'est arrivé.)

Le prince vint le lendemain, et, jugez de ma surprise: c'était le soi-disant secrétaire!

–Eh! mon Dieu! prince, pourquoi ce déguisement, je vous prie?

–Pardon, mademoiselle, mais je n'osais pas.

–Ah! oui, à cause de cette belle bourse. Vous ne me connaissez pas, prince, mais l'or est un mauvais passe-partout pour arriver à moi. Je n'aime pas l'argent.

Le prince était grand, très mince, fort timide, ce qui lui donnait l'air assez gauche. C'était le père, je crois (vous pouvez le savoir, Valmore), de l'impératrice de Russie, femme de Paul Ier.

Ce cher prince venait me voir dans ma loge, où il trouvait belle et bonne compagnie. Ces réunions étaient ravissantes. Après la représentation de la tragédie, Talma, auquel on rendait les mêmes visites, descendait toujours dans ma loge, accompagné de son cortège d'artistes et de grands seigneurs. Il est arrivé souvent que Mongila, le premier garçon du théâtre, vint nous avertir que le spectacle était fini. Pas possible!

En voyant le Premier Consul, il me dit:

–Eh bien, Georgina, vous avez reçu le prince de Wurtemberg?

–Oui, et je vais vous conter ce qui m'est arrivé.

–En huit jours, il peut arriver beaucoup de choses.

–Vous devenez trop rare, écoutez donc! Je m'ennuie. J'ai reçu le prince et j'en recevrai bien d'autres. D'ailleurs, vous savez, toutes les visites que nous recevons dans nos loges, nous pouvons bien les recevoir aux grandes lumières.

–Vous avez, chère Georgina, des dispositions aux grandeurs.

–Vous m'en avez donné le goût; on se forme à une si belle école. Mais vous savez bien que, tant que j'aurai le bonheur de vous inspirer un peu d'intérêt, je ne ferai rien qui puisse refroidir votre bienveillance.

–Mais après?

–Je ne sais pas ce qui peut arriver.

–Vous êtes une sotte.

–Voici donc ce que je voulais vous dire: voici la bague d'abord.

Je lui racontai l'histoire de la bourse.

–Fi! dit le Consul. C'est de mauvais goût! Vous avez reçu cette bague un peu légèrement. Je vous engage pour vous à ne plus recevoir de présents en hommage soi-disant de votre talent; cela n'est pas convenable.

–Pourtant, il y avait des artistes qui ont reçu des présents, à l'étranger: cela se voit tous les jours. Ce n'est pas leur faute, si les Français ne témoignent leur admiration que par de belles phrases: c'est meilleur marché.

–Georgina, vous ne me plaisez pas, ce soir. Je n'aime pas ce langage. Je crois que je ferai bien de vous marier.

(Je ne me rappelle pas si je vous ai parlé de cette proposition qui m'a été faite; je la répète peut-être encore. Qu'importe!)

—Me marier! moi! Et à qui donc? mon Dieu!

–Soyez tranquille, je vous donnerai à un général. Vous quitterez le théâtre, bien entendu, et vous vivrez honorablement.

–Cette proposition, que vous me faites, est sérieuse?

–Très sérieuse.

Je fus blessée jusqu'au fond du cœur. Ah! Constant, vous avez eu la bêtise de me dire la vérité. Allons, une grande dame a passé par là. Ma résolution fut bien vite arrêtée.

–Je vous demande mille fois pardon de vous désobéir, mais je ne veux pas me marier, je ne puis plus me marier. Quand vous avez eu le caprice de m'appeler près de vous…

–Le caprice? dit-il.

–Eh! mon Dieu! oui, le caprice!… j'étais artiste, je resterai artiste. Moi, prendre un mari de convention? Ah! s'il s'en trouve un assez complaisant pour jouer ce rôle, convenez qu'on ne peut aimer ni estimer un pareil homme!

–Tu as raison, Georgina; tu es une brave fille.

Je parlai ainsi à l'empereur sans gêne, sans fausseté, vingt fois. Voulant lui tenir un langage du monde que l'on apprend comme un rôle, l'empereur m'arrêtait en riant, en me disant:

–Laisse tes sottes phrases, parle-moi comme tu le sens; ne fais pas d'esprit avec moi. Dis-moi tout ce qui te vient naturellement.

Il ne se fâchait jamais de mes boutades, de mes bêtises, si vous voulez. C'est, je crois, ce qui a fait que, malgré des absences, je l'ai toujours et jusqu'au dernier moment trouvé bon et excellent pour moi! Aussi, c'est un culte, une adoration que rien n'a pu changer, et je m'en fais gloire! Tous ces souvenirs m'ont consolée de bien des déceptions et de bien des misères, de bien des abandons! Pauvre empereur! Combien il a dû souffrir, cet illustre martyr! On n'a pas le droit de se plaindre!

 

(Chère amie, placez-moi ces lignes sur mon empereur; j'y tiens.)

L'empereur ne fut pas huit jours sans me revoir. Je le retrouvai gai et bon toujours. Il m'arriva une singulière aventure que je vais vous raconter.

On m'annonce le capitaine Hill, Anglais, Américain?

–Que ce monsieur vous dise ce qu'il veut, Clémentine. Vous savez que je ne reçois plus les personnes qui ne me sont point présentées et que je ne connais point. Eh bien, allez donc! Que veut-il?

–Il dit qu'il ne peut dire qu'à vous seule ce dont il est chargé.

–Eh bien, qu'il m'écrive!

–Ce monsieur prétend qu'il ne peut pas écrire cela; il ne peut parler ni écrire.

–Eh bien, dites-lui qu'il aille se promener et que je ne veux pas le recevoir, et ne revenez pas: cela me fatigue.

Malgré mon ordre, Clémentine, qui ne se laissait pas intimider, rentre.

–Ah çà! encore, insolente! Laissez-moi!

–Mais, mademoiselle, ce monsieur est très amusant, et votre curiosité sera assez piquée quand vous saurez. Ce qu'il a à vous dire est un secret qu'il ne peut confier qu'à vous seule.

–Un secret! Ceci est singulier! Eh bien, demain, à deux heures, je le recevrai. Qu'est-ce que c'est que cet homme? Il vient demander un secours? C'est un pauvre honteux?

–Oh! que non! C'est un très bel homme, très bien mis, très élégant.

–Eh bien, c'est peut-être un voleur. Il me fait peur, le bel homme! Clémentine, vous resterez là dans le boudoir, et le valet de chambre restera en sentinelle à la porte de ma chambre. C'est vous qui serez cause de quelque malheur peut-être, sotte que vous êtes. Venir exciter ma curiosité! Il n'est pas encore reçu, votre bel homme!

A deux heures, le lendemain, on m'annonce le capitaine Hill.

–Allons! le sort en est jeté! Qu'il entre, et restez là.

C'était effectivement un homme très bien, d'excellentes manières.

–Que me voulez-vous, monsieur?

–Madame, je suis chargé d'une mission assez délicate et qui m'embarrasse étrangement. Madame, pardonnez-moi d'abord la proposition que je vais vous faire. J'ai à vous parler sérieusement, mais mes paroles ne peuvent être entendues qu'en plein air.

–Comment! monsieur, en plein air! Effectivement, cette proposition singulière ne peut être acceptée et je ne l'accepte pas. Excusez-moi, monsieur, si je vous quitte, mais je ne puis vous entendre plus longtemps.

–Mais, madame, soyez sans méfiance, je vous prie.

–Ah çà! monsieur, vous voulez donc m'enlever?

–Mais, madame, point le moins du monde. Faites-vous suivre par votre voiture, par vos gens, au bois de Boulogne. Veuillez accepter une place dans ma voiture et, une fois en plein air, vous saurez tout et vous apprendrez le but de ma mission, qui peut-être ne sera pas sans intérêt pour vous.

–Tout ceci est peut-être vrai, mais je refuse.

J'avais une peur affreuse.

–Réfléchissez, madame; ce que j'ai à vous offrir ne se présente pas deux fois dans la vie. Réfléchissez et peut-être serez-vous plus confiante.

J'avais la tête à l'envers.

–Eh bien, Clémentine, qu'en dites-vous? N'est-ce pas effrayant?

–Ma foi, non, mademoiselle! Cet homme est bien. Quel mal voulez-vous qu'il vous fasse? A votre place, moi, j'irais.

–Eh bien, allez-y. Vous y gagnerez quelque chose sans doute; pour moi, je n'irai pas. Quel est cet homme?

Et les suppositions marchaient. Mon imagination courait de même. Il revint le lendemain… Je refusai… Le surlendemain… Il me fatigue, cet homme! Je veux savoir ce qu'il est.

–Qu'il vienne demain à deux heures! J'irai.

Le lendemain, me voilà en voiture à côté de ce personnage mystérieux, beau, jeune, en vérité, qui aurait mieux fait de parler pour lui. Je suis bien inconséquente de m'exposer ainsi. Je regardais à la portière à chaque instant pour m'assurer que j'étais suivie par ma voiture et mes domestiques.

Arrivés au bois de Boulogne:

–Enfin, monsieur, nous voici en plein air, j'espère. Expliquez-vous vite, car, je vous l'avoue, j'ai hâte de vous quitter.

Il me fit donc dans cette entrevue des demi-confidences: que j'avais inspiré une passion violente à un très haut et puissant seigneur anglais, qu'il avait fait faire mon portrait (quelque croûte sans doute!) qu'il était amoureux fou et qu'il voulait à tout prix me faire quitter la France.

Je me mis à rire.

–Ne riez, madame! C'est tout à fait sérieux. (Si je le veux bien, sans doute!)

Il me donna des détails sur la maison que j'occuperais, sur l'existence brillante que je mènerais, mais détails toujours mystérieux.

–Oui, monsieur, tout cela est vraiment magnifique. Mais de qui me parlez-vous enfin? En supposant que, pour la première fois de ma vie, les richesses me tentent au point de tout quitter et de m'exiler dans un pays que je n'aime point et que je n'aimerai jamais, au moins je veux savoir le nom de ce brillant et fastueux amant. Vous avouerez, mon cher monsieur, que tout cela ressemble trop à un conte des Mille et une nuits; qu'il est bizarre que vous, jeune et beau cavalier, vous vous chargiez d'une pareille ambassade. C'est à n'y rien comprendre.

Il ne voulut pas m'en dire plus.

–Alors, lui dis-je, bonjour, monsieur! Je remonte dans ma voiture.

Ce que je fis en riant de tout mon cœur de cette comique aventure. C'est un original, il a voulu s'amuser. Voilà tout! Je n'y pensais plus et n'en parlais même plus.

Mais cet homme était toujours devant moi, planté aux promenades, aux théâtres.

–Ah! mon cher monsieur, votre persévérance à me suivre commence étrangement à me fatiguer. Je suis bien tentée de dire au Consul votre inconcevable obstination. Mais à quoi bon? C'est un original, laissons-le de côté.

Il ne se tint pas pour battu; il revint, puis encore. Je ne voulus plus le recevoir. Il m'attendit au bas de l'escalier, et, au moment de monter en voiture, il me suppliait de l'entendre un instant. Il fallut être polie. Je ne pouvais pas mortifier cet homme devant mon domestique.

–Madame, en grâce, accordez-moi une seconde entrevue au Bois?

–Ah! mon cher monsieur, pour cette fois, allez vous promener tout seul. Cette plaisanterie se prolonge trop, elle me fatigue au dernier point. Veuillez donc ne pas insister. Vous me fâcheriez. Enfin, écrivez cela à qui vous envoie et donnez-moi la paix! Mille compliments et surtout au revoir.

–Vous m'ordonnez de me retirer, madame. J'obéis; mais, avant de vous quitter, je ne dois pas vous laisser ignorer qu'ayant reçu l'autorisation de tout vous dire, je devais espérer que vous m'accorderiez une seconde entrevue!

–Ah! vous avez reçu l'autorisation de me faire connaître votre mystérieuse mission?

L'affreuse curiosité était là qui me poussait. Puis, ceci partait d'un pays qui m'inspirait peu de confiance. Je me décidai de suite: je n'avais plus aucune crainte pour moi, je voulais tout savoir.

–Allons, monsieur, venez, mais à l'instant. Votre voiture est là, j'y monte, et que la mienne me suive.

Cet homme ne me disait pas un mot tant que nous étions dans Paris; mais, au milieu des arbres, il prenait la parole. Il commence par jeter des parures en diamants, mais de magnifiques diamants, savez-vous: collier, bracelets, boucles d'oreilles, tout cela tenu par de petites chaînes de Venise. Les boucles d'oreilles surtout étaient royales: de grosses pierres suspendues à de gros boutons. C'était éblouissant.

–Ah! monsieur, tout cela est très beau! Après?

–Madame, tout ceci est à vous. On vous prie de les accepter. Voici, en outre, le portrait du prince.

–Ce monsieur est très bien. Les diamants qui entourent son portrait ne sont pas moins beaux. C'est superbe! Mais je n'ai pas l'honneur de connaître ce visage-là. Son nom, je vous prie?

–Madame, c'est le prince de Galles.

–Ah! monsieur, c'est le prince de Galles! C'est très bien! Reprenez tous ces objets. Je vous quitte, monsieur, et je vous salue.

Je remonte dans ma voiture.

–Mais vous refusez donc, madame?

–Je refuse, monsieur, avec joie.

Je devais voir le Consul le soir même, et je me hâtai de lui tout raconter.

–J'étais effrayée, je vous jure, du nom du personnage! Je vous dis tout cela et ne m'accusez pas de pure curiosité. Non, je voyais des choses plus graves.

–Chère Georgina, on voulait peut-être faire revivre une seconde Judith.

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