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Mémoires inédits de Mademoiselle George, publiés d'après le manuscrit original

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Bien des mains s'étendaient déjà vers la portière, quand un jeune officier russe apparut.

Jamais Hippolyte ne s'était montré plus beau aux yeux de Phèdre.

George se nomma.

Vous vous rappelez l'histoire de l'Arioste, cette gravure qui représente les bandits à genoux.

La génuflexion, cette fois, était bien autrement naturelle devant une jeune comédienne que devant un poète de quarante ans.

La horde ennemie devint une escorte amie, qui n'abandonna la belle voyageuse que pour la céder aux avant-postes français.

Une fois confiés aux avant-postes, George, la lettre et les diamants étaient sauvés.

On arriva à Cassel.

Le roi Jérôme était à Brunswick.

On partit pour Brunswick.

C'était un roi fort galant que le roi Jérôme, fort beau, fort jeune: il avait vingt-huit ans à peine; il se montra on ne peut plus empressé de recevoir la lettre du prince royal de Suède.

Je ne sais plus bien s'il la reçut ou s'il la prit.

Ce que je sais, c'est que l'ambassadrice resta un jour et une nuit à Brunswick.

Il ne fallait pas moins de vingt-quatre heures, on en conviendra, pour se remettre d'un pareil voyage.

Tome V, page 306

Mes répétitions de Christine m'avaient ouvert la porte de Mlle George, comme mes répétitions d'Henri III m'avaient ouvert la maison de Mlle Mars.

C'était une maison d'une composition bien originale que celle qu'habitait ma bonne et chère George, rue Madame, no 12, autant qu'il m'en souvient.

D'abord, dans les mansardes, Jules Janin, second locataire.

Au premier et au rez-de-chaussée, George, sa sœur et ses deux neveux.

La tante George était alors une admirable créature âgée de quarante et un ans, à peu près. Nous avons déjà donné son portrait, écrit ou plutôt dessiné par la plume savante de Théophile Gautier. Elle avait surtout la main, le bras, les épaules, le cou, les yeux d'une richesse et d'une magnificence inouïes; mais, comme la belle fée Mélusine, elle sentait, dans sa démarche, une certaine gêne, à laquelle ajoutaient encore—je ne sais pourquoi, car George avait le pied digne de la main—45 des robes d'une longueur démesurée.

A part les choses de théâtre pour lesquelles elle était toujours prête, George était d'une paresse incroyable. Grande, majestueuse, connaissant sa beauté qui avait eu pour admirateurs deux empereurs et trois ou quatre rois, George aimait à rester couchée sur un grand canapé, l'hiver, dans des robes de velours, dans des vitchouras de fourrures, dans des cachemires de l'Inde, et l'été, dans des peignoirs de batiste ou de mousseline. Ainsi étendue dans une pose toujours nonchalante et gracieuse, George recevait la visite des étrangers, tantôt avec la majesté d'une matrone romaine, tantôt avec le sourire d'une courtisane grecque, tandis que des plis de sa robe, des ouvertures de ses châles, des entre-bâillements de ses peignoirs, sortaient, pareilles à des cous de serpent, les têtes de deux ou trois lévriers de la plus belle race.

George était d'une propreté proverbiale. Elle faisait une première toilette avant d'entrer au bain, afin de ne point salir l'eau dans laquelle elle allait rester une heure. Là, elle recevait ses familiers, rattachant de temps en temps, avec des épingles d'or, ses cheveux qui se dénouaient, et qui lui donnaient, en se dénouant, l'occasion de sortir de l'eau des bras splendides, et le haut, parfois même le bas d'une gorge qu'on eût dite taillée dans le marbre de Paros.

Et, chose étrange! ces mouvements qui, chez une autre femme, eussent été provocants et lascifs, étaient simples et naturels chez George, et pareils à ceux d'une Grecque du temps d'Homère et de Phidias. Belle comme une statue, elle ne semblait pas plus qu'une statue étonnée de sa nudité, et elle eût, j'en suis sûr, été bien surprise qu'un amant jaloux lui eût défendu de se faire voir ainsi dans sa baignoire, soulevant, comme une nymphe de la mer, l'eau avec ses épaules et ses seins blancs.

George avait rendu tout le monde propre autour d'elle, excepté Harel.

A cette époque, George avait encore des diamants magnifiques, et, entre autres, deux boutons qui lui avaient été donnés par Napoléon et qui valaient chacun à peu près douze mille francs.

Elle les avait fait monter en boucles d'oreilles, et portait ces boucles d'oreilles-là, de préférence à toutes autres.

Ces boutons étaient si gros que bien souvent George, en rentrant le soir, après avoir joué, les ôtait, se plaignant de ce qu'ils lui allongeaient les oreilles.

Un soir, nous rentrâmes, et nous nous mîmes à souper. Le souper fini, on mangea des amandes. George en mangea beaucoup, et, tout en mangeant, se plaignit de la lourdeur de ces boutons, les tira de ses oreilles et les posa sur la nappe.

Cinq minutes après, le domestique vint avec la brosse, nettoya la table, poussa les boutons dans une corbeille avec les coques des amandes, et, amandes et boutons, jeta le tout par la fenêtre de la rue.

George se coucha sans songer aux boutons et s'endormit tranquillement; ce qu'elle n'eût pas fait, toute philosophe qu'elle était, si elle eût su que son domestique avait jeté par la fenêtre vingt-quatre mille francs de diamants.

Le lendemain, George cadette entra dans la chambre de sa sœur et la réveilla.

– Eh bien, lui dit-elle, tu peux te vanter d'avoir une chance, toi! Regarde ce que je viens de trouver.

–Qu'est-ce cela?

–Un de tes boutons.

–Et où l'as-tu trouvé?

–Dans la rue.

–Dans la rue?

–C'est comme je te le dis, ma chère. Dans la rue, à la porte. Tu l'as perdu en rentrant du théâtre.

–Mais non. Je les avais en soupant.

–Tu en es sûre?

–A telles enseignes que, comme ils me gênaient, je les ai ôtés, et mis près de moi. Qu'en ai-je donc fait après? où les ai-je serrés?

–Ah! mon Dieu! s'écria George cadette, je me rappelle: nous mangions des amandes; le domestique a nettoyé la table avec la brosse…

–Ah! mes pauvres boutons! s'écria George à son tour. Descends vite, Bébelle, descends!

Bébelle était déjà au pied de l'escalier; cinq minutes après, elle rentrait avec le second bouton: elle l'avait retrouvé dans le ruisseau.

–Ma chère amie, dit-elle à sa sœur, nous sommes trop heureuses! Fais dire une messe, ou sans cela il nous arrivera quelque grand malheur.

Lucrèce Borgia (février 1833)

Dans une note à la suite de la pièce, Victor Hugo à écrit:

«… Quant aux deux grands acteurs, dont la lutte commence aux premières scènes du drame et ne s'achève qu'à la dernière, l'auteur n'a rien à leur dire qui ne leur soit dit chaque soir d'une manière bien autrement éclatante et sonore par les acclamations dont la foule les salue. M. Frederick a réalisé avec génie le Gennaro que l'auteur avait rêvé. M. Frederick est élégant et familier, il est plein de grandeur et plein de grâce, il est redoutable et doux; il est enfant et il est homme, il charme et il épouvante; il est modeste, sévère, terrible. Mlle George réunit également au degré le plus rare les qualités diverses et quelquefois même opposées que son rôle exige. Elle prend superbement et en reine toutes les attitudes du personnage qu'elle représente. Mère au premier acte, femme au second, grande comédienne dans cette scène de ménage avec le duc de Ferrare où elle est si bien secondée par M. Lockroy, grande tragédienne pendant l'insulte, grande tragédienne pendant la vengeance, grande tragédienne pendant le châtiment, elle passe comme elle veut, et sans effort, du pathétique tendre au pathétique terrible. Elle fait applaudir, et elle fait pleurer. Elle est sublime comme Hécube, et touchante comme Desdémona.»

Marie Tudor (novembre 1833)

Dans une note à la suite de la pièce, Victor Hugo écrit:

«Quant à Mlle George, il n'en faudrait dire qu'un mot: sublime. Le public a retrouvé dans Marie la grande comédienne et la grande tragédienne de Lucrèce. Depuis le sourire charmant par lequel elle ouvre le second acte, jusqu'au cri déchirant par lequel elle clôt la pièce, il n'y a pas une des nuances de son talent qu'elle ne mette admirablement en lumière dans tout le cours de son rôle. Elle crée dans la création même du poète quelque chose qui étonne et qui ravit l'auteur lui-même. Elle caresse, elle effraye, elle attendrit, et c'est un miracle de son talent que la même femme qui vient de vous faire tant frémir vous fasse tant pleurer.»

Le Monde Dramatique Tome IV. Théâtre de la Porte-Saint-Martin: Jeanne de Naples, drame en quatre actes, précédé d'un prologue, par M. Paul Foucher (16 juin 1837).

Mlle George a été sublime d'amour, de jalousie et de grandeur. Mélingue, Alexandre, Roger et Surville ont joué avec zèle et talent.

Les Belles Femmes de Paris, par des hommes de lettres et des hommes du monde. (Paris, 1839.)

Mlle GEORGE

Il y a bien longtemps que Mlle George est belle, et l'on pourrait dire d'elle ce que le paysan disait d'Aristide: «Je te bannis parce que cela m'ennuie de t'entendre appeler juste.»

Nous ne ferons pas comme ce brave manant grec, quoiqu'il soit évidemment plus difficile d'être toujours beau que d'être toujours juste. Cependant, Mlle George semble avoir résolu cet important problème; les années glissent sur sa face de marbre sans altérer en rien la pureté de son profil de Melpomène grecque.

Sa conservation est bien autrement miraculeuse que celle de Mlle Mars, qui n'est du reste aucunement conservée, et ne peut plus faire illusion dans les rôles de jeune première qu'à des fournisseurs de la République et à des généraux de l'Empire.

 

Malgré le nombre exagéré des lustres qu'elle porte, Mlle George est réellement belle et très belle.

Elle ressemble à s'y méprendre à une médaille de Syracuse ou à une Isis des bas-reliefs éginétiques.

L'arc de ses sourcils, tracé avec une pureté et une finesse incomparables, s'étend sur deux yeux noirs pleins de flammes et d'éclairs tragiques; le nez mince et droit, coupé d'une narine oblique et passionnément dilatée, s'unit avec son front par une ligne d'une simplicité magnifique; la bouche est puissante, arquée à ses coins, superbement dédaigneuse, comme celle de la Némésis vengeresse qui attend l'heure de démuseler son lion aux ongles d'airain. Cette bouche a pourtant de charmants sourires, épanouie avec une grâce toute impériale, et l'on ne dirait pas, quand elle veut exprimer les passions tendres, qu'elle vient de lancer l'imprécation antique ou l'anathème moderne.

Le menton, plein de force et de résolution, se relève fermement, et termine par un contour majestueux ce profil qui est plutôt d'une déesse que d'une femme.

Comme toutes les belles femmes du cycle païen, Mlle George a le front plein, large, renflé aux tempes, mais peu élevé, assez semblable à celui de la Vénus de Milo, un front volontaire, voluptueux et puissant, qui convient également à la Clytemnestre et à la Messaline.

Une singularité remarquable du col de Mlle George, c'est qu'au lieu de s'arrondir intérieurement du côté de la nuque, il forme un contour renflé et soutenu qui lie les épaules au fond de la tête sans aucune sinuosité, diagnostic de tempérament athlétique développé au plus haut point chez l'Hercule Farnèse.

L'attache des bras a quelque chose de formidable pour la vigueur des muscles et la violence du contour. Un de leurs bracelets ferait une ceinture pour une femme de taille moyenne. Mais ils sont très blancs, très purs, terminés par un poignet d'une délicatesse enfantine et des mains mignonnes, frappées de fossettes; de vraies mains royales, faites pour porter le sceptre et pétrir le manche du poignard d'Eschyle et d'Euripide.

Mlle George semble appartenir à une race prodigieuse et disparue; elle vous étonne autant qu'elle vous charme. L'on dirait une femme de Titan, une Cybèle, mère des dieux et des hommes, avec sa couronne de tours crénelées: sa construction a quelque chose de cyclopéen et de pélasgique. On sent, en la voyant, qu'elle reste debout, comme une colonne de granit, pour servir de témoin à une génération anéantie, et qu'elle est le dernier représentant du type épique et surhumain.

C'est une admirable statue à poser sur le tombeau de la tragédie, ensevelie à tout jamais.

Théophile Gautier.

Cet article est reproduit dans le volume des Portraits contemporains, de Théophile Gautier, un vol. in-12. Charpentier, éditeur, 1874.

THÉOPHILE GAUTIER
L'art dramatique en France depuis vingt-cinq ans
Leipzig, Édition Hetzel (1858-1859)
PORTE-SAINT-MARTIN—Mlle George dans Sémiramis
27 novembre 1837.

Mlle George faisait seule exception à ce laisser-aller général. Son costume, d'une grande magnificence et d'un beau caractère antique, rehaussait merveilleusement sa prestance royale.

Un diadème sidéral, à pointes aiguës, étincelant de pierreries, d'un style asiatique et babylonien, tenant le milieu entre l'auréole de la déesse et la couronne de la reine, pressait sous un cercle d'or ses cheveux noirs tout étoilés de diamants, comme les cheveux de la Nuit. Un grand manteau impérial, vert prasin et semé de palmes d'or, tombait de ses blanches épaules, en plis abondants et riches, sur des tuniques blanches, brodées et drapées dans le grand goût. Mlle George, ainsi arrangée, remplissait admirablement l'idée que l'on se fait de Sémiramis, la reine colossale d'un monde démesuré; Sémiramis, dont la main puissante soutenait en l'air les jardins suspendus, l'une des sept merveilles de l'univers antique, et qui, du haut de son trône, commandait à un cercle de demi-dieux et à des nations de rois.

PORTE-SAINT-MARTIN.—Lucrèce Borgia
4 décembre.

Mlle George a joué Lucrèce en artiste consommée: elle a dit la scène conjugale du second acte avec toute la finesse d'intention de Mlle Mars. Le charmant sourire, la voix veloutée, argentine, le regard moelleux et provocant, rien n'y manquait; l'on aurait dit que Mlle George n'avait fait autre chose toute sa vie que de jouer Célimène et Sylvia. Mais, à la moindre résistance d'Alphonse d'Este, on entendait rugir des tonnerres étouffés sous les langoureuses roulades, et l'on voyait la blanche main abandonnée frissonner et se crisper comme pour saisir le manche d'un poignard. Il est impossible de mieux rendre cette admirable situation.

Le fameux hein? du dernier acte a été poussé avec un râlement guttural tout à fait léonin, à faire trembler les plus intrépides.

1er janvier 1838.

A défaut de pièces nouvelles, la reprise récente de Lucrèce Borgia a obtenu un succès qui n'est point encore près de se ralentir. Quelle fermeté de lignes! quel caractère et quel port de style! comme l'action est simple et sinistre à la fois! C'est une œuvre, à notre avis, d'une perfection classique: jamais la prose théâtrale n'a atteint cette vigueur et ce relief. Marie Tudor, que l'on vient aussi de reprendre, n'a pas moins réussi. Jamais Mlle George n'a été plus familièrement terrible et plus royalement belle; la grande scène de la fin, d'une anxiété si suffocante, a produit le même effet qu'aux premières représentations.

PORTE-SAINT-MARTIN—Le Manoir de Montlouvier, drame de M. Rosier. Mlle George.

18 février 1839.

Voici un franc succès. Avec Mlle George, la fortune de la Porte-Saint-Martin est revenue. Sa rentrée a été triomphale. Nous en sommes charmé: car Mlle George est la dernière tragédienne, la dernière fille de la Melpomène antique qui soit encore debout dans la force et dans la beauté, comme un marbre impérissable sur les ruines de l'art classique. La pièce de M. Rosier, très adroitement arrangée, coupée avec beaucoup d'art, menée vivement, est de beaucoup supérieure à celles que l'on joue habituellement au boulevard.

La donnée de cette pièce est dramatique et a fourni à Mlle George et à Mlle Théodorine de fréquentes occasions de faire voir les belles qualités qu'elles possèdent.

Après la chute du rideau, on a rappelé Mlle George. Elle était fort belle, et fort richement costumée, avec le grand goût et la fourrure royale qui lui sont ordinaires.

14 février 1843.

On a repris à l'Odéon Lucrèce Borgia. Ce drame gigantesque, peut-être plus près d'Eschyle que de Shakespeare, a produit son effet accoutumé. Mlle George s'y est montrée sublime comme à son ordinaire.

20 juin 1843.

… Nous avons dit que la Chambre ardente (drame de MM. Mélesville et Bayard), oubliée depuis dix ans, ne méritait pas d'être ressuscitée. Nous devons ajouter, pour être juste, que les spectateurs de la Gaîté se sont montrés d'un avis contraire. Ils ont bruyamment applaudi la pièce, et surtout Mlle George, qui, dans le rôle de la Brinvilliers, a déployé toutes les ressources de son admirable talent. Au quatrième acte, son jeu pathétique a électrisé la salle entière, et, au cinquième, il est tombé des loges une telle averse de bouquets que le bûcher de la Brinvilliers n'était plus qu'un monceau de fleurs…

ODÉON.—Jane Grey, d'Alexandre Soumet
9 avril 1844.

Le rôle de Marie Tudor revenait de droit à Mlle George, qui en avait déjà fait une si admirable création dans l'un des plus beaux drames de Victor Hugo. Dire qu'elle s'est souvenue d'elle-même, c'est dire qu'elle a été tour à tour imposante et terrible, passionnée et pathétique, et qu'elle a soulevé par toute la salle des bravos enthousiastes.

Italiens.—Représentation de retraite de Mlle George
21 mai 1849.

Jamais carrière dramatique ne fut mieux remplie que celle de Mlle George: douée d'une beauté qui semble appartenir à une race disparue et avoir transporté la durée du marbre dans une chose ordinairement si fragile et si fugitive, que sa comparaison naturelle est une fleur, Mlle George a rendu des services égaux aux deux écoles; personne n'a mieux joué le drame; les classiques et les romantiques la réclament exclusivement. «Quelle Clytemnestre!» s'écrient les uns.—Quelle Lucrèce Borgia!» s'écrient les autres. Racine et Hugo l'avouent pour prêtresse et lui confient leurs plus grands rôles.

Par la pureté sculpturale de ses lignes, par cette majesté naturelle qui l'a sacrée reine de théâtre à l'âge des ingénues, par cet imposant aspect dont la Melpomène de Vellétri donne l'idée, elle était la réalisation la plus complète du rêve de la Muse tragique, comme par sa voix sonore et profonde, son air impérieux, son geste naturel et fier, son regard plein de noires menaces ou de séductions enivrantes, par quelque chose de violent et de hardi, de familièrement hautain et de simplement terrible, elle eût paru à Shakespeare l'héroïne formée exprès pour ses vastes drames.

De longtemps on ne verra une pareille Agrippine, une semblable Clytemnestre; ni Lucrèce Borgia, ni Marie Tudor ne trouveront une interprète de cette force. Le souvenir de Mlle George se mêlera toujours à ces deux formidables rôles, où elle a vraiment collaboré avec le poète, et ceux qui n'auront pas vu les deux pièces jouées par la grande actrice n'en comprendront pas aussi bien l'effet irrésistible, immense.

Revenons à cette curieuse et triomphale représentation où s'est produit un phénomène bien rare: celui d'un soleil levant et d'un soleil couchant vis-à-vis l'un de l'autre, c'est-à-dire Mlle Rachel et Mlle George, la fleur qui grandit, la splendeur qui va s'envelopper d'ombres, l'espérance et le souvenir, hier et demain, bonjour et bonsoir. C'était une belle lutte que celle de ces deux femmes: toutes deux la gloire du théâtre; l'une que nos pères ont admirée, l'autre qu'admireront nos fils. C'était un intéressant spectacle que cette bataille tragique à grands coups d'alexandrins, où personne n'a été vaincu.

Des intermèdes de chant et de danse, un air par Mme Pauline Viardot-Garcia, ajoutaient encore à l'attraction puissante de ces deux noms: Rachel et George, Rachel, qui joue pour la dernière fois avant de partir en congé; George, qui ne jouera plus.

AUGUSTE VACQUERIE
Profils et Grimaces.—4e édition. 1 vol. in-8o. Paris, Pagnerre, 1864, pages 270 et suivantes
LES DESSOUS DE LA TRAGÉDIE

Il s'est passé hier un fait singulier. Mlle George et Mlle Rachel ont été sifflées toutes deux.

C'était la représentation de retraite de Mlle George. Mardi, on enterrait Mme Dorval; dans la même semaine, Mlle George se retire: autre mort. La retraite est la première tombe des comédiennes. Lorsqu'elles ne sont plus là, tous les soirs, sous le regard de la foule qu'elles passionnent, émues, applaudies, illuminées par la rampe et par la poésie, mêlant à leur âme accrue le génie et le peuple, elles ne sont plus qu'une ombre d'elles-mêmes, elles n'existent plus, elles s'évanouissent. Leur monde réel, c'est le monde du rêve, c'est l'idéale région où passent les immortels fantômes des poètes, c'est là qu'elles respirent à pleins poumons. Le néant commence pour elles à la réalité, à la rue, au ménage, aux arbres, aux sources; leur nuit, au soleil. La vie est leur mort.

Mlle Rachel n'était pas venue à l'enterrement de Mme Dorval. Elle n'avait pas daigné reconduire cette bohémienne, cette échevelée, cette inspirée, cette insolente. Mais Mlle George, elle, avant de jouer le drame, a joué la tragédie. Athalie a obtenu la grâce de Marie Tudor.

Elles allaient donc se trouver en présence pour la première et la dernière fois, les deux seules tragédiennes qui restent—le couchant et le midi, la tragédie tout entière, passé et présent; il y manquait l'avenir, mais la tragédie n'en a pas.

 

Tout ce qu'elle a, elle le donnait. Mlle George, Mlle Rachel et Racine! car la fête n'eût pas été complète avec Corneille. La conjonction des deux étoiles tragiques avait lieu dans Iphigénie. On voyait les vieux de l'orchestre du Théâtre-Français s'attendrir dans les rues devant l'affiche, et, s'essuyant une larme avec leur mouchoir, se charbonner les yeux de tabac.

Ce jour prodigieux est arrivé. Le théâtre ne s'est pas abîmé dans un tremblement de terre. Les portes se sont ouvertes. Le rideau s'est levé.

Mlle Rachel, qui jouait Ériphyle, a paru la première, et a été honorablement applaudie à son entrée. Elle a dit avec beaucoup de justesse le récit de la prise de Lesbos, sa haine d'Achille avant de l'avoir vu et la fonte de sa colère au premier regard de ce «héros aimable». Çà et là, des battements de mains.

Quand Mlle George est entrée, le vacarme a été tout autre. Une triple salve a fait trembler la salle; puis, pendant toute la scène, les transports ont continué, et tous les vers ont été ponctués de bravos.

Les amis de Mlle Rachel ont été piqués de cette inégalité dans la distribution des applaudissements. Ils se sont dit que Mlle George était en quelque sorte chez elle; que, la représentation étant à son bénéfice, le public devait être principalement composé de ses amis et qu'un accueil si modéré fait à l'étrangère, en face du triomphe décerné à la maîtresse de la maison, surtout lorsque l'étrangère venait pour lui rendre service, offensait tout ensemble l'hospitalité et la reconnaissance.

L'exaspération les a pris, si bien qu'au troisième acte, quand Mlle George a reparu, un violent coup de sifflet s'est fait entendre.

Tumulte, cris de fureur, tempête d'acclamations, grêles de bouquets. Un ami habile n'aurait pas mieux imaginé pour faire une ovation à Mlle George.

Si ce maladroit sifflet n'avait produit qu'une multiplication de succès pour la regrettable actrice à qui l'on disait adieu, à merveille; malheureusement, la réplique a été plus loin. Le parti de Mlle George a usé de représailles à la seconde entrée de Mlle Rachel, et Ériphyle a reçu en plein cœur un coup de sifflet non moins aigu que celui de Clytemnestre.

Quelques applaudissements ont protesté, mais la tribu de Mlle Rachel n'était pas en nombre; de sorte que Mlle Rachel a perdu un peu de contenance, et n'a plus joué la fin du rôle comme le commencement. Tandis que Mlle George, escortée par la sympathie générale, s'épanouissait de plus en plus dans l'ampleur de sa beauté et de son talent, Mlle Rachel, abandonnée, irritée, seule, se rétrécissait et disparaissait. Et ainsi s'est réalisé le mot que disait Mlle Rachel elle-même, lorsque Victor Hugo donna les Burgraves au Théâtre-Français, et qu'il fut question un moment d'engager Mlle George pour jouer Guanhumara. Mlle Rachel s'opposa à l'engagement et dit à cette occasion cette parole intelligente: «Le jour où Mlle George sera au Théâtre-Français, je ne serai plus qu'une statuette.»

Les vieux de la tragédie pleuraient sous leurs besicles. Moi, j'étais assez content.

Tout finit, même les tragédies. Le rideau baissé, on a rappelé les deux actrices; Mlle Rachel a refusé de reparaître.

Puis, Mme Viardot a prêté à des airs espagnols pleins d'originalité sa voix si puissante et si souple; puis, Mlle Plunkett a écrit du bout de ses pieds un ravissant petit poème; puis, on a attendu le Moineau de Lesbie, qui terminait l'affiche. Mais, au lieu de la maîtresse de Catulle, un monsieur noir s'est présenté, s'est avancé jusqu'à la rampe, et, après les trois saluts d'usage, a annoncé que Mlle Rachel se trouvait trop fatiguée pour jouer.

Mlle Rachel a dû être médiocrement flattée de l'effet produit par ce manque de parole de l'affiche. Personne n'a réclamé. Le monsieur noir ayant ajouté que Mme Viardot s'offrait à chanter encore un air pour remplacer le Moineau de Lesbie, les bravos ont éclaté comme si l'on gagnait au change, et quelqu'un même a dit: «On ne nous devait qu'un moineau, et l'on nous donne un rossignol.»

Et voilà comme il faut que la comédie soit toujours quelque part! La tragédie lui dit: «Va-t'en!» mais la comédie ne s'en va pas. Chassée de la scène, elle vient dans la salle, et le parterre complète l'auteur. Il y a la pièce, mais il y a la représentation; il y a l'héroïne, mais il y a l'actrice. O Clytemnestre au profil terrible! O Ériphyle sinistre! O cabotines!

Mai 1849.

ARSÈNE HOUSSAYE
Les Confessions d'un demi-siècle (1830-1899). Tome VI, page 29.—Paris, Dentu, éditeur

Pendant toute une période, la beauté fut de rigueur au Théâtre-Français. Toutes les comédiennes de talent devaient être belles. C'était mon programme. On se rappelle encore ce décaméron radieux qui succéda à deux beautés incomparables: Mlle Mars et Mlle George. Ces deux grandes comédiennes, dignes de l'histoire, ne sont pas oubliées. On peut dire qu'on revit plus ou moins dans la postérité selon la place conquise dans la mémoire de ses contemporains; on a beau dire que l'avenir n'accepte pas toujours les enthousiasmes du passé, il en tient toujours compte.

On avait donné à Mlle George une dernière représentation de retraite. Elle voulait remonter sur la scène; je l'ai suppliée de rester dans la coulisse. Elle m'a dit avec un amer sourire. «Ah! si j'avais dix ans de moins, vous ne me chanteriez pas cette chanson-là, car je vous donnerais une de ces heures dont un homme se souvient toujours.»

Or, elle avait quatre-vingts ans!

Bien heureuse celle qui meurt sous le ciel du théâtre. Dès que les actrices ne sont plus dans le riant cortège, dès que les amours s'en vont, la fortune rebrousse chemin.

Mlle Guimard, qui avait refusé la main d'un prince dans le beau temps où elle avait dans son hôtel une salle de spectacle et un jardin d'hiver, fut heureuse à la fin d'épouser un professeur de grâces, c'est-à-dire un maître de danse. Sophie Arnould après avoir traversé toutes les splendeurs d'un luxe sans exemple, alla, sans se plaindre, demander un asile et du pain à son perruquier. Mlle Clairon, qui avait vécu comme une reine et comme une sultane, se trouvait, à soixante-cinq ans, réduite à raccommoder ses robes en lambeaux, elle qui n'avait jamais daigné tenir une aiguille! Insolente dans la fortune, elle eut assez de cœur pour être fière dans la pauvreté. Quand un ancien ami allait la voir, elle parlait encore de ses hautes relations, et au lieu de dire: «Je suis pauvre,» elle disait: «Je suis philosophe.»

Encore, si cette représentation avait été la vraie représentation de retraite pour Mlle George, c'est-à-dire l'autre retraite dans l'autre monde!

Elle se devait à elle-même, au souvenir de sa beauté, à sa renommée éclatante, de ne plus montrer ses ruines dans les théâtres: cela porte malheur d'appeler les oiseaux nocturnes.

JULES JANIN

Les Reines du monde, par nos premiers écrivains. Ouvrage publié sous la direction d'Armengaud. 1 vol. in-4o, Ch. Lahure et Cie, 1862. Mlle George, pages 1 et suivantes.

Jules Janin a été l'amant de George; il lui a consacré de belles pages. Nous détachons de ces pages les extraits suivants:

«Pour elle, Alexandre Dumas écrivit cette histoire d'horreur et de ténèbres intitulée la Tour de Nesle, un des épouvantements de ce siècle. Ah! qu'elle y fut terrible et désespérée! Avec quelle ardeur elle se précipita dans cette mêlée ardente, et dans les crimes et dans toutes ces histoires abominables où le hasard est un dieu, où l'impossible est une force! Et, chose étrange! elle a trouvé le geste et l'accent de toutes ces œuvres si contraires à tout ce qui avait été l'objet de son culte et de ses études. Fille de la tradition par les œuvres anciennes, elle eut, à son tour, la tradition vivante du nouveau drame, et, par son exemple et par les souvenirs qu'elle a laissés, elle enseigne encore aujourd'hui le chemin qui conduit aux domaines romantiques. Elle a laissé sa trace autant que Bocage au milieu des sanglantes ténèbres et des histoires du moyen âge!—Avant de s'appeler Marguerite de Bourgogne, elle avait représenté, dans toutes les phases si variées et si diverses de sa vie abandonnée à tous les hasards, la reine Christine de Suède, encore un drame étrange et nouveau d'Alexandre Dumas, jeune homme enivré de toutes les fièvres du style et de l'innovation.

«Dans cette Christine, à vingt ans, à soixante, et passant par toutes les phases de l'autorité, de l'abdication, du meurtre et de la vengeance, de la jeunesse et de l'amour, Mlle George déploya des ressources infinies: elle avait le sourire et la fureur, elle était reine, elle était femme, elle était le châtiment, elle était le règne et l'abdication. Ces drames nouveaux d'un art qui ne savait pas s'arrêter, et qui ne demandaient pas moins de quatre ou cinq heures d'un zèle infini, trouvèrent Mlle George au niveau d'un si pénible et douloureux labeur. Rien ne pouvait lasser son courage! Elle était toujours prête, et d'un pas infatigable elle traversait ces émeutes, ces passions, ces douleurs, ces désespoirs, ces grandes batailles qui tenaient son peuple attentif.

«Certes, le temps n'était plus des rôles d'un instant, des tragédies où deux ou trois scènes suffisaient à la popularité du comédien. Rodogune, Athalie et Clytemnestre, à elles trois, ne représentaient pas la peine et le labeur de la seule Marie Tudor.

45Dumas est moins sévère que Napoléon. (Note de l'éditeur.)
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