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CHAPITRE III
À LA GUERRE EN FLANDRE

Le déguisement.—La petite marchande de souliers de Saragosse.—La fillette rousse d'Italie.—En Flandre.—Le capitaine Gomare.—Brillants débuts guerriers.—Débauches de garnison.—Séductions et coups d'épée.—La guerre recommence.—Mort du capitaine Gomare.—La promesse.—La partie de pharaon.—Ivrognerie.

Ce fut à la faveur d'un déguisement que les deux amis purent quitter l'Espagne sans encombre.

Ils avaient quitté leurs costumes d'étudiants et revêtu des vestes de cuir ornées de broderies, telles qu'en portaient la plupart des militaires. La ceinture bien garnie de doublons, ils se mirent en route.

Ils purent sortir de la ville à pied, sans être reconnus, marchèrent toute la nuit et la matinée du lendemain. Dans une petite ville, ils s'arrêtèrent et achetèrent des chevaux. Ainsi purent-ils gagner Saragosse plus aisément. Dans celle ville. Don Juan prit le nom de Juan Carrasco.

Ils accomplirent leurs dévotions à la Vierge del Pilar. Garcia avait hâte de quitter le sol de l'Espagne. Mais Juan, inconscient du danger ainsi qu'il le fut toute sa vie, avait entrepris une intrigue avec une petite marchande de souliers, une créature délicieuse au teint rose et aux yeux brillants. Il prétendait que cet inélégant métier n'était point fait pour elle et tenta de lui persuader de faire voyage avec lui. La belle allait consentir. Mais Garcia fut énergique. Il déclara que, si Juan s'embarrassait de ce nouveau bagage, il partirait, lui, de son côté et abandonnerait l'autre à son sort.

À Barcelone, les deux amis s'embarquèrent pour Civita-Vecchia. Rassurés sur le sol de l'Italie, ils se laissèrent aller l'un et l'autre à dépenser leurs doublons sans compter. En Andalousie, la plupart des femmes sont jolies. Elles ont toutes, sur la promenade, ce balancement de hanches provocant qui attache naturellement l'homme à leurs pas. En Italie, la beauté est l'exception. La femme vit libre au soleil, plus facile en apparence que dans l'autre péninsule, mais en fait l'aventure est plus rare, plus difficile. Garcia et Juan durent donc mettre, sans enthousiasme, la main à la bourse. Ils achetèrent à sa mère une délicieuse enfant rousse avec une peau d'une blancheur telle que celle de la Fausta, de l'avis de Garcia, eût paru café au lait à côté. Ils la dressèrent fraternellement à leur procurer le plaisir alternativement à l'un et à l'autre. La petite s'y fit sans trop de difficultés. Elle ne connaissait pas encore grand'chose à l'amour.

Mais un beau jour elle sentit naître en elle un sentiment nouveau. Il semblait que Juan l'eût hypnotisée. Elle s'attachait à ses pas, délaissant Garcia et refusant d'accomplir avec celui-ci, les rites auxquels elle avait si aisément participé jusque-là.

Garcia en fut vexé et reprocha à son ami d'avoir exercé sur la fillette une séduction qui n'était point dans leurs conventions. Juan s'en défendit. Il imposa par la menace la société de son ami à sa petite amoureuse, puis la jeta à la porte.

En compagnie de quelques-uns de leurs compatriotes, la bourse presque vide, ils décidèrent de gagner enfin les Flandres par l'Allemagne.

Arrivés à Bruxelles, ils s'enrôlèrent l'un et l'autre dans la compagnie du capitaine Don Manuel Gomare.

C'était un soldat de fortune, Andalou comme eux, qui avait conquis chacun de ses grades à la bataille. Il considérait la guerre comme un métier qui devait lui rapporter, sinon des bénéfices moraux, au moins quelques avantages d'ordre matériel et amoureux. Le capitaine Gomare était la terreur des petites villes. Il jugeait que la guerre sans pillage et sans viol n'avait aucune raison d'être. Si les gens de métier n'ont point cette récompense, leur métier est de pure imbécillité. La grandeur du métier militaire, comme on voit, lui échappait complètement. Il est juste de dire que le gouvernement espagnol oubliait assez souvent de régler la solde de ses réguliers et de ses mercenaires.

Le capitaine Gomare n'exigeait de ses hommes que du courage et des armes bien polies. Il se montrait par ailleurs fort accommodant sur la question de discipline.

Charmé de la mine martiale de ses nouvelles recrues, il se promit de les utiliser selon leurs goûts, c'est-à-dire qu'à chaque escarmouche il leur réserva les missions les plus difficiles, les postes les plus dangereux. Le sort leur fut favorable. Vingt fois ils échappèrent comme en se jouant à la mort, quittes pour de petites blessures. Les généraux les eurent bientôt remarqués, et le même jour ils obtinrent tous deux l'enseigne.

Dès ce moment, ils reprirent leurs véritables noms, ce qui accrut encore la considération que leurs exploits leur avaient value.

Avec leur identité, le goût de l'ancienne vie les reprit. Ils recommencèrent à boire et à jouer, à courir les nobles femmes, les petites bourgeoises, les filles du peuple et les courtisanes des villes où ils tenaient garnison. La besogne leur était facilitée, car, dès que la compagnie du capitaine Gomare prenait ses quartiers, les femmes, avec des soupirs, s'apprêtaient à capituler.

L'affaire Ojedo avait été, semble-t-il, étouffée. Évidemment la Teresita n'avait pas eu intérêt à révéler pour quels motifs un homme avait pu s'introduire de nuit dans les chambres des jeunes filles. Et puis, n'aimait-elle pas Don Juan?

Les deux jeunes gens avaient donc reçu le pardon de leurs parents, ce qui les touchait, à la vérité, médiocrement, mais aussi quelques lettres de crédit sur les banquiers d'Anvers. Ils en firent bon usage.

Ils perdaient bientôt le sens d'une certaine galanterie de bonne compagnie. Dès qu'ils apercevaient une jolie femme, ils décidaient qu'elle serait à eux. Tous les moyens leur étaient bons pour l'obtenir. Promesses de mariage, serments éternels ne les rebutaient point. Que si les pères, les maris ou les frères s'avisaient de protester, ils avaient pour leur répondre des cœurs endurcis et des épées bien trempées. Ils se firent bientôt dans toutes les Flandres, et surtout Don Juan, une redoutable réputation.

L'hiver s'était passé ainsi. Avec le printemps recommença la guerre.

Dans une escarmouche qui tourna mal pour les Espagnols, le capitaine Gomare reçut une arquebusade qui le blessa mortellement. Don Juan, qui l'avait vu tomber, courut à lui pour le relever. Mais le brave capitaine, rassemblant toutes ses forces, lui dit:

«Je sais que tout est fini. Laisse-moi mourir ici, mon petit. Serais-je mieux couché une demi-lieue plus loin? Je vois les Hollandais qui arrivent en nombre… N'éloigne pas du service un seul homme pour moi… Je serai bien content, au contraire, de voir l'engagement… Serrez-vous tous autour de vos enseignes, dit-il à ses soldats qui s'empressaient autour de lui, et ne vous inquiétez pas de moi.»

Don Garcia, qui survint à cet instant, lui demanda si par hasard il n'aurait point quelque suprême volonté qui dût être exécutée après sa mort.

«Je n'y avais pas pensé, répondit le capitaine Gomare, qui pour la première fois de sa vie peut-être parut s'abîmer en de profondes réflexions…

«La mort, je n'y avais jamais fait attention, je ne la croyais pas si prochaine… Je ne serais pas fâché de recevoir la visite de quelque homme d'église… Mais tous nos moines sont aux bagages… Il est bien dur à un homme de ma sorte, qui a vécu comme un mécréant, de mourir sans confession…

–Eh bien! prenez mon livre d'heures, dit Don Garcia en lui présentant son flacon d'eau-de-vie. Cela donne du courage pour les petits et les grands voyages…»

Le regard du vieux soldat chavirait de plus en plus. Il ne remarqua même pas la plaisanterie de Don Garcia, mais plusieurs de ceux qui l'entouraient en parurent fort scandalisés.

Les yeux du capitaine s'ouvrirent d'un dernier effort:

«Don Juan, dit le moribond, approchez, mon enfant. Je vous fais mon héritier. Dans cette vieille bourse de cuir se trouve tout ce que je possède. Il vaut mieux que cet argent soit à vous qu'aux mains des excommuniés. Je vous demande seulement une chose, Juan: vous ferez dire quelques messes pour le repos de mon âme.

–Votre volonté sera exécutée, capitaine.»

Cette dernière parole parut rendre confiance à Gomare. Il expira tranquillement.

Cependant les balles commençaient à siffler plus drues. Les Hollandais approchaient. Les soldats revinrent à leur rang après un dernier salut au capitaine Gomare. Bientôt on dut battre en retraite. La route était défoncée, la troupe fatiguée. Cependant les Hollandais ne réussirent point à prendre un seul drapeau ni à faire un seul prisonnier.

Au soir, on dressa le campement. Les officiers, sous leurs tentes, parlèrent des événements de la journée, critiquant la décision des grands chefs. Puis on en vint à faire le bilan des morts et des blessés.

«Je regretterai fort la mort du capitaine Gomare, dit Don Juan. J'avais fait mes premières armes sous lui. C'était un officier sans peur, un camarade sûr, un père pour le soldat.

–Je suis de votre avis, dit Garcia, mais par le diable! pourquoi tenait-il tant, pour mourir, à la présence d'une robe noire? L'homme n'est pas le même auprès d'une table couverte de bouteilles et à l'article de la mort. Cela prouve qu'il est plus facile d'être brave en paroles qu'en actions… À propos, Don Juan, puisque vous êtes son héritier, quelle somme avez-vous trouvée dans la bourse qu'il vous donna?»

Juan ouvrit la bourse et la vida sur la table. On compta. Elle contenait une soixantaine de pièces d'or. «Nous voici donc en fonds, dit Garcia, habitué à considérer la bourse de son ami comme la sienne. Eh bien! pourquoi ne ferions-nous pas une bonne partie de pharaon au lieu de pleurnicher sur les trépassés de la journée?»

La proposition fut agréée à l'unanimité. On apporta quelques tambours sur lesquels on jeta des manteaux: ce fut la table de jeu.

Don Juan prit le premier les cartes, mais, avant de ponter, il tira de la bourse dix pièces d'or qu'il enveloppa soigneusement dans un coin de son mouchoir et mit dans sa poche.

«Que diable en comptez-vous faire? lui lança Garcia. Un soldat faire des économies! Et à la veille de la grande bataille! Vous plaisantez!

–Je ne plaisante pas. Vous savez, Don Garcia, que je ne puis disposer de toute la somme. Don Manuel Gomare m'a fait le legs sous condition.

–La peste soit du niais! s'exclama Garcia. Auriez-vous, en vérité, envie d'acheter pour ces dix écus les patenôtres du premier curé que nous rencontrerons?

–Je l'ai promis au capitaine mourant.

–En vérité, Juan, vous me faites honte! Je ne vous reconnais pas!»

Le jeu commença. La chance, qui semblait au début se montrer favorable à Juan, tourna bientôt contre lui. Il fit paroli, perdit, perdit encore. En vain, pour rompre la veine, Don Garcia prit-il les cartes en main. Une heure ne s'était pas écoulée que tout son argent, et celui de Juan, et les cinquante écus du capitaine Gomare étaient passés entre les mains de leurs camarades.

Don Juan déclara qu'il s'en allait coucher. Mais Garcia, échauffé, déclara qu'il voulait avoir sa revanche et regagner ce qu'il avait perdu.

«Allons, Juan, pas d'enfantillage! dit-il. Voyons ces derniers écus que vous avez si bien serrés. Je suis sûr qu'ils vous porteront bonheur.

–Mais, Don Garcia, vous savez que j'ai promis.

–Il s'agit bien de messes à présent! Le capitaine, de son vivant, eût plutôt pillé une église que de laisser passer une carte sans ponter!

–Eh bien, voici cinq écus, dit Juan, mais ne les exposez point d'un seul coup.

–Pas de faiblesses!»

Et Don Garcia mit les cinq écus sur le roi. Il gagna.

–Paroli! s'écria-t-il.

Mais cette fois il perdit.

–Allons, les cinq derniers, fit-il, pâlissant de rage.

Don Juan, vexé lui aussi, risqua quelques dernières objections, mais pour la forme. Il tendit quatre écus à Garcia.

–La femme de cœur!

Ce fut le valet qui sortit et le banquier rafla la mise.

Don Garcia se leva furieux et jeta les cartes au nez du banquier.

«Vous êtes un chançard, vous, dit-il à Juan. Misez à votre main le dernier écu.»

Don Juan avait bien oublié les messes et son serment. Il posa son dernier écu sur l'as et le perdit aussitôt.

«Que Satan emporte l'âme du capitaine Garcia, s'écria-t-il. Ses écus étaient ensorcelés!»

Le banquier, poli, leur demanda cependant s'ils voulaient jouer encore; mais comme ils n'avaient plus la moindre pièce ni dans leurs poches ni dans leurs bagages et qu'on fait difficilement crédit à des gens exposés à disparaître du jour au lendemain, force leur fut d'abandonner la partie. Ils se consolèrent en la compagnie des buveurs. Tous leurs souvenirs et l'âme du capitaine furent bientôt noyés dans le vin.

CHAPITRE IV
LA MORT DE DON GARCIA

Enterrement de Gomare.—Modesto.—Le siège de Berg-op-Zoom.—Le capitaine Saqui-Guitra.—Mort étrange de Don Garcia.—Les débauches de Don Juan.

Cependant, les renforts attendus par l'armée espagnole venaient d'arriver. Les généraux décidèrent de reprendre sans plus tarder la marche en avant et une vigoureuse offensive.

Les troupes traversèrent les lieux où elles s'étaient battues quelques jours plus tôt. Beaucoup de cadavres gisaient encore çà et là dans les fossés et à travers les champs. Il s'exhalait de la plaine une odeur nauséabonde.

Un soldat de l'ancienne compagnie du capitaine Gomare fit soudain entendre une exclamation. Il venait de reconnaître, dans un fossé, la lamentable dépouille de son chef. On l'entoura. Don Juan remarqua avec surprise que la figure du mort, si calme quelques instants après qu'il eût rendu le dernier soupir, était maintenant crispée.

Il lui semblait même que ce cadavre en décomposition, de ses orbites creux, le regardait d'un air menaçant. Alors, les dernières recommandations du capitaine et la manière dont il les avait exécutées lui revinrent à l'esprit. Il tenta, en vain pour la première fois, de chasser ce remords de son esprit.

Il fit cependant arrêter quelques soldats et, malgré les sarcasmes de Don Garcia, leur donna ordre de creuser une fosse. Un capucin qui se trouvait par là récita sur la dépouille du capitaine quelques dernières prières. Les soldats, habitués à de tels spectacles, reprirent silencieusement leur marche. Cependant Juan aperçut un vieil arquebusier qui, ayant longtemps fouillé dans sa poche, y découvrit enfin un pauvre écu qu'il donna au capucin en lui disant:

«Voilà pour dire une messe au capitaine Gomare.»

Ce jour-là, Don Juan se montra au feu d'un courage intrépide. Il s'exposa cent fois à la mort, sans aucun ménagement. «On est brave quand on n'a plus rien à perdre», murmura un des partenaires de la partie de pharaon!

Quelque temps après la mort du capitaine Gomare, une nouvelle recrue fut incorporée dans la compagnie où servaient Don Garcia et Don Juan. C'était un garçon singulier, à l'air sournois et mystérieux. Irréprochable au feu, on ne le voyait jamais boire, ni jouer, ni même parler avec ses camarades.

À la longue, on lui donna le surnom de Modesto. Il fut bientôt connu sous ce seul nom dans la compagnie, même de ses chefs. Modesto passait son temps à fourbir son arquebuse ou à regarder voler les mouches.

La campagne se termina par le siège de Berg-op-Zoom qui fut un des plus durs de la guerre. Le vieux capitaine Saqui-Guitra, qui avait pris la place du pauvre Gomare, s'y illustra particulièrement. Il s'emparait chaque soir d'une redoute et ne s'arrêta pas avant la centième.

Une nuit Don Juan et Don Garcia se trouvaient ensemble en service à la tranchée, alors fort rapprochée de la grande muraille. Un tel poste était dangereux entre tous, car les sorties des assiégés étaient fréquentes, leur feu bien nourri et bien dirigé. Le capitaine Saqui-Guitra lui-même n'avait réussi à rien dans cette partie des ouvrages.

Ce ne furent, aux premières heures de la nuit, que continuelles alertes. Enfin assiégés et assiégeants parurent céder à la fatigue. On cessa le feu des deux côtés, et un morne silence descendit sur la plaine. À peine entendait-on de temps à autre quelque décharge d'une sentinelle isolée.

Il était quatre heures du matin, l'heure où les soldats les mieux aguerris ont peine à lutter contre la défaillance physique et morale. Les grands capitaines redoutent cet instant entre tous et ne se rassurent que quand les premiers feux du soleil colorent l'horizon.

«Je sens, en vérité, mon sang se glacer dans mes veines, dit tout à coup Don Garcia, et ma moelle se figer dans mes os. Je crois qu'un enfant hollandais armé d'un pot à bière aurait raison de moi. Je ne me reconnais plus. Oh! cette arquebusade dans le lointain! Mes nerfs! mes nerfs!

–Te prends-tu pour une jolie femme? fit Juan goguenard.

–Non, si j'étais dévot, je crois bien que je prendrais le bizarre état où je me trouve pour un avertissement du ciel…

Tout le monde fut surpris de ce langage, Don Juan le premier, car Don Garcia Navarro ne se souciait point à l'ordinaire des puissances célestes, sinon pour s'en moquer.

Le jeune homme vit quel étonnement avait causé sa déclaration et, cédant à la vanité, il reprit bientôt:

«Que personne ne s'imagine que j'ai peur des Hollandais, de Dieu ou du diable! À la garde montante, nous aurions un petit compte à régler ensemble!

–Les Hollandais, reprit Saqui-Guitra, passe encore; mais pour Dieu et les autres, il est bien permis de les craindre.

–Le tonnerre ne porte pas aussi juste qu'une arquebuse protestante.

–Et votre âme? répondit Saqui-Guitra.

–Si j'étais sûr d'en avoir une! Qui me l'a dit? Les prêtres. Or l'invention de mon âme leur rapporte de tels revenus qu'il n'est pas étonnant qu'ils en soient l'auteur, de même que les pâtissiers ont inventé les tartes à la crème pour les vendre.

–Vous finirez mal, Don Garcia, fit le vieux capitaine d'un ton sévère. De tels propos ne se tiennent pas à la tranchée.

–Je me tais. Car je vois que mon bon camarade Juan n'est pas moins scandalisé que vous. Lui croit surtout aux âmes du purgatoire.

–Je ne pose point à l'esprit fort, répondit Juan, et j'admire sans cesse votre belle désinvolture à l'égard des puissances célestes et autres. Je vous l'avoue, ce qu'on raconte des damnés me donne parfois le petit frisson.

–En tout cas, le diable n'est guère puissant, car il nous aurait déjà emportés, mon maître. Ce garçon-là, messieurs, auquel je fis faire ses premiers pas, a déjà mis plus de gentilshommes en bière et de femmes à mal que tout le régiment de…»

Il ne put finir sa phrase. On avait entendu le coup sec d'une arquebuse, et Don Garcia, blessé, tomba en arrière.

«Je suis touché», fit-il.

D'où était partie la détonation?… Du rempart hollandais sans doute… Cependant certains aperçurent distinctement, du côté du camp, un homme qui prenait la fuite et se perdit bientôt dans l'obscurité.

La blessure de Don Garcia était mortelle. Le coup avait dû être tiré de très près et était chargé de plusieurs balles, à ce que virent les chirurgiens.

La fermeté du libertin ne se démentit pas un seul instant au lit de mort. Il envoya promener sans égards tous ceux qui lui parlèrent de sacrements.

«Après ma mort, fit-il, Juan, les moines vous diront sans doute que c'est là un châtiment divin. Par Satan! ne les croyez pas. Il est bien naturel qu'un soldat attrape un jour ou l'autre une arquebusade!

«Par exemple, si le coup a été tiré de ce côté, comme le bruit en court, veuillez faire pendre le coupable haut et court… Ce sera quelque jaloux auquel j'aurai pris sa maîtresse…

«Des maîtresses, Juan, j'en ai deux à Anvers, trois à Bruxelles et quelques autres encore dans diverses localités… Faute de mieux, je vous les lègue.

«Prenez encore mon épée et surtout n'oubliez pas la botte secrète que je vous ai apprise! Adieu! Au lieu de messes, que mes camarades se réunissent en une glorieuse orgie après mon enterrement!»

Tel fut le dernier discours de Don Garcia Navarro, descendant d'une noble et religieuse lignée espagnole. De l'autre monde, il ne montra aucun souci. Il expira, un sourire de défi sur les lèvres.

La compagnie reprit son train de vie. On remarqua seulement que Modesto avait disparu. Sans doute le taciturne camarade était-il tombé dans quelque fosse. D'autres pensèrent que c'était lui l'assassin de Don Garcia. Mais on se perdait en conjectures sur les motifs qui l'avaient poussé à ce crime.

Don Juan fut fort ému de la mort de son frère d'armes. Il l'aimait, peut-être comme un vice dont on ne peut plus se passer, mais il l'aimait.

Néanmoins il changea quelque temps de vie, impressionné par le côté mystérieux de ce trépas. C'est alors qu'on le mit en garnison à Cambrai, où bientôt ses anciennes habitudes reprirent le dessus. Comme par le passé, il se remit à jouer, à boire, à courtiser les femmes et à molester les maris.

Il était dans tout l'éclat de sa beauté. Ses manières féminines se mêlaient heureusement à la rudesse des hommes de guerre. Toute sa personne respirait la virilité, et cependant il y avait quelque chose de si tendre, de si doux, de si rêveur dans son regard! Les femmes étaient folles de lui. Elles voulaient toutes goûter de son amour, et, quand elles en avaient goûté, les autres hommes leur paraissaient fades. Elles le redoutaient, mais se seraient toutes perdues pour lui.

Aussi, chaque jour, Juan avait de nouvelles aventures. Aujourd'hui la brèche, demain le balcon; le matin ferraillant avec le mari ou l'amant, le soir buvant avec les plus basses courtisanes…

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07 мая 2019
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