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Les trois Don Juan

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CHAPITRE VII
LA CONVERSION DE DON JUAN

Au château de Maraña.—Le vieux tableau.—Un singulier office.—L'apparition.—L'enterrement.—Évanoui.—La conversion.—Mort de Teresa.—Le dernier duel.—La pénitence.

Les deux ou trois jours qu'il avait à attendre, Don Juan les passa au château de Maraña. C'était là qu'il avait grandi. Depuis son retour à Séville, perdu dans les fêtes, il n'avait jamais éprouvé le besoin de revenir dans l'austère château de ses pères.

Il y arriva à la nuit tombante et après un bon souper se mit au lit. Il parcourut quelques pages d'un livre de contes libertins, puis se souleva pour éteindre sa chandelle.

… Mais soudain ses yeux rencontrèrent le tableau des Supplices du Purgatoire que sa mère lui expliquait en son enfance. Il revit l'homme dont le feu brûlait les membres et dont un serpent dévorait les entrailles. Et cet homme avait les traits du capitaine Gomare…

Il souffla la lumière, mais toute la nuit des songes le tourmentèrent. Les âmes du purgatoire, allongées, émaciées, continuaient de se tordre devant lui.

Il se leva au petit jour, inquiet. Il passa la matinée à rôder dans le vieux château dont chaque salle, chaque meuble lui rappelaient un souvenir de sa paisible enfance. Et il songea, pour la première fois peut-être, à la mort de ses vieux parents…

Le samedi soir, Juan, de retour à Séville, se rendit au couvent. La nuit était tombée; en passant devant la chapelle, il aperçut des lumières. «L'office dure encore à cette heure, se dit-il. C'est bizarre.» Et il entra pour passer le temps.

Dans l'église, un spectacle singulier l'attendait. Une procession faisait lentement le tour du chœur. Deux longues files de pénitents en capuchon se rangeaient autour d'une bière couverte de velours noir et portée par plusieurs figures habillées à la mode antique, la barbe blanche et l'épée au côté. Le convoi avançait lentement et gravement. On n'entendait pas le bruit des pas sur le carreau de l'église. On eût dit que chaque figure glissait plutôt qu'elle ne marchait. Les plis longs et roides des robes et des manteaux paraissaient aussi immobiles que les vêtements de marbre des statues.

Don Juan, étonné, se dit que la cérémonie revêtait dans ces couvents un caractère particulièrement lugubre. Il voulut s'en aller, quoique les nonnes fussent toujours, à ce qu'il lui semblait, derrière leurs grillages. Auparavant il se permit d'arrêter par la manche un des pénitents qui portaient des cierges et lui demanda poliment quel était le personnage qu'on enterrait.

Le pénitent leva la tête. Sa figure était pâle, hâve et décharnée comme celle d'un homme très malade. Il répondit d'une voix lointaine et blanche:

«C'est le comte Juan de Maraña!»

Les cheveux se dressèrent sur la tête de Juan. Il crut avoir mal entendu, mais se décida à demeurer à l'office.

Un De Profundis, d'une tristesse sépulcrale, s'éleva bientôt. Don Juan avisa un second pénitent qui passait près de lui:

«Le nom de l'homme qu'on enterre? fit-il.

–Juan de Maraña!» répondit une voix non moins effrayante que la première.

Don Juan crut qu'il allait défaillir. Mais il se ressaisit encore et, comme un prêtre s'approchait de lui, il lui prit la main. Elle était froide comme du marbre.

«Au nom du ciel! mon père, pour qui priez-vous?

–Nous prions pour le comte Juan de Maraña…

–Et qui êtes-vous? reprit Juan, que le visage douloureux du prêtre glaçait de plus en plus de crainte.

–Nous sommes des âmes du purgatoire. Nous payons la dette que nous avons contractée envers sa mère, dont les prières ont jadis adouci nos peines… Mais la dette sera bientôt acquittée, et cette messe est la dernière!»

À ce moment, d'autres voix s'élevèrent dans la salle d'un angle obscur:

«Les dernières prières sont dites, clamaient-elles, les temps sont venus! L'enfer l'appelle! Le comte de Maraña est-il à nous?»

Don Juan tourna la tête et, dans l'ombre, il aperçut des hommes, pâles et sanglants, qui s'avançaient vers la bière en répétant avec une joie qui faisait grimacer leurs bouches décharnées:

«Il est à nous! Il est enfin à nous!».

Il eut à peine le temps de les reconnaître: c'étaient Garcia Navarro et le capitaine Gomare; et il tomba évanoui.

Au milieu de la nuit, une ronde qui passait aperçut, inanimé, un homme étendu au seuil de la chapelle du couvent. On le releva et on reconnut Don Juan.

«Il aura été bâtonné par quelque mari!» disaient les soldats qui connaissaient sa réputation, comme tout habitant de Séville.

Don Juan, transporté à son domicile, reprit ses sens. Mais au lieu de blasphémer comme à son ordinaire, il demanda qu'on fît venir sans tarder un prêtre, afin qu'il se confessât…

La surprise fut générale. La plupart des ecclésiastiques, croyant à une mystification, refusèrent leurs services.

Un dominicain y consentit enfin. Don Juan demeura plusieurs heures enfermé avec lui. Après quoi il déclara à tous qu'il allait se retirer dans un couvent pour y faire pénitence.

Il partagea sa fortune entre les pauvres, en réservant des sommes suffisantes pour faire bâtir un hôpital et pour fonder des messes pour les âmes du purgatoire; après quoi, en effet, il prit la robe de bure. Il se fit de suite remarquer par son zèle à la pénitence et ses mortifications.

Teresa avait longtemps attendu dans le jardin du couvent le signal convenu. Elle rentra dans sa cellule, en proie à la plus vive agitation. Le lendemain, elle recevait, portée par le dominicain, une lettre de Don Juan, où il lui expliquait son intention de se consacrer, à son exemple, à la vie monastique.

Teresa, à la lecture de cette lettre, devint pâle et rouge tour à tour. Dès qu'elle l'eut terminée, elle fut prise d'une crise terrible, que ni la mère supérieure ni le dominicain ne pouvaient calmer.

«Soyez heureuse que le Seigneur l'ait rappelé enfin à lui», disaient-ils.

Mais Teresa se tordait en proie au désespoir.

«Il ne m'a jamais aimée! répétait-elle, il ne m'a jamais aimée!»

Une fièvre ardente s'empara d'elle. En vain les secours de l'art et de la religion lui furent-ils prodigués. Elle repoussa dédaigneusement les uns et les autres. Elle expira au bout de quelques jours, et sa dernière parole fut:

«Il ne m'a jamais aimée!»

Teresa ne fut pas la dernière victime de Don Juan. Un jour que le frère Ambroise—c'était en religion le nom du comte de Maraña—travaillait au jardin à creuser sa propre tombe, sous les rayons d'un soleil brûlant, il vit s'approcher de lui un étranger revêtu d'un grand manteau.

«Me reconnaissez-vous, Don Juan? lui dit-il. Non. Eh bien! je me trouvais dans la compagnie du capitaine Saqui-Guitra, votre compagnie, au siège de Berg-op-Zoom. Je m'appelais Modesto, et c'est moi qui ai tué votre camarade Garcia.

–Dieu, en son infinie miséricorde, aura eu pitié de lui, fit le moine.

–Peu m'importe. Je m'appelais Modesto. Mais mon nom est tout autre. Je me nomme Don Pedro de Ojedo; je suis le fils de Don Alfonso que vous avez tué, de Doña Fausta que vous avez tuée, de Doña Teresa que vous avez tuée… comte de Maraña.

–Je ne suis plus le comte de Maraña.

–Qui que vous soyez, votre heure a sonné.

–Si telle est la volonté de Dieu, je périrai. Mon frère, je m'agenouille devant vous. C'est pour expier tous les crimes que vous avez énumérés que j'ai revêtu cet habit. Tuez-moi, indiquez-moi la plus rude pénitence, mais ne me maudissez pas.

–Je ne te tuerai pas comme un chien. J'ai encore le respect de mon nom. Don Juan, voici deux épées, nous allons combattre.

–Je ne suis pas Don Juan, je ne suis qu'un pauvre moine. Tuez-moi.

–Non, non, tu serais trop heureux de mourir ainsi, il faut combattre!

–Je ne combattrai pas!

–Don Juan, tu n'es qu'un lâche…

–Je suis un lâche, reprit lentement le moine, dont le visage avait blêmi.

–Et les lâches, voici comment on les traite!»

Et ce disant, Don Pedro de Ojedo appliquait un violent soufflet sur la joue de dom Ambroise.

Celui-ci avait soudain jeté son capuchon en arrière, relevé ses manches et saisi une épée:

«Défends-toi, Pedro de Ojedo!» cria-t-il.

Ils se mirent en garde, mais le combat ne fut pas long. En quelques instants, Pedro fut étendu à terre, la poitrine percée de part en part.

Les souffrances que s'imposa Don Juan pour expier le nouveau crime qui avait fait périr le dernier membre de l'infortunée famille de Ojedo sont parmi les plus terribles que l'histoire monastique ait enregistrées. La moindre de ses pénitences, c'est que, chaque matin notamment, il devait se présenter au frère cuisinier qui le gratifiait d'un vigoureux soufflet.

Il mourut, dit-on, en odeur de sainteté. Don Juan de Maraña repose aujourd'hui dans le chœur de l'église de la Charité, à Séville, et sur la pierre a été gravée, selon son désir formel, l'inscription suivante:

CI-GIT LE PIRE HOMME QUI FUT AU MONDE!

III
DON JUAN D'ANGLETERRE ou LE SONGE DE LORD BYRON

CHAPITRE I
JULIA

La famille de Don Juan: Don José, Doña Inès.—Un turbulent marmot.—Mort inopinée de Don José.—Éducation morale de Juan.—Sa précocité.—Son adolescence.—Julia, la belle sang-mêlé.—Son vieux mari.—Amours d'Inès et d'Alfonso.—Julia auprès de Don Juan: premières caresses.—Vaines résistances.—Tristesse de Don Juan.—Dans le berceau fleuri.—Dangers du crépuscule.—Initiation de Don Juan.—Dans le lit de Julia.—L'arrivée du mari.—La ruse de Julia.—Confession d'Alfonso.—La cachette de Don Juan.—Dans le cabinet noir.—Les deux époux.—Les souliers révélateurs.—Fuite de Don Juan.—Combat à l'épée et au poing.—Dans la nuit sévillane.—Le scandale.—Don Juan s'embarque.—La lettre de Julia.

 

Don Juan était né à Séville, cité agréable, célèbre par ses oranges et ses femmes. Il faut plaindre celui qui ne l'a point vue: Cadix seule peut lui être comparée. Ses parents habitaient sur les bords du noble fleuve qui a nom Guadalquivir.

Son père était Don José, véritable hidalgo, sans une goutte de sang israélite ou maure dans les veines; son origine remontait aux plus gothiques gentilshommes de l'Espagne; il passait pour un cavalier accompli.

Sa mère possédait une merveilleuse instruction. Toutes les sciences qui ont un nom dans la chrétienté, elle les possédait; ses vertus n'avaient d'égal que son esprit.

Elle savait par cœur tout Calderon et la plus grande partie de Lope, et si un acteur venait à oublier son rôle, elle pouvait lui servir de souffleur. Une mémoire incomparable ornait le cerveau de Doña Inès.

Les mathématiques étaient sa science préférée; la magnanimité, sa vertu la plus noble; son esprit, de l'attique pur; dans ses discours sérieux elle portait l'obscurité jusqu'au sublime. Enfin elle était en toutes choses ce que l'on peut appeler un prodige: le matin elle se vêtait d'une robe de basin, de soie le soir, de mousseline l'hiver, et d'autres étoffes qu'il serait trop long d'énumérer.

Elle savait le latin, plus exactement l'oraison dominicale; en fait de grec, elle connaissait l'alphabet; elle lisait de-ci de-là quelques romans français… En général sa parole s'environnait de mystère, comme si le mystère eût dû l'ennoblir.

Elle avait encore quelque goût pour l'anglais et l'hébreu et trouvait de l'analogie entre ces deux langues: elle le prouvait par certaines citations des textes sacrés. Elle était un cours académique vivant; dans ses yeux il y avait un sermon, sur son front une homélie; elle était pour elle-même sur tous cas un directeur expert.

C'était enfin une arithmétique ambulante et la morale personnifiée. Elle laissait aux autres femmes les défauts de son sexe; elle n'en avait pas un seul. N'est-ce point le pire de tous?

Elle était tellement supérieure à toutes les tentations de l'esprit malin que son ange gardien avait fini par abandonner son poste.

Ses moindres mouvements étaient aussi réguliers que ceux d'une pendule.

Elle était, somme toute, parfaite, mais, hélas! la perfection est insipide dans ce monde pervers, puisque nos parents ne durent leur premier baiser qu'à la perte du paradis de paix, d'innocence et de félicité (à quoi pouvaient-ils bien employer les douze heures de la journée?). Pour ce motif, Don José allait cueillant des fruits divers sans la permission de sa moitié.

C'était un mortel d'un caractère insouciant, sans goût pour les sciences et les savants; il prenait souvent cependant querelle avec sa femme. À ce moment, ils avaient l'un et l'autre le diable au corps. Et celui qui fût intervenu eût risqué de recevoir à l'improviste, dans l'escalier du jeune Don Juan, un seau d'ordures ménagères sur la tête.

C'était un petit frisé, franc vaurien depuis sa venue au monde, véritable singe malfaisant. Ses parents raffolaient de ce turbulent marmot. C'était le seul point sur lequel ils fussent d'accord. N'eussent-ils pas mieux fait de l'envoyer à l'école ou de le fouetter d'importance à la maison, afin de lui apprendre à vivre?

Don José et Doña Inès, qui gardaient le souci des convenances, se souhaitaient la mort plutôt que le divorce. Cependant il vint un jour où le feu cessa de couver.

Inès tenta sans succès de faire passer son digne époux pour fou, puis elle tint un journal de ses fautes, surveilla ses actes, ouvrit sa correspondance. Leurs parents cherchèrent à les réconcilier, mais, ainsi qu'il est d'usage en pareil cas, ne firent qu'empirer l'affaire. Les avocats se multipliaient afin d'obtenir le divorce, mais à peine avaient-ils été payés de quelques frais préliminaires que Don José vint à mourir.

Il mourut, et la plus belle des causes ne fut pas plaidée. Sa maison fut vendue, ses valets renvoyés, un juif prit une de ses maîtresses, un prêtre l'autre. Il mourut, laissant sa femme en proie à la haine la plus violente.

Il était mort intestat. Don Juan fut donc l'unique héritier d'un procès, de plusieurs fermes et terres. Inès devint sa tutrice.

Elle décida que Don Juan devait être une merveille, digne en tout de sa très noble race (son père était de Castille et sa mère d'Aragon), et pour qu'il se montrât un chevalier accompli dans le cas où le roi aurait encore à guerroyer, il apprit l'art de monter à cheval, celui de faire des armes, de redresser l'artillerie, d'escalader une forteresse… ou un couvent.

La plus stricte morale présida à son éducation. Aucune branche dans les arts ou les sciences ne lui fut dérobée. Il était profondément versé dans les langues, surtout les mortes; dans les sciences, de préférence les plus abstraites; dans les arts, ceux du moins dont on ne faisait pas communément usage. Mais on ne lui laissait pas lire une page d'un livre licencieux ou qui traitât de la reproduction des espèces: on eût craint de le rendre vicieux.

Ses études classiques donnaient quelque inquiétude à cause des indécentes amours des dieux et des déesses, lesquels ne mirent jamais de corsets ni de pantalons. Juan étudiait les meilleures éditions expurgées par des hommes instruits qui judicieusement avaient placé hors de la vue des écoliers les passages empreints de libertinage.

Le jeune Juan croissait aussi en grâces et en vertus; charmant à six ans, il promettait de montrer à onze les plus beaux traits que pût avoir un adolescent. Il semblait être sur le chemin du paradis, car il passait la moitié de son temps à l'église, l'autre avec ses maîtres, son confesseur et sa mère.

À l'âge de seize ans il était grand, beau, svelte, mais bien neuf. Il paraissait actif, mais non pas sémillant comme un page. Tout le monde le prenait pour un homme. Mais Inès ne pouvait s'empêcher de voir dans sa précocité quelque chose d'atroce.

Parmi ses nombreuses connaissances, toutes distinguées par leur modestie et leur dévotion, se trouvait Doña Julia. De dire qu'elle était jolie, cela n'offrait qu'une très faible idée d'une foule de charmes qui lui étaient aussi naturels qu'aux fleurs le parfum, le sel à l'océan, la ceinture à Vénus et l'arc à Cupidon.

Le jais oriental de ses yeux rappelait son origine mauresque. Son sang n'était pas purement espagnol: dans ce pays c'est une espèce de crime. Quand tomba la fière Grenade et que Boabdil gémissait d'être forcé de fuir, quelques-uns des ancêtres de Julia passèrent en Afrique, d'autres restèrent en Espagne, et son archigrand'mère préféra ce dernier parti.

Alors elle épousa un hidalgo qui, par cette union, altéra le noble sang qu'il transmit à ses enfants. Cette païenne conjonction eut pour effet de renouveler une vie usée et d'embellir les traits de ceux dont elle flétrissait le sang. De la souche la plus laide des Espagnes sortit tout à coup une génération pleine de charmes et de fraîcheur. Les fils cessèrent d'être rabougris, les filles plates. Cependant la rumeur publique assure que la grand'mère de Doña Julia dut à l'amour plutôt qu'à l'hyménée les héritiers de son mari.

Cette race alla toujours en embellissant jusqu'à ce qu'elle se concentrât en un seul fils qui laissa une fille unique, Julia. Elle était mariée, chaste, charmante et âgée de vingt-trois ans.

Ses yeux étaient grands et noirs. On devinait sous ses paupières un sentiment qui n'était pas le désir, mais peut-être le serait-il devenu si son âme, en se peignant dans ce regard, ne l'eût rendu le siège de la chasteté.

Ses cheveux lustrés étaient rassemblés sur un front brillant de génie, de douceur et de beauté; l'arc de ses sourcils semblait modelé sur celui d'Iris; ses joues, colorées par les rayons de la jeunesse, avaient parfois un éclat transparent, comme si dans ses veines eût circulé un fluide lumineux.

Elle était mariée à un homme de cinquante ans: de tels maris, il y en a à foison. Au lieu d'un semblable il serait mieux d'en avoir deux de vingt-cinq, surtout dans les contrées plus rapprochées du soleil. Il est bien déplorable, en effet, dans ces régions que la chair soit si fragile en dépit des jeûnes et des prières.

Dans le moral septentrion tout est vertu, et les juges peuvent avec équité fixer l'amende de l'adultère.

Alfonso était un homme encore de bonne mine, et sans être chéri de Julia il n'en était pas non plus détesté. Ils vivaient ensemble comme le plus grand nombre, supportant d'un commun accord leurs défauts et n'étant exactement ni un ni deux. Cependant Alfonso était jaloux, mais il se gardait de le laisser paraître: la jalousie tremble toujours qu'on la reconnaisse.

Julia était l'amie intime de Doña Inès, on ne sait trop pourquoi. Aucuns prétendent, sans doute par méchanceté, qu'Inès, avant le mariage de Don Alfonso, avait oublié avec lui quelque chose de sa vertu habituelle. Conservant cette ancienne connaissance dont le temps avait bien purifié les sentiments, elle témoignait la même affection à l'épouse d'Alfonso.

Julia vit Don Juan et, comme un bel enfant, elle le caressait doucement. C'était chose naturelle quand elle avait vingt ans et lui treize, mais quand elle en eut vingt-trois et lui seize, il s'opéra dans leurs relations un certain changement.

La jeune dame restait à quelque distance, et le jeune homme était devenu timide. Leurs regards demeuraient baissés et lourds d'embarras. Sans doute Julia devinait-elle ce qui causait tout cela, mais pour Juan il n'en avait pas plus idée que de l'Océan ceux qui ne l'ont jamais vu.

Il y avait cependant encore quelque chose de tendre dans la froideur de Julia; quand sa jolie main tremblante s'éloignait de celle de Juan, elle y laissait un demi-serrement vif, caressant et léger, si léger que l'esprit hésitait à y croire. Il n'est cependant pas de magicien qui ait pu opérer, avec sa baguette magique, un changement comparable à celui que cet imperceptible toucher produisait sur le cœur de Juan.

C'est en vain que la passion s'entoure d'obscurités, elle finit par se trahir. La froideur, la colère, le dédain et la haine sont des masques dont elle se couvre bien souvent, mais trop tard…

Ils en vinrent bientôt aux soupirs, aux œillades plus délicieuses parce qu'elles étaient dérobées. Leurs joues brûlantes se coloraient. À l'arrivée on éprouvait de l'émotion, au départ de l'inquiétude. Préludes charmants de la possession!

Pauvre Julia! Elle sentit que son cœur s'en allait. Elle résolut de faire la plus noble résistance pour son bien et celui de son époux, pour son honneur, sa gloire, la religion et la vertu. En conséquence, elle fit vœu éternel de ne plus voir Juan. Mais le jour suivant elle rendit une visite à sa mère. Ses regards se portèrent vivement sur la porte quand elle s'ouvrit. Grâce à la Vierge, c'était quelqu'un d'autre qui entrait. Elle en éprouva cependant de la tristesse… On ouvrit encore la porte; sans doute était-ce lui, mais non…

Il lui parut dès lors plus convenable, pour une femme vertueuse, de lutter face à la tentation: la fuite était un expédient honteux et inutile. «Et puis, se disait-elle, il existe un amour platonique, parfait, tel que le mien. Un tel amour est innocent, il peut unir un jeune couple sans danger. Ne peut-on baiser une main, même une lèvre…»

Quant à Don Juan, il ne pouvait deviner la cause de ce qu'il éprouvait. Il n'imaginait pas que son sentiment pût, avec un peu de patience, se préciser et s'exprimer.

Silencieux et pensif, languissant, inquiet, accablé, il quittait sa demeure pour la solitude des bois. Tourmenté d'une flamme qu'il n'apercevait pas, il recherchait les noires solitudes. Mais il n'est qu'une solitude qui soit consolante, celle d'un sultan dans son harem.

Don Juan jetait les yeux sur lui, sur toute la terre, sur la merveille de l'homme et du firmament; il se demandait comment tous deux avaient été créés; il songeait aux tremblements de terre et à la guerre, au nombre de milles que pouvait former la circonférence de la lune; aux ballons; aux obstacles nombreux qui s'opposent à la connaissance exacte des cieux, et, après tout cela, il en revenait aux yeux de Doña Julia.

Il oubliait son chemin et, quand il interrogeait sa montre, il s'apercevait que le vieux Satan avait beaucoup gagné, et que, lui, il avait perdu son dîner.

Il revenait parfois à ses livres, mais comme le vent fait trembler les pages, l'imagination agitait son âme au milieu de ses lectures mystiques. Que lui manquait-il donc? Il l'ignorait. Non, les tendres rêveries, les chants des poètes ne pouvaient lui offrir ce dont il avait réellement besoin: un sein pour reposer sa tête, un cœur qui battît d'amour contre le sien, et d'autres caresses encore…

 

Inès n'était point sans deviner le trouble de son fils et quelle en était la cause. Mais elle fermait les yeux… Pour quel motif? peut-être voulait-elle ainsi couronner son éducation, ou bien ouvrir les yeux de Don Alfonso dans le cas où il aurait eu de la vertu de sa femme une opinion exagérée.

Un jour d'été, vers six heures et demie, Julia s'assit dans un joli berceau digne des houris du ciel profane de Mahomet. Elle n'était pas seule. Juan se trouvait auprès d'elle.

Qu'elle était belle quand il la regardait! L'émotion avait coloré ses joues. O Amour, quelle est donc la mystérieuse perfection de ton art? Il donne aux faibles la force, et il foule aux pieds le fort. Le précipice ouvert sous les pas de Julia était immense, mais la confiance que lui donnait sa vertu l'était également.

Elle songeait à ses propres forces, à la jeunesse de Juan, au ridicule de la pruderie, aux triomphes de la vertu, de la foi conjugale, et alors aux cinquante ans de Don Alfonso. Cette dernière idée n'était pas, à la vérité, propre à lui donner du cœur.

Cependant l'une de ses mains s'était appuyée languissamment sur celle de Don Juan, mais par erreur… Elle ne croyait toucher que la sienne propre.

Insensiblement elle se laissa aller sur l'autre main de Don Juan qui jouait dans les tresses de ses cheveux… La main qui tenait encore celle de Juan confirma en même temps d'une pression douce, mais sensible, la pression qu'elle recevait. Elle semblait dire: «Retenez-moi, si vous voulez.»

Les jeunes lèvres de Juan remercièrent la main par un reconnaissant baiser, mais aussitôt, confus de son ivresse, il la quitta avec l'air du désespoir comme s'il eût commis un crime. Que l'amour est timide une première fois! Julia cherchait à parler, mais elle n'y réussit point, tant sa langue était affaiblie.

Il y a du danger, au printemps, dans le silence de cette heure… La lumière argentée qui inonde les arbres et cette tour les couvre d'une beauté, d'un charme si profond qu'elle pénètre aussi notre cœur et le jette dans une tendre langueur qui n'est pas le repos.

Julia était assise près de Juan, à demi embrassée, et écartant à demi ses bras amoureux qui tremblaient comme le sein sur lequel ils reposaient. Elle pensait qu'il était certes facile de se débarrasser la taille, mais combien cette position avait de charmes!…

La voix de Julia s'éteignit et se perdit en soupirs, jusqu'au moment où tous les discours devinrent inutiles… Alors ses beaux yeux se noyèrent de larmes. Pourquoi coulaient-elles sans cause? Qui peut aimer et conserver la sagesse? Le remords luttait contre ses désirs; elle résistait encore un peu, elle se repentait beaucoup… «Jamais, jamais», répétait-elle… Et elle consentit à tout…

Cinq mois plus tard, dans le froid novembre, il était minuit. Doña Julia dans son lit dormait profondément. Soudain s'éleva un bruit capable de réveiller les morts. La porte était fermée, mais une voix et des doigts donnèrent la première alarme. On entendit: «Madame! Madame! Madame!

–Chut!

–Au nom de Dieu, Madame. Voici mon maître, avec la moitié de la ville à sa suite… Ce n'est pas ma faute, je faisais bonne garde… Ils montent maintenant l'escalier, dans une seconde ils seront ici. Il pourrait peut-être s'échapper. La fenêtre n'est certainement pas si haute!»

Et en effet arrivait Don Alfonso avec des torches, des amis et des valets en grand nombre. La plupart, depuis longtemps mariés, étaient ravis de troubler le sommeil de la femme coupable qui avait voulu outrager à la dérobée le front d'un époux. Une pareille conduite était contagieuse. Si l'on n'en punissait pas une, toutes suivraient bientôt son exemple.

De quel genre étaient les soupçons de Don Alfonso? Pour un cavalier de son rang il y avait quelque grossièreté à lever ainsi une armée autour du lit nuptial et à prendre des laquais pour attester l'affront qu'il craignait le plus de recevoir.

La pauvre Julia, comme sortant d'un profond sommeil, se mit en même temps à crier, bâiller et verser des larmes. Pour sa suivante Antonia, qui était au fait de tout, elle se hâtait de rejeter la couverture du lit en monceau pour donner à penser qu'elle-même venait d'en sortir. Pourquoi donc se donnait-elle tant de peine à prouver que sa maîtresse n'avait pas couché seule?

La dame et sa suivante étaient sans doute deux pauvres petites femmes tremblantes qui, par crainte des farfadets et plus encore des hommes, avaient cru pouvoir mieux résister à deux. Elles s'étaient donc innocemment couchées côte à côte, attendant que les heures d'absence fussent écoulées et que l'infâme mari eût reparu disant: «Ma chère amie, c'est moi qui le premier ai pensé à m'en aller!»

Julia retrouva enfin la parole et s'écria: «Au nom du ciel, Don Alfonso, que prétendez-vous faire? Êtes-vous devenu fou? Dieu! que ne suis-je morte avant d'être sacrifiée à un monstre pareil! Quelle est, dites-moi, le motif de cette violence nocturne, l'ivrognerie ou le spleen? Pouvez-vous me soupçonner d'une conduite dont l'idée seule me ferait mourir? Cherchez donc dans cette chambre.

–C'est bien mon intention, répondit Alfonso.

Il chercha, ils cherchèrent, tout fut retourné, cabinets, garde-robes, armoires, embrasures de fenêtres. Ils trouvèrent beaucoup de linge et de dentelle, des paires de bas, des mules, des brosses, des peignes, des nécessaires et autres articles à l'usage des jolies femmes, propres à conserver la beauté. Ils percèrent de leurs épées les rideaux et les tapisseries, ils arrachèrent les volets, ils brisèrent les tables.

Ils cherchèrent sous le lit et y trouvèrent—peu importe!—ce n'était pas ce qu'ils désiraient. Ils ouvrirent les fenêtres pour découvrir si la terre ne portait pas l'empreinte de quelque semelle; la terre était muette. Alors ils se regardèrent les uns les autres. Nui d'entre eux, à la vérité, par un étrange oubli, ne songea à examiner l'intérieur du lit.

La voix de Doña Julia ne demeurait pas inactive pendant cette perquisition.

«O Don Alfonso, qui n'êtes désormais plus mon époux, pouvez-vous bien agir ainsi à votre âge? Car vous avez atteint la soixantaine. Oh! cinquante ou soixante, c'est à peu près la même chose. Est-il sage, est-il convenable de compromettre ainsi sans motifs l'honneur d'une femme? Ingrat, parjure, barbare Don Alfonso!

«Est-ce pour cela que j'ai dédaigné les prérogatives de mon sexe, que j'ai pris un confesseur si vieux que nulle autre que moi n'eût pu le supporter? Mon innocence l'a plus d'une fois tellement étonné qu'il doutait que je fusse mariée!

«Est-ce pour cela que je n'ai pas voulu faire choix d'un cortejo parmi les jeunes gens de Séville? pour cela que je n'allais presque nulle part, si ce n'est aux combats de taureaux, à la messe, au spectacle, en soirée et au bal? pour cela que j'ai éconduit mes adorateurs jusqu'à en être incivile?

«J'ai eu à mes pieds des hommes illustres de tous les pays, le musicien italien Cazzone, des Russes, des Anglais, deux évêques et ce pair d'Irlande qui, l'an dernier, s'est tué pour l'amour de moi, en faisant un excès de boisson.

«Est-ce ainsi que l'on traite une épouse fidèle? Je vous sais gré, en vérité, de ne point me battre, c'est une grande modération de votre part! Oh! le vaillant homme! Avec vos épées nues et vos carabines armées, vous faites une jolie figure!

«C'était donc là le motif de ce soudain départ, sous prétexte d'affaires urgentes, en compagnie de votre procureur, ce fieffé gredin que je vois là déconcerté, tout honteux de la sottise qu'il a faite!

«S'il est venu pour dresser procès-verbal, au nom du ciel, qu'il procède! Vous avez là une plume et de l'encre à votre disposition! Que tout soit relaté avec précision. Je suis enchantée de vous voir bien gagner vos honoraires. Cependant je vous serais obligée de faire sortir vos espions: ma femme de chambre n'est pas habillée.

–Oh! s'écria Antonia en sanglotant, je serais capable de leur arracher les yeux!

–Continuez encore vos recherches, reprit Julia. Mais j'ai besoin de dormir. Vous m'obligeriez de ne pas faire tant de bruit, jusqu'à ce que vous ayez découvert l'antre mystérieux où se cache mon amant, ce trésor. Quand vous l'aurez découvert, que j'aie, du moins, le plaisir de le voir!

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