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Les trois Don Juan

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CHAPITRE V

Épisode rapporté par le mystérieux licencié Alonso Fernandez de Avellaneda, naturel de la ville de Tordesillas, et auquel épisode il donna le titre du Riche désespéré.

Dans une ville du duché de Brabant, en Flandre, nommée Louvain, vivait un jeune cavalier, âgé d'environ vingt-cinq ans, appelé M. de Chappelin, et qui étudiait à l'Université les droits civil et canon. La mort de son père et de sa mère l'avait laissé de bonne heure maître absolu d'une des fortunes les plus considérables de la ville, et il en usait avec toute la fougue de la jeunesse, négligeant l'étude et se livrant à corps perdu à toute espèce de désordres.

Il arriva qu'un dimanche de carême il était entré dans l'église des Pères de Saint-Dominique pour entendre prêcher un orateur éminent. Ce discours, auquel il n'avait prêté qu'une attention distraite, fit néanmoins sur lui une impression inattendue; la parole de Dieu le toucha, et il sortit de l'église tellement changé qu'il forma soudain la résolution de quitter le monde et d'entrer en religion. Il remit donc sa maison et ses biens à un parent qu'il chargea de les administrer pendant une absence à laquelle, disait-il, il était obligé; puis il se rendit au couvent des Dominicains, où il prit tout aussitôt l'habit de novice.

Dix mois se passèrent pendant lesquels il donna de grandes preuves de ferveur, mais un malheureux hasard ramena à Louvain deux de ses amis qui avaient été les compagnons de ses plaisirs. Ils apprirent que Chappelin s'était fait dominicain, et cette résolution leur parut si étrange, ils en furent si vivement affligés qu'ils projetèrent de se rendre au couvent et de chercher à ramener leur ami au monde et à ses études. Ils obtinrent facilement la permission du prieur, car la consigne des couvents est moins rigoureuse en Flandre qu'en Espagne, et ils n'épargnèrent au novice ni remontrances, ni conseils. Chappelin était faible, le souvenir des jouissances de la vie mondaine était loin d'être éteint de son cœur; il céda donc sans peine au discours de ses amis et s'en alla tout aussitôt demander au prieur de lui faire rendre ses habits séculiers, prétextant des affaires importantes, des engagements auxquels il ne pouvait se soustraire, et surtout l'impossibilité de se soumettre plus longtemps aux rigueurs de la vie monastique. Grand fut l'étonnement du prieur, qui fit d'inutiles efforts pour retenir son novice. En vain le conjura-t-il de rester quelques jours encore, lui offrant le concours de ses prières et de celles de tous ses religieux pour résister à ce qu'il considérait comme une embûche du démon; Chappelin persista et quitta le couvent le soir même.

Le lendemain, il reprit, avec la direction de ses biens, toutes ses habitudes passées, et il n'y eut bientôt dans la ville festin ou réunion joyeuse dont il ne fit partie. Au bout de quelque temps, il retrouva dans le monde une jeune parente, belle, spirituelle et riche, à laquelle il avait rendu quelques soins lorsqu'elle était au couvent et avant que lui-même n'entrât chez les Dominicains. Il la demanda en mariage, et comme l'union était des mieux assorties, elle fut promptement conclue.

En réunissant à sa fortune la fortune de sa femme, Chappelin était extrêmement riche; cette heureuse position s'accrut encore par la mort d'un oncle qui était gouverneur d'une ville située vers les frontières de la Flandre et nommée Cambrai. Notre cavalier obtint même de Son Altesse le vice-roi, et grâce aux bons services de son oncle, de lui succéder dans sa charge, et il partageait son temps entre Cambrai, où l'attiraient les devoirs de son gouvernement, et Louvain, où sa femme continuait d'habiter.

Or donc, un jour qu'il se trouvait dans cette dernière ville et qu'il se promenait seul aux environs, il rencontra sur le chemin un militaire espagnol qui se nommait Don Juan de Maraña et qui voyageait. Il l'aborda, lui demanda où il allait, et celui-ci répondit qu'il se rendait à Liège, où des amis l'avaient invité à passer quelques jours. Il ajouta que, depuis la fin du siège de Berg-op-Zoom, il était en garnison dans le château de Cambrai, et alors Chappelin, sans se faire connaître, lui adressa sur l'état de la forteresse quelques questions auxquelles l'Espagnol répondit avec intelligence et sagacité.

En arrivant aux portes de la ville, Chappelin demanda à son compagnon de route s'il avait l'intention de s'arrêter à Louvain et lui offrit de venir loger chez lui.

«Votre Grâce saura, ajouta-t-il, que je porte une grande affection à la nation espagnole, et je serai heureux de lui en donner une preuve en la recevant ce soir chez moi; demain elle pourra se remettre en route après s'être reposée, par une bonne nuit, des fatigues du chemin.»

Le jeune officier répondit qu'il était très reconnaissant de cette offre, et que ce serait manquer à la courtoisie que professait sa nation que de ne pas l'accepter avec empressement, qu'il passerait donc cette nuit à Louvain, bien qu'il eût pu encore profiter du reste de la journée pour approcher un peu plus du but de son voyage.

Ils arrivèrent bientôt à la porte de la demeure de Chappelin, qui conduisit aussitôt le jeune Espagnol à l'appartement de sa femme. Celui-ci se présenta avec une extrême courtoisie, mais ses yeux n'eurent peut-être pas toute la réserve désirable, et ses regards eurent peine à se détacher de son hôtesse, dont la beauté le frappa vivement. C'était, en effet, d'après tous les témoignages que l'on en a, la plus belle créature de toute la province de Flandre. On servit un repas abondant; mais Don Juan, qui repaissait ses yeux de cette merveilleuse beauté, dont la toilette était fort élégante et dont les épaules étaient quelque peu découvertes, selon la coutume flamande, mangea peu, ou du moins avec une continuelle distraction.

Le souper terminé et la table desservie, Chappelin fit apporter un clavicorde et, se plaçant devant l'instrument, il exécuta un gracieux prélude, à la suite duquel sa femme chanta, d'une voix des plus agréables, de jolies romances dont lui-même était l'auteur.

La soirée se passa de la sorte, grâce à la musique et à une conversation choisie dans laquelle la femme de Chappelin déploya, aux yeux émerveillés du jeune officier, toutes les ressources d'un esprit éclairé et subtil. Enfin, sur l'ordre du maître, vint un page qui retira le clavicorde et un domestique qui, prenant un flambeau, conduisit Don Juan de Maraña dans une pièce voisine de celle de la jeune femme et qu'occupait d'ordinaire le valet de chambre de M. de Chappelin. L'Espagnol, qui devait se remettre en route au point du jour, prit congé de ses hôtes avec tous les témoignages ordinaires de reconnaissance, et l'ordre fut donné au majordome de faire disposer, dès le matin, un déjeuner abondant et quelques provisions de route, afin que le jeune homme pût, avant son départ, prendre les forces nécessaires pour terminer d'une traite le chemin qu'il avait à parcourir. En même temps que lui, M. de Chappelin, qui avait à s'occuper de quelques travaux, se retira dans une chambre plus éloignée où il devait passer la nuit.

Don Juan se coucha, et le valet de chambre, qui occupait la même chambre, lui dit que, pour ne pas troubler le repos dont il devait avoir grand besoin, il le laisserait seul cette nuit dans sa chambre et s'en irait chercher gîte ailleurs, en compagnie des autres domestiques de la maison.

Mais l'Espagnol ne put s'endormir; son imagination était toute remplie de l'image de sa belle hôtesse, et sa passion, aussi ardente qu'elle avait été subite, s'irritait encore par diverses circonstances fatales: d'abord le voisinage de la chambre où reposait la jeune femme, puis l'éloignement de M. de Chappelin, et, enfin, la solitude où il était lui-même, par suite d'une attention contraire aux ordres du maître.

Ces circonstances firent naître dans son esprit un projet diabolique, projet offensant pour la majesté divine, indigne de la loyauté espagnole et en même temps de la noble hospitalité du seigneur flamand.

Il se résolut donc à quitter son lit et à pénétrer sans bruit dans la chambre de la dame, présumant qu'autant pour ne pas scandaliser la maison que pour sauver son honneur aux yeux des autres elle garderait le silence. Il alla même jusqu'à supposer que, touchée des regards qu'il lui avait adressés pendant toute la soirée, elle le recevrait avec plaisir, et qu'il lui devait déjà, sans doute, l'éloignement de son mari.

Il considéra, néanmoins, qu'il pouvait y avoir pour lui péril de la vie, que, la dame appelant à son aide, le mari accourrait, qu'il y aurait lutte, scandale et sang versé; mais son ardente passion lui suggéra une solution pour chaque difficulté. Il se leva donc vers le milieu de la nuit et, sans bruit, les pieds nus, en chemise, il pénétra dans la chambre où il s'arrêta quelques instants immobile et sans prendre de résolution.

De là, il retourna dans la pièce où il avait couché, prit son épée, la dégaina, et revint pas à pas jusqu'au lit de la Flamande. Alors il étendit la main, la toucha et la réveilla. Celle-ci pensa que c'était son mari:

«C'est vous, seigneur, dit-elle, d'où vient que vous revenez si tôt?»

Don Juan, profitant de cette erreur, garda le silence, prit la place du mari; puis lorsqu'il eut satisfait ses honteux appétits, il se leva, ramassa son épée et rentra sans bruit dans sa chambre.

Mais le repentir suit de près la faute, le remords n'est pas loin du péché, et une fois sa passion assouvie, le jeune Espagnol eut honte de ce qu'il avait fait et commença à craindre que le mari, venant à se lever avant lui, ne découvrît quelque chose dans les questions de sa femme. Celle-ci, en effet, toute surprise de la conduite étrange de celui qu'elle avait cru son mari, du silence obstiné qu'il avait gardé, de sa retraite précipitée, s'était endormie en se proposant de lui en faire le matin un amoureux reproche.

 

Aux premières lueurs du jour, Don Juan de Maraña, que la honte avait empêché de fermer les yeux, se leva à la hâte. Il chargea les premiers serviteurs qu'il rencontra de l'excuser auprès de leur maître, il ne pouvait accepter le déjeuner qu'on lui avait préparé; et quelques instances que fissent les serviteurs, qui du moins voulaient le charger de provisions, il refusa, ajoutant qu'il y avait, à deux lieues de Louvain, une hôtellerie où il comptait prendre un peu de repos. Là-dessus, il se fit ouvrir la porte, prit congé des serviteurs et sortit de la ville.

Peu d'instants après, le noble et malheureux Chappelin, réveillé par le mouvement de sa maison, se leva et se rendit dans la chambre de sa femme, à qui il demanda comment elle avait passé la nuit, ajoutant que les affaires dont il avait eu à s'occuper ne lui avaient laissé que fort peu de repos.

«En vérité, Seigneur, lui dit sa femme en souriant et avec un petit air boudeur, vous savez dissimuler très agréablement, et votre langue, qui était si obstinément muette cette nuit, me semble bien agitée ce matin. Allez-vous-en donc d'ici, pour l'amour de Dieu, lui dit-elle, et ne me revenez pour le moins de toute la journée; vous me devez bien cette pénitence pour apaiser la juste colère que j'ai conçue contre vous.»

Chappelin se mit à rire, l'embrassa malgré elle et lui demanda quel était le sujet de cette grande colère.

«Comment? lui dit-elle, ne vous souvient-il pas de la visite que vous m'avez faite cette nuit, poussé par je ne sais quelle subite passion, et pendant laquelle vous n'avez pas daigné me dire un seul mot?»

Il serait difficile de peindre l'étonnement de Chappelin en recevant cette confidence. Il pensa que le jeune Espagnol avait dû rester seul dans la chambre qu'on lui avait donnée, par la faute du serviteur qui devait la partager avec lui, et que la maudite occasion, mère de tous les crimes, l'avait amené à commettre la grave offense de laquelle il n'osait s'assurer. Il ne voulut toutefois rien laisser voir des soupçons à sa femme.

«N'accusez, lui dit-il, que l'amour extrême que j'éprouve pour vous; mon silence vous donne la mesure de la honte que j'éprouvais à troubler votre repos.»

Hors de lui, jurant de tirer vengeance d'un tel affront, il saisit un prétexte pour prendre congé de sa femme et sortit de sa chambre. Il prit à part un de ses serviteurs et ordonna de lui seller un cheval. Pendant ce temps il s'habilla à la hâte et choisit parmi ses armes une riche demi-pique, puis descendit dans la cour. Le cheval n'était pas encore prêt et, en attendant qu'on le lui amenât, il se promenait avec agitation devant l'écurie.

«Indigne Espagnol! murmurait-il, combien tu as mal reconnu l'hospitalité que je t'ai accordée! Attends-moi, traître et adultère, et je te jure que ton indigne conduite te coûtera cher. Fuis, infâme, et cache-toi; mais il ne sera pays si lointain ou retraite si profonde où je ne puisse l'atteindre, fussent les entrailles de l'Etna!»

Lorsque son cheval fut prêt, Chappelin se mit en selle avec la rapidité de l'éclair, défendit à ses domestiques de l'accompagner, puis il saisit sa demi-pique, éperonna son cheval et le lança au galop sur le chemin qu'il supposait avoir été pris par l'Espagnol.

Au bout d'une heure, il l'aperçut qui traversait un site entièrement désert.

Alors, Chappelin pressa son cheval, baissa son chapeau sur son visage pour n'être pas reconnu à l'avance et, dès qu'il eut atteint le traître, sans prononcer une parole, sans lui donner le temps de se reconnaître ni de songer à la défense, il lui plongea entre les épaules la pointe acérée de son javelot, qui le blessa si fort que Chappelin crut l'avoir tué, quoiqu'il n'en fût rien, et le mari outragé reprit le chemin de sa demeure.

Cependant la jeune femme, voyant que l'heure s'avançait sans que son mari fût de retour, s'informa de ce qu'il était devenu. Le palefrenier lui raconta alors que, pendant tout le temps qu'il avait été occupé à seller un cheval, il avait entendu son maître, qui se promenait devant la porte de l'écurie, se plaindre de l'officier espagnol, l'appelant traître, infâme et adultère, l'accusant d'avoir abusé de l'innocence de sa femme, et jurant de le poursuivre jusqu'à ce qu'il l'eût atteint et de le mettre en morceaux. Alors la malheureuse femme comprit tout et tomba sans connaissance.

Au bout de quelques instants, elle revint à elle et se mit à verser des torrents de larmes, puis songeant au prochain retour de son mari, redoutant de paraître devant lui souillée à jamais par un crime dont elle porterait désormais la peine quoique innocente, elle descendit dans la cour et, après l'avoir parcourue quelques instants avec égarement, elle se précipita la tête la première dans un puits profond, sans qu'aucun de ceux qui étaient présents eût pu la retenir. À ce funeste spectacle toute la maison poussa des cris affreux, auxquels accourut la foule du dehors, les uns s'enquérant de ce qui s'était passé, les autres cherchant, mais en vain, à secourir la pauvre femme qui, dans sa chute, s'était brisée en mille morceaux.

Au milieu de ce tumulte universel arriva le malheureux Chappelin.

Lorsqu'il aperçut cette foule qui remplissait sa cour, ces gens en larmes qui se pressaient au bord du puits, il descendit de cheval et demanda ce qui s'était passé. Alors quelques-uns de ses serviteurs, en se déchirant le visage, vinrent lui apprendre comment sa femme, après s'être plainte de l'infâme conduite de l'Espagnol, s'était précipitée dans ce puits, où elle gisait toute brisée. À cette affreuse nouvelle le pauvre homme resta quelques instants frappé de stupeur et hors d'état de prononcer une parole; puis enfin, lorsqu'il fut revenu à lui, il se précipita à genoux auprès du puits en versant des larmes et en s'arrachant les cheveux et la barbe.

«Hélas! s'écria-t-il, femme de mon âme, pourquoi t'es-tu séparée de moi? Pourquoi, mon séraphin, m'as-tu abandonné? Pourquoi te punir toi-même de la ruse infâme dont tu as été victime? Cet indigne Espagnol était seul coupable. Hélas! comment vivrai-je maintenant sans te voir? Que ferais-je? Où irais-je? Que deviendrais-je? Je ne le vois que trop ce que je vais devenir!»

Et en parlant de la sorte il se releva tout furieux et tira son épée.

À ce mouvement les personnes qui l'entouraient, parmi lesquelles étaient quelques-uns des principaux personnages de la ville, craignant qu'il n'arrivât un nouveau malheur, s'approchèrent de lui pour lui donner des consolations. Il paraissait leur prêter attention, lorsqu'au milieu de ses serviteurs il aperçut son enfant dans les bras de sa nourrice, laquelle pleurait amèrement; alors, courant après elle avec une fureur diabolique, il saisit son enfant et le frappa à plusieurs reprises sur la pierre du puits, de telle sorte qu'il lui brisa la tête et le corps.

«Meure, s'écria-t-il, l'enfant d'un père aussi misérable, d'une mère aussi infortunée, et qu'il ne reste sur terre aucune trace de nous.»

Puis il se remit à appeler sa femme.

«Si tu n'es pas au ciel, ma bien-aimée, s'écria-t-il, je ne veux ni ciel ni paradis, il n'y a de bonheur pour moi qu'à être où tu es; l'enfer même, avec toi, vaudra pour moi le bonheur des anges; âme de ma vie, attends-moi, me voici.»

Alors, et sans que personne pût le retenir, il se jeta dans le puits, et son corps brisé alla tomber auprès de celui de sa femme.

Ce terrible événement porta au comble l'émotion des assistants; l'on n'entendit pendant quelques moments que sanglots et cris d'effroi, et la maison, comme la rue, furent bientôt remplies de curieux frappés de stupeur. Survint le gouverneur de la ville qui fit retirer les deux corps, et, avec l'agrément de l'évêque, les fit transporter dans un bois voisin de la ville, où ils furent brûlés, et leurs cendres furent jetées dans un ruisseau qui passait près de là.

Pendant ce temps, des passants charitables relevaient Don Juan et le firent soigner à Bruxelles, où ils allaient; il fut bientôt sur pied, et le souvenir de la femme du Riche Désespéré de Louvain lui causait tant de honte qu'il fit tous ses efforts pour l'oublier et y parvint bientôt.

CHAPITRE VI
LES NUITS DE SÉVILLE

Retour en Espagne.—Fêtes et orgies.—La liste des maîtresses.—Doña Teresa au couvent.—Nouvelle séduction.

Sur ces entrefaites, Don Juan apprit que son père venait de mourir. Sa mère ne lui avait survécu que de quelques jours. La vie de Don Juan était telle que cette double nouvelle le toucha à peine. Il vivait dans un tourbillon. Il n'avait plus conscience des réalités de la vie, même les plus douloureuses.

Les hommes d'affaires lui conseillèrent de retourner en Espagne afin de débrouiller son héritage. Il devenait possesseur d'un majorat et de biens considérables.

L'affaire de Don Alfonso de Ojedo devait être oubliée des habitants de Séville comme elle l'était de lui-même. D'ailleurs, Don Juan avait envie de s'exercer sur un théâtre plus digne de sa qualité. Les aventures de camp et de garnison lui semblaient banales à la longue. Les belles Sévillanes l'attendaient, prêtes à se rendre à discrétion.

Il rentra donc en Espagne. Il passa à Madrid comme un brillant météore et, dès son arrivée à Séville, éblouit tout le monde par sa magnificence.

En possession de son héritage, il entreprit une vie de réjouissances telle que nul n'en avait jamais mené dans les Espagnes. Il donnait des fêtes où les plus belles Andalouses s'empressaient. Tous les jours, nouveaux plaisirs, nouvelles orgies. Il régnait sur une foule de libertins qui suivaient ses moindres caprices et l'encensaient perpétuellement. Il n'était de mode qui n'eût été consacrée par Don Juan.

Il débaucha quelques années l'Espagne, terre de l'amour, mais d'un amour beaucoup plus chaste qu'on ne le croit généralement. Il donna des festins où les plus jolies filles de Séville ne craignaient pas de se montrer nues, festins dignes de la décadence romaine. Il semait l'or à pleines mains. Il avait par l'excès étouffé le scandale.

Cependant, il tomba malade quelques semaines. Au cours de sa convalescence, il s'amusa à dresser une liste de toutes les femmes qu'il avait séduites et de tous les maris qu'il avait trompés. Ce ne fut pas sans peine qu'il put établir cet aimable catalogue. Enfin, il constata avec une certaine satisfaction que toutes les classes de la société, toutes les professions étaient représentées sur la liste.

En Italie, il avait possédé la maîtresse d'un pape. Le nom de ce pontife figurait en tête, en bas se trouvait un pauvre ramasseur de bouts de cigares dont la femme était l'une des plus jolies cigarières de Séville.

«Il manque cependant un nom à ta liste, lui fit remarquer son ami Torribio.

–Et lequel?

–Dieu!

–C'est ma foi vrai, il n'y a pas de religieuse! Je te remercie de m'avoir averti. Je vais m'employer sans retard à combler cette lacune. D'ici un mois je t'invite à souper avec une nonne!»

Don Juan se mit donc à fréquenter les chapelles des couvents et, peu de temps après, il distinguait une religieuse d'une trentaine d'années dont le visage exprimait la souffrance, mais rayonnait cependant d'une admirable beauté.

«L'ai-je déjà vue quelque part? se disait Juan. Quoi qu'il en soit, elle est bien l'épouse de Dieu. Si jamais je l'ai fréquentée, elle n'hésitera pas à revenir à moi!»

Cette fille infortunée était, en effet, la Teresa, fille du comte de Ojedo que Don Juan avait jadis séduite. Il la reconnut bientôt. Il se fit reconnaître d'elle et constata, en effet, que sa vue avait plongé dans un trouble profond la fille de l'homme qu'il avait assassiné.

Il lui fit parvenir quelques billets en cachette, l'assurant de son amour. Il n'avait jamais aimé qu'elle, et de retour à Séville il s'était décidé à remuer terre et même ciel pour la retrouver! Il reçut la lettre suivante:

C'est vous, Don Juan. Est-il donc vrai que vous ne m'ayez point oubliée? J'étais bien malheureuse, mais je commençais à m'habituer à mon sort. Je vais être maintenant cent fois plus malheureuse. Je devrais vous haïr… Vous avez versé le sang de mon père… Mais, hélas! je ne puis ni vous haïr ni vous oublier. Ayez pitié de moi. Ne revenez plus dans cette église; vous me faites trop de mal. Adieu, adieu, je suis morte au monde.

 
Teresa.
 

«Elle est à moi, se dit Juan.» Et il se contenta de lui faire parvenir le mot suivant:

Samedi soir, après l'office, je t'attendrai avec une échelle de corde à la porte du jardin du couvent.

Il reçut la réponse suivante:

Je viendrai.

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