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Les trois Don Juan

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Elle refusait la nourriture et le vêtement; tous les moyens employés à cet égard avaient été inutiles. Ni le temps, ni le changement de lieux, ni les soins, ni les secours de l'art ne pouvaient procurer le sommeil à ses sens. Elle semblait avoir pour toujours perdu la faculté de dormir.

… Douze jours et douze nuits, elle languit ainsi. Enfin, sans un gémissement, sans un soupir, sans un regard d'agonie, elle rendit l'âme. Ceux qui veillaient près d'elle ne s'en aperçurent que quand l'ombre qui couvrait déjà son gracieux visage se fut étendue sur ses yeux si purs, si beaux, si noirs. Oh! avoir brillé d'une telle splendeur et puis s'éteindre!

CHAPITRE IV
LA SULTANE GULBEYAZ

Esclave.—Récit du bouffon.—Enchaîné à la jolie Romagnole.—La vente au marché des esclaves.—Rencontre de Johnson.—L'achat.—Au palais du sultan.—Juan habillé en femme.—Au sérail.—La sultane amoureuse.—Vaines avances.—Arrivée du Sultan.—Gulbeyaz se retire.

Blessé, enchaîné, claquemuré, il s'écoula plusieurs jours avant que Don Juan pût se rappeler le passé. Quand la mémoire lui revint, il se vit en pleine mer, courant sous le vent, filant six nœuds à l'heure, et devant lui les rivages d'Ilion. En tout autre temps, il eût éprouvé du plaisir à les considérer.

On avait permis à Don Juan de sortir de son étroite prison, mais il comprit qu'il était esclave. Ses yeux parcoururent tristement le vaste azur des flots. Affaibli par la perte de son sang, c'est à peine s'il put articuler quelques questions. Les réponses qu'on lui fit ne lui procurèrent pas de renseignements sur sa situation passée ou présente.

Il remarqua quelques-uns de ses compagnons de captivité, des Italiens. C'était une troupe de chanteurs qui se rendaient en Sicile pour y jouer l'opéra. Ayant fait voile de Livourne, ils avaient été, non pas attaqués par un pirate, mais vendus par leur imprésario à un prix exorbitant.

«Notre machiavélique imprésario, raconta le bouffon de la troupe qui avait conservé toute sa bonne humeur, fit à la hauteur de je ne sais quel promontoire des signaux à un brick inconnu. Corpo di Caio Mario! Nous fûmes sans autre forme de procès transférés à son bord. Il est vrai que si le Sultan a du goût pour le chant nous aurons bientôt rétabli nos affaires.

«La prima donna, bien que prématurément enlaidie par une vie dissipée et sujette au rhume quand la salle est clairsemée, a encore quelques bonnes notes; la femme du ténor, dépourvue de voix, présente un aspect agréable. Le dernier carnaval, elle fit à Bologne un certain bruit: n'enleva-t-elle pas le comte César Cigogna à une vieille princesse romaine?

«Et puis nous avons des danseuses: la Nini qui a plusieurs cordes à son arc, toutes lucratives; cette petite rieuse de Pelegrini qui eut aussi son succès au carnaval, mais elle a tout mangé des cinq cents zecchini qu'elle gagna; et puis encore la Grotesca: celle-là, partout où les hommes ont de l'âme et du corps, elle est sûre de faire son chemin: quelle danseuse!

«Quant aux figurantes, elles ressemblent à toutes celles de la clique: par-ci par-là une jolie personne dont la vue peut séduire; le reste est tout au plus bon pour la foire. Il y en a bien une, avec sa mine sentimentale, qui pourrait faire quelque chose, mais elle danse roide comme une pique!

«Pour les hommes, le musico n'est qu'une vieille casserole fêlée. Possédant une qualification spéciale, il pourra montrer sa face au sérail et y obtenir une place de domestique. Je n'ai pas grande confiance dans son chant. Parmi tous ces individus de troisième sexe que fait le Pape chaque année, on aurait de la peine à trouver trois gosiers parfaits.

«La voix du ténor est gâtée par une affectation déplorable et quant à la basse c'est une brute qui ne fait que beugler. À l'entendre vous diriez un âne qui s'exerce au récitatif.

«Il ne m'appartient pas de m'estimer moi-même. Quoique jeune, je distingue, monsieur, que vous avez voyagé. Avez-vous entendu parler de Raucocanti? C'est moi-même. Peut-être un jour m'entendrez-vous.

«J'oubliais le baryton. C'est un joli garçon, mais gonflé d'amour-propre. À peine ferait-il un bon chanteur de rues. Dans les rôles d'amoureux, au lieu de cœur, il montre ses dents.»

L'éloquent récit de Raucocanti fut interrompu à cet instant par les pirates qui, à heure fixe, venaient inviter les captifs à rentrer au cabanon.

Le lendemain, dans les Dardanelles, ils apprirent que, par mesure de précaution, ils seraient enchaînés deux par deux, homme à homme, femme à femme, en attendant la vente au marché de Constantinople.

On avait d'abord hésité à considérer le soprano comme du sexe masculin ou féminin, mais après délibération il avait été rangé du côté des dames. Chaque sexe se trouvait ainsi être représenté en nombre impair. Il fallut donc appareiller un homme avec une femme. Cet homme, par la fatalité, se trouva être Don Juan, et sa compagne une bacchante au visage frais et brillant.

Elle avait des yeux de charbon à travers lesquels on lisait un grand désir de plaire.

Mais les regards de la jolie Romagnole laissaient Don Juan indifférent. Il la considérait d'un œil terne et mort.

Ni sa main qui touchait la sienne, ni les autres parties de son corps charmant qui frôlaient sans cesse le sien, puisqu'ils étaient étroitement enchaînés, ne pouvaient seulement faire battre son pouls plus vite.

L'épreuve était difficile, mais Don Juan en sortit victorieux.

Le vaisseau jeta donc l'ancre sous les murs du sérail. Sa cargaison fut débarquée et amenée au marché. Des Géorgiens, des Russes, des Circassiens s'y trouvaient déjà.

Quelques-unes se vendirent cher. On donna jusqu'à quinze cents dollars d'une jeune Circassienne, fille charmante et d'une virginité garantie. Sa vente désappointa plus d'un des enchérisseurs à onze et douze cents dollars. Mais chacun se tut quand on sut que c'était pour le compte du sultan.

Un lot de douze négresses de Nubie fut vendu à un prix qu'elles n'auraient certes point obtenu sur un marché des Indes occidentales.

Quant à notre troupe, elle fut achetée au détail, les uns par des pachas, d'autres par des Juifs; ceux-ci pour les fardeaux, ceux-là, renégats, pour de meilleures fonctions. Les femmes qui avaient été groupées ensemble eurent leur tour. Celle-ci devait devenir une maîtresse, celle-là une quatrième épouse, cette autre une victime…, etc…

Juan était jeune et plein d'espoir et de santé, comme on l'est à son âge. De temps à autre une larme furtive sillonnait sa joue. Le sang qui avait coulé de ses blessures l'avait un peu déprimé. Et puis perdre une grande fortune, une maîtresse et une position si confortable pour être mis en vente parmi les Turcs!

Au total, son attitude était néanmoins calme. La splendeur de son vêtement, dont il avait conservé quelques restes, attirait les regards sur lui. On devinait à sa mine qu'il était au-dessus du vulgaire. Et puis, malgré sa pâleur, Don Juan était si beau!

Parmi tous les hommes à vendre se trouvait non loin de lui un personnage robuste et bien taillé, avec des yeux d'un gris foncé où se peignait la résolution.

Une écharpe tachée de sang soutenait l'un de ses bras.

«Mon enfant, dit-il à Don Juan, parmi tout cet assemblage de pauvres diables avec lesquels le sort nous a confondus, il n'y a de gens comme il faut que vous et moi, ce me semble. Faisons donc connaissance. De quelle nation êtes-vous donc? je vous prie.

–Je suis Espagnol.

–Je pensais en effet que vous ne pouviez être Grec. Ces chiens serviles n'ont pas tant de fierté dans le regard. La fortune nous a joué un vilain tour, mais c'est sa manière d'en user avec les hommes pour les éprouver. Tenez, moi, faisant dernièrement le siège d'une ville par ordre de Souvarow, au lieu de prendre Widdin, j'ai été pris.

–Mon histoire, dit Don Juan, est longue et douloureuse… J'aimais une jeune fille…»

Il s'arrêta, et son regard était rempli de tristesse.

«Je me doutais, reprit l'étranger, qu'il y avait une femme dans votre affaire. Ce sont là des choses qui demandent une larme. J'ai pleuré le jour où ma première femme est morte; j'en ai fait autant quand ma seconde a pris la fuite; ma troisième…

–Votre troisième! Vous pouvez à peine avoir trente ans, et vous avez déjà trois femmes.

–Je n'en ai que deux vivantes…

–Et votre troisième? que fit-elle? vous a-t-elle quitté aussi, monsieur?

–Non, c'est moi qui l'ai quittée…

–Vous prenez froidement les choses.

–Il y a encore des arc-en-ciel dans votre firmament; tous les miens ont disparu. Le temps décolore peu à peu les illusions… En attendant, je ne serais pas fâché que quelqu'un nous achetât.»

En ce moment un personnage noir du genre neutre et du troisième sexe s'avança et parut examiner les captifs, leurs âges et leurs mérites avec un soin minutieux.

Puis l'eunuque entama le marchandage avec le trafiquant. Ils débattirent les prix, contestèrent, jurèrent comme s'il se fût agi d'un âne ou d'un veau.

Enfin ils tirèrent leurs bourses en rechignant, comptèrent les sequins et paras, puis le marchand donna son reçu et s'en fut dîner.

L'acquéreur de Juan et de sa nouvelle connaissance les conduisit vers une barque dorée. La traversée fut brève. Ils s'arrêtèrent bientôt dans une petite anse, au pied d'un mur ombragé de hauts cyprès.

Une petite porte de fer s'ouvrit, et ils s'avancèrent à travers un taillis flanqué de chaque côté de grands arbres, puis des bosquets d'orangers et de jasmins.

«Assommer ce vieux noir et puis décamper serait vite fait, dit soudain Juan à son compagnon.

–Mais comment sortir d'ici ensuite? en quelle tanière nous réfugier?»

Un vaste édifice à ce moment s'offrit à leur vue. Cela leur donna du réconfort. Ils avaient faim, ils sentaient déjà un agréable fumet de sauce, de rôtis, de pilafs.

 

«Au nom du ciel, reprit l'étranger, tâchons d'avoir à manger maintenant et puis, s'il faut faire du tapage, je suis votre homme!»

Leur guide frappa à la porte. Ils se trouvèrent dans une salle vaste et magnifique où se déployait toute la pompe d'un luxe asiatique. Ils la traversèrent, puis une suite d'appartements silencieux où ne résonnait que le bruit d'un jet d'eau sur un bassin de marbre. Parfois cependant une porte s'ouvrait, et une tête de femme jetait un coup d'œil furtif et curieux.

Enfin ils arrivèrent dans une partie retirée du palais où l'écho se réveillait comme d'un long sommeil. L'œil était émerveillé de l'opulence de cette salle fastueuse, du nombre immense d'objets inutiles qui s'y trouvaient. Les sofas étaient si précieux que c'était vraiment un péché que de s'y asseoir; les tapis d'un travail si rare que l'on eût souhaité pouvoir glisser dessus comme un poisson doré.

Le noir, peu étonné de ce qui faisait la stupeur des deux esclaves, ouvrit un meuble et en tira un grand nombre de vêtements propres à habiller un musulman du plus haut parage.

Il offrit d'abord un manteau candiote et un pantalon pas tout à fait assez étroit pour crever au plus corpulent des deux compagnons. Il compléta cet attirail de dandy turc par un châle de cachemire, des pantoufles jaunes et un joli poignard.

En même temps Baba, c'était le nom du noir, leur faisait ressortir les immenses avantages qu'ils finiraient par obtenir pourvu qu'ils suivissent la voie que la fortune semblait leur montrer si clairement; il ne leur cacha pas toutefois qu'ils amélioreraient beaucoup leur condition s'ils consentaient à se faire circoncire.

«Monsieur, répondit poliment l'étranger, aussitôt que j'aurai eu l'avantage de souper, j'examinerai si votre proposition est de nature à être acceptée…»

Mais Juan paraissait fort vexé qu'une pareille invite lui eût été faite:

«Que je meure si j'en fais jamais rien! dit-il. J'aimerais mieux me faire circoncire la tête!»

Baba regarda Juan et lui dit:

«Ayez la bonté de vous habiller.»

En même temps il lui montrait un délicieux costume féminin, costume qu'une princesse eût peut-être été charmée de revêtir, mais Juan, qui ne se sentait pas en veine de mascarade, repoussa ces oripeaux du bout de son pied de chrétien.

«Mon vieux monsieur, répondit-il au nègre, je ne suis pas une dame.

–J'ignore ce que vous êtes et ne me soucie pas de le savoir, reprit Baba, mais veuillez faire ce que je vous prescris. Si vous vous avisez d'insister sur votre sexe, j'appellerai des gens qui auront vite fait de ne vous en laisser aucun!»

Juan soupira et, tout en soupirant, passa un pantalon de soie couleur de chair; puis on lui attacha une ceinture virginale recouvrant une fine chemise aussi blanche que du lait. Il trébucha dans son jupon, mais tant bien que mal passa ses deux bras dans les manches d'une robe.

Sur l'invitation de Baba il avait peigné sa tête et l'avait parfumée d'huile. On la couvrit de fausses tresses entremêlées de bijoux selon la mode. Sa toilette fut complétée par quelques coups de ciseaux, du fard et des frisures.

Baba frappa dans ses mains, et quatre noirs se présentèrent.

«Vous, monsieur, dit Baba au compagnon de Don Juan, vous allez accompagner ces messieurs à table, et vous, la digne nonne chrétienne, vous allez me suivre. Pas de plaisanteries, s'il vous plaît. Croyez-vous être dans la tanière d'un lion? Vous êtes dans un palais où le vrai sage peut prendre un avant-goût du paradis du Prophète.

–Je veux bien vous suivre, dit Juan, mais j'aurais bientôt rompu le charme si quelqu'un s'avisait de me prendre pour ce que je parais. J'espère, dans l'intérêt de vos gens, que ce déguisement ne donnera lieu à aucune méprise.

–Adieu, dit à Juan son compagnon. Nous voici transformés, moi en musulman, vous en jeune fille, par la puissance de ce vieux magicien nègre. Conservez votre honneur intact, bien qu'Ève elle-même ait succombé.

–Soyez tranquille, le Sultan lui-même ne m'enlèvera pas, à moins que Sa Hautesse ne promette de m'épouser. Bon appétit!»

Ainsi ils se séparèrent, et chacun sortit par une porte différente. Baba conduisit Juan de chambre en chambre, jusqu'à ce qu'ils fussent en face d'un portail gigantesque qui élevait de loin, dans l'ombre, sa masse hardie et colossale. L'air était embaumé de parfums délicieux. On eût dit qu'ils approchaient d'un lieu saint, car tout était vaste, calme, odorant et divin.

Deux nains firent pivoter la vaste porte. Au moment d'entrer, Baba crut pouvoir donner encore à Juan quelques légers avis:

«Si vous pouviez modifier un peu cette démarche mâle et majestueuse, vous feriez tout aussi bien. Balancez-vous légèrement. Enfin tâchez de prendre un air un peu modeste. Les yeux des muets sont ici comme des aiguilles et peuvent pénétrer à travers ces jupons. Le Bosphore profond n'est pas loin; que si votre déguisement venait à être découvert, nous pourrions bien, vous et moi, avant le lever de l'aurore, effectuer le voyage de la mer de Marmara sans bateau et cousus dans des sacs… Ce mode de navigation se pratique fort couramment par ici…»

Sur cet encouragement il introduisit Don Juan dans une pièce plus magnifique encore que la dernière. C'était une confusion d'or et de pierreries.

Dans ce salon impérial, à quelque distance, à demi couchée sous un dais, avec l'assurance d'une reine, reposait une femme. Baba s'arrêta et s'agenouilla devant elle, tout en invitant Juan à en faire autant.

Le cérémonial accompli, elle se leva, de l'air de Vénus sortant des flots. Son regard éclipsait l'éclat de toutes les pierreries. Elle fit signe de son bras nu à Baba d'approcher et s'entretint quelques instants avec lui, montrant Juan.

C'était une femme altière et magnifique qui pouvait être dans sa vingt-sixième année.

Elle adressa quelques mots à ses suivantes, qui formaient un chœur de dix à douze jeunes filles, toutes vêtues de la même manière que Juan.

Les charmantes nymphes firent leur révérence et s'éloignèrent.

Alors Baba fit signe à Juan d'approcher et lui ordonna pour la deuxième fois de se mettre à genoux et de baiser le pied de la dame. À cet ordre, Juan se leva de toute sa hauteur et déclara qu'il était fâché, mais qu'il ne baiserait jamais d'autre chaussure que celle du pape!

Baba lui fit, mais en vain, de vertes remontrances. Il se laissa même aller à de claires allusions au fatal lacet. Mais Don Juan n'était pas homme à s'humilier.

Voyant qu'il était inutile d'insister, Baba lui proposa de baiser la main de ta dame.

Quoique de mauvaise grâce, Juan accepta ce compromis diplomatique. Et jamais cependant sa lèvre ne s'était posée sur des doigts mieux nés ou plus beaux.

La dame, ayant longuement considéré Juan de la tête aux pieds, intima à Baba l'ordre de se retirer, ordre que le nègre exécuta à la perfection. Il était homme habitué à battre en retraite, à comprendre à demi-mot. Il souffla à Juan de ne rien craindre, lui jeta un sourire et prit congé d'un air satisfait comme s'il venait d'accomplir une bonne action.

Dès qu'il fut sorti, il se fit un changement soudain dans la physionomie de la dame. Son front brillant rayonna d'une émotion étrange. Le sang colora ses joues d'un rouge vif, et dans ses grands yeux se peignit un mélange de volupté et d'orgueil.

Sa taille avait une merveilleuse élégance souple, ses traits la douceur de ceux du Diable quand il s'avisa de tenter Ève… Son sourire était hautain; une volonté despotique perçait jusque dans ses petits pieds; on eût dit qu'ils avaient la conscience de son rang et qu'ils ne marchaient que sur des têtes prosternées. Enfin, pour compléter son air imposant, un poignard brillait à sa ceinture… Tout annonçait en elle l'épouse du Sultan.

En se rendant au marché elle avait aperçu Juan. C'était le dernier de ses caprices. Elle avait sur-le-champ donné ordre de l'acheter, et Baba avait été chargé de le lui conduire avec toutes les précautions.

«Chrétien, sais-tu aimer?» dit-elle d'un ton condescendant à l'esclave devenu sa propriété.

Juan, l'âme pleine encore d'Haydée et de son île, sentit le sang généreux qui colorait son visage refluer à son cœur. Ces paroles le percèrent jusqu'au fond de l'âme. Il ne répondit mot, mais fondit en larmes.

Gulbeyaz, la sultane, en fut choquée, gênée… Elle eût bien voulu le consoler, mais ne savait comment… Elle attendit que la tristesse de Juan se fût dissipée…

Alors, d'un air tout à fait impérial, elle posa sa main sur la sienne, et, fixant sur lui ses yeux, elle chercha dans les siens un amour qu'elle n'y trouva pas. Son front se rembrunit… Elle se leva néanmoins, et après un moment de chaste hésitation se jeta dans ses bras et y demeura immobile.

L'épreuve était périlleuse, et Juan le sentit. Mais il était cuirassé par la douleur, la colère et l'orgueil. Il dégagea doucement les beaux bras nus qui le pressaient et fit asseoir Gulbeyaz, faible et languissante, à son côté. Puis il se leva et s'écria:

«L'aigle captif refuse de s'accoupler. Et moi je ne veux pas servir les caprices sensuels d'une sultane. Tu me demandes si je sais aimer. Juge à quel point j'ai aimé, puisque je ne t'aime pas! Sous ce lâche déguisement, la quenouille et les fuseaux peuvent seuls me convenir… Ton pouvoir est grand. Mais c'est en vain que les fronts s'inclinent autour d'un trône, en vain que les genoux fléchissent, en vain que les yeux veillent, que les membres obéissent, nos cœurs demeurent à nous seuls.»

La fureur de Gulbeyaz à cette réponse ne dura qu'une minute, et cela fut heureux. Un moment de plus l'eût tuée. Sa colère fut comme un coup d'œil jeté sur l'enfer.

Sa première pensée avait été de couper la tête à Juan; la seconde, de se borner à couper court à sa connaissance; la troisième, de lui demander où il avait été élevé; la quatrième, de l'amener à repentance par la raillerie; la cinquième, d'appeler ses femmes et de se mettre au lit; la sixième, de se poignarder; la septième, de condamner Baba à la bastonnade… Mais sa dernière ressource fut de se rasseoir et de pleurer, cela va sans dire.

Juan fut ému. Il avait déjà pris son parti d'être empalé ou coupé par morceaux pour servir de nourriture aux chiens, jeté aux lions ou donné en amorce aux poissons. Il se demanda, à la vue de ces larmes, comment il avait pu être si cruel et se mit à bégayer quelques excuses.

Mais au moment où un languissant sourire le prévenait qu'il avait obtenu sa grâce, le vieux Baba fit une brusque irruption.

«Épouse du soleil et de la lune, commença-t-il, impératrice de la terre, vous dont un froncement de sourcils dérange l'harmonie des sphères et dont un sourire fait danser de joie toutes les planètes, votre esclave vous apporte un message qui mérite peut-être votre sublime attention: le Soleil en personne m'envoie, comme un rayon, vous annoncer qu'il va venir ici.

–Est-ce comme vous le dites? reprit Gulbeyaz. Plût au Ciel que le Soleil n'eût pas brillé aujourd'hui! Prévenez donc mes femmes qu'elles viennent sans tarder former la voie lactée. Allez, ma vieille comète, avertissez les étoiles. Et toi, chrétien, mêle-toi à elles comme tu pourras, et si tu veux que je te pardonne tes mépris passés…»

Elle fut interrompue par un murmure confus de voix:

«Le Sultan arrive!»

Le cortège était imposant. D'abord venaient les femmes de Gulbeyaz en file respectueuse; puis les eunuques blancs et noirs de Sa Hautesse. Sa Majesté avait toujours la politesse de faire annoncer sa visite à l'avance, surtout de nuit. Gulbeyaz étant la plus récente des quatre épouses de l'empereur était, comme il est juste, la favorite.

Sa Hautesse était un homme d'un port grave, coiffé jusqu'au nez et barbu jusqu'aux yeux. Sorti de prison pour monter sur le trône, il avait depuis peu succédé à son frère étranglé.

Il avait cinquante filles et quatre douzaines de fils. Dès que les filles étaient grandes, on les confinait dans un palais où elles vivaient comme des nonnes jusqu'à ce qu'un pacha fût investi de quelque fonction lointaine; alors celle dont c'était le tour était mariée sur-le-champ, quelquefois à l'âge de six ans.

Ses fils étaient retenus en prison jusqu'à ce qu'ils fussent en âge de remplir un lacet ou un trône. Le destin savait lequel des deux! Dans l'intervalle, on leur donnait une éducation de prince.

Sa Majesté salua sa quatrième épouse avec tout le cérémonial de son rang. Celle-ci éclaircit ses yeux brillants et adoucit son regard comme il convient à une épouse qui vient de jouer un tour à son mari.

Sa Hautesse, arrêtant son regard sur les jeunes filles, aperçut Don Juan déguisé au milieu d'elles, ce qui ne lui causa ni surprise ni mécontentement.

 

«Je vois que vous avez acheté une esclave nouvelle, dit-il à Gulbeyaz. C'est grand dommage qu'une simple chrétienne soit si jolie.»

Ce compliment, qui attira tous les regards sur la vierge récemment achetée, la fit rougir et trembler. Il se fit parmi les autres un chuchotement général, mais l'étiquette ne permettait pas de ricaner.

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