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Micah Clarke – Tome III. La Bataille de Sedgemoor

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Pourtant on se refusait à fuir.

Les gens du Devon, du Dorset, du Comté de Wills, et quelques-uns du Somerset, piétinés par les chevaux, sabrés par les dragons, tombant par vingtaines sous l'averse des boulets, continuaient à se battre avec un courage obstiné, désespéré pour une cause perdue et pour un homme qui les avait abandonnés.

De quelque côté que tombât mon regard, je voyais des figures contractées, les dents serrées.

On jetait des hurlements de rage et de défi, mais aucun cri n'annonçait la crainte ni le désir de se rendre.

Quelques-uns se hissèrent sur les croupes des chevaux et arrachaient les cavaliers de leur selle.

D'autres, étendus la face contre terre, coupaient les jarrets aux chevaux avec le tranchant de leurs faux et poignardaient les hommes avant qu'ils eussent le temps de se dégager.

Les gardes se lançaient en tout sens, sans relâche à travers eux, et cependant les rangs rompus se refermaient sur eux et reprenaient la lutte avec entêtement.

La chose devenait si désespérée et si émouvante que j'aurais presque désiré qu'ils se débandassent pour fuir, mais sur cette vaste lande, il n'y avait point d'endroit où ils pussent courir et trouver un refuge.

Et pendant tout le temps qu'ils luttèrent, combattirent, noircis par la poudre, desséchés par la soif, versant leur sang comme s'il eût été de l'eau, l'homme qui s'appelait leur Roi, éperonnait son cheval, traversait la campagne, la bride sur le cou de sa monture, le cœur palpitant, n'ayant plus que l'unique pensée de sauver son cou, sans se demander ce qu'il adviendrait de ses vaillants partisans.

Un grand nombre de fantassins se battirent jusqu'à la mort, sans donner ni recevoir quartier, mais enfin, dispersés, rompus, sans munitions, le gros des paysans se débanda et s'enfuit à travers la lande, poursuivi de près par la cavalerie.

Saxon, Buyse et moi, nous avions fait tout ce que nous pouvions pour les rallier, nous avions tué quelques-uns de ceux qui étaient au premier rang de la poursuite, lorsque soudain j'aperçus Sir Gervas, debout, sans chapeau, entouré d'un petit nombre de ses mousquetaires, et au milieu d'une cohue de dragons.

Donnant de l'éperon à nos chevaux, nous nous ouvrîmes passage pour aller à son secours, et nous jouâmes de nos sabres de façon à le délivrer un instant de ses assaillants.

– Sautez en croupe derrière moi, lui criai-je. Nous pourrons encore nous sauver.

Il me regarda en souriant, et hocha la tête.

– Je reste avec ma compagnie, dit-il.

– Votre compagnie! cria Saxon, mais, mon garçon, vous êtes fou, votre compagnie est balayée jusqu'au dernier homme.

– C'est ainsi que je l'entends, répondit-il, en faisant tomber un peu de boue attachée à sa cravate. Ne vous tourmentez pas! Ne songez qu'à vous-même. Adieu. Clarke. Présentez mes compliments à…

Les dragons nous chargèrent de nouveau.

Nous fûmes tous entraînés en arrière, en combattant avec désespoir, et lorsque nous pûmes regarder autour de nous, le baronnet avait disparu pour toujours.

Nous apprîmes plus tard que les troupes royales avaient trouvé sur le terrain un corps qu'elles prirent pour celui de Monmouth, à cause de la grâce efféminée des traits et de la richesse du costume.

Sans nul doute, c'était celui de notre infortuné ami, Sir Gervas Jérôme, dont le nom restera toujours cher à mon cœur.

Dix ans après, lorsque nous entendîmes parler longtemps de la bravoure dont firent preuve les jeunes courtisans de la Maison du Roi de France et de la légèreté courageuse avec laquelle ils combattirent contre nous dans les Pays Bas à Steinkerque et ailleurs, j'ai toujours pensé, d'après le souvenir laissé en moi par Sir Gervas, que je savais quelle sorte de gens c'était-là.

Désormais c'était le moment du sauve qui peut.

En aucun endroit du champ de bataille, les insurgés ne prolongeaient la résistance.

Les premiers rayons du soleil tombant obliquement sur la vaste et morne plaine éclairaient en plein la longue ligne des bataillons rouges et faisaient scintiller les sabres cruels qui se levaient et s'abattaient parmi le troupeau confus des fugitifs impuissants.

L'Allemand avait été séparé de nous dans la mêlée et nous ne sûmes point d'abord s'il était vivant ou s'il avait péri, mais longtemps après, nous apprîmes qu'il était parvenu à s'échapper, bien que ce ne fût que pour être fait prisonnier avec le malchanceux Duc de Monmouth.

Grey, Wade, Ferguson et d'autres trouvèrent aussi le moyen de s'esquiver, pendant que Stephen Timewell gisait au centre du cercle de ses bourgeois aux visages farouches.

Il était mort comme il avait vécu, en vaillant Puritain anglais.

Tout cela, nous le sûmes plus tard.

Pour le moment, nous nous sauvions à travers la lande, pour conserver la vie, poursuivis par quelques pelotons de cavalerie qui nous abandonnèrent bientôt pour s'attacher à une proie plus facile.

Nous passions près d'un petit fourré d'arbres, lorsqu'une voix forte et mâle, qui disait des prières, attira notre attention.

Écartant les branches, nous vîmes un homme assis, adossé à un gros bloc de pierre et occupé à se couper le bras avec un couteau à large lame, tout en récitant l'oraison dominicale, sans un arrêt, sans un tremblement dans sa parole.

Il détourna les yeux de sa terrible besogne, et nous reconnûmes tous deux en lui un certain Hollis, dont j'ai parlé comme s'étant trouvé avec Cromwell à Dunbar.

Son bras avait été à moitié coupé par un boulet et il achevait tranquillement la séparation, pour se débarrasser du membre qui pendait inutile.

Saxon lui-même si habitué qu'il fût à tous les aspects, à tous les incidents de la guerre, ouvrait de grands yeux effarés à la vue de cette étrange chirurgie, mais l'homme, après avoir indiqué d'un bref signe de tête, qu'il le reconnaissait, se remit à sa besogne d'un air farouche, et enfin pendant que nous regardions, il trancha le dernier lambeau qui tenait encore, et se coucha, les lèvres pâles murmurant toujours sa prière1.

Nous ne pouvions pas faire grand'chose pour le secourir. D'ailleurs notre halte aurait peut-être attiré vers sa retraite les gens lancés à la poursuite.

Nous lui jetâmes donc un flacon à moitié plein d'eau et nous reprîmes notre course rapide.

Oh! la guerre, mes enfants, comme c'est chose terrible! Comment des hommes se laissent-ils séduire, prendre au piège par des costumes recherchés, par des coursiers bondissants, par les vains mots d'honneur et de gloire, au point d'oublier, grâce à l'éclat extérieur, au clinquant, à l'apparat, la réelle, l'effrayante horreur de cette chose maudite?

Qu'on ne songe point aux escadrons éblouissants, aux fanfares des trompettes qui réveillent les courages, qu'on songe plutôt à cet homme perdu sous l'ombre des aulnes et à l'acte qu'il accomplissait en un siècle, en un pays chrétien.

Amèrement, moi qui ai grisonné sous le harnais, et vu autant de champ de bataille que je compte d'années dans ma vie, je devrais être le dernier à prêcher sur ce sujet, et pourtant, il m'est aisé de bien voir que s'ils sont honnêtes, les hommes doivent ou bien renoncer à la guerre ou bien avouer que les paroles du Rédempteur sont trop sublimes pour eux et qu'il est inutile de prétendre encore que son enseignement peut être mis en pratique.

J'ai vu un ministre chrétien bénir un canon qu'on venait de fondre, un autre bénir un navire de guerre au moment où il glissait sur ses étais.

Eux, les soi-disant représentants du Christ, ils bénissaient ces engins de destruction que l'homme, en sa cruauté, avait inventés pour détruire et mettre en pièces d'autres vers de terre comme lui.

Que dirions-nous si nous lisions dans la Sainte Écriture que notre Seigneur bénit les béliers et les catapultes des légions?

Trouverions-nous cela d'accord avec son enseignement?

Mais voilà. Tant que les chefs de l'Église s'écarteront de l'esprit de son enseignement jusqu'au point d'habiter des palais et de se promener en voiture, est-il étonnant que, devant de tels exemples, le clergé inférieur enfreigne parfois les règles posées par leur souverain maître?

En regardant derrière nous du haut des collines peu élevées qui s'élèvent à l'ouest de la lande, nous pûmes voir la nuée de cavaliers franchir le pont sur la Parret et pénétrer dans la ville de Bridgewater, poussant devant eux la troupe impuissante des fugitifs.

Nous avions arrêté nos chevaux et nous regardions dans un silence attristé la fatale plaine, quand un bruit de pas de chevaux arriva à nos oreilles.

Faisant demi-tour, nous aperçûmes deux cavaliers portant l'uniforme des gardes qui se dirigeaient vers nous.

Ils avaient fait un détour pour nous couper la route, car ils allaient droit à nous l'épée haute et faisant des gestes animés.

– Encore du carnage! dis-je avec ennui. Pourquoi veulent-ils nous y contraindre?

Saxon regarda attentivement par-dessous ses paupières tombantes les cavaliers qui se rapprochaient, et un sourire farouche fit apparaître sur sa figure des milliers de plis et de rides.

– C'est notre ami qui a lancé les chiens sur notre piste à Salisbury, dit-il. Voilà qui tombe bien! j'ai un compte à régler avec lui.

C'était en effet ce jeune cornette à tête chaude que nous avions rencontré au début de nos aventures.

Une chance fâcheuse lui avait fait reconnaître mon compagnon avec sa haute stature, pendant que nous quittions le champ de bataille, et l'avait porté à le poursuivre dans l'espoir de prendre sa revanche de l'affront qu'il avait reçu de lui.

 

L'autre était un caporal porte-lance, homme bâti solidement, en vrai soldat, montant un lourd cheval noir qui avait une marque blanche sur le front.

Saxon se dirigea lentement vers l'officier, pendant que le soldat et moi nous nous regardions les yeux dans les yeux.

– Eh bien, mon garçon, entendis-je dire par mon compagnon, j'espère que vous avez appris l'escrime depuis notre dernière rencontre.

Le jeune garde poussa un grognement de rage à cette raillerie, et aussitôt après, le bruit des épées annonçait qu'ils étaient aux prises.

De mon côté, je n'osais pas tourner les yeux sur eux, car mon adversaire m'attaquait avec tant de furie que je ne pouvais faire autre chose que de l'écarter.

On ne recourut point au pistolet d'un côté ni de l'autre: ce fut une franche lutte épée contre épée.

Le caporal me lançait sans trêve des coups de pointe, tantôt à la figure, tantôt au corps, en sorte que je n'avais point l'occasion de donner un de ces vigoureux coups de taille qui eussent terminé l'affaire.

Nos chevaux tournaient autour l'un de l'autre mordaient, battaient des pieds pendant que nous nous donnions, que nous parions les coups.

Enfin nous nous trouvâmes côte à côte, à une longueur d'épée d'intervalle, et nous nous prîmes mutuellement à la gorge. Il tira un poignard de sa ceinture et m'en frappa au bras gauche, mais je lui lançai de mon poignet ganté de fer un coup qui le fit tomber de cheval et l'étendit sans mouvement sur le sol.

Presque en même temps le cornette, blessé en maints endroits, vida les arçons.

Saxon mit vivement pied à terre, ramassa le poignard que le soldat avait lâché et se disposait à les achever l'un et l'autre, quand je mis aussi pied à terre et l'en empêchai.

Il se tourna vers moi avec la promptitude de l'éclair, d'un air si féroce que je ne pus voir la bête sauvage qui était en lui entièrement réveillée.

– De quoi te mêles-tu? gronda-t-il. Laisse-moi faire.

– Non, non, assez de sang versé, dis-je. Laissez-les à terre.

– Est-ce qu'ils auraient eu quelque pitié pour nous, cria-t-il avec emportement et se débattant pour dégager son poignet. Ils ont perdu la partie. Il faut qu'ils paient.

– Non, pas cela de sang-froid, dis-je d'un ton ferme. Je ne le permettrai pas.

– Vraiment, monseigneur? railla-t-il, avec, une expression démoniaque dans le regard.

D'une violente secousse, il se dégagea de mon étreinte, fit un bond en arrière et ramassa l'épée qu'il avait laissé tomber.

– Eh bien! après? demandai-je en me mettant en garde, un pied de chaque côté du blessé.

Il resta immobile une ou deux minutes, me regardant par-dessous ses sourcils contractés, sa figure toute bouleversée par la colère.

À chaque instant, je m'attendais à le voir bondir sur moi, mais enfin, avec un serrement de gorge, il remit son épée au fourreau si brusquement qu'elle résonna.

Puis d'un bond, il se remit en selle.

– Nous nous séparons ici, dit-il avec froideur. J'ai été deux fois sur le point de vous tuer, et une troisième fois ce serait peut-être trop pour ma patience. Vous n'êtes pas le compagnon qu'il faut à un soldat de fortune. Entrez dans les ordres, mon garçon. C'est là votre vocation.

– Est-ce Décimus Saxon qui parle où est-ce Will Spotterbridge? demandai-je, rappelant sa plaisanterie au sujet de son ancêtre. Mais son âpre figure ne se détendit point en un sourire pour me répondre.

Il rassembla les rênes dans sa main gauche, lança un dernier regard de travers sur l'officier couvert de sang et partit au galop sur un des sentiers qui se dirigeaient vers le sud.

Je restai un instant à le suivre du regard, mais il ne m'envoya pas même un adieu de la main.

Il s'éloigna sans tourner la tête et finit par disparaître derrière une inégalité dans le sol de la lande.

– Un ami qui s'en va! dis-je tristement, et tout cela, peut-être parce que je ne veux pas assister en simple spectateur à l'égorgement d'un homme sans défense. Un autre ami a péri sur le champ de bataille. Le troisième, le plus ancien, le plus cher, est étendu, blessé, à Bridgewater, à la merci d'une brutale soldatesque. Si je retourne à la maison, ce ne sera que pour apporter l'inquiétude et le danger à ceux que j'aime. De quel côté me diriger?

Je m'attardai en quelques minutes d'irrésolution près du garde étendu à terre, pendant que Covenant se promenait tout doucement en broutant l'herbe rare, et tournait de temps à autre vers moi ses grands yeux noirs, comme pour m'affirmer qu'il me restait au moins un ami plein de constance.

Je regardai dans la direction du nord les hauteurs de Polden, au sud les Dunes Noires, à l'ouest la longue chaîne bleue des Quantocks, à l'est la vaste région des landes, et nulle part je ne vis rien qui me fît espérer le salut.

À dire vrai, je me sentais le cœur las et en ce moment, je me souciais fort peu de me sauver de là ou non.

Un juron, proféré à demi-voix, suivi d'une plainte, me tira de mes réflexions.

Le caporal était assis, se frottait la tête d'un air d'étonnement, de stupeur, comme s'il ne savait pas au juste où il était, ni comment il se trouvait là.

L'officier avait aussi ouvert les yeux et donné d'autres indices de son retour à la conscience.

Évidemment les blessures n'étaient pas d'un caractère bien grave.

Je ne courais aucun danger d'être poursuivi par eux, car lors même qu'ils auraient voulu le faire, leurs chevaux étaient partis au trot pour rejoindre les nombreuses montures sans cavaliers qui erraient de tous cotés sur la Lande.

Je me mis donc en selle, et m'éloignai d'une allure lente, afin d'épargner autant que possible mon brave cheval, car la besogne du matin l'avait quelque peu fatigué.

Il y avait de nombreux escadrons qui battaient séparément la plaine marécageuse, mais je pus les éviter et je continuai ma route au trot, jusqu'à ce que je fusse à huit ou dix milles du champ de bataille.

Les quelques cottages ou maisons, devant lesquels je passai, étaient abandonnés, et un grand nombre d'entre elles portaient les traces du pillage.

On ne voyait pas un seul paysan.

La mauvaise renommée des agneaux de Kirke avait chassé tous ceux qui n'avaient pas pris les armes.

Enfin, après trois heures de chevauchée, je me dis que j'étais assez loin de la direction principale de la poursuite pour ne craindre aucun danger.

Je fis donc choix d'un endroit abrité, où une grosse touffe de broussailles était suspendue au-dessus d'un petit ruisseau.

Je m'y assis sur un banc de mousse veloutée, j'y reposai mes membres las et je m'efforçai de faire disparaître de ma personne les traces du combat.

Ce fut seulement quand je pus jeter un regard tranquille sur mon accoutrement que je reconnus combien avait dû être terrible la lutte à laquelle j'avais pris part, et combien aussi il était surprenant que je m'en fusse tiré presque sans une égratignure.

Je ne me souvenais que vaguement des coups que j'avais donnés dans la bataille, mais ils avaient dû être nombreux et terribles, car le tranchant de mon sabre était aussi dentelé, aussi émoussé, que si j'avais passé une heure à frapper sur une barre de fer.

De la tête aux pieds, j'étais éclaboussé de boue et couvert de sang, en partie le mien, mais surtout celui des autres.

Mon casque était tout bosselé par les chocs.

Une balle de pétrinal avait ricoché sur ma cuirasse, en la frappant obliquement et y laissant une rainure profonde.

Deux ou trois autres fêlures ou étoiles prouvaient que l'excellente qualité de la plaque d'acier m'avait sauvé la vie.

Mon bras gauche était raide, presque inerte par suite du coup de poignard donné par le caporal, mais après avoir enlevé mon doublet et examiné l'endroit, je trouvai que si la blessure avait beaucoup saigné, du moins elle n'intéressait que le côté extérieur de l'os et dès lors ne signifiait pas grand'chose.

Un mouchoir trempé dans l'eau et noué serré tout autour adoucit la douleur et arrêta le sang.

En dehors de cette égratignure, je n'avais pas été atteint, mais mes efforts avaient produit une raideur douloureuse et générale, comme si on m'avait infligé une bastonnade.

La petite blessure, reçue dans la cathédrale de Wells, s'était rouverte et saignait. Mais avec un peu de patience et de l'eau froide, je vins à bout de la nettoyer et de la bander aussi bien que l'eût fait n'importe quel chirurgien du royaume.

Après avoir passé en revue mes plaies, il me fallait maintenant m'occuper de ma tenue, car, à dire vrai, j'avais l'air d'un de ces géants couverts de sang qu'étaient accoutumés à combattre Don Bellianis de Grèce et autres vaillants paladins.

Pas de femme, pas d'enfant qui n'eussent pris la fuite à ma vue, car j'étais aussi rouge que le boucher de la paroisse à l'approche de la Saint-Martin.

Toutefois un bon lavage dans le ruisseau eut bientôt fait disparaître ces traces de la guerre, et j'arrivai à effacer les marques de ma cuirasse et de mes bottes.

Mais en ce qui concernait mes habits, c'était peine perdue que de vouloir les rendre plus propres et j'y renonçai de désespoir.

Mon bon vieux cheval n'avait pas même été effleuré par les armes et les balles, en sorte que quand il fut bien arrosé, bien frictionné, il était en aussi bon état que jamais; et quand nous tournâmes le dos au petit ruisseau, nous formions un couple plus présentable qu'à notre arrivée sur ses bords…

Il était près de midi, et je commençais à avoir grand'faim, car je n'avais rien mangé depuis la veille au soir.

Il y avait bien sur la lande un groupe de deux ou trois maisons, mais les murs noircis et le chaume roussi indiquaient qu'il ne fallait pas espérer d'y trouver quoi que ce fut.

Une ou deux fois, j'aperçus des gens dans les champs ou sur la route; mais à la vue d'un cavalier armé, ils couraient comme si leur vie était menacée et plongeaient dans les fourrés comme des animaux sauvages.

À un certain endroit, où un grand chêne marquait la rencontre de trois routes, deux cadavres se balançant à une branche prouvaient que les craintes des villageois étaient fondées sur l'expérience.

Selon toute vraisemblance, ces pauvres gens avaient été pendus parce que la valeur de leurs économies s'était trouvée au-dessous de ce qu'attendaient leurs pillards, ou bien parce qu'ayant tout donné à une bande de pillards, ils n'avaient plus de quoi contenter la bande suivante.

Enfin, comme j'en avais vraiment assez de chercher vainement de la nourriture, je découvris un moulin à vent qui se dressait sur un tertre vert, au bout de quelques champs.

Jugeant à son apparence qu'il avait échappé au pillage général, je pris le sentier qui partait de la grande route pour y conduire2.

 

VII – Ma périlleuse aventure au moulin

Au pied du moulin, il y avait un hangar, évidemment destiné à loger les chevaux qui apportaient le grain du fermier.

Il y restait de l'herbe.

Je détachai donc les sangles de Covenant, et le laissai se régaler copieusement.

Quant au moulin, il semblait silencieux et vide.

Je gravis la raide échelle de bois.

J'ouvris la porte d'une poussée et entrai dans une chambre ronde, dallée en pierre, d'où une autre échelle aboutissait au grenier situé au-dessus.

Sur un des côtés de la chambre se trouvait une longue caisse carrée, et tout autour des murs étaient dressées plusieurs rangées de sacs pleins de farine.

Dans le foyer, il y avait un tas de fagots qu'il ne restait plus qu'à allumer.

Aussi à l'aide de ma boîte à briquet, j'eus bientôt une réjouissante flambée.

Je pris dans le sac le plus proche une grosse poignée de farine.

Je la pétris avec l'eau d'une cruche, je la roulai, puis j'en fis une galette plate, et je me mis en devoir de la faire cuire, souriant à l'idée que se ferait ma mère, si elle assistait à une aussi grossière cuisine.

J'en suis très sur, Patrick Lamb, l'auteur de ce livre intitulé le Parfait cuisinier de la Cour, que la chère créature tenait toujours de la main gauche, tandis qu'elle remuait et tournait la sauce de la main droite, n'a jamais assaisonné un plat qui fût plus à mon gré en ce moment là.

Je n'eus pas même la patience d'attendre que la galette eût pris une teinte rousse, je la saisis et l'avalai à moitié cuite.

J'en roulai alors une seconde que je plaçai devant le feu, puis tirant ma pipe de ma poche, je me mis à fumer, jusqu'à ce qu'elle fût prête, avec toute la philosophie que je pus appeler à mon aide.

J'étais perdu dans mes réflexions et je songeais avec tristesse au coup que ces nouvelles porteraient à mon père, quand j'en fus tiré soudain par un sonore éternuement, qui me fit l'effet d'avoir retenti à mon oreille.

Je me dressai d'un bond et jetai les yeux autour de moi, mais je ne vis rien que le mur massif derrière moi, et devant moi, la chambre vide.

J'avais fini par me persuader que j'avais été le jouet de quelque illusion, quand soudain un éternuement sonore, plus bruyant et plus prolongé que le premier, rompit le silence.

Y avait-il quelqu'un de caché dans un des sacs?

Je tirai mon épée et je fis le tour de la chambre, en tâtant de la pointe les grands sacs de farine, sans réussir à découvrir la cause de ce bruit.

J'étais encore à m'étonner de la chose, quand un concert tout à fait extraordinaire, où se mêlaient des aspirations violentes, des renâclements, des sifflets éclata, suivi de cris «Sainte Mère! Béni Rédempteur!» et autres exclamations analogues.

Cette fois, il n'y avait pas à se méprendre sur l'endroit d'où venait le vacarme.

Je courus à la grande caisse sur laquelle je m'étais assis.

J'en rejetai le couvercle et je regardai à l'intérieur.

Elle était plus qu'à moitié pleine de farine, au milieu de laquelle était perdu un être vivant, sur lequel la poudre blanche s'était si bien attachée et plaquée que, sans les cris lamentables qu'il poussait, il eût été difficile de savoir si c'était une créature humaine.

Je me baissai.

Je retirai l'homme de sa cachette.

Aussitôt il tomba à genoux sur le sol et se mit à hurler merci, tout en soulevant à chacune de ses contorsions un tel nuage de poudres que je me mis à tousser et à éternuer.

Lorsque enfin ce revêtement de farine eut commencé à se détacher, je ne fus pas peu surpris de voir que ce n'était ni un meunier ni un paysan, mais un homme armé de toutes pièces, avec un énorme sabre pendu à sa ceinture et qui pour le moment ne ressemblait pas mal à un glaçon, portant une vaste cuirasse.

Son casque était resté dans le pétrin et sa chevelure d'un rouge vif, la seule partie de sa personne dont on vit la couleur, se dressait en l'air sous l'influence de la terreur, pendant qu'il me suppliait d'épargner sa vie.

Je trouvai que cette voix ne m'était pas inconnue et je promenai ma main sur sa figure, ce qui le fit hurler comme si je l'égorgeais.

Impossible de se méprendre à ces joues rebondies, à ces petits yeux avides.

Ce n'était rien moins que Maître Tetheridge, l'encombrant secrétaire municipal de Taunton.

Mais quel changement s'était accompli chez le secrétaire que nous avions vu se pavaner dans toute la pompe et la magnificence de son emploi devant le brave Maire le jour de notre arrivée dans le Comté de Somerset!

Qu'étaient devenus son assurance et son air guerrier?

Pendant qu'il était à genoux, ses grandes bottes s'entrechoquaient d'appréhension, et il éjaculait d'une voix de fausset, comme celle d'un mendiant de Lincoln's Inn, enfilait des excuses, des explications, comme si j'étais Feversham en personne et que je fusse sur le point d'ordonner son exécution.

– Je ne suis qu'un pauvre diable de scribe, Votre Altesse Sérénissime, braillait-il. Vrai, je suis un malheureux employé, Votre Honneur, qui a été entraîné dans ces affaires par la tyrannie de ses supérieurs. Jamais, Votre Grâce, un homme plus loyal ne porta le cuir de bœuf. Mais quand le Maire dit oui, l'employé peut-il dire non. Épargnez-moi, Votre Seigneurie, épargnez le plus repentant des misérables, qui demande seulement dans ses prières à servir le Roi Jacques jusqu'à la dernière goutte de son sang.

– Renoncez-vous au duc de Monmouth? demandai-je d'un ton rude.

– Oui… de tout mon cœur, dit-il avec ardeur.

– Alors préparez-vous à mourir, criai-je, on tirant mon épée, car je suis un de ses officiers.

À la vue de l'acier, le misérable secrétaire jeta un véritable hurlement de terreur.

Tombant la figure contre terre, il se tordit, se roula, jusqu'à ce que, levant les yeux, il s'aperçut que je riais.

À cette vue, il se remit d'abord à genoux, puis se leva, en me regardant obliquement, comme s'il ne devinait rien de mes intentions.

– Vous devez vous souvenir de moi, Maître Tetheridge, dis-je. Je suis le Capitaine Clarke, du régiment d'infanterie du Comté de Wilts, que commande Saxon. Je suis vraiment surpris que vous ayez adjuré votre fidélité, alors que non seulement vous avez juré de la maintenir, mais que de plus vous avez fait prêter le même serment aux autres.

– Pas du tout, capitaine, pas du tout, répondit-il en reprenant ses allures habituelles de coq de combat aussitôt qu'il s'aperçut que le danger avait disparu, en fait de serment je suis aussi sincère, aussi loyal que je le fus jamais.

– Pour cela, je vous crois entièrement, dis-je.

– Je n'ai fait que dissimuler, reprit-il en secouant la farine qui le couvrait. Je me suis borné à mettre en pratique cette ruse du serpent qui dans tout guerrier doit être jointe au courage du lion. Vous avez lu Homère sans doute. Eh! moi aussi je suis quoique peu frotté d'études classiques. Je ne suis pas seulement un grossier soldat, bien que je puisse manier l'épée d'une main vigoureuse. Maître Ulysse, voilà mon idéal, de même qu'Ajax est le vôtre, je suppose.

– M'est avis que le type du diable qui sort de la boîte vous irait bien mieux, dis-je. Voulez-vous accepter la moitié de cette galette? Comment vous êtes-vous trouvé dans ce pétrin?

– Eh! par Sainte Marie! voici comment, répondit-il, la bouche pleine de pâte. C'était un stratagème, une ruse, telle qu'en conçoivent les plus grands généraux, qui ont toujours été fameux pour leur art à dérober leurs manœuvres et se dissimuler là où on les attendait le moins. En effet, lorsque la bataille fut perdue, lorsque je me fus escrimé d'estoc et de taille jusqu'à ce que mon bras fut engourdi et ma lame émoussée, je m'aperçus que de tous les gens de Taunton j'étais seul resté vivant. Si nous étions sur le champ de bataille, vous pourriez reconnaître l'endroit où je me trouvais par le cercle des cadavres de ceux qui se sont, trouvés à portée de mon épée. Voyant que tout était perdu, et que nos coquins avaient fui, je montai le cheval de notre digne Maire, vu que ce valeureux gentleman n'en avait plus besoin, et je m'éloignai lentement du champ de bataille. Je vous réponds qu'il y avait dans mon regard et dans mon port quelque chose qui empêcha leur cavalerie de me suivre de trop près. Un soldat, il est vrai, me barra la route, mais mon coup habituel de tranchant de sabre en vint aisément à bout. Hélas! j'ai un gros poids sur la conscience: j'ai fait à la fois des veuves et des orphelins. Pourquoi venir me braver, quand… Dieu de miséricorde! qu'est-ce que cela?

– Ce n'est que mon cheval, dans l'écurie au-dessous, répondis-je.

– Je croyais que c'étaient les dragons, dit le secrétaire en essuyant les gouttes de sueur qui avaient tout à coup perlé sur son front. Vous et moi, nous aurions fait une sortie et les aurions assaillis.

– Ou bien vous vous seriez remis dans le pétrin, dis-je.

– Je ne vous ai pas encore expliqué comment je suis venu ici, reprit-il, après m'être éloigné de quelques milles du champ de bataille, je remarquai ce moulin et il me vint à l'esprit qu'un homme énergique pouvait à lui seul y tenir tête à un escadron de cavalerie. Nous ne sommes guère disposés à fuir, nous autres, Tetheridge. C'est peut-être un vain amour-propre, mais ce sentiment-là est très fort dans la famille. Nous avons du sang de vaillants en nous dès le temps où mon ancêtre suivit Ireton en qualité de vivandier. Je m'arrêtai donc, et j'avais mis pied à terre pour faire mes observations quand ma brute de cheval donna une brusque secousse à la bride, et ainsi devenu libre, disparut en un instant franchissant les haies, les fossés. Il ne me restait donc plus qu'à compter sur ma bonne épée. Je gravis l'échelle, et m'occupais à combiner un plan en vue de faire bonne défense, quand j'entendis le pas d'un cheval, et aussitôt après vous êtes monté d'en bas. Je me suis à l'instant mis en embuscade, et je n'aurais pas été long à en sortir soudainement pour une attaque, si la farine ne m'avait pas étouffé, au point qu'il me semblait avoir un pain de deux livres arrêté dans le gosier. Pour ma part, je suis content que la chose soit arrivée, car dans mon aveugle colère, je vous aurais peut-être fait du mal. En entendant le tintement de votre sabre, pendant que vous montiez l'échelle, j'ai pensé que vous étiez sans doute un des suppôts du Roi Jacques, peut-être même le capitaine d'un de ces escadrons qui battent la plaine.

1L'incident est historique et peut servir à montrer quelle sorte d'hommes étaient ceux qui apprirent la guerre à l'école de Cromwell. (Note de l'auteur).
2Les deux lettres suivantes communiquées à l'Institut Royal archéologique par le Rév. C. W. Bingham, éclairent d'un jour curieux certains côtés de cette bataille. I À Mistress Chaffin à Chettle House. Lundi, dans la matinée. 6 juillet 1685. «Ma très chère amie, ce matin vers une heure, les rebelles ont fondu avec toutes leurs forces sur nous pendant que nous étions sous nos tentes dans la lande royale de Sedgemoor. Nous en avons tué et pris au moins un millier… Ils se sont enfuis à Bridgwater. On dit que nous avons pris toute leur artillerie, mais il est certain que nous en avons pris la plus grande partie, si ce n'est la totalité. Un habit, sur lequel il y avait des décorations, a été pris: il est déchiré dans le dos. Certains pensent que le duc rebelle le portait et qu'il a été tué, mais la plupart croient qu'il était porté par un domestique. Je voudrais qu'il fût pris pour que la guerre puisse prendre fin. On croit qu'il sera hors d'état de faire combattre de nouveau ses hommes. Je rends grâce à Dieu de ce que je me porte très bien, sans la moindre blessure. Il en est de même de nos amis du comté de Dorset. Je vous prie, faites savoir cela à Biddy par la première occasion. Je suis votre unique et cher Tossey.» II Bridgewater. 7 juillet 1685. «Nous avons mis en complète déroute les ennemis de Dieu et du Roi, et à ce qu'on nous apprend, il ne reste pas cinquante hommes ensemble de toute l'armée rebelle. Nous en ramassons à toute heure dans les champs de blé et les fossés. Williams, ancien valet du duc, est prisonnier. Il a fait un récit très amusant de toute l'affaire, qui serait trop longue à raconter. La dernière fois qu'il lui parla, ce fut au moment où son armée s'enfuit. Il dit qu'il était défait et devait pourvoir à sa sûreté. Nous pensons marcher aujourd'hui avec le général à Wells, sur la route qu'il prendra pour rentrer. Pour le moment, il est à deux milles de là, au camp, en sorte que je ne saurais dire avec certitude s'il se propose d'aller à Wells. Je serai certainement à la maison samedi au plus tard. Je crois que ma chère Nan aurait bien donné 500 livres pour que son Tossey eût servi le Roi jusqu'à la fin des guerres. Toujours à toi, ma chère enfant.» (Note de l'Auteur.)
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