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Micah Clarke – Tome III. La Bataille de Sedgemoor

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– Alors, ma petite, il faut vous asseoir ici, dis-je en la descendant de mes genoux et la mettant sur une chaise dans le coin. Il faut vous montrer une brave fille et ne pas bouger, quoi qu'il arrive. Le voulez-vous?

Elle avança ses lèvres roses, et affirma d'un signe de tête.

– Il arrive pas à pas, Micah, dit mon camarade, toujours debout près de la fenêtre. Ne dirait-on pas un renard perfide ou quelque autre bête de proie?

Il y avait, en effet, dans son ensemble maigre, avec son costume noir, dans la légèreté de ses mouvements furtifs, quelque chose qui faisait songer à un animal cruel et plein de ruse.

Il se glissa sous l'ombre des arbres et des osiers rabougris, le corps penché, la marche glissante, en sorte qu'il n'eût pas été facile à l'homme le plus clairvoyant de le voir de Bridgewater.

À vrai dire, l'éloignement de la ville lui eût permis de marcher à découvert et de se lancer à travers la lande, mais la profondeur des marais de chaque côté l'avait empêché de quitter la route jusqu'à l'endroit où elle passait devant le cottage.

Lorsqu'il se trouva en face de notre embuscade, nous nous élançâmes tous les deux par la porte ouverte et lui barrâmes le passage.

J'ai entendu le ministre indépendant d'Emsworth faire la description de Satan, mais si le digne homme s'était trouvé avec nous ce jour-là, il n'aurait pas eu besoin de se mettre en frais d'imagination.

La figure basanée de l'homme se couvrit de plaques d'une pâleur livide, au moment où il faisait un pas en arrière, aspirait longuement l'air, et lançait un éclair venimeux de ses yeux noirs à droite et à gauche, pour chercher quelque moyen de s'esquiver.

Pendant un instant, il porta la main sur la poignée de son épée, mais sa raison lui dit qu'il ne pouvait guère espérer de forcer le passage contre nous deux.

Alors il jeta les yeux tout autour de lui, mais de tous les côtés, il lui fallait revenir près des gens qu'il avait trahis.

Il s'arrêta donc, morne, impassible, la figure allongée, piteuse, les yeux inquiets, toujours en mouvement.

C'était le type, le symbole de la trahison.

– Nous vous avons attendu quelque temps, Maître John Derrick, dis-je. Maintenant il vous faut retourner avec nous à la ville.

– De quel droit m'arrêtez-vous? demanda-t-il d'une voix rauque et saccadée. Où est votre ordre? Qui vous donne mission d'inquiéter des gens qui voyagent paisiblement sur la grande route du Roi?

– Je tiens ma mission de mon Colonel, répondis-je d'un ton bref. Vous êtes déjà allé ce matin au camp de Feversham.

– C'est un mensonge, dit-il avec une fureur sauvage. Je me suis borné à faire une promenade pour prendre l'air.

– C'est la vérité, dit Ruben, je vous ai vu à votre retour. Montrez-nous ce papier dont un bout sort de votre doublet.

– Nous savons tous pourquoi vous m'avez tendu ce piège, s'écria Derrick avec amertume. Vous avez fait courir sur moi des bruits défavorables de peur que je ne vous gêne pour épouser la fille du Maire. Qu'est-ce que vous êtes, pour oser lever les yeux sur elle? Un simple vagabond, un homme sans maître, venu on ne sait d'où. De quel droit aspirez-vous à cueillir la fleur qui a grandi au milieu de nous? Qu'avez-vous affaire à elle ou à nous? Répondez-moi.

– C'est une question que je ne discuterai que dans un moment et un endroit plus opportun, répondit Ruben avec calme. Rendez-nous votre épée et revenez avec nous. Pour ma part, je promets de faire tout mon possible pour vous sauver la vie. Si nous sommes victorieux cette nuit, vos misérables tentatives peuvent bien peu de chose pour nous nuire. Si nous sommes vaincus, il restera bien peu d'entre nous à qui vous puissiez nuire.

– Je vous remercie de votre bienveillante protection, répondit-il toujours de cette voix blanche, froide, amère.

Puis, débouclant son épée, il se dirigea lentement vers mon compagnon.

– Vous pourrez emporter cela comme présent à Mistress Ruth, dit-il en tendant l'arme de la main gauche.

– Et cela aussi, ajouta-t-il, en tirant vivement de sa ceinture un poignard qu'il plongea dans le flanc de mon pauvre ami.

Cela fut fait en un instant, si brusquement que je n'eus le temps ni de m'élancer entre eux, ni de comprendre son intention.

Le blessé s'affaissait en respirant péniblement et le poignard résonnait sur le chemin, à mes pieds.

Le gredin lança un cri perçant de triomphe et fit un bond en arrière, grâce auquel il évita le furieux coup de poing que je lui lançai.

Puis, il fit demi-tour et s'enfuit sur la route de toute sa vitesse.

Il était bien plus léger que moi, et vêtu d'une façon moins encombrante, mais grâce à ma force de respiration et à la longueur de mes jambes, j'avais été le meilleur coureur de mon district, et bientôt le bruit de mes pas lui apprit qu'il n'avait aucune chance de me distancer.

Deux fois il revint brusquement sur ses pas, comme fait un lièvre serré de près par un lévrier, et deux fois, mon épée passa à moins d'un pouce de lui, car, pour dire la vérité, je n'avais pas plus l'intention de l'épargner, que s'il s'était agi d'un serpent venimeux qui aurait, sous mes yeux, planté ses crochets dans le corps de mon ami.

Je ne songeais pas plus à donner quartier que lui à le demander.

À la fin, comme il entendait mes pas tout près de lui et mon souffle contre son épaule même, il s'élança comme un fou à travers les joncs, et courut vers le perfide marécage; avec de l'eau jusqu'à la cheville, jusqu'au genou, jusqu'aux cuisses, jusqu'à mi-corps.

Nous luttions. Nous chancelions.

Je gagnais toujours sur lui, et enfin je n'avais plus qu'à étendre le bras, et je faisais déjà tournoyer mon épée pour le frapper.

Mais, mes chers enfants, il était écrit qu'il ne mourrait pas de la mort d'un homme, mais de celle d'un reptile, qu'il était.

Au moment même où je l'abordais, il s'enfonça soudain, avec un bruit de gargouillement, et la mousse verte des eaux mortes se referma au-dessus de sa tête.

Pas la moindre ride, pas d'éclaboussement pour indiquer l'endroit.

Cela se fit brusquement, silencieusement, comme si un monstre inconnu l'avait happé et entraîné dans les abîmes.

Comme je me dressais l'épée levée, les yeux toujours fixés sur cet endroit, une bulle unique, volumineuse, monta et creva à la surface.

Puis tout redevint immobile, les terribles marais se déployant devant moi, comme le séjour même de la mort et de la désolation.

Je ne sais s'il s'était trouvé sur un brusque enfoncement qui l'avait englouti ou si, dans son désespoir, il s'était noyé à dessein.

Tout ce que je sais c'est que dans la grande lande de Sedgemoor sont ensevelis les os du traître et de l'espion.

Je revins tant bien que mal vers le bord à travers la vase épaisse, collante, et je me hâtai d'accourir à l'endroit où gisait Ruben.

Je me penchai sur lui, et je vis que le poignard avait traversé la bande de cuir qui réunissait les pièces de devant et de derrière de la cuirasse, que non seulement le sang coulait en abondance de la blessure, mais encore suintait goutte à goutte aux coins de la bouche.

De mes doigts tremblants, je défis les courroies et les boucles, j'enlevai l'armure, et appuyai mon mouchoir contre son flanc pour arrêter le sang.

– J'espère que vous ne l'avez pas tué, Micah? dit-il soudain, en ouvrant les yeux.

– Une puissance plus haute que la nôtre l'a jugé, Ruben, répondis-je.

– Pauvre diable! Bien des choses ont contribué à l'aigrir, dit-il à demi-voix.

Puis il eut un nouvel évanouissement.

Agenouillé près de lui, je remarquai la pâleur, la respiration pénible du jeune homme, et je songeai à son caractère simple, si bon, à l'affection que j'avais eu si peu de peine à mériter, et je n'ai aucune honte à en convenir, mes chers enfants, bien que je sois assez lent à éprouver des émotions, mes larmes se mêlèrent à son sang.

Le hasard voulut que Décimus Saxon, dans un moment de loisir, montât au clocher pour nous regarder avec sa lunette et voir comment nous nous tirions d'affaire.

Il remarqua quelque chose de suspect et descendit en hâte pour aller à la recherche d'un chirurgien habile, qu'il amena auprès de nous avec une escorte de piquiers.

J'étais resté à genoux près de mon ami sans connaissance, et faisant pour le secourir ce que peut faire un ignorant, quand la troupe arriva et m'aida à le transporter dans le cottage, à l'abri du brûlant soleil.

Les minutes me parurent des heures pendant que l'homme de l'art, l'air grave, examinait et sondait la blessure.

– Elle ne sera probablement pas mortelle, dit-il enfin.

Sur ces mots, je l'aurais presque embrassé.

– La lame a rebondi sur une côte, non sans faire une légère déchirure au poumon. Nous allons le transporter avec nous à la ville.

– Vous l'entendez? dit Saxon, d'un ton amical. C'est un homme dont l'opinion a du poids.

 
Un médecin habile vaut à lui seul
bien plus que cent hommes de guerre.
 

Du courage, l'ami. Vous êtes aussi pâle que si c'était vous et non lui qui aviez subi la saignée. Où est Derrick?

– Noyé dans le marais, répondis-je.

– Tant mieux, cela nous économisera six pieds de bonne corde. Mais ici notre position est assez dangereuse, car la cavalerie royale pourrait bien nous assaillir. Qu'est-ce que cette bambine si pâle et si tranquille qui est assise dans le coin?

– C'est la gardienne de la maison. Sa grand' mère l'a laissée ici.

– Vous feriez mieux de venir avec nous. Il se fera peut-être une rude besogne ici avant que tout soit fini.

– Non, il faut que j'attende grand-mère, répondit-elle, les joues inondées de larmes.

– Mais si moi je vous conduisais près de grand-mère, ma petite? demandai-je. Nous ne pouvons pas vous laisser ici.

 

Je lui tendis les bras. L'enfant s'y élança et se serra contre ma poitrine, en sanglotant comme si son cœur se brisait.

– Emmenez-moi, cria-t-elle. J'ai peur.

Je calmai du mieux que je pus la petite créature tremblante et l'emportai sur mon épaule.

Les faucheurs avaient passé les hampes de leurs longues armes dans les manches de leurs justaucorps de façon à en former une sorte de couchette, une civière sur laquelle on étendit le pauvre Ruben.

Une légère couleur était revenue à ses joues, grâce à un cordial administré par le chirurgien, et il adressait à Saxon des signes de tête et des sourires.

On partit ainsi, d'un pas lent, pour retourner à Bridgewater.

Ruben fut transporté à notre logement, et je conduisis la fillette chez de bonnes gens de la ville qui promirent de la ramener chez elle dès que l'agitation aurait cessé.

VI – La Bataille de Sedgemoor

Si pressants que fussent nos chagrins et nos besoins personnels, nous n'avions guère de loisir de nous y arrêter, car le moment approchait où allait se décider non seulement notre destinée à nous, mais encore celle de la cause protestante en Angleterre.

Aucun de nous ne traitait le danger à la légère.

Il n'eut fallu rien moins qu'un miracle pour nous éviter une défaite et la plupart d'entre nous étaient convaincus que le temps des miracles était passé.

D'aucuns néanmoins pensaient autrement.

Je crois que bon nombre de Puritains, s'ils avaient vu le ciel s'ouvrir cette nuit-là et les armées des Séraphins et des Chérubins en descendre à notre aide, auraient regardé cela comme un événement qui n'avait rien de merveilleux, rien d'inattendu.

Toute la ville retentissait de prêches.

Chaque escadron, chaque compagnie avait son prédicant de prédilection, parfois plus d'un, pour lui faire des harangues, des commentaires.

Montés sur des tonneaux, sur des chars, ou par les fenêtres, et même du haut des toits, ils exhortaient la foule au dessous d'eux.

Et leur éloquence ne se dépensait point en vain. Des clameurs, rauques, sauvages, s'élevaient des rues, mêlées de prières et d'exclamations désordonnées.

Les hommes étaient ivres de religion, comme de vin.

Ils avaient la figure échauffée, la langue pâteuse, les gestes fous.

Sir Stephen et Saxon échangeaient des sourires à ce spectacle, car en vieux soldats qu'ils étaient, ils savaient que parmi les causes qui rendent un homme vaillant en prouesses et insouciant de la vie, il n'en est point qui soit plus énergique et plus persistante que cet accès religieux.

Le soir, je trouvai le temps de rendre visite à mon ami blessé et le vis adossé à des oreillers, étendu sur son lit, respirant avec quelque difficulté, mais aussi en train, aussi gai que d'ordinaire.

Notre prisonnier, le Major Ogilvy, qui s'était pris d'une vive affection pour nous, était assis près de son lit et lui lisait un vieux recueil de pièces de théâtre.

– Cette blessure est survenue à un fâcheux moment, disait Ruben avec impatience. N'est-ce pas trop fort qu'une légère piqûre comme celle-là envoie mes hommes au combat sans leur chef, après tant de marches et d'exercices? J'ai été là quand on disait les grâces et je n'aurai pas à dîner.

– Votre compagnie a été réunie à la mienne, répondis-je. Ce qui n'empêche pas que ces braves gens soient fort abattus de n'avoir point leur capitaine. Le médecin est-il venu vous voir?

– Il vient de sortir, dit le Major Ogilvy, et il déclare que l'état de notre ami s'améliore, mais il m'a conseillé de ne point le laisser causer.

– Vous entendez, mon garçon? dis-je en le menaçant du doigt. Si je vous entends dire un seul mot, je m'en vais. Vous allez échapper à un rude réveil cette nuit, major. Que pensez-vous de nos chances?

– Je n'en ai jamais auguré rien de bon dès le début, répondit-il avec franchise, Monmouth agit comme un joueur ruiné, qui risque sa dernière pièce de monnaie sur le tapis vert. Il ne peut gagner beaucoup, mais il peut perdre tout.

– Ah! voilà une affirmation bien tranchante, dis-je. Un succès ferait peut-être prendre les armes à tous les comtés de l'intérieur.

– L'Angleterre n'est pas mûre pour cela, répondit le Major, en hochant la tête. Sans doute elle n'est pas enchantée soit du Papisme, soit d'un Roi papiste, mais nous savons que ce n'est là qu'un fléau passager, puisque l'héritier du trône, le Prince d'Orange, est protestant. Dès lors pourquoi s'exposer à tant de maux pour arriver à un résultat que le temps, uni à la patience, amènera sûrement? En outre, l'homme que vous soutenez a prouvé qu'il est indigne de confiance. N'a-t-il point promis dans sa Déclaration de laisser aux Communes le choix du monarque? Et pourtant, moins de huit jours après, ne s'est-il pas proclamé Roi devant la Croix du Marché, à Taunton? Comment croire un homme qui a aussi peu d'égards pour la vérité?

– Trahison, Major, trahison scandaleuse! répondis-je en riant. Sans doute si nous pouvions commander un chef comme on commande un habit, nous aurions peut-être choisi un chef d'un tissu plus solide. Ce n'est point lui que nous soutenons par les armes, ce sont les libertés et les droits antiques des Anglais. Avez-vous vu Sir Gervas?

Le Major Ogilvy et Ruben lui-même éclatèrent de rire.

– Vous le trouverez dans la chambre au-dessus. Jamais homme à la mode ne se prépara pour un bal à la Cour avec autant de soin qu'il en prend pour le combat. Si les troupes du Roi le font prisonnier, elles s'imagineront certainement qu'elles tiennent le Duc. Il est venu ici nous demander notre avis au sujet de ses mouches, de ses culottes, et je ne sais quoi encore. Vous ferez mieux d'y aller.

– Alors, adieu, Ruben, dis-je en lui serrant la main.

– Adieu, Micah! et que Dieu vous garde de tout mal! dit-il.

– Puis-je vous dire un mot à part, major? fis-je tout bas…

Et je repris:

– Vous ne direz pas, je pense, qu'on vous a rendu votre captivité bien pénible. Dès lors, puis-je vous demander de veiller sur mon ami, dans le cas où nous serions défaits cette nuit? À n'en pas douter, si Feversham a le dessus, il se fera ici une sanglante besogne. Ceux qui seront sains et saufs, s'en tireront comme ils pourront mais lui, il est réduit à l'impuissance, et il aura besoin d'un ami.

Le Major me serra la main.

– J'en prends Dieu à témoin, dit-il. Il ne lui arrivera rien de fâcheux.

– Vous m'avez soulagé le cœur d'un grand poids, répondis-je, car je sais que je le laisse en sûreté. Je puis maintenant monter à cheval pour aller au combat l'esprit dispos.

Le soldat me répondit par un sourire amical et retourna dans la chambre du malade, pendant que je montais l'escalier et entrais dans le logis de Sir Gervas Jérôme.

Il était debout devant une table encombrée de pots, de brosses, de boîtes, d'une vingtaine d'autres menus objets achetés ou empruntés pour la circonstance.

Un grand miroir à main était posé contre le mur, entre deux chandelles allumées.

Devant lui, le baronnet, dont la belle et pâle figure avait une expression des plus sérieuses, des plus solennelles, arrangeait une cravate blanche de berdash.

Ses bottes de cheval reluisaient du plus bel éclat et la couture rompue avait été refaite.

Son baudrier, sa cuirasse, ses courroies, tout était propre et brillant.

Il avait revêtu son costume le plus pimpant, le plus neuf, et avant tout il avait arboré une très noble et très imposante perruque entière, dont les boucles retombaient sur ses épaules.

Depuis son coquet chapeau de cavalier jusqu'à ses éperons brillants, il n'avait pas sur lui un atome de poussière, pas une tache, ce qui contrastait fâcheusement avec mon aspect, car j'étais encore tout couvert d'une croûte épaisse laissée par la vase des marais de Sedgemoor, et les courses à cheval et la besogne faite, pendant ces deux jours sans trêve ni repos, avaient complété le désordre de ma toilette.

– Qu'on me coupe en deux, si vous n'êtes pas venu au bon moment! s'écria-t-il dès mon entrée. Je viens d'envoyer en bas l'ordre de me monter un flacon de vin des Canaries. Ah! le voilà arrivé.

À ce moment-là, une servante de l'hôtellerie entrait d'un pas menu avec la bouteille et les verres.

– Voici une pièce d'or, ma belle enfant. C'est bien la dernière qui me reste au monde, la seule survivante d'une assez belle famille. Payez le vin à l'hôtelier, ma petite, et gardez la monnaie. Vous vous en achèterez des rubans pour la fête prochaine. Que le diable m'emporte, je n'arrive pas à arranger cette cravate sans qu'elle fasse des plis!

– Il n'y a rien qui aille de travers, répondis-je. Comment peut-on s'occuper de pareilles bagatelles en un moment comme celui-ci?

– Bagatelles! cria-t-il d'un ton fâché. Bagatelles! Bah, après tout, ce n'est pas la peine d'argumenter avec vous, votre intelligence bucolique ne s'élèverait jamais à concevoir les fines conséquences qu'il peut y avoir dans de pareilles affaires, le repos d'esprit que l'on éprouve quant tout est bien ordonné, et le malaise cruel quand quelque chose est de travers. Cela vient sans doute de l'éducation, et il peut se faire que j'en aie plus que d'autres personnes de ma condition. Je suis comme un chat qui passerait toute la journée à se lécher pour enlever jusqu'à la dernière parcelle de poussière. Cette mouche au-dessus du sourcil n'est-elle pas heureusement placée? Non, vous n'êtes pas même capable d'exprimer une opinion. Je préférerais demander l'avis de l'ami Marot, le chevalier du pistolet. Remplissez votre verre.

– Votre compagnie vous attend près de l'église, répondis-je. Je l'ai aperçue sur mon passage.

– Quel air avait-elle? demanda-t-il. Les hommes étaient-ils poudrés, propres?

– Ah! pour cela, je n'ai pas eu le temps de le remarquer. J'ai vu qu'ils coupaient leurs mèches et préparaient leurs amorces.

– J'aimerais mieux qu'ils eussent des fusils à pierre, répondit-il en s'aspergeant d'eau de senteur. Les fusils à mèche sont lents à charger et encombrants. Avez-vous assez de vin?

– Je n'en prendrai pas davantage, dis-je.

– Alors peut-être le Major se chargera de le finir, il ne m'arrive pas souvent de demander qu'on m'aide à boire une bouteille, mais je veux avoir toute ma tête à moi cette nuit. Descendons et allons voir nos hommes.

Il était dix heures quand nous fûmes dans la rue.

Le bourdonnement des prêcheurs et les cris du peuple s'étaient éteints, car les régiments s'étaient formés et se tenaient silencieux, résolus.

La faible lueur des lampes et des fenêtres se jouait sur leurs rangs noirs et serrés.

Une lune froide et claire brillait sur nous entre des nuages laineux, qui de temps à autre passaient sur elle.

Bien loin vers le nord, de tremblants rayons de lumière papillotaient au ciel, allaient et venaient comme de longs doigts fiévreux.

C'était une aurore boréale, un spectacle qui se voit rarement dans les comtés du Sud.

Il n'est donc guère étonnant qu'en un moment pareil les fanatiques le fissent remarquer en l'interprétant comme un signe venu de l'autre monde, en le comparant à la colonne de feu qui guidait Israël à travers les périls du désert. Les trottoirs et les fenêtres étaient encombrés de femmes et d'enfants qui jetaient des exclamations aiguës de crainte ou d'étonnement, selon que l'étrange lueur croissait ou s'effaçait.

– C'est pour dix heures et demie sonnant à l'horloge de Saint-Marc, dit Saxon, pendant que nous rejoignions à cheval le régiment. N'avons-nous rien à donner aux hommes?

– Il y a un tonneau de cidre de Zoyland dans la cour de cette hôtellerie, dit Sir Gervas. Ohé! Dawson. Prenez-moi ces agrafes de manche en or et donnez-les en échange à monsieur l'hôtelier. Je veux être pendu, s'ils vont au combat avec de l'eau claire dans le corps.

– Ils en sentiront le besoin avant que le matin se lève, dit Saxon, pendant qu'une vingtaine de piquiers couraient à l'hôtellerie. L'air des marais a pour effet de glacer le sang.

– J'ai déjà froid, et Covenant bat des pieds pour la même raison, dis-je. Ne pourrions-nous pas, si nous en avons le temps promener nos chevaux au trot le long des lignes?

– Certainement, répondit Saxon avec joie, nous ne pouvons rien faire de mieux.

Aussi donc, agitant les rênes, nous partîmes, les fers des chevaux tirant des étincelles des pavés en silex, sur notre route.

Derrière la cavalerie, et formant une longue ligne, qui s'étendait de la porte d'Eastover, en passant par la Grande Rue, jusqu'au Cornill, puis longeait l'église et finissait à la Croix du Porc, notre infanterie était rangée, silencieuse et farouche, excepté quand une voix de femme partant d'une fenêtre, était suivie d'une grave et courte réponse dans les rangs.

 

La lumière capricieuse se reflétait sur les lames des faux ou les canons des fusils et montrait les lignes de figures taillées à la hache, contractées.

Les unes étaient celles de vrais enfants sans un poil aux joues; les autres, celles de vieillards dont les barbes grises descendaient jusqu'à leurs buffleteries entrecroisées, mais toutes portaient l'empreinte du courage obstiné, de la résolution farouche qui se concentre sur elle-même.

Il y avait encore ici des pêcheurs du Sud, les rudes hommes venus des Mendips, les sauvages chasseurs de Porlok Quay et de Minehead, les braconniers d'Exmoor, les habitants velus des marais d'Axbridge, les montagnards des Quantocks, les ouvriers en laine et en serge du Comté de Devon, les marchands de bestiaux de Bampton, les habits rouges de la milice, les solides bourgeois de Taunton, puis ceux qui en formaient l'élite, la véritable force, les braves paysans des plaines, en blouses.

Ils avaient relevé les manches de leurs jaquettes, et montraient leurs bras brunis et musculeux, ainsi que c'était leur habitude, quand il y avait de bonne besogne à faire.

Pendant que je vous parle, chers enfants, cinquante ans s'effacent comme un brouillard matinal, et je me revois chevauchant par la rue tortueuse, je revois les rangs compacts de mes braves compagnons.

Braves cœurs! Ils montrèrent à tous les temps combien il faut peu d'entraînement pour faire de l'Anglais un soldat, et quelle race d'hommes se forme dans ces tranquilles, ces paisibles hameaux qui sont parsemés sur les pentes ensoleillées des dunes dans les Comtés de Somerset et de Devon.

Si jamais l'Angleterre tombait à genoux sous un coup, si ceux qui se battent pour elle l'abandonnaient et qu'elle se vît désarmée en face de son ennemi, qu'elle reprenne cœur, qu'elle se rappelle que tout village du royaume est une caserne, que sa véritable armée permanente consiste dans le courage, l'endurance et la vertu simple toujours présents dans le cœur du plus humble des paysans.

Pendant que nous passions à cheval devant la longue ligne, un lourd murmure de salutations et de bienvenue montait par intervalles des rangs, quand ils voyaient passer la sombre silhouette de Saxon, avec sa grande taille et sa maigreur.

L'horloge commençait à sonner onze heures lorsque nous revînmes près de nos hommes.

À ce moment même, le Roi Monmouth sortit de l'hôtellerie, qui lui servait de quartier général, et descendit au trot la Grande Rue, suivi de son état-major.

Les acclamations avaient été interdites, mais les bonnets qu'on y agitait, les armes qu'on brandissait, témoignaient de l'ardeur de ses dévoués partisans.

Le clairon ne devait pas commander la marche, mais à mesure que chacun recevait l'ordre, celui qui le suivait faisait la même manœuvre.

Le vacarme et le bruit sourd de centaines de pieds en mouvement se faisaient entendre de plus en plus près, jusqu'au moment où les gens de Frome, qui nous précédaient, se mirent en route, et nous commençâmes enfin le voyage qui devait être le dernier de ce monde pour beaucoup d'entre nous.

Nous devions traverser la Parrot, passer par Eastover et suivre ensuite le chemin tortueux jusqu'au delà du point où Derrick avait trouvé la mort et du cottage isolé où nous avions vu la fillette.

À partir de là, la route devient un simple sentier tracé à travers la plaine.

Une brume dense s'étendait sur la lande, s'épaississait encore dans les creux et cachait à la fois la ville, que nous avions quittée, et les villages vers lesquels nous marchions.

De temps à autre, elle se dissipait un instant, et alors je voyais sans peine, grâce au clair de lune, la longue ligne noire et serpentine de l'armée, piquée des éclairs que renvoyait l'acier et les grossiers étendards blancs qu'agitait la brise de la nuit.

Bien loin vers la droite montait une grande flamme.

Sans doute c'était une ferme devenue la proie des diables de Tanger.

Nous avancions avec une grande lenteur, avec de grandes précautions, car, ainsi que nous l'avait appris Sir Stephen Timevell, la plaine était sillonnée de tranchées profondes, les rhines, que nous ne pouvions franchir qu'en certains endroits.

Ces fossés avaient été creusés dans le but de drainer des terres marécageuses.

Ils étaient remplis d'eau et de vase à la profondeur de plusieurs pieds, en sorte que la cavalerie elle-même ne pouvait les traverser. Les ponts étaient étroits, et il fallut assez longtemps à l'armée pour y défiler.

Enfin, les deux derniers, et les principaux, le Fossé Noir et le Rhin de Langmoor, furent franchis sans accident.

On commanda une halte pour mettre l'infanterie en ligne, car nous avions lieu de croire qu'il ne se trouvait pas d'autres troupes entre le camp royal et nous.

Jusqu'à ce moment, notre entreprise avait admirablement réussi.

Nous étions arrivés à un demi-mille du camp sans qu'il y eût eu de méprise ou d'accident.

Les éclaireurs de l'ennemi n'avaient pas donné le moindre signe de leur présence.

Évidemment il éprouvait à notre égard tant de dédain, qu'il ne lui était pas même venu à l'esprit que nous pourrions commencer l'attaque.

Si jamais un général mérita d'être défait, ce fut Feversham, cette nuit-là!

Comme nous avancions sur la lande, l'horloge de Chedzoy sonna une heure.

– N'est-ce pas magnifique? dit à demi-voix Sir Gervas, quand nous repartîmes sur l'autre bord du Rhin de Langmoor. Est-il rien au monde qui se puisse comparer à l'émotion présente.

– Vous parlez comme s'il s'agissait d'un combat de coq ou d'une course de taureau, répondis-je avec quelque froideur. C'est un moment solennel et triste, quel que soit le vainqueur, c'est du sang anglais qui va détremper le sol de l'Angleterre.

– Il n'y en aura que plus de place pour ceux qui resteront, dit-il d'un ton léger. Regardez-moi, par là-bas, ces feux de leur bivouac, qui brillent à travers le brouillard. Quelle était donc la recommandation que vous faisait votre ami le marin? Prenez bien leur côté sous le vent, puis… à l'abordage! Hé, en avez-vous parlé au colonel?

– Ah! non, ce n'est pas le moment de faire des plaisanteries, des jeux de mots, répondis-je d'un ton grave. Il y a des chances pour que bien peu d'entre nous voient le soleil se lever demain.

– Je ne suis pas très curieux de le voir, fit-il en riant. Il sera quelque chose de fort semblable à celui d'hier. Par ma foi! bien que je ne me sois jamais levé pour en voir un en ma vie, il m'est arrivé d'en voir des centaines avant de me mettre au lit.

– J'ai dit à l'ami Ruben les quelques choses que je désire dans le cas où je succomberais, dis-je. J'ai éprouvé un grand soulagement d'esprit, en songeant que je laisse derrière moi quelques mots d'adieu, et un petit souvenir à tous ceux que j'ai connus. Puis-je vous offrir un service de ce genre?

– Hum! fit-il d'un air distrait, si je suis sous terre, vous pouvez en avertir Araminte… Non! laissons tranquille cette pauvre donzelle. Pourquoi lui envoyer des nouvelles qui l'ennuieraient?.. Si par hasard vous allez à la Ville, le petit Tommy Chichester serait content d'apprendre les farces que nous avons faites dans le Somerset. Vous le trouverez «au Cocotier» tous les jours de la semaine de deux à quatre heures sonnant. Il y a aussi la mère Butterworth, que je recommanderais à votre attention. Elle fut la reine des nourrices, mais hélas, la cruauté du temps a tari la source de son métier, et elle a besoin qu'on s'occupe un peu de la nourrir elle-même.

– Si je vis et que vous mourriez, je ferai tout ce qui sera possible pour elle, répondis-je. Avez-vous autre chose à me dire?

– Seulement que Hacker, de la Cour Saint-Paul, n'a pas son pareil pour les vestes, répondit-il. C'est un renseignement de peu de valeur, mais il a été acheté et payé, comme tout ce qu'on apprend. Encore une chose. Il me reste un ou deux bijoux qui pourraient servir à faire un présent à la jolie Puritaine, si notre ami la conduisait à l'autel. Ah sur ma vie, elle lui fera lire de singuliers livres. Où en sommes-nous maintenant, colonel? Pourquoi restons-nous là plantés sur la lande, comme une rangée de hérons parmi les roseaux?

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