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Micah Clarke – Tome III. La Bataille de Sedgemoor

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IV – L'escrimeur à la jaquette brune

Le sergent, qui était un grand gaillard osseux des campagnes de l'ouest, poussa la grille, et nous suivions le sentier tortueux, quand un flot de lumière jaune jaillit par une porte ouverte tout à coup.

Nous vîmes alors une silhouette noire et trapue qui s'élança par là à l'intérieur.

Au même moment s'entendit un bruit assourdissant, confus, suivi de deux détonations de pistolet, et d'un vacarme de cris, d'haleines entrecoupées, d'un froissement d'épées, d'un orage de jurons.

Ce tapage subit nous fit hâter le pas vers la maison.

Nous jetâmes un coup d'œil par la porte ouverte et nous vîmes une scène, telle que je ne l'oublierai jamais, tant que ma vieille mémoire sera capable d'évoquer un tableau du passé.

La chambre était vaste et haute.

Aux solives brunies par la fumée étaient suspendues, comme c'est la coutume dans le comté de Somerset, de longues rangées de jambons et de viandes salées.

Une haute et noire horloge faisait tic-tac dans un angle.

Une table grossière, chargée de plats et d'assiettes comme pour un repas, occupait le milieu.

Juste en face de la porte brûlait un grand feu de fagots, et devant ce feu, chose horrible à voir, un homme était suspendu, la tête en bas, par une corde qui entourait ses chevilles, et qui, après avoir été passée dans un crochet d'une des solives du plafond, était maintenue par un anneau du plancher.

Ce malheureux, en se débattant, avait imprimé à la corde un mouvement de rotation, en sorte qu'il tournait devant le brasier comme un quartier de viande mise à rôtir.

En travers du seuil gisait une femme, celle dont les cris nous avaient attirés, mais sa figure rigide et son corps contracté montraient que notre aide était venu trop tard pour la soustraire au traitement qu'elle voyait prêt à fondre sur elle.

Tout près d'elle, gisaient l'un sur l'autre deux dragons au teint basané, vêtus de l'uniforme d'un rouge criard que portait l'armée royale, et jusque dans la mort, ils avaient gardé l'air sombre et plein de menace.

Au centre de la pièce deux autres dragons s'escrimaient d'estoc et de taille, avec leurs sabres contre un homme gros, court, aux larges épaules, vêtu d'une étoffe à côtes d'un tissu grossier, de couleur brune.

Il bondissait parmi les chaises, autour de la table tenant en main une longue rapière à coquille pleine, parant ou esquivant les coups avec une adresse merveilleuse, et de temps à autre mettant un coup de pointe au bon endroit.

Quoique serré de fort près, sa figure contractée, sa bouche ferme, l'éclat de ses yeux bien ouverts révélaient un caractère hardi.

En même temps, le sang qui coulait de la manche d'un de ses adversaires prouvait que la lutte n'était pas aussi inégale qu'elle le paraissait.

Au moment même où nous regardions, il fit un bond en arrière pour éviter une attaque à fond des soldats furieux, et d'un coup sec, rapide, lancé obliquement, il trancha la corde par laquelle la victime était suspendue.

Le corps tomba avec un bruit lourd, sur le sol de briques, pendant que le petit escrimeur ne tardait pas à recommencer sa danse dans un autre endroit de la chambre, sans cesser de parer ou d'esquiver, avec autant d'aisance et d'adresse, la grêle de coups qui tombaient sur lui.

Cette étrange scène nous tint quelques secondes dans une sorte d'immobilité magique, mais ce n'était pas le moment de s'attarder.

Une glissade, un faux pas, et le vaillant inconnu succombait fatalement.

Nous nous élançâmes dans la chambre, sabre en main, et fondîmes sur les dragons.

Devenus alors inférieurs en nombre, ils s'adossèrent dans un coin et frappèrent avec fureur.

Ils savaient qu'ils n'avaient pas de quartier à attendre après la besogne diabolique qu'ils avaient commencée.

Holloway, notre sergent de cavalerie, se portant furieusement en avant, s'exposa à un coup de pointe qui l'étendit mort sur le sol.

Avant que le dragon ait eut le temps de ramener son arme, Sir Gervas l'abattit.

En même temps l'inconnu passa sous la garde de son antagoniste et le blessa mortellement à la gorge.

Pas un des quatre habits rouges ne s'échappa vivant, mais les corps de notre pauvre sergent et des vieux époux qui avaient été les premières victimes ajoutaient à l'horreur de la scène.

– Le pauvre Holloway est mort, dis-je en posant la main sur son cœur. Vit-on jamais pareille boucherie? Je me sens écœuré, malade.

– Voici de l'eau de vie, si je ne me trompe, cria l'inconnu en montant sur une chaise et prenant une bouteille sur une étagère. Et même elle est bonne, à en juger par le bouquet. Prenez une gorgée, vous êtes aussi blanc qu'un drap qu'on vient de laver.

– La guerre loyale, je puis m'y faire, mais des scènes comme celle-ci me glacent le sang, répondis-je en avalant une lampée du flacon.

J'étais alors un fort jeune soldat, mes chers enfants, mais j'avoue que jusqu'à la fin de mes campagnes, toutes les formes de la cruauté ont produit le même effet sur moi.

Je vous en donne ma parole, quand j'allai à Londres, l'automne dernier, la vue d'un cheval qui tire une charrette, succombant sous l'effort, dont les os sont à nu, et qu'on cingle pour n'avoir pas fait ce qu'il était hors d'état de faire, m'a plus profondément écœuré que le champ de bataille de Sedgemoor, ou la journée plus importante encore de Landen, ou dix mille jeunes gens, la fleur de la France, gisaient devant les retranchements.

– La femme est morte, Sir Gervas, et le mari n'en reviendra pas, je le crains. Il n'est pas brûlé, mais, autant que je puis en juger, le pauvre diable mourra des suites de l'afflux du sang à la tête.

– Si ce n'est que cela, remarqua l'étranger, on peut le guérir.

Et tirant de sa poche un petit couteau, il releva une des manches du vieillard et ouvrit une veine.

D'abord quelques gouttes de sang parurent avec lenteur par l'ouverture, mais peu à peu le sang coula plus librement, et le malade manifesta des indices du retour de la sensibilité.

– Il vivra, dit le petit escrimeur en remettant sa lancette dans sa poche, et maintenant qui donc êtes-vous, vous à qui je dois cette intervention qui a hâté le dénouement, sans y changer grand chose peut-être, dans le cas où vous nous auriez laissés nous arranger entre nous?

– Nous faisons partie de l'armée de Monmouth, répondis-je. Il fait halte à Bridgewater et nous battons le pays à la recherche de vivres.

– Et vous, qui êtes-vous? demanda Sir Gervas, et comment vous êtes-vous mêlé à cette échauffourée? Par ma foi, vous êtes un fameux petit coq pour avoir livré bataille à quatre coqs de cette taille.

– Je me nomme Hector Marot, dit l'homme, en nettoyant ses pistolets et les rechargeant avec grand soin. Quant à ce que je suis, cela importe peu. Je me bornerai à dire que j'ai contribué à diminuer de quatre coquins la cavalerie de Kirke. Jetez un coup d'œil sur ces figures. La mort ne leur a point fait perdre la couleur brune qu'elles doivent à un ardent soleil. Ces hommes-là ont appris la guerre en combattant contre les païens d'Afrique, et maintenant ils mettent en pratique sur de pauvres Anglais inoffensifs les tours diaboliques qu'ils ont connus parmi les sauvages. Que le Seigneur ait pitié des partisans de Monmouth en cas de défaite. Cette racaille est plus à craindre que la corde du gibet ou la hache du bourreau.

– Mais comment vous êtes-vous trouvé là juste à l'instant opportun? demandai-je.

– Ah! voilà! Je me promenais sur ma jument, le long de la route, quand j'entendis derrière moi des pas de chevaux. Je me cachai dans un champ, ainsi que tout homme prudent l'aurait fait, vu l'état où se trouve le pays en ce moment, et je vis ces quatre gredins passer au galop.

Ils se dirigèrent vers cette ferme, et bientôt des clameurs et d'autres indices me révélèrent la besogne infernale à laquelle ils se livraient.

Aussitôt je laissai ma jument dans le champ, et je me hâtai d'accourir.

Je vis par la fenêtre qu'ils pendaient le vieux devant son feu pour lui faire avouer où il tenait son argent caché, et pourtant, à mon avis, ni lui ni les autres fermiers du pays ne doivent avoir encore de l'argent à cacher, après que deux armées ont été campées chez eux l'une après l'autre.

Voyant qu'il persistait à se taire, ils l'ont hissé en l'air, et certainement ils l'auraient fait griller comme une bécasse, si je n'étais pas survenu et n'avais pas descendu deux d'entre eux avec mes aboyeurs.

Les autres se sont jetés sur moi, mais j'en ai piqué un à l'avant-bras, et sans doute je leur aurais bien réglé leur compte à tous deux si vous n'étiez pas arrivés.

– Voilà qui a été gaillardement mené, m'écriai-je. Mais où donc ai-je déjà entendu prononcer votre nom, M. Hector Marot?

– Ah! répondit-il en jetant vivement un regard oblique, c'est ce que je ne saurais dire.

– Il m'est familier, dis-je.

Il secoua ses larges épaules et se remit à examiner l'amorce de ses pistolets, avec une expression où il y avait à la foi du défi et de l'embarras.

C'était un homme fort trapu, à la poitrine saillante, avec une figure farouche, une mâchoire carrée.

Une cicatrice blanche qui ressemblait à la trace d'une entaille faite avec un couteau traversait son front.

Il était coiffé d'un bonnet de cavalier, galonné d'or, et portait une jaquette de drap brun foncé, très salie par les intempéries, une paire de bottes montantes tachées de rouille, et une petite perruque ronde.

Sir Gervas qui, depuis un instant, considérait notre homme avec attention, eut un tressaillement soudain, et se donna une tape sur la cuisse:

– C'est tout naturel! s'écria-t-il. Qu'on me noie, si je pouvais me rappeler où j'avais vu votre figure, mais maintenant elle me revient fort clairement.

 

L'homme nous jeta tour à tour un regard sournois, tout en baissant la tête.

– Il parait que je suis tombé parmi des connaissances, dit-il d'un ton farouche, et cependant je n'ai aucun souvenir de vous. M'est avis, mes jeunes messieurs, que votre mémoire vous trompe.

– Pas le moins du monde, répondit tranquillement le baronnet.

Puis, se penchant en avant, il dit à l'oreille de l'homme quelques mots qui eurent pour effet de le faire bondir et avancer de deux grands pas, comme pour s'esquiver de la maison.

– Non, non, s'écria Sir Gervas, en s'élançant entre lui et la porte, vous ne nous échapperez pas. Allons, mon garçon, ne portez pas la main à votre épée. Assez de sang versé pour une nuit. D'ailleurs nous ne voulons pas vous faire du mal.

– Que comptez-vous donc faire alors? Où voulez-vous en venir? demanda-t-il de l'air d'une bête féroce prise au piège.

– Je suis plein de bienveillance à votre égard, mon ami, après ce qui s'est passé cette nuit. Que m'importe que vous fassiez ceci ou cela pour vivre, du moment où vous avez un vrai cœur d'homme? Que je périsse s'il m'est jamais arrivé d'oublier une figure que j'ai vue une seule fois, et votre bonne mine, surtout avec la marque professionnelle qu'elle porte, n'est guère de celles qui échappent à l'attention.

– Supposons que ce soit bien moi… Et après? demanda l'homme d'un ton rébarbatif.

– Il n'y a pas de «supposons», je l'affirmerais sous serment. Mais je ne le ferais pas, mon garçon. Non, lors même que je vous prendrais sur le fait. Il faut que vous le sachiez, Clarke, puisqu'il n'y a personne pour surprendre nos paroles, jadis j'étais juge de paix dans le Surrey, et notre ami ici présent fut amené devant moi, sous l'imputation de se promener à cheval un peu tard pendant la nuit et de tenir aux passants un langage un peu trop bref. Vous me comprenez. Il fut déféré aux assises, mais auparavant il s'évada, et cela lui sauva le cou. J'en suis tout à fait enchanté, et vous conviendrez avec moi qu'un aussi galant homme n'est pas fait pour danser au bout d'une corde à Tyburn.

– Et maintenant je me rappelle bien où j'ai entendu votre nom, dis-je. N'étiez-vous pas détenu dans la prison du Duc de Beaufort à Badminton et n'avez-vous pas réussi à vous évader de la vieille tour des Botelers?

– Eh bien non, gentilshommes, répondit-il en s'asseyant sur la table et balançant sans façons ses jambes, puisque vous en savez aussi long, ce serait sottise de ma part que de vouloir vous tromper. Je suis, en effet, ce même Hector Marot, dont le nom répand la terreur sur la grande route de l'Ouest et qui a vu plus qu'aucun homme du Sud l'intérieur des prisons.

Toutefois je puis vous le dire avec franchise, bien que je fasse les grandes routes depuis dix ans, jamais je n'ai pris un denier à de pauvres gens, ni fait du mal à quiconque ne cherchait point à m'en faire. Au contraire, j'ai souvent risqué ma vie et mes membres pour tirer les gens de danger.

– Nous sommes en mesure de vous rendre témoignage de cela, répondis-je, car si ces quatre habits rouges ont expié leurs crimes, comme ils le méritaient, c'est grâce à vous plutôt qu'à nous.

– Non, je n'ai pas grand mérite à revendiquer pour cela, répondit notre nouvelle connaissance. La vérité, c'est que j'avais d'autres comptes à régler avec la cavalerie du colonel Kirke et que j'ai été charmé de cette occasion de me frotter à eux.

Pendant que nous causions, les hommes, que nous avions laissés avec les chevaux, vinrent accompagnés de plusieurs fermiers et métayers des environs.

Ils furent épouvantés à la vue du carnage, et fort inquiets de la vengeance que pourraient en tirer le lendemain les troupes royales.

– Au nom du Christ, monsieur, s'écria l'un d'eux, un vieux paysan à figure rougeaude, portons les cadavres de ces soldats sur la route, pour qu'ils aient l'air d'avoir péri dans une rencontre fortuite avec vos hommes. Si l'on venait à savoir qu'ils ont été tués dans une ferme, il ne resterait pas un toit de chaume en place dans tout le pays, car même maintenant on ne saurait croire combien nous avons de mal à empêcher ces diables de Tanger de nous couper la gorge.

– Sa demande est raisonnable, dit l'homme des grands chemins d'un ton de franchise bourrue. Nous n'avons aucunement le droit de faire nos farces et de faire payer l'écot aux autres.

– Eh bien, écoutez, dit Sir Gervas, s'adressant au groupe de paysans effrayés, je vais faire marché avec vous au sujet de l'affaire. Nous sommes venus pour chercher des vivres et on n'admettra guère que nous rentrions les mains vides.

Si vous consentez, entre vous tous, à nous fournir un char, à le remplir de pain, ainsi que de légumes, avec une douzaine de jeunes bœufs par-dessus le marché, non seulement nous vous délivrerons du souci de cette affaire, mais encore je vous promets que vous serez payés au prix ordinaire du marché, si vous venez chercher votre argent au camp protestant.

– Je peux donner les bœufs, dit le vieillard que nous avions secouru et qui était assez bien remis pour pouvoir rester assis. Maintenant que ma pauvre compagne a été cruellement assassinée, peu m'importe ce qui adviendra du bétail.

Je la ferai enterrer dans le cimetière de Durston.

Ensuite je vous suivrai au camp et je mourrai content si je peux seulement purger la terre d'un de ces diables incarnés.

– Bien dit, grand-papa! s'écria Hector Marot. Je suis d'avis que cette vieille canardière que je vois accrochée là-bas, quand elle aura une bonne charge de plomb et qu'elle sera aux mains d'un homme hardi, pourra abattre un de ces beaux oiseaux, avec leur brillant plumage.

– Elle a été une compagne fidèle pour moi, dit le vieillard, dont les joues ridées étaient mouillées de larmes. Pendant trente semailles et trente moissons, nous avons travaillé ensemble. Mais voici des semailles qui produiront une moisson de sang si ma main droite est assez ferme.

– Si vous partez à la guerre, grand-père Swain, nous aurons soin de votre domaine, dit le fermier qui avait parlé le premier. Quant aux légumes que ce gentleman demande, il n'en aura pas une charretée, mais trois, pourvu qu'il nous laisse une demi-heure pour les charger.

S'il ne les prend pas, d'autres les prendront, et nous préférons que tout cela aille à la bonne cause.

Par ici, Miles, réveillez les valets de ferme et veillez à ce qu'ils se hâtent de charger sur les voitures la provision de pommes de terre, puis les épinards, et aussi la viande séchée.

– Alors nous n'avons qu'à faire notre part du contrat, dit Hector Marot.

Avec l'aide de nos hommes, nous traînâmes du dehors les cadavres des quatre dragons et de notre sergent et les étendîmes en travers du chemin à quelque distance de là.

Nous promenâmes les chevaux autour des corps et entre eux de façon à pétrir le sol, et à faire croire à une escarmouche de cavalerie.

Pendant cette besogne, d'autres valets de ferme avaient lavé le sol de briques de la cuisine et fait disparaître toutes traces du tragique événement.

La femme assassinée avait été montée dans sa chambre, en sorte qu'il ne restait plus rien pour rappeler ce qui s'était passé, si ce n'est le malheureux fermier.

Il était assis au même endroit, l'air désolé, le menton appuyé sur ses mains noueuses, déformées par le travail, les yeux mornes et vides, regardant devant lui, sans rien voir de ce qui se faisait autour de lui.

Le chargement des chars fut prestement opéré et le petit troupeau de bœufs fut bientôt amené d'un champ voisin.

Nous allions nous remettre en route quand un jeune paysan à cheval arriva nous annonçant qu'un escadron de la cavalerie royale se trouvait entre le camp et nous.

C'était-là une grave nouvelle, car nous étions sept en tout, et nous ne pouvions marcher qu'avec lenteur, tant que nous serions encombrés des provisions.

– Que faire pour Hooker? suggérai-je. Ne ferions-nous pas bien de le rejoindre et de le prévenir?

– Je pars tout de suite, dit le paysan. Je suis certain de le rencontrer s'il est sur la route d'Athelney.

Et sur ces mots, il éperonna son cheval et disparut au galop dans la nuit.

– Puisque nous avons de pareils éclaireurs de bonne volonté dans le pays, fis-je remarquer, il est aisé de savoir pour quel parti penchent les campagnards. Hooker a encore avec lui plus de deux demi-escadrons. Il pourra donc se défendre. Mais nous? Comment ferons-nous pour revenir?

– Eh bien, pardieu, Clarke, improvisons une forteresse, suggéra Sir Gervas. Nous pourrions tenir dans cette ferme jusqu'au retour d'Hooker et alors réunir nos forces aux siennes. Et maintenant notre redoutable colonel ne serait-il pas glorieux de cette chance de combiner des feux croisés, des feux de flanc et toutes les autres finesses que comporte un siège bien conduit.

– Certes, répondis-je, après avoir quitté le Major Hooker d'une façon aussi cavalière, il serait humiliant d'avoir à lui demander des secours, maintenant qu'il y a du danger.

– Ho! Ho! s'écria le baronnet, il ne faut pas jeter la sonde bien profondément pour trouver le fond de votre philosophie stoïcienne, cher Micah! Avec tout votre sang-froid, toute votre impassibilité, vous êtes assez chatouilleux quand il s'agit d'amour propre ou d'honneur. Irons-nous en avant, en courrons-nous la chance? Je gage une couronne contre une autre que nous ne verrons pas même l'ombre d'un habit rouge.

– Si vous agréez mon avis, gentilshommes, dit le détrousseur de grands chemins, arrivant au trot sur une belle jument bai, je crois que le meilleur parti pour vous serait de me prendre pour guide jusqu'à votre camp. Ce serait bien étrange, si je ne trouvais pas un trajet qui puisse faire perdre la piste à ces lourdauds de soldats.

– Voilà une proposition des plus sages, des plus raisonnables, s'écria le baronnet. Maître Marot, une prise de ma tabatière… C'est toujours un gage d'amitié qu'offre son possesseur. Par ma foi, l'ami, bien que nos relations se bornent jusqu'à présent à avoir failli vous pendre en une certaine circonstance, je n'en ai pas moins beaucoup de sympathie pour vous, tout en souhaitant que vous exerciez une profession plus présentable!

– Il en est ainsi de plus d'un qui fait des chevauchées nocturnes, répondit Marot, riant en dedans, mais nous ferons bien de partir, car l'orient s'éclaire déjà et il fera jour avant que nous arrivions à Bridgewater.

Laissant derrière nous la ferme malencontreuse, nous nous mimes en route avec toutes les précautions militaires, Marot marchant avec moi à quelque distance en avant, deux des soldats formant l'arrière-garde.

Il faisait encore très sombre, bien qu'une mince ligne grise à l'horizon annonçât l'approche de l'aube.

Mais, malgré l'obscurité, notre nouvel ami nous guida sans s'arrêter, sans hésiter un instant à travers un dédale de ruelles, de sentiers, traversant des champs, des bourbiers où parfois les charrettes s'enfonçaient jusqu'aux essieux, d'autres où elles grinçaient et cahotaient sur le roc ou les pierres.

Nous fîmes tant de détours, nous changeâmes si souvent de direction dans notre marche, que je craignis plus d'une fois que notre guide ne se trompât, lorsqu'enfin les premiers rayons du soleil éclairant le paysage nous montrèrent le clocher de l'église paroissiale de Bridgewater.

– Pardieu, l'ami, vous devez avoir quelque chose de la nature du chat, pour retrouver ainsi votre chemin dans les ténèbres, s'écria Sir Gervas, en accourant vers nous. Je suis fort content de revoir la ville, car mes pauvres charrettes ne font que geindre et grincer, au point que je suis las d'avoir l'oreille tendue à la rupture d'un timon. Maître Marot, nous vous sommes fort obligés.

– Est-ce votre district particulier? demandai-je, ou bien connaissez-vous avec la même exactitude toutes les régions du sud?

– Mon terrain, dit-il en allumant sa courte pipe noire, il va du Kent aux Cornouailles, mais jamais au Nord de la Tamise ou du Canal de Bristol. Dans ce district-là, il n'est pas une route qui ne me soit familière, pas une brèche dans une haie que je ne puisse retrouver au milieu de la nuit la plus noire.

C'est mon métier.

Mais les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient.

Si j'avais un fils, je ne l'élèverais pas pour prendre ma suite.

Notre métier a été gâté par les gardiens armés qu'on met sur les coches et par ces maudits orfèvres qui ont ouvert leurs banques. Ils gardent les espèces dans leurs coffres-forts et vous remettent en échange des bouts de papier qui n'ont pas plus de valeur entre nos mains qu'un vieux journal.

Je vous en donne ma parole, il y a eu huit jours vendredi dernier, j'ai arrêté un marchand de bestiaux qui revenait de la foire de Blandford et je lui ai pris sept cents guinées en ces chèques de papier, comme on les appelle.

 

Si cela avait été de l'or, j'en aurais eu assez pour faire bombance pendant trois mois.

Vraiment le pays est dans une jolie passe, quand on tolère que des chiffons pareils prennent la place de la monnaie du Roi!

– Pourquoi vous obstiner dans une telle profession? demandai-je. Vous savez assez par vous-même qu'elle ne peut vous conduire qu'à votre perte, à la potence. Avez-vous jamais connu un homme qu'elle ait amené à la prospérité?

– Ah! pour cela, oui, j'en ai connu un. C'était Jones de Kingston. Il a fait Hounslow pendant bien des années. Il a pris dix mille jaunets d'une seule rafle, et en homme avisé, il a juré de ne jamais plus risquer son cou.

Il s'est rendu dans le Comté de Chester, en faisant courir je ne sais quelle histoire, se donnant comme arrivé des Indes. Il a acheté un domaine, et le voilà maintenant devenu un gentleman campagnard fort à l'aise, et juge de paix par-dessus le marché!

Pardieu, mon homme! Le voir sur son banc condamnant un pauvre diable qui aura volé une douzaine d'œufs, c'est une comédie aussi bonne qu'au théâtre.

– Soit, mais vous êtes un homme, insistai-je, un homme qui, d'après ce que nous avons vu de votre courage et de votre adresse à manier vos armes, recevrait un avancement rapide dans n'importe quelle armée. Il serait certainement bien meilleur d'employer vos qualités à conquérir de l'honneur et du crédit que d'en faire le marchepied de l'infamie et du gibet.

– Quant au gibet, je m'en soucie autant que d'un shilling rogné, riposta le brigand en lançant dans l'air du matin de grosses bouffées de fumée bleue. Nous devons tous payer notre dette à la nature, et que je le fasse mes bottes aux pieds ou dans un lit de plume, dans un an ou dans dix, cela n'a pas plus d'importance que pour le premier soldat venu parmi vous. Pour ma part, je ne vois rien de honteux à prélever un tribut sur la fortune des riches, puisque pour le faire je risque carrément ma peau.

– Il y a le juste et il y a l'injuste, répondis-je, et ce n'est pas avec des mots qu'on s'en défait. C'est un jeu qui ne rapporte guère que de tricher avec le juste et l'injuste.

– En outre, quand même vous auriez dit vrai en ce qui concerne la propriété, fit remarquer Sir Gervas, cela ne vous justifierait pas du peu de cas qu'on fait, dans votre métier de la vie humaine.

– Pardon, ce n'est pas autre chose qu'une chasse, avec cette différence que parfois le gibier se retourne contre vous et devient le chasseur. C'est, comme vous le dites, un jeu dangereux, mais la partie se joue à deux, et les deux joueurs ont la même chance.

Pas moyen d'employer des dés pipés, de truquer les pièces!

Tenez, il y a quelques jours, comme je me promenais à cheval sur la grande route, je vis trois gros réjouis de fermiers qui traversaient les champs au galop, précédés d'une meute de chiens en laisse, aboyant avec entrain, tout ce monde à la poursuite d'un levraut inoffensif.

C'était dans un pays stérile et mal peuplé, sur la lisière d'Exmoor. Je me dis en conséquence que je ne pouvais mieux employer mon temps qu'à faire la chasse aux chasseurs.

Par la mort dieu! Pour une chasse, ce fut une chasse!

Mes gens partent en criant comme des enragés, les pans de leurs habits battant au vent, hurlant après les chiens et se donnant un sport matinal comme il y en a guère.

Ils ne remarquèrent pas un seul instant qu'un cavalier les suivait sans faire d'embarras, et sans faire des: Tayaut! ni des: Arrête! et prenait autant de plaisir à la chasse que le plus braillard d'entre eux.

Il ne manquait plus qu'une escorte de gardes ruraux à mes talons pour compléter ce beau chapelet que nous formions, comme à une partie d'attrape-qui-pourra, jouée par des gamins sur la pelouse du village.

– Et qu'en advint-il? demandai-je, car notre nouvel ami riait tout seul.

– Et bien, mes trois, gaillards forcèrent leur lièvre et tirèrent leurs flacons, en gens qui ont bien travaillé. Ils étaient encore à piétiner le levraut forcé. Ils riaient. L'un d'eux avait mis pied à terre pour lui couper les oreilles comme trophée de chasse, quand j'arrivai au petit galop.

– Bonjour, messieurs, dis-je, nous nous sommes bien amusés?

Ils me regardèrent avec effarement, je vous en réponds, et l'un d'eux me demanda que diable avais-je et comment je prenais la liberté de me mêler à un divertissement privé.

– Non, dis-je, ce n'était pas votre lièvre que je chassais.

– Quoi donc alors, monsieur l'inconnu?

– Eh bien, par la Vierge, c'était vous, répondis-je, et voilà bien des années que je n'ai mené une aussi belle chasse à courre.

Sur ces mots, je chargeai mes instruments de persuasion, et je m'expliquai en peu de mots fort clairement, et je vous réponds que vous auriez ri de voir leurs figures pendant qu'ils tiraient de leurs poches leurs bourses de cuir bien pansues.

Mon butin de ce matin-là se monta à soixante-dix livres, ce qui valait mieux que des oreilles de lièvre comme prix d'une promenade à cheval.

– Est-ce qu'ils n'ont pas lancé tout le pays à votre poursuite? demandai-je.

– Oh! mais quand Alice la Brune a la bride sur le cou, elle va plus vite que les nouvelles. Les rumeurs mettent peu de temps à se répandre, mais les foulées de la bonne jument sont plus rapides encore.

– Et nous voici en dedans de nos avant-postes, dit Sir Gervas. Maintenant, notre honnête ami, car vous l'avez été honnête, avec nous, quoi que d'autres puissent dire de vous, ne consentiriez-vous pas à vous joindre à nous, et à vous engager au service de la bonne cause? Par ma foi, l'ami, vous avez bien des méfaits à expier, je le parie. Pourquoi ne mettriez-vous pas une bonne action dans la balance, en risquant votre vie pour la religion réformée?

– Moi! non! répondit le bandit, en arrêtant son cheval. Ma peau n'est rien, mais pourquoi risquerais-je ma jument dans une aussi folle équipée? Si elle attrapait quelques mauvais coups dans l'affaire, où trouverais-je son égale? Et d'ailleurs il ne lui importe aucunement que ce soit un Papiste ou un Protestant qui occupe le trône d'Angleterre… n'est-ce pas, ma belle?

– Mais vous auriez des chances d'avoir de l'avancement, dis-je. Notre colonel Décimus Saxon estime grandement un bon tireur à l'épée, et sa parole a beaucoup de poids auprès du Roi Monmouth et du Conseil.

– Non, non, s'écria Hector Marot d'un ton farouche, que chacun reste à son métier. Quand il s'agit de brosser la cavalerie de Kirke, je suis toujours prêt, car c'est un de ses escadrons qui a perdu le vieux aveugle Jim Houston, de Milverton, qui était un de mes amis. J'ai réglé ce compte pour toujours à sept de ces coquins et si j'avais le temps, je viendrais à bout de tout le régiment. Mais je ne veux pas me battre contre le Roi Jacques, je ne veux pas davantage risquer la jument. Aussi ne parlons plus de cela. Et maintenant il faut que je vous quitte, car j'ai bien des choses à faire. Adieu.

– Adieu! Adieu! nous écriâmes-nous en serrant ses mains brunes et calleuses, et nos remerciements pour nous avoir servi de guide!

Il souleva son chapeau, agita sa bride et disparut au galop sur la route dans un nuage mobile de poussière.

– Que le diable m'emporte, si jamais je dis du mal des voleurs, fit Sir Gervas. Jamais de ma vie je n'ai vu manier si dextrement l'épée et il faut être un tireur comme on n'en voit guère pour descendre avec deux balles deux grands gaillards? Mais regardez par ici, Clarke, ne voyez-vous point des troupes aux habits rouges?

– Certainement je puis les voir, répondis-je, en promenant mon regard sur la vaste plaine couverte de roseaux, et de teinte grise qui s'étendait entre les sinuosités de la Parret et les hauteurs lointaines de Polden. Je peux les apercevoir là-bas dans la direction de Weston-zoyland. Ils sont aussi visibles que les coquelicots dans le blé.

– Il y en a encore davantage sur la gauche, aux environs de Chedzoy, dit Sir Gervas. Un, deux, trois, et un là-bas, et deux autres en arrière, six régiments d'infanterie en tout. Puis je crois apercevoir de ce côté-ci les cuirasses de la cavalerie, et aussi certains indices d'artillerie. Par ma foi, c'est maintenant que Monmouth devra se battre, s'il tient à sentir le cercle d'or sur ses tempes. Toute l'armée du Roi Jacques s'est refermée sur lui.

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