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Vingt ans après

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Athos réfléchit trois secondes, et pendant ces trois secondes il comprit la ruse de d'Artagnan, qui pour s'être trop avancé tout d'abord rompait maintenant afin de cacher son jeu. Il vit clairement que les propositions qu'on venait de lui faire étaient réelles, et se fussent déclarées dans tout leur développement, pour peu qu'il eût prêté l'oreille.

– Bon! se dit-il, d'Artagnan est à Mazarin.

De ce moment il s'observa avec une extrême prudence.

De son côté d'Artagnan joua plus serré que jamais.

– Mais, enfin, vous avez une idée? continua Athos.

– Assurément. Je voulais prendre conseil de vous tous et aviser au moyen de faire quelque chose, car les uns sans les autres nous serons toujours incomplets.

– C'est vrai. Vous me parliez de Porthos; l'avez-vous donc décidé à chercher fortune? Mais cette fortune, il l'a.

– Sans doute, il l'a; mais l'homme est ainsi fait, il désire toujours quelque chose.

– Et que désire Porthos?

– D'être baron.

– Ah! c'est vrai, j'oubliais, dit Athos en riant.

– C'est vrai? pensa d'Artagnan. Et d'où a-t-il appris cela? Correspondrait-il avec Aramis? Ah! si je savais cela, je saurais tout.

La conversation finit là, car Raoul entra juste en ce moment. Athos voulut le gronder sans aigreur; mais le jeune homme était si chagrin, qu'il n'en eut pas le courage et qu'il s'interrompit pour lui demander ce qu'il avait.

– Est-ce que notre petite voisine irait plus mal? dit d'Artagnan.

– Ah! monsieur, reprit Raoul presque suffoqué par la douleur, sa chute est grave, et, sans difformité apparente, le médecin craint qu'elle ne boite toute sa vie.

– Ah! ce serait affreux! dit Athos.

D'Artagnan avait une plaisanterie au bout des lèvres; mais en voyant la part que prenait Athos à ce malheur, il se retint.

– Ah! monsieur, ce qui me désespère surtout, reprit Raoul, c'est que ce malheur, c'est moi qui en suis cause.

– Comment vous, Raoul? demanda Athos.

– Sans doute, n'est-ce point pour accourir à moi qu'elle a sauté du haut de cette pile de bois?

– Il ne vous reste plus qu'une ressource, mon cher Raoul, c'est de l'épouser en expiation, dit d'Artagnan.

– Ah! monsieur, dit Raoul, vous plaisantez avec une douleur réelle: c'est mal, cela.

Et Raoul, qui avait besoin d'être seul pour pleurer tout à son aise, rentra dans sa chambre, d'où il ne sortit qu'à l'heure du déjeuner.

La bonne intelligence des deux amis n'avait pas le moins du monde été altérée par l'escarmouche du matin; aussi déjeunèrent-ils du meilleur appétit, regardant de temps en temps le pauvre Raoul, qui, les yeux tout humides et le coeur gros, mangeait à peine.

À la fin du déjeuner deux lettres arrivèrent, qu'Athos lut avec une extrême attention, sans pouvoir s'empêcher de tressaillir plusieurs fois. D'Artagnan, qui le vit lire ces lettres d'un côté de la table à l'autre, et dont la vue était perçante, jura qu'il reconnaissait à n'en pas douter la petite écriture d'Aramis. Quant à l'autre, c'était une écriture de femme, longue et embarrassée.

– Allons, dit d'Artagnan à Raoul, voyant qu'Athos désirait demeurer seul, soit pour répondre à ces lettres, soit pour y réfléchir; allons faire un tour dans la salle d'armes, cela vous distraira.

Le jeune homme regarda Athos, qui répondit à ce regard par un signe d'assentiment.

Tous deux passèrent dans une salle basse où étaient suspendus des fleurets, des masques, des gants, des plastrons, et tous les accessoires de l'escrime.

– Eh bien? dit Athos en arrivant un quart d'heure après.

– C'est déjà votre main, mon cher Athos, dit d'Artagnan, et s'il avait votre sang-froid, je n'aurais que des compliments à lui faire…

Quant au jeune homme, il était un peu honteux. Pour une ou deux fois qu'il avait touché d'Artagnan, soit au bras, soit à la cuisse, celui-ci l'avait boutonné vingt fois en plein corps.

En ce moment, Charlot entra porteur d'une lettre très pressée pour d'Artagnan qu'un messager venait d'apporter.

Ce fut au tour d'Athos de regarder du coin de l'oeil.

D'Artagnan lut la lettre sans aucune émotion apparente et après avoir lu, avec un léger hochement de tête:

– Voyez, mon cher ami, dit-il, ce que c'est que le service, et vous avez, ma foi, bien raison de n'en pas vouloir reprendre: M. de Tréville est malade, et voilà la compagnie qui ne peut se passer de moi; de sorte que mon congé se trouve perdu.

– Vous retournez à Paris? dit vivement Athos.

– Eh, mon Dieu, oui! dit d'Artagnan; mais n'y venez-vous pas vous-même?

Athos rougit un peu et répondit:

– Si j'y allais, je serais fort heureux de vous voir.

– Holà, Planchet! s'écria d'Artagnan de la porte, nous partons dans dix minutes: donnez l'avoine aux chevaux.

Puis se retournant vers Athos:

– Il me semble qu'il me manque quelque chose ici, et je suis vraiment désespéré de vous quitter sans avoir revu ce bon Grimaud.

– Grimaud! dit Athos. Ah! c'est vrai? je m'étonnais aussi que vous ne me demandassiez pas de ses nouvelles. Je l'ai prêté à un de mes amis.

– Qui comprendra ses signes? dit d'Artagnan.

– Je l'espère, dit Athos.

Les deux amis s'embrassèrent cordialement. D'Artagnan serra la

main de Raoul, fit promettre à Athos de le visiter s'il venait à

Paris, de lui écrire s'il ne venait pas, et il monta à cheval.

Planchet, toujours exact, était déjà en selle.

– Ne venez-vous point avec moi, dit-il en riant à Raoul, je passe par Blois?

Raoul se retourna vers Athos qui le retint d'un signe imperceptible.

– Non, monsieur, répondit le jeune homme, je reste près de monsieur le comte.

– En ce cas, adieu tous deux, mes bons amis, dit d'Artagnan en leur serrant une dernière fois la main, et Dieu vous garde! comme nous nous disions chaque fois que nous nous quittions du temps du feu cardinal.

Athos lui fit un signe de la main, Raoul une révérence, et d'Artagnan et Planchet partirent.

Le comte les suivit des yeux, la main appuyée sur l'épaule du jeune homme, dont la taille égalait presque la sienne; mais aussitôt qu'ils eurent disparu derrière le mur:

– Raoul, dit le comte, nous partons ce soir pour Paris.

– Comment! dit le jeune homme en pâlissant.

– Vous pouvez aller présenter mes adieux et les vôtres à madame de Saint-Remy. Je vous attendrai ici à sept heures.

Le jeune homme s'inclina avec une expression mêlée de douleur et de reconnaissance, et se retira pour aller seller son cheval.

Quant à d'Artagnan, à peine hors de vue de son côté, il avait tiré la lettre de sa poche et l'avait relue:

«Revenez sur-le-champ à Paris.

«J.M…»

– La lettre est sèche, murmura d'Artagnan, et s'il n'y avait un post-scriptum, peut-être ne l'eussé-je pas comprise; mais heureusement il y a un_ post-scriptum._

Et il lut ce fameux post-scriptum qui lui faisait passer par- dessus la sécheresse de la lettre:

«P. – S. – Passez chez le trésorier du roi, à Blois: dites-lui votre nom et montrez-lui cette lettre: vous toucherez deux cents pistoles.»

– Décidément, dit d'Artagnan, j'aime cette prose, et le cardinal écrit mieux que je ne croyais. Allons, Planchet, allons rendre visite à monsieur le trésorier du roi, et puis piquons.

– Vers Paris, monsieur.

– Vers Paris.

Et tous deux partirent au plus grand trot de leurs montures.

XVIII. M. de Beaufort

Voici ce qui était arrivé et quelles étaient les causes qui nécessitaient le retour de d'Artagnan à Paris.

Un soir que Mazarin, selon son habitude, se rendait chez la reine à l'heure où tout le monde s'en était retiré, et qu'en passant près de la salle des gardes, dont une porte donnait sur ses antichambres, il avait entendu parler haut dans cette chambre, il avait voulu savoir de quel sujet s'entretenaient les soldats, s'était approché à pas de loup, selon son habitude, avait poussé la porte, et, par l'entrebâillement, avait passé la tête.

Il y avait une discussion parmi les gardes.

– Et moi je vous réponds, disait l'un d'eux, que si Coysel a prédit cela, la chose est aussi sûre que si elle était arrivée. Je ne le connais pas, mais j'ai entendu dire qu'il était non seulement astrologue, mais encore magicien.

– Peste, mon cher, s'il est de tes amis, prends garde! tu lui rends un mauvais service.

– Pourquoi cela?

– Parce qu'on pourrait bien lui faire un procès.

– Ah bah! on ne brûle plus les sorciers, aujourd'hui.

– Non! il me semble cependant qu'il n'y a pas si longtemps que le feu cardinal a fait brûler Urbain Grandier. J'en sais quelque chose, moi. J'étais de garde au bûcher, et je l'ai vu rôtir.

– Mon cher, Urbain Grandier n'était pas un sorcier, c'était un savant, ce qui est tout autre chose. Urbain Grandier ne prédisait pas l'avenir. Il savait le passé, ce qui quelquefois est bien pis.

Mazarin hocha la tête en signe d'assentiment; mais désirant connaître la prédiction sur laquelle on discutait, il demeura à la même place.

– Je ne te dis pas, reprit le garde, que Coysel ne soit pas un sorcier, mais je te dis que s'il publie d'avance sa prédiction c'est le moyen qu'elle ne s'accomplisse point.

– Pourquoi?

– Sans doute. Si nous nous battons l'un contre l'autre et que je te dise: «Je vais te porter ou un coup droit ou un coup de seconde», tu pareras tout naturellement. Eh bien si Coysel dit assez haut pour que le cardinal l'entende: «Avant tel jour, tel prisonnier se sauvera», il est bien évident que le cardinal prendra si bien ses précautions que le prisonnier ne se sauvera pas.

– Eh! mon Dieu, dit un autre qui semblait dormir, couché sur un banc, et qui, malgré son sommeil apparent, ne perdait pas un mot de la conversation; eh! mon Dieu, croyez-vous que les hommes puissent échapper à leur destinée? S'il est écrit là-haut que le duc de Beaufort doit se sauver, M. de Beaufort se sauvera, et toutes les précautions du cardinal n'y feront rien.

 

Mazarin tressaillit. Il était italien, c'est-à-dire superstitieux; il s'avança rapidement au milieu des gardes, qui, l'apercevant, interrompirent leur conversation.

– Que disiez-vous donc, messieurs? fit-il avec son air caressant, que M. de Beaufort s'était évadé, je crois?

– Oh! non, monseigneur, dit le soldat incrédule; pour le moment il n'a garde. On disait seulement qu'il devait se sauver.

– Et qui dit cela?

– Voyons, répétez votre histoire, Saint-Laurent, dit le garde se tournant vers le narrateur.

– Monseigneur, dit le garde, je racontais purement et simplement à ces messieurs ce que j'ai entendu dire de la prédiction d'un nommé Coysel, qui prétend que, si bien gardé que soit M. de Beaufort, il se sauvera avant la Pentecôte.

– Et ce Coysel est un rêveur, un fou? reprit le cardinal toujours souriant.

– Non pas, dit le garde, tenace dans sa crédulité, il a prédit beaucoup de choses qui sont arrivées, comme par exemple que la reine accoucherait d'un fils, que M. de Coligny serait tué dans son duel avec le duc de Guise, enfin que le coadjuteur serait nommé cardinal. Eh bien! la reine est accouchée non seulement d'un premier fils, mais encore, deux ans après, d'un second, et M. de Coligny a été tué.

– Oui, dit Mazarin; mais le coadjuteur n'est pas encore cardinal.

– Non, Monseigneur, dit le garde, mais il le sera.

Mazarin fit une grimace qui voulait dire: il ne tient pas encore la barrette. Puis il ajouta:

– Ainsi votre avis, mon ami, est que M. de Beaufort doit se sauver.

– C'est si bien mon avis, Monseigneur, dit le soldat, que si Votre Éminence m'offrait à cette heure la place de M. de Chavigny, c'est-à-dire celle de gouverneur du château de Vincennes, je ne l'accepterais pas. Oh! le lendemain de la Pentecôte, ce serait autre chose.

Il n'y a rien de plus convaincant qu'une grande conviction, elle influe même sur les incrédules; et, loin d'être incrédule, nous l'avons dit, Mazarin était superstitieux. Il se retira donc tout pensif.

– Le ladre! dit le garde qui était accoudé contre la muraille, il fait semblant de ne pas croire à votre magicien, Saint-Laurent, pour n'avoir rien à vous donner; mais il ne sera pas plus tôt rentré chez lui qu'il fera son profit de votre prédiction.

En effet, au lieu de continuer son chemin vers la chambre de la reine, Mazarin rentra dans son cabinet, et appelant Bernouin, il donna l'ordre que le lendemain, au point du jour, on lui allât chercher l'exempt qu'il avait placé auprès de M. de Beaufort, et qu'on l'éveillât aussitôt qu'il arriverait.

Sans s'en douter, le garde avait touché du doigt la plaie la plus vive du cardinal. Depuis cinq ans que M. de Beaufort était en prison, il n'y avait pas de jour que Mazarin ne pensât qu'à un moment ou à un autre, il en sortirait. On ne pouvait pas retenir prisonnier toute sa vie un petit-fils de Henri IV, surtout quand ce petit-fils de Henri IV avait à peine trente ans. Mais, de quelque façon qu'il en sortît, quelle haine n'avait-il pas dû, dans sa captivité, amasser contre celui à qui il la devait; qui l'avait pris riche, brave, glorieux, aimé des femmes, craint des hommes, pour retrancher de sa vie ses plus belles années, car ce n'est pas exister que de vivre en prison! En attendant, Mazarin redoublait de surveillance contre M. de Beaufort. Seulement, il était pareil à l'avare de la fable, qui ne pouvait dormir près de son trésor. Bien des fois la nuit il se réveillait en sursaut, rêvant qu'on lui avait volé M. de Beaufort. Alors il s'informait de lui, et à chaque information qu'il prenait, il avait la douleur d'entendre que le prisonnier jouait, buvait, chantait que c'était merveille; mais que tout en jouant, buvant et chantant, il s'interrompait toujours pour jurer que le Mazarin lui payerait cher tout ce plaisir qu'il le forçait de prendre à Vincennes.

Cette pensée avait fort préoccupé le ministre pendant son sommeil; aussi, lorsqu'à sept heures du matin Bernouin entra dans sa chambre pour le réveiller, son premier mot fut:

– Eh! qu'y a-t-il? Est-ce que M. de Beaufort s'est sauvé de

Vincennes?

– Je ne crois pas, Monseigneur, dit Bernouin, dont le calme officiel ne se démentait jamais; mais en tout cas vous allez en avoir des nouvelles, car l'exempt La Ramée, que l'on a envoyé chercher ce matin à Vincennes, est là qui attend les ordres de Votre Éminence.

– Ouvrez et faites-le entrer ici, dit Mazarin en accommodant ses oreillers de manière à le recevoir assis dans son lit.

L'officier entra. C'était un grand et gros homme joufflu et de bonne mine. Il avait un air de tranquillité qui donna des inquiétudes à Mazarin.

– Ce drôle-là m'a tout l'air d'un sot, murmura-t-il.

L'exempt demeurait debout et silencieux à la porte.

– Approchez, monsieur! dit Mazarin.

L'exempt obéit.

– Savez-vous ce qu'on dit ici? continua le cardinal.

– Non, Votre Éminence.

– Eh bien! l'on dit que M. de Beaufort va se sauver de Vincennes, s'il ne l'a déjà fait.

La figure de l'officier exprima la plus profonde stupéfaction. Il ouvrit tout ensemble ses petits yeux et sa grande bouche, pour mieux humer la plaisanterie que Son Éminence lui faisait l'honneur de lui adresser; puis ne pouvant tenir plus longtemps son sérieux à une pareille supposition, il éclata de rire, mais d'une telle façon, que ses gros membres étaient secoués par cette hilarité comme par une fièvre violente.

Mazarin fut enchanté de cette expansion peu respectueuse, mais cependant il ne cessa de garder son air grave.

Quand La Ramée eut bien ri et qu'il se fut essuyé les yeux, il crut qu'il était temps enfin de parler et d'excuser l'inconvenance de sa gaieté.

– Se sauver, Monseigneur! dit-il, se sauver! Mais Votre Éminence ne sait donc pas où est M. de Beaufort?

– Si fait, monsieur, je sais qu'il est au donjon de Vincennes.

– Oui, Monseigneur, dans une chambre dont les murs ont sept pieds d'épaisseur, avec des fenêtres à grillages croisés dont chaque barreau est gros comme le bras.

– Monsieur, dit Mazarin, avec de la patience on perce tous les murs, et avec un ressort de montre on scie un barreau.

– Mais Monseigneur ignore donc qu'il a près de lui huit gardes, quatre dans son antichambre et quatre dans sa chambre, et que ces gardes ne le quittent jamais.

– Mais il sort de sa chambre, il joue au mail, il joue à la paume!

– Monseigneur, ce sont les amusements permis aux prisonniers.

Cependant, si Votre Éminence le veut, on les lui retranchera.

– Non pas, non pas, dit le Mazarin, qui craignait, en lui

retranchant ces plaisirs, que si son prisonnier sortait jamais de

Vincennes, il n'en sortît encore plus exaspéré contre lui.

Seulement je demande avec qui il joue.

– Monsieur, il joue avec l'officier de garde, ou bien avec moi, ou bien avec les autres prisonniers.

– Mais n'approche-t-il point des murailles en jouant?

– Monseigneur, Votre Éminence ne connaît-elle point les murailles? Les murailles ont soixante pieds de hauteur et je doute que M. de Beaufort soit encore assez las de la vie pour risquer de se rompre le cou en sautant du haut en bas.

– Hum! fit le cardinal, qui commençait à se rassurer. Vous dites donc, mon cher monsieur La Ramée?..

– Qu'à moins que M. de Beaufort ne trouve moyen de se changer en petit oiseau, je réponds de lui.

– Prenez garde! vous vous avancez fort, reprit Mazarin. M. de Beaufort a dit aux gardes qui le conduisaient à Vincennes, qu'il avait souvent pensé au cas où il serait emprisonné, et que, dans ce cas, il avait trouvé quarante manières de s'évader de prison.

– Monseigneur, si parmi ces quarante manières il y en avait eu une bonne, répondit La Ramée, il serait dehors depuis longtemps.

– Allons, allons, pas si bête que je croyais, murmura Mazarin.

– D'ailleurs, Monseigneur oublie que M. de Chavigny est gouverneur de Vincennes, continua La Ramée, et que M. de Chavigny n'est pas des amis de M. de Beaufort.

– Oui, mais M. de Chavigny s'absente.

– Quand il s'absente, je suis là.

– Mais quand vous vous absentez vous-même?

– Oh! quand je m'absente moi-même, j'ai en mon lieu et place un gaillard qui aspire à devenir exempt de Sa Majesté, et qui, je vous en réponds, fait bonne garde. Depuis trois semaines que je l'ai pris à mon service, je n'ai qu'un reproche à lui faire, c'est d'être trop dur au prisonnier.

– Et quel est ce cerbère? demanda le cardinal.

– Un certain M. Grimaud, Monseigneur.

– Et que faisait-il avant d'être près de vous à Vincennes?

– Mais il était en province, à ce que m'a dit celui qui me l'a recommandé; il s'y est fait je ne sais quelle méchante affaire, à cause de sa mauvaise tête, et je crois qu'il ne serait pas fâché de trouver l'impunité sous l'uniforme du roi.

– Et qui vous a recommandé cet homme?

– L'intendant de M. le duc de Grammont.

– Alors, on peut s'y fier, à votre avis?

– Comme à moi-même, Monseigneur.

– Ce n'est pas un bavard?

– Jésus-Dieu! Monseigneur, j'ai cru longtemps qu'il était muet, il ne parle et ne répond que par signes; il paraît que c'est son ancien maître qui l'a dressé à cela.

– Eh bien! dites-lui, mon cher monsieur La Ramée, reprit le cardinal, que s'il nous fait bonne et fidèle garde, on fermera les yeux sur ses escapades de province, qu'on lui mettra sur le dos un uniforme qui le fera respecter, et dans les poches de cet uniforme quelques pistoles pour boire à la santé du roi.

Mazarin était fort large en promesses: c'était tout le contraire de ce bon M. Grimaud, que vantait La Ramée, lequel parlait peu et agissait beaucoup.

Le cardinal fit encore à La Ramée une foule de questions sur le prisonnier, sur la façon dont il était nourri, logé et couché, auxquelles celui-ci répondit d'une façon si satisfaisante, qu'il le congédia presque rassuré.

Puis, comme il était neuf heures du matin, il se leva, se parfuma, s'habilla et passa chez la reine pour lui faire part des causes qui l'avaient retenu chez lui. La reine, qui ne craignait guère moins M. de Beaufort que le cardinal le craignait lui-même, et qui était presque aussi superstitieuse que lui, lui fit répéter mot pour mot toutes les promesses de La Ramée et tous les éloges qu'il donnait à son second; puis lorsque le cardinal eut fini:

– Hélas! monsieur, dit-elle à demi-voix, que n'avons-nous un

Grimaud auprès de chaque prince!

– Patience, dit Mazarin avec son sourire italien, cela viendra peut-être un jour; mais en attendant…

– Eh bien! en attendant?

– Je vais toujours prendre mes précautions.

Sur ce, il avait écrit à d'Artagnan de presser son retour.

XIX. Ce à quoi se récréait M. le duc de Beaufort au donjon de

Vincennes

Le prisonnier qui faisait si grand'peur à M. le cardinal, et dont les moyens d'évasion troublaient le repos de toute la cour, ne se doutait guère de tout cet effroi qu'à cause de lui on ressentait au Palais-Royal.

Il se voyait si admirablement gardé qu'il avait reconnu l'inutilité de ses tentatives; toute sa vengeance consistait à lancer nombre d'imprécations et d'injures contre le Mazarin. Il avait même essayé de faire des couplets, mais il y avait bien vite renoncé. En effet, M. de Beaufort non seulement n'avait pas reçu du ciel le don d'aligner des vers, mais encore ne s'exprimait souvent en prose qu'avec la plus grande peine du monde. Aussi Blot, le chansonnier de l'époque, disait-il de lui:

Dans un combat il brille, il tonne!

On le redoute avec raison;

Mais de la façon qu'il raisonne,

On le prendrait pour un oison.

Gaston, pour faire une harangue,

Éprouve bien moins d'embarras;

Pourquoi Beaufort n'a-t-il la langue!

Pourquoi Gaston n'a-t-il le bras?

Ceci posé, on comprend que le prisonnier se soit borné aux injures et aux imprécations.

Le duc de Beaufort était petit-fils de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, aussi bon, aussi brave, aussi fier et surtout aussi Gascon que son aïeul, mais beaucoup moins lettré. Après avoir été pendant quelque temps, à la mort du roi Louis XIII, le favori, l'homme de confiance, le premier à la cour enfin, un jour il lui avait fallu céder la place à Mazarin, et il s'était trouvé le second; et le lendemain, comme il avait eu le mauvais esprit de se fâcher de cette transposition et l'imprudence de le dire, la reine l'avait fait arrêter et conduire à Vincennes par ce même Guitaut que nous avons vu apparaître au commencement de cette histoire, et que nous aurons l'occasion de retrouver. Bien entendu, qui dit la reine dit Mazarin. Non seulement on s'était débarrassé ainsi de sa personne et de ses prétentions, mais encore on ne comptait plus avec lui, tout prince populaire qu'il était, et depuis cinq ans il habitait une chambre fort peu royale au donjon de Vincennes.

 

Cet espace de temps qui eût mûri les idées de tout autre que M. de Beaufort, avait passé sur sa tête sans y opérer aucun changement. Un autre, en effet, eût réfléchi que, s'il n'avait pas accepté de braver le cardinal, de mépriser les princes, et de marcher seul sans autres acolytes, comme dit le cardinal de Retz, que quelques mélancoliques qui avaient l'air de songe-creux, il aurait eu, depuis cinq ans, ou sa liberté, ou des défenseurs. Ces considérations ne se présentèrent probablement pas même à l'esprit du duc, que sa longue réclusion ne fit au contraire qu'affermir davantage dans sa mutinerie, et chaque jour le cardinal reçut des nouvelles de lui qui étaient on ne peut plus désagréables pour Son Éminence.

Après avoir échoué en poésie, M. de Beaufort avait essayé de la peinture. Il dessinait avec du charbon les traits du cardinal, et, comme ses talents assez médiocres en cet ail ne lui permettaient pas d'atteindre à une grande ressemblance, pour ne pas laisser de doute sur l'original du portrait, il écrivait au-dessous: «Ritratto dell' illustrissimo facchino Mazarini.» M. de Chavigny, prévenu, vint faire une visite au duc et le pria de se livrer à un autre passe-temps, ou tout au moins de faire des portraits sans légende. Le lendemain, la chambre était pleine de légendes et de portraits. M. de Beaufort, comme tous les prisonniers, au reste, ressemblait fort aux enfants qui ne s'entêtent qu'aux choses qu'on lui défend.

M. de Chavigny fut prévenu de ce surcroît de profils.

M. de Beaufort, pas assez sûr de lui pour risquer la tête de face, avait fait de sa chambre une véritable salle d'exposition. Cette fois le gouverneur ne dit rien; mais un jour que M. de Beaufort jouait à la paume, il fit passer l'éponge sur tous ses dessins et peindre la chambre à la détrempe.

M. de Beaufort remercia M. de Chavigny, qui avait la bonté de lui remettre ses cartons à neuf; et cette fois il divisa sa chambre en compartiments, et consacra chacun de ses compartiments à un trait de la vie du cardinal Mazarin.

Le premier devait représenter l'illustrissime faquin Mazarini recevant une volée de coups de bâton du cardinal Bentivoglio, dont il avait été le domestique.

Le second, l'illustrissime faquin Mazarini jouant le rôle d'Ignace de Loyola, dans la tragédie de ce nom.

Le troisième, l'illustrissime faquin Mazarini volant le portefeuille de premier ministre à M. de Chavigny, qui croyait déjà le tenir.

Enfin, le quatrième, l'illustrissime faquin Mazarini refusant des draps à Laporte, valet de chambre de Louis XIV, et disant que c'est assez, pour un roi de France, de changer de draps tous les trimestres.

C'étaient là de grandes compositions et qui dépassaient certainement la mesure du talent du prisonnier; aussi s'était-il contenté de tracer les cadres et de mettre les inscriptions.

Mais les cadres et les inscriptions suffirent pour éveiller la susceptibilité de M. de Chavigny, lequel fit prévenir M. de Beaufort que s'il ne renonçait pas aux tableaux projetés, il lui enlèverait tout moyen d'exécution. M. de Beaufort répondit que, puisqu'on lui ôtait la chance de se faire une réputation dans les armes, il voulait s'en faire une dans la peinture, et que, ne pouvant être un Bayard ou un Trivulce, il voulait devenir un Michel-Ange ou un Raphaël.

Un jour que M. de Beaufort se promenait au préau, on enleva son feu, avec son feu ses charbons, avec son charbon ses cendres, de sorte qu'en rentrant il ne trouva plus le plus petit objet dont il pût faire un crayon.

M. de Beaufort jura, tempêta, hurla, dit qu'on voulait le faire mourir de froid et d'humidité, comme étaient morts Puylaurens, le maréchal Ornano et le grand prieur de Vendôme, ce à quoi M. de Chavigny répondit qu'il n'avait qu'à donner sa parole de renoncer au dessin ou promettre de ne point faire de peintures historiques, et qu'on lui rendrait du bois et tout ce qu'il fallait pour l'allumer. M. de Beaufort ne voulut pas donner sa parole, et il resta sans feu pendant tout le reste de l'hiver.

De plus, pendant une des sorties du prisonnier, on gratta les inscriptions, et la chambre se retrouva blanche et nue sans la moindre trace de fresque.

M. de Beaufort alors acheta à l'un de ses gardiens un chien nommé Pistache; rien ne s'opposant à ce que les prisonniers eussent un chien, M. de Chavigny autorisa que le quadrupède changeât de maître. M. de Beaufort restait quelquefois des heures entières enfermé avec son chien. On se doutait bien que pendant ces heures le prisonnier s'occupait de l'éducation de Pistache, mais on ignorait dans quelle voie il la dirigeait. Un jour, Pistache se trouvant suffisamment dressé, M. de Beaufort invita M. de Chavigny et les officiers de Vincennes à une grande représentation qu'il donna dans sa chambre. Les invités arrivèrent; la chambre était éclairée d'autant de bougies qu'avait pu s'en procurer M. de Beaufort. Les exercices commencèrent.

Le prisonnier, avec un morceau de plâtre détaché de la muraille, avait tracé au milieu de la chambre une longue ligne blanche représentant une corde. Pistache, au premier ordre de son maître, se plaça sur cette ligne, se dressa sur ses pattes de derrière et, tenant une baguette à battre les habits entre ses pattes de devant, il commença à suivre la ligne avec toutes les contorsions que fait un danseur de corde; puis, après avoir parcouru deux ou trois fois en avant et en arrière la longueur de la ligne, il rendit la baguette à M. de Beaufort, et recommença les mêmes évolutions sans balancier.

L'intelligent animal fut criblé d'applaudissements.

Le spectacle était divisé en trois parties; la première achevée, on passa à la seconde.

Il s'agissait d'abord de dire l'heure qu'il était.

M. de Chavigny montra sa montre à Pistache. Il était six heures et demie.

Pistache leva et baissa la patte six fois, et, à la septième, resta la patte en l'air. Il était impossible d'être plus clair, un cadran solaire n'aurait pas mieux répondu: comme chacun sait, le cadran solaire a le désavantage de ne dire l'heure que tant que le soleil luit.

Ensuite, il s'agissait de reconnaître devant toute la société quel était le meilleur geôlier de toutes les prisons de France.

Le chien fit trois fois le tour du cercle et alla se coucher de la façon la plus respectueuse du monde aux pieds de M. de Chavigny.

M. de Chavigny fit semblant de trouver la plaisanterie charmante et rit du bout des dents. Quand il eut fini de rire il se mordit les lèvres et commença de froncer le sourcil.

Enfin M. de Beaufort posa à Pistache cette question si difficile à résoudre, à savoir: Quel était le plus grand voleur du monde connu?

Pistache, cette fois, fit le tour de la chambre, mais ne s'arrêta à personne, et, s'en allant à la porte, il se mit à gratter et à se plaindre.

– Voyez, messieurs, dit le prince, cet intéressant animal ne trouvant pas ici ce que je lui demande, va chercher dehors. Mais, soyez tranquilles, vous ne serez pas privés de sa réponse pour cela. Pistache, mon ami, continua le duc, venez ici. Le chien obéit. Le plus grand voleur du monde connu, reprit le prince, est- ce M. le secrétaire du roi Le Camus, qui est venu à Paris avec vingt livres et qui possède maintenant dix millions?

Le chien secoua la tête en signe de négation.

– Est-ce, continua le prince, M. le surintendant d'Emery, qui a donné à M. Thoré, son fils, en le mariant, trois cent mille livres de rente et un hôtel près duquel les Tuileries sont une masure et le Louvre une bicoque?

Le chien secoua la tête en signe de négation.

– Ce n'est pas encore lui, reprit le prince. Voyons, cherchons bien: serait-ce, par hasard, l'illustrissime facchino Mazarini di Piscina, hein?

Le chien fit désespérément signe que oui en se levant et en baissant la tête huit ou dix fois de suite.

– Messieurs, vous le voyez, dit M. de Beaufort aux assistants, qui cette fois n'osèrent pas même rire du bout des dents, l'illustrissime facchino Mazarini di Piscina est le plus grand voleur du monde connu; c'est Pistache qui le dit, du moins.

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