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Vingt ans après

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Les trois hommes se saluèrent après avoir échangé un dernier regard.

Scarron les suivait du coin de l'oeil à travers les portières de son salon.

– Pas un d'eux ne fera ce qu'il dit, murmura-t-il avec son petit sourire de singe; mais qu'ils aillent, les braves gentilshommes! Qui sait s'ils ne travaillent pas à me faire rendre ma pension!.. Ils peuvent remuer les bras, eux, c'est beaucoup; hélas! moi je n'ai que la langue, mais je tâcherai de prouver que c'est quelque chose. Holà! Champenois, voilà onze heures qui sonnent. Venez me rouler vers mon lit… En vérité, cette demoiselle d'Aubigné est bien charmante!

Sur ce, le pauvre paralytique disparut dans sa chambre à coucher, dont la porte se referma derrière lui, et les lumières s'éteignirent l'une après l'autre dans le salon de la rue des Tournelles.

XXIV. Saint-Denis

Le jour commençait à poindre lorsque Athos se leva et se fit habiller; il était facile de voir, à sa pâleur, plus grande que d'habitude, et à ces traces que l'insomnie laisse sur le visage, qu'il avait dû passer presque toute la nuit sans dormir. Contre l'habitude de cet homme si ferme et si décidé, il y avait ce matin dans toute sa personne quelque chose de lent et d'irrésolu.

C'est qu'il s'occupait des préparatifs de départ de Raoul et qu'il cherchait à gagner du temps. D'abord, il fourbit lui-même une épée qu'il tira de son étui de cuir parfumé, examina si la poignée était bien en garde, et si la lame tenait solidement à la poignée.

Puis il jeta au fond d'une valise destinée au jeune homme un petit sac plein de louis, appela Olivain, c'était le nom du laquais qui l'avait suivi de Blois, lui fit faire le portemanteau! devant lui, veillant à ce que toutes les choses nécessaires à un jeune homme qui se met en campagne y fussent renfermées.

Enfin, après avoir employé à peu près une heure à tous ces soins, il ouvrit la porte qui conduisait dans la chambre du vicomte et entra légèrement.

Le soleil, déjà radieux, pénétrait dans la chambre par la fenêtre à larges panneaux, dont Raoul, rentré tard, avait négligé de fermer les rideaux la veille. Il dormait encore, la tête gracieusement appuyée sur son bras. Ses longs cheveux noirs couvraient à demi son front charmant et tout humide de cette vapeur qui roule en perles le long des joues de l'enfant fatigué.

Athos s'approcha, et le corps incliné dans une attitude pleine de tendre mélancolie, il regarda longtemps ce jeune homme à la bouche souriante, aux paupières mi-closes, dont les rêves devaient être doux et le sommeil léger, tant son ange protecteur mettait dans sa garde muette de sollicitude et d'affection. Peu à peu Athos se laissa entraîner charmes de sa rêverie en présence de cette jeunesse si riche et si pure. Sa jeunesse à lui reparut, apportant tous ces souvenirs suaves, qui sont plutôt des parfums que des pensées. De ce passé au présent il y avait un abîme. Mais l'imagination a le vol de l'ange et de l'éclair; elle franchit les mers où nous avons failli faire naufrage, les ténèbres où nos illusions se sont perdues, le précipice où notre bonheur s'est englouti. Il songea que toute la première partie de sa vie à lui avait été brisée par une femme; il pensa avec terreur quelle influence pouvait avoir l'amour sur une organisation si fine et si vigoureuse à la fois.

En se rappelant tout ce qu'il avait souffert, il prévit tout ce que Raoul pouvait souffrir, et l'expression de la tendre et profonde pitié qui passa dans son coeur se répandit dans le regard humide dont il couvrit le jeune homme.

À ce moment Raoul s'éveilla de ce réveil sans nuages, sans ténèbres et sans fatigues qui caractérise certaines organisations délicates comme celle de l'oiseau. Ses yeux s'arrêtèrent sur ceux d'Athos, et il comprit sans doute tout ce qui se passait dans le coeur de cet homme qui attendait son réveil comme un amant attend le réveil de sa maîtresse, car son regard à son tour prit l'expression d'un amour infini.

– Vous étiez là, monsieur? dit-il avec respect.

– Oui, Raoul, j'étais là, dit le comte.

– Et vous ne m'éveilliez point?

– Je voulais vous laisser encore quelques moments de ce bon sommeil, mon ami; vous devez être fatigué de la journée d'hier, qui s'est prolongée si avant dans la nuit.

– Oh! monsieur, que vous êtes bon! dit Raoul.

Athos sourit.

– Comment vous trouvez-vous? lui dit-il.

– Mais parfaitement bien, monsieur, et tout à fait remis et dispos.

– C'est que vous grandissez encore, continua Athos avec un intérêt paternel et charmant d'homme mûr pour le jeune homme, et que les fatigues sont doubles à votre âge.

– Oh! monsieur, je vous demande bien pardon, dit Raoul honteux de tant de prévenances, mais dans un instant je vais être habillé.

Athos appela Olivain, et en effet au bout de dix minutes, avec cette ponctualité qu'Athos, rompu au service militaire, avait transmise à son pupille, le jeune homme fut prêt.

– Maintenant, dit le jeune homme au laquais, occupez-vous de mon bagage.

– Vos bagages vous attendent, Raoul, dit Athos. J'ai fait faire la valise sous mes yeux, et rien ne vous manquera. Elle doit déjà, ainsi que le portemanteau du laquais, être placée sur les chevaux, si toutefois on a suivi les ordres que j'ai donnés.

– Tout a été fait selon la volonté de monsieur le comte, dit

Olivain, et les chevaux attendent.

– Et moi qui dormais, s'écria Raoul, tandis que vous, monsieur, vous aviez la bonté de vous occuper de tous ces détails! Oh! mais, en vérité, monsieur, vous me comblez de bontés.

– Ainsi vous m'aimez un peu, je l'espère du moins? répliqua Athos d'un ton presque attendri.

– Oh! monsieur, s'écria Raoul, qui, pour ne pas manifester son émotion par un élan de tendresse, se domptait presque à suffoquer, oh! Dieu m'est témoin que je vous aime et que je vous vénère.

– Voyez si vous n'oubliez rien, dit Athos en faisant semblant de chercher autour de lui pour cacher son émotion.

– Mais non, monsieur, dit Raoul.

Le laquais s'approcha alors d'Athos avec une certaine hésitation, et lui dit tout bas:

– M. le vicomte n'a pas d'épée, car monsieur le comte m'a fait enlever hier soir celle qu'il a quittée.

– C'est bien, dit Athos, cela me regarde.

Raoul ne parut pas s'apercevoir du colloque. Il descendit, regardant le comte à chaque instant pour voir si le moment des adieux était arrivé; mais Athos ne sourcillait pas.

Arrivé sur le perron, Raoul vit trois chevaux.

– Oh! monsieur, s'écria-t-il tout radieux, vous m'accompagnez donc?

– Je veux vous conduire quelque peu, dit Athos.

La joie brilla dans les yeux de Raoul, et il s'élança légèrement sur son cheval.

Athos monta lentement sur le sien après avoir dit un mot tout bas au laquais, qui, au lieu de suivre immédiatement, remonta au logis. Raoul, enchanté d'être en la compagnie du comte, ne s'aperçut ou feignit de ne s'apercevoir de rien.

Les deux gentilshommes prirent par le Pont-Neuf, suivirent les quais ou plutôt ce qu'on appelait alors l'abreuvoir Pépin, et longèrent les murs du Grand-Châtelet. Ils entraient dans la rue Saint-Denis lorsqu'ils furent rejoints par le laquais.

La route se fit silencieusement. Raoul sentait bien que le moment de la séparation approchait; le comte avait donné la veille différents ordres pour des choses qui le regardaient, dans le courant de la journée. D'ailleurs ses regards redoublaient de tendresse, et les quelques paroles qu'il laissait échapper redoublaient d'affection. De temps en temps une réflexion ou un conseil lui échappait, et ses paroles étaient pleines de sollicitude.

Après avoir passé la porte Saint-Denis, et comme les deux cavaliers étaient arrivés à la hauteur des Récollets, Athos jeta les yeux sur la monture du vicomte.

– Prenez-y garde, Raoul, lui dit-il, je vous l'ai déjà dit souvent; il faudrait ne point oublier cela, car c'est un grand défaut dans un écuyer. Voyez! votre cheval est déjà fatigué; il écume, tandis que le mien semble sortir de l'écurie. Vous lui endurcissez la bouche en lui serrant ainsi le mors; et, faites-y attention, vous ne pouvez plus le faire manoeuvrer avec la promptitude nécessaire. Le salut d'un cavalier est parfois dans la prompte obéissance de son cheval. Dans huit jours, songez-y, vous ne manoeuvrerez plus dans un manège, mais sur un champ de bataille.

Puis tout à coup, pour ne point donner une trop triste importance à cette observation:

– Voyez donc, Raoul, continua Athos, la belle plaine pour voler la perdrix.

Le jeune homme profitait de la leçon, et admirait surtout avec quelle tendre délicatesse elle était donnée.

– J'ai encore remarqué l'autre jour une chose, disait Athos, c'est qu'en tirant le pistolet vous teniez le bras trop tendu. Cette tension fait perdre la justesse du coup. Aussi, sur douze fois manquâtes-vous trois fois le but.

– Que vous atteignîtes douze fois, vous, monsieur, répondit en souriant Raoul.

– Parce que je pliais la saignée et que je reposais ainsi ma main sur mon coude. Comprenez-vous bien ce que je veux vous dire, Raoul?

– Oui, monsieur; j'ai tiré seul depuis en suivant ce conseil, et j'ai obtenu un succès entier.

– Tenez, reprit Athos, c'est comme en faisant des armes, vous chargez trop votre adversaire. C'est un défaut de votre âge, je le sais bien; mais le mouvement du corps en chargeant dérange toujours l'épée de la ligne; et si vous aviez affaire à un homme de sang-froid, il vous arrêterait au premier pas que vous feriez ainsi par un simple dégagement, ou même par un coup droit.

– Oui, monsieur, comme vous l'avez fait bien souvent, mais tout le monde n'a pas votre adresse et votre courage.

– Que voilà un vent frais! reprit Athos, c'est un souvenir de l'hiver. À propos, dites-moi, si vous allez au feu, et vous irez, car vous êtes recommandé à un jeune général qui aime fort la poudre, souvenez-vous bien dans une lutte particulière, comme cela arrive souvent à nous autres cavaliers surtout, souvenez-vous bien de ne tirer jamais le premier: qui tire le premier touche rarement son homme, car il tire avec la crainte de rester désarmé devant un ennemi armé; puis, lorsqu'il tirera, faites cabrer votre cheval; cette manoeuvre m'a sauvé deux ou trois fois la vie.

 

– Je l'emploierai, ne fût-ce que par reconnaissance.

– Eh! dit Athos, ne sont-ce pas des braconniers qu'on arrête là- bas? Oui, vraiment… Puis encore une chose importante, Raoul: si vous êtes blessé dans une charge, si vous tombez de votre cheval et s'il vous reste encore quelque force, dérangez-vous de la ligne qu'a suivie votre régiment; autrement, il peut être ramené, et vous seriez foulé aux pieds des chevaux. En tout cas, si vous étiez blessé, écrivez-moi à l'instant même, ou faites-moi écrire; nous nous connaissons en blessures, nous autres, ajouta Athos en souriant.

– Merci, monsieur, répondit le jeune homme tout ému.

– Ah! nous voici à Saint-Denis, murmura Athos.

Ils arrivaient effectivement en ce moment à la porte de la ville, gardée par deux sentinelles. L'une dit à l'autre:

– Voici encore un jeune gentilhomme qui m'a l'air de se rendre à l'armée.

Athos se retourna: tout ce qui s'occupait, d'une façon même indirecte, de Raoul prenait aussitôt un intérêt à ses yeux.

– À quoi voyez-vous cela? demanda-t-il.

– À son air, monsieur, dit la sentinelle. D'ailleurs il a l'âge.

C'est le second d'aujourd'hui.

– Il est déjà passé ce matin un jeune homme comme moi? demanda

Raoul.

– Oui, ma foi, de haute mine et dans un bel équipage, cela m'a eu l'air de quelque fils de bonne maison.

– Ce me sera un compagnon de route, monsieur, reprit Raoul en continuant son chemin; mais, hélas! il ne me fera pas oublier celui que je perds.

– Je ne crois pas que vous le rejoigniez, Raoul, car j'ai à vous parler ici, et ce que j'ai à vous dire durera peut-être assez de temps pour que ce gentilhomme prenne de l'avance sur vous.

– Comme il vous plaira, monsieur.

Tout en causant ainsi on traversait les rues qui étaient pleines de monde à cause de la solennité de la fête, et l'on arrivait en face de la vieille basilique, dans laquelle on disait une première messe.

– Mettons pied à terre, Raoul, dit Athos. Vous, Olivain, gardez nos chevaux et me donnez l'épée.

Athos prit à la main l'épée que lui tendait le laquais, et les deux gentilshommes entrèrent dans l'église.

Athos présenta de l'eau bénite à Raoul. Il y a dans certains coeurs de père un peu de cet amour prévenant qu'un amant a pour sa maîtresse.

Le jeune homme toucha la main d'Athos, salua et se signa. Athos dit un mot à l'un des gardiens, qui s'inclina et marcha dans la direction des caveaux.

– Venez, Raoul, dit Athos, et suivons cet homme.

Le gardien ouvrit la grille des tombes royales et se tint sur la haute marche, tandis qu'Athos et Raoul descendaient. Les profondeurs de l'escalier sépulcral étaient éclairées par une lampe d'argent brûlant sur la dernière marche, et juste au-dessous de cette lampe reposait, enveloppé d'un large manteau de velours violet semé de fleurs de lis d'or, un catafalque soutenu par des chevalets de chêne.

Le jeune homme, préparé à cette situation par l'état de son propre coeur plein de tristesse, par la majesté de l'église qu'il avait traversée, était descendu d'un pas lent et solennel, et se tenait debout et la tête découverte devant cette dépouille mortelle du dernier roi, qui ne devait aller rejoindre ses aïeux que lorsque son successeur viendrait le rejoindre lui-même, et qui semblait demeurer là pour dire à l'orgueil humain, parfois si facile à s'exalter sur le trône:

– Poussière terrestre, je t'attends!

Il se fit un instant de silence.

Puis Athos leva la main, et désignant du doigt le cercueil:

– Cette sépulture incertaine, dit-il, est celle d'un homme faible et sans grandeur, et qui eut cependant un règne plein d'immenses événements; c'est qu'au-dessus de ce roi veillait l'esprit d'un autre homme, comme cette lampe veille au-dessus de ce cercueil et l'éclaire. Celui-là, c'était le roi réel, Raoul; l'autre n'était qu'un fantôme dans lequel il mettait son âme. Et cependant, tant est puissante la majesté monarchique chez nous, cet homme n'a pas même l'honneur d'une tombe aux pieds de celui pour la gloire duquel il a usé sa vie, car cet homme, Raoul, souvenez-vous de cette chose, s'il a fait ce roi petit, il a fait la royauté grande, et il y a deux choses enfermées au palais du Louvre: le roi, qui meurt, et la royauté qui ne meurt pas. Ce règne est passé, Raoul; ce ministre tant redouté, tant craint, tant haï de son maître, est descendu dans la tombe, tirant après lui le roi qu'il ne voulait pas laisser vivre seul, de peur sans doute qu'il ne détruisît son oeuvre, car un roi n'édifie que lorsqu'il a près de lui soit Dieu, soit l'esprit de Dieu. Alors, cependant, tout le monde regarda la mort du cardinal comme une délivrance, et moi- même, tant sont aveugles les contemporains, j'ai quelquefois traversé en face les desseins de ce grand homme qui tenait la France dans ses mains, et qui, selon qu'il les serrait ou les ouvrait, l'étouffait ou lui donnait de l'air à son gré. S'il ne m'a pas broyé, moi et mes amis, dans sa terrible colère, c'était sans doute pour que je puisse aujourd'hui vous dire: Raoul, sachez distinguer toujours le roi de la royauté; le roi n'est qu'un homme, la royauté, c'est l'esprit de Dieu; quand vous serez dans le doute de savoir qui vous devez servir, abandonnez l'apparence matérielle pour le principe invisible, car le principe invisible est tout. Seulement, Dieu a voulu rendre ce principe palpable en l'incarnant dans un homme. Raoul, il me semble que je vois votre avenir comme à travers un nuage. Il est meilleur que le nôtre, je le crois. Tout au contraire de nous, qui avons eu un ministre sans roi, vous aurez, vous, un roi sans ministre. Vous pourrez donc servir, aimer et respecter le roi. Si ce roi est un tyran, car la toute-puissance a son vertige qui la pousse à la tyrannie, servez, aimez et respectez la royauté, c'est-à-dire la chose infaillible, c'est-à-dire l'esprit de Dieu sur la terre, c'est-à-dire cette étincelle céleste qui fait la poussière si grande et si sainte que, nous autres gentilshommes de haut lieu cependant, nous sommes aussi peu de chose devant ce corps étendu sur la dernière marche de cet escalier que ce corps lui-même devant le trône du Seigneur.

– J'adorerai Dieu, monsieur, dit Raoul, je respecterai la royauté; je servirai le roi, et tâcherai, si je meurs, que ce soit pour le roi, pour la royauté ou pour Dieu. Vous ai-je bien compris?

Athos sourit.

– Vous êtes une noble nature, dit-il, voici votre épée.

Raoul mit un genou en terre.

– Elle a été portée par mon père, un loyal gentilhomme. Je l'ai portée à mon tour, et lui ai fait honneur quelquefois quand la poignée était dans ma main et que son fourreau pendait à mon côté. Si votre main est faible encore pour manier cette épée, Raoul, tant mieux, vous aurez plus de temps à apprendre à ne la tirer que lorsqu'elle devra voir le jour.

– Monsieur, dit Raoul en recevant l'épée de la main du comte, je vous dois tout; cependant, cette épée est le plus précieux présent que vous m'ayez fait. Je la porterai, je vous jure, en homme reconnaissant.

Et il approcha ses lèvres de la poignée, qu'il baisa avec respect.

– C'est bien, dit Athos. Relevez-vous, vicomte, et embrassons- nous.

Raoul se releva et se jeta avec effusion dans les bras d'Athos.

– Adieu, murmura le comte, qui sentait son coeur se fondre, adieu, et pensez à moi.

– Oh! éternellement! éternellement! s'écria le jeune homme. Oh! je le jure, monsieur, et s'il m'arrive malheur, votre nom sera le dernier nom que je prononcerai, votre souvenir ma dernière pensée.

Athos remonta précipitamment pour cacher son émotion, donna une pièce d'or au gardien des tombeaux, s'inclina devant l'autel et gagna à grands pas le porche de l'église, au bas duquel Olivain attendait avec les deux autres chevaux.

– Olivain, dit-il en montrant le baudrier de Raoul, resserrez la boucle de cette épée qui tombe un peu bas. Bien. Maintenant, vous accompagnerez M. le vicomte jusqu'à ce que Grimaud vous ait rejoints; lui venu, vous quitterez le vicomte. Vous entendez, Raoul? Grimaud est un vieux serviteur plein de courage et de prudence, Grimaud vous suivra.

– Oui, monsieur, dit Raoul.

– Allons, à cheval, que je vous voie partir.

Raoul obéit.

– Adieu! Raoul, dit le comte, adieu, mon cher enfant.

– Adieu, monsieur, dit Raoul, adieu, mon bien-aimé protecteur!

Athos fit signe de la main, car il n'osait parler, et Raoul s'éloigna, la tête découverte.

Athos resta immobile et le regardant aller jusqu'au moment où il disparut au tournant d'une rue.

Alors le comte jeta la bride de son cheval aux mains d'un paysan, remonta lentement les degrés, rentra dans l'église, alla s'agenouiller dans le coin le plus obscur et pria.

XXV. Un des quarante moyens d'évasion de Monsieur de Beaufort

Cependant le temps s'écoulait pour le prisonnier comme pour ceux qui s'occupaient de sa fuite: seulement, il s'écoulait plus lentement. Tout au contraire des autres hommes qui prennent avec ardeur une résolution périlleuse et qui se refroidissent à mesure que le moment de l'exécuter se rapproche, le duc de Beaufort, dont le courage bouillant était passé en proverbe, et qu'avait enchaîné une inaction de cinq années, le duc de Beaufort semblait pousser le temps devant lui et appelait de tous ses voeux l'heure de l'action. Il y avait dans son évasion seule, à part les projets qu'il nourrissait pour l'avenir, projets, il faut l'avouer, encore fort vagues et fort incertains, un commencement de vengeance qui lui dilatait le coeur. D'abord sa fuite était une mauvaise affaire pour M. de Chavigny, qu'il avait pris en haine à cause des petites persécutions auxquelles il l'avait soumis; puis, une plus mauvaise affaire contre le Mazarin, que avait pris en exécration à cause des grands reproches qu'il avait à lui faire. On voit que toute proportion était gardée entre les sentiments que M. de Beaufort avait voués au gouverneur et au ministre, au subordonné et au maître.

Puis M. de Beaufort, qui connaissait si bien l'intérieur du Palais-Royal, qui n'ignorait pas les relations de la reine et du cardinal, mettait en scène, de sa prison, tout ce mouvement dramatique qui allait s'opérer, quand ce bruit retentirait du cabinet du ministre à la chambre d'Anne d'Autriche: M. de Beaufort est sauvé! En se disant tout cela à lui-même, M. de Beaufort souriait doucement, se croyait déjà dehors, respirant l'air des plaines et des forêts, pressant un cheval vigoureux entre ses jambes et criant à haute voix: «Je suis libre!»

Il est vrai qu'en revenant à lui, il se trouvait entre ses quatre murailles, voyait à dix pas de lui La Ramée qui tournait ses pouces l'un autour de l'autre, et dans l'antichambre, ses gardes qui riaient ou qui buvaient.

La seule chose qui le reposait de cet odieux tableau, tant est grande l'instabilité de l'esprit humain, c'était la figure refrognée de Grimaud, cette figure qu'il avait prise d'abord en haine, et qui depuis était devenue toute son espérance. Grimaud lui semblait un Antinoüs.

Il est inutile de dire que tout cela était un jeu de l'imagination fiévreuse du prisonnier. Grimaud était toujours le même. Aussi avait-il conservé la confiance entière de son supérieur La Ramée, qui maintenant se serait fié à lui mieux qu'à lui-même: car, nous l'avons dit, La Ramée se sentait au fond du coeur un certain faible pour M. de Beaufort.

Aussi ce bon La Ramée se faisait-il une fête de ce petit souper en tête à tête avec son prisonnier. La Ramée n'avait qu'un défaut, il était gourmand; il avait trouvé les pâtés bons, le vin excellent. Or, le successeur du père Marteau lui avait promis un pâté de faisan au lieu d'un pâté de volaille, et du vin de Chambertin au lieu du vin de Mâcon. Tout cela, rehaussé de la présence de cet excellent prince qui était si bon au fond, qui inventait de si drôles de tours contre M. de Chavigny, et de, si bonnes plaisanteries contre le Mazarin, faisait pour La Ramée, de cette belle Pentecôte qui allait venir, une des quatre grandes fêtes de l'année.

La Ramée attendait donc six heures du soir avec autant d'impatience que le duc.

Dès le matin il s'était préoccupé de tous les détails, et, ne se fiant qu'à lui-même, il avait fait en personne une visite au successeur du père Marteau. Celui-ci s'était surpassé: il lui montra un véritable pâté monstre, orné sur sa couverture des armes de M. de Beaufort: le pâté était vide encore, mais près de lui étaient un faisan et deux perdrix, piqués si menu, qu'ils avaient l'air chacun d'une pelote d'épingles. L'eau en était venue à la bouche de La Ramée, et il était rentré dans la chambre du duc en se frottant les mains.

 

Pour comble de bonheur, comme nous l'avons dit, M. de Chavigny, se reposant sur La Ramée, était allé faire lui-même un petit voyage, et était parti le matin même, ce qui faisait de La Ramée le sous- gouverneur du château.

Quant à Grimaud, il paraissait plus refrogné que jamais.

Dans la matinée, M. de Beaufort avait fait avec La Ramée une partie de paume; un signe de Grimaud lui avait fait comprendre de faire attention à tout.

Grimaud, marchant devant, traçait le chemin qu'on avait à suivre le soir. Le jeu de paume était dans ce qu'on appelait l'enclos de la petite cour du château. C'était un endroit assez désert, où l'on ne mettait de sentinelles qu'au moment où M. de Beaufort faisait sa partie; encore, à cause de la hauteur de la muraille, cette précaution paraissait-elle superflue.

Il y avait trois portes à ouvrir avant d'arriver à cet enclos.

Chacune s'ouvrait avec une clef différente.

En arrivant à l'enclos, Grimaud alla machinalement s'asseoir près d'une meurtrière, les jambes pendantes en dehors de la muraille. Il devenait évident que c'était à cet endroit qu'on attacherait l'échelle de corde.

Toute cette manoeuvre, compréhensible pour le duc de Beaufort, était, on en conviendra, inintelligible pour La Ramée.

La partie commença. Cette fois, M. de Beaufort était en veine, et l'on eût dit qu'il posait avec la main les balles où il voulait qu'elles allassent. La Ramée fut complètement battu.

Quatre des gardes de M. de Beaufort l'avaient suivi et ramassaient les balles: le jeu terminé, M. de Beaufort, tout en raillant à son aise La Ramée sur sa maladresse, offrit aux gardes deux louis pour aller boire à sa santé avec leurs quatre autres camarades.

Les gardes demandèrent l'autorisation de La Ramée, qui la leur donna, mais pour le soir seulement. Jusque-là, La Ramée avait à s'occuper de détails importants; il désirait, comme il avait des courses à faire, que le prisonnier ne fût pas perdu de vue.

M. de Beaufort aurait arrangé les choses lui-même que, selon toute probabilité, il les eût faites moins à sa convenance que ne le faisait son gardien.

Enfin six heures sonnèrent; quoiqu'on ne dût se mettre à table qu'à sept heures, le dîner se trouvait prêt et servi. Sur un buffet était le pâté colossal aux armes du duc et paraissant cuit à point, autant qu'on en pouvait juger par la couleur dorée qui enluminait sa croûte.

Le reste du dîner était à l'avenant.

Tout le monde était impatient, les gardes d'aller boire, La Ramée de se mettre à table, et M. de Beaufort de se sauver.

Grimaud seul était impassible. On eût dit qu'Athos avait fait son éducation dans la prévision de cette grande circonstance.

Il y avait des moments où, en le regardant, le duc de Beaufort se demandait s'il ne faisait point un rêve, et si cette figure de marbre était bien réellement à son service et s'animerait au moment venu.

La Ramée renvoya les gardes en leur recommandant de boire à la santé du prince; puis, lorsqu'ils furent partis, il ferma les portes, mit les clefs dans sa poche, et montra la table au prince d'un air qui voulait dire:

– Quand Monseigneur voudra.

Le prince regarda Grimaud, Grimaud regarda la pendule: il était six heures un quart à peine, l'évasion était fixée à sept heures, il y avait donc trois quarts d'heure à attendre.

Le prince, pour gagner un quart d'heure, prétexta une lecture qui l'intéressait et demanda à finir son chapitre. La Ramée s'approcha, regarda par-dessus son épaule quel était ce livre qui avait sur le prince cette influence de l'empêcher de se mettre à table quand le dîner était servi.

C'étaient les Commentaires de César, que lui-même, contre les ordonnances de M. de Chavigny, lui avait procurés trois jours auparavant.

La Ramée se promit bien de ne plus se mettre en contravention avec les règlements du donjon.

En attendant, il déboucha les bouteilles et alla flairer le pâté.

À six heures et demie, le duc se leva en disant avec gravité:

– Décidément, César était le plus grand homme de l'antiquité.

– Vous trouvez, Monseigneur, dit La Ramée.

– Oui.

– Eh bien! moi, reprit La Ramée, j'aime mieux Annibal.

– Et pourquoi cela, maître La Ramée? demanda le duc.

– Parce qu'il n'a pas laissé de Commentaires, dit La Ramée avec son gros sourire.

Le duc comprit l'allusion et se mit à table en faisant signe à La

Ramée de se placer en face de lui.

L'exempt ne se le fit pas répéter deux fois.

Il n'y a pas de figure aussi expressive que celle d'un véritable gourmand qui se trouve en face d'une bonne table; aussi, en recevant son assiette de potage des mains de Grimaud, la figure de La Ramée présentait-elle le sentiment de la parfaite béatitude.

Le duc le regarda avec un sourire.

– Ventre-saint-gris! La Ramée, s'écria-t-il, savez-vous que si on me disait qu'il y a en ce moment en France un homme plus heureux que vous, je ne le croirais pas!

– Et vous auriez, ma foi, raison, Monseigneur, dit La Ramée. Quant à moi, j'avoue que lorsque j'ai faim, je ne connais pas de vue plus agréable qu'une table bien servie, et si vous ajoutez, continua La Ramée, que celui qui fait les honneurs de cette table est le petit-fils de Henri le Grand, alors vous comprendrez, Monseigneur, que l'honneur qu'on reçoit double le plaisir qu'on goûte.

Le prince s'inclina à son tour, et un imperceptible sourire parut sur le visage de Grimaud, qui se tenait derrière La Ramée.

– Mon cher La Ramée, dit le duc, il n'y a en vérité que vous pour tourner un compliment.

– Non, Monseigneur, dit La Ramée dans l'effusion de son âme; non, en vérité, je dis ce que je pense, il n'y a pas de compliment dans ce que je vous dis là.

– Alors, vous m'êtes attaché? demanda le prince.

– C'est-à-dire, reprit La Ramée, que je ne me consolerais pas si

Votre Altesse sortait de Vincennes.

– Une drôle de manière de témoigner votre affliction. (Le prince voulait dire affection.)

– Mais, Monseigneur, dit La Ramée, que feriez-vous dehors? Quelque folie qui vous brouillerait avec la cour et vous ferait mettre à la Bastille au lieu d'être à Vincennes. M. de Chavigny n'est pas aimable, j'en conviens, continua La Ramée en savourant un verre de madère, mais M. du Tremblay, c'est bien pis.

– Vraiment! dit le duc, qui s'amusait du tour que prenait la conversation et qui de temps en temps regardait la pendule, dont l'aiguille marchait avec une lenteur désespérante.

– Que voulez-vous attendre du frère d'un capucin nourri à l'école du cardinal de Richelieu! Ah! Monseigneur, croyez-moi, c'est un grand bonheur que la reine, qui vous a toujours voulu du bien, à ce que j'ai entendu dire du moins, ait eu l'idée de vous envoyer ici, où il y a promenade, jeu de paume, bonne table, bon air.

– En vérité, dit le duc, à vous entendre, La Ramée, je suis donc bien ingrat d'avoir eu un instant l'idée de sortir d'ici?

– Oh! Monseigneur, c'est le comble de l'ingratitude, reprit La

Ramée; mais Votre Altesse n'y a jamais songé sérieusement.

– Si fait, reprit le duc, et, je dois vous l'avouer, c'est peut- être une folie, je ne dis pas non, mais de temps en temps j'y songe encore.

– Toujours par un de vos quarante moyens, Monseigneur?

– Eh! mais, oui, reprit le duc.

– Monseigneur, dit La Ramée, puisque nous sommes aux épanchements, dites-moi un de ces quarante moyens inventés par Votre Altesse.

– Volontiers, dit le duc. Grimaud, donnez-moi le pâté.

– J'écoute, dit La Ramée en se renversant sur son fauteuil, en soulevant son verre et en clignant de l'oeil, pour regarder le soleil à travers le rubis liquide qu'il contenait.

Le duc jeta un regard sur la pendule. Dix minutes encore et elle allait sonner sept heures.

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