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Vingt ans après

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XVI. Le château de Bragelonne

D'Artagnan était resté pendant toute cette scène le regard effaré, la bouche presque béante, il avait si peu trouvé les choses selon ses prévisions, qu'il en était resté stupide d'étonnement.

Athos lui prit le bras et l'emmena dans le jardin.

– Pendant qu'on nous prépare à souper, dit-il en souriant, vous ne serez point fâché, n'est-ce pas, mon ami, d'éclaircir un peu tout ce mystère qui vous fait rêver?

– Il est vrai, monsieur le comte, dit d'Artagnan, qui avait senti peu à peu Athos reprendre sur lui cette immense supériorité d'aristocrate qu'il avait toujours eue.

Athos le regarda avec son doux sourire.

– Et d'abord, dit-il, mon cher d'Artagnan, il n'y a point ici de monsieur le comte. Si je vous ai appelé chevalier, c'était pour vous présenter à mes hôtes, afin qu'ils sussent qui vous étiez; mais, pour vous, d'Artagnan, je suis, je l'espère, toujours Athos, votre compagnon, votre ami. Préférez-vous le cérémonial parce que vous m'aimez moins?

– Oh! Dieu m'en préserve! dit le Gascon avec un de ces loyaux élans de jeunesse qu'on retrouve si rarement dans l'âge mûr.

– Alors revenons à nos habitudes, et, pour commencer, soyons francs. Tout vous étonne ici?

– Profondément.

– Mais ce qui vous étonne le plus, dit Athos en souriant, c'est moi, avouez-le.

– Je vous l'avoue.

– Je suis encore jeune, n'est-ce pas, malgré mes quarante-neuf ans, je suis reconnaissable encore?

– Tout au contraire, dit d'Artagnan tout prêt à outrer la recommandation de franchise que lui avait faite Athos, c'est que vous ne l'êtes plus du tout.

– Ah! je comprends, dit Athos avec une légère rougeur, tout a une fin, d'Artagnan, la folie comme autre chose.

– Puis il s'est fait un changement dans votre fortune, ce me semble. Vous êtes admirablement logé; cette maison est à vous, je présume.

– Oui; c'est ce petit bien, vous savez, mon ami, dont je vous ai dit que j'avais hésité quand j'ai quitté le service.

– Vous avez parc, chevaux, équipages.

Athos sourit.

– Le parc a vingt arpents, mon ami, dit-il; vingt arpents sur lesquels sont pris les potagers et les communs. Mes chevaux sont au nombre de deux; bien entendu que je ne compte pas le courtaud de mon valet. Mes équipages se réduisent à quatre chiens de bois, à deux lévriers et à un chien d'arrêt. Encore tout ce luxe de meute, ajouta Athos en souriant, n'est-il pas pour moi.

– Oui, je comprends, dit d'Artagnan, c'est pour le jeune homme, pour Raoul.

Et d'Artagnan regarda Athos avec un sourire involontaire.

– Vous avez deviné, mon ami! dit Athos.

– Et ce jeune homme est votre commensal, votre filleul, votre parent peut-être? Ah! que vous êtes changé, mon cher Athos!

– Ce jeune homme, répondit Athos avec calme, ce jeune homme, d'Artagnan, est un orphelin que sa mère avait abandonné chez un pauvre curé de campagne; je l'ai nourri, élevé.

– Et il doit vous être bien attaché?

– Je crois qu'il m'aime comme si j'étais son père.

– Bien reconnaissant surtout?

– Oh! quant à la reconnaissance, dit Athos, elle est réciproque, je lui dois autant qu'il me doit; et je ne le lui dis pas, à lui, mais je le dis à vous, d'Artagnan, je suis encore son obligé.

– Comment cela? dit le mousquetaire étonné.

– Eh! mon Dieu, oui! c'est lui qui a causé en moi le changement que vous voyez: je me desséchais comme un pauvre arbre isolé qui ne tient en rien sur la terre, il n'y avait qu'une affection profonde qui pût me faire reprendre racine dans la vie. Une maîtresse? j'étais trop vieux. Des amis? je ne vous avais plus là. Eh bien! cet enfant m'a fait retrouver tout ce que j'avais perdu; je n'avais plus le courage de vivre pour moi, j'ai vécu pour lui. Les leçons sont beaucoup pour un enfant, l'exemple vaut mieux. Je lui ai donné l'exemple, d'Artagnan. Les vices que j'avais, je m'en suis corrigé; les vertus que je n'avais pas, j'ai feint de les avoir. Aussi, je ne crois pas m'abuser, d'Artagnan, mais Raoul est destiné à être un gentilhomme aussi complet qu'il est donné à notre âge appauvri d'en fournir encore.

D'Artagnan regardait Athos avec une admiration croissante. Ils se promenaient sous une allée fraîche et ombreuse, à travers laquelle filtraient obliquement quelques rayons de soleil couchant. Un de ces rayons dorés illuminait le visage d'Athos, et ses yeux semblaient rendre à leur tour ce feu tiède et calme du soir qu'ils recevaient.

L'idée de milady vint se présenter à l'esprit de d'Artagnan.

– Et vous êtes heureux? dit-il à son ami.

L'oeil vigilant d'Athos pénétra jusqu'au fond du coeur de d'Artagnan, et sembla y lire sa pensée.

– Aussi heureux qu'il est permis à une créature de Dieu de l'être sur la terre. Mais achevez votre pensée, d'Artagnan, car vous ne me l'avez pas dite tout entière.

– Vous êtes terrible, Athos, et l'on ne vous peut rien cacher, dit d'Artagnan. Eh bien! oui, je voulais vous demander si vous n'avez pas quelquefois des mouvements inattendus de terreur qui ressemblent…

– À des remords? continua Athos. J'achève votre phrase, mon ami. Oui et non: je n'ai pas de remords, parce que cette femme, je le crois, méritait la peine qu'elle a subie; je n'ai pas de remords, parce que, si nous l'eussions laissée vivre, elle eût sans aucun doute continué son oeuvre de destruction; mais cela ne veut pas dire, ami, que j'aie cette conviction que nous avions le droit de faire ce que nous avons fait. Peut-être tout sang versé veut-il une expiation. Elle a accompli la sienne; peut-être à notre tour nous reste-t-il à accomplir la nôtre.

– Je l'ai quelquefois pensé comme vous, Athos, dit d'Artagnan.

– Elle avait un fils, cette femme?

– Oui.

– En avez-vous quelquefois entendu parler?

– Jamais.

– Il doit avoir vingt-trois ans, murmura Athos; je pense souvent à ce jeune homme, d'Artagnan.

– C'est étrange! et moi qui l'avais oublié!

Athos sourit mélancoliquement.

– Et lord de Winter, en avez-vous quelque nouvelle?

– Je sais qu'il était en grande faveur près du roi Charles Ier.

– Il aura suivi sa fortune, qui est mauvaise en ce moment. Tenez, d'Artagnan, continua Athos, cela revient à ce que je vous ai dit tout à l'heure. Lui, il a laissé couler le sang de Strafford; le sang appelle le sang. Et la reine?

– Quelle reine?

– Madame Henriette d'Angleterre, la fille de Henri IV.

– Elle est au Louvre, comme vous savez.

– Oui, où elle manque de tout, n'est-ce pas? Pendant les grands froids de cet hiver, sa fille malade, m'a-t-on dit, était forcée, faute de bois, de rester couchée. Comprenez-vous cela? dit Athos en haussant les épaules. La fille de Henri IV grelottant faute d'un fagot! Pourquoi n'est-elle pas venue demander l'hospitalité au premier venu de nous au lieu de la demander au Mazarin! elle n'eût manqué de rien.

– La connaissez-vous donc, Athos?

– Non, mais ma mère l'a vue enfant. Vous ai-je jamais dit que ma mère avait été dame d'honneur de Marie de Médicis?

– Jamais. Vous ne dites pas de ces choses-là, vous, Athos.

– Ah! mon Dieu si, vous le voyez, reprit Athos; mais encore faut- il que l'occasion s'en présente.

– Porthos ne l'attendrait pas si patiemment, dit d'Artagnan avec un sourire.

– Chacun sa nature, mon cher d'Artagnan. Porthos a, malgré un peu de vanité, des qualités excellentes. L'avez-vous revu?

– Je le quitte il y a cinq jours, dit d'Artagnan.

Et alors il raconta, avec la verve de son humeur gasconne, toutes les magnificences de Porthos en son château de Pierrefonds; et, tout en criblant son ami, il lança deux ou trois flèches à l'adresse de cet excellent M. Mouston.

– J'admire, répliqua Athos en souriant de cette gaieté qui lui rappelait leurs bons jours, que nous ayons autrefois formé au hasard une société d'hommes encore si bien liés les uns aux autres, malgré vingt ans de séparation. L'amitié jette des racines bien profondes dans les coeurs honnêtes, d'Artagnan; croyez-moi, il n'y a que les méchants qui nient l'amitié, parce qu'ils ne la comprennent pas. Et Aramis?

– Je l'ai vu aussi, dit d'Artagnan, mais il m'a paru froid.

– Ah! vous avez vu Aramis, reprit Athos en regardant d'Artagnan avec son oeil investigateur. Mais c'est un véritable pèlerinage, cher ami, que vous faites au temple de l'Amitié, comme diraient les poètes.

– Mais oui, dit d'Artagnan embarrassé.

– Aramis, vous le savez, continua Athos, est naturellement froid, puis il est toujours empêché dans des intrigues de femmes.

– Je lui en crois en ce moment une fort compliquée, dit d'Artagnan.

Athos ne répondit pas.

– Il n'est pas curieux, pensa d'Artagnan.

Non seulement Athos ne répondit pas, mais encore il changea la conversation.

– Vous le voyez, dit-il en faisant remarquer à d'Artagnan qu'ils étaient revenus près du château, en une heure de promenade, nous avons quasi fait le tour de mes domaines.

– Tout y est charmant, et surtout tout y sent son gentilhomme, répondit d'Artagnan.

En ce moment on entendit le pas d'un cheval.

– C'est Raoul qui revient, dit Athos, nous allons avoir des nouvelles de la pauvre petite.

En effet, le jeune homme reparut à la grille et rentra dans la cour tout couvert de poussière, puis sauta à bas de son cheval qu'il remit aux mains d'une espèce de palefrenier; il vint saluer le comte et d'Artagnan.

– Monsieur, dit Athos en posant la main sur l'épaule de d'Artagnan, monsieur est le chevalier d'Artagnan, dont vous m'avez entendu parler souvent, Raoul.

– Monsieur, dit le jeune homme en saluant de nouveau et plus profondément, M. le comte a prononcé votre nom devant moi comme un exemple chaque fois qu'il a eu à citer un gentilhomme intrépide et généreux.

 

Ce petit compliment ne laissa pas que d'émouvoir d'Artagnan, qui sentit son coeur doucement remué. Il tendit une main à Raoul en lui disant:

– Mon jeune ami, tous les éloges que l'on fait de moi doivent retourner à M. le comte que voici: car il a fait mon éducation en toutes choses, et ce n'est pas sa faute si l'élève a si mal profité. Mais il se rattrapera sur vous, j'en suis sûr. J'aime votre air, Raoul, et votre politesse m'a touché.

Athos fut plus ravi qu'on ne saurait le dire: il regarda d'Artagnan avec reconnaissance, puis attacha sur Raoul un de ces sourires étranges dont les enfants sont fiers lorsqu'ils les saisissent.

– À présent, se dit d'Artagnan, à qui ce jeu muet de physionomie n'avait point échappé, j'en suis certain.

– Eh bien! dit Athos, j'espère que l'accident n'a pas eu de suite?

– On ne sait encore rien, monsieur, et le médecin n'a rien pu dire à cause de l'enflure; il craint cependant qu'il n'y ait quelque nerf endommagé.

– Et vous n'êtes pas resté plus tard près de madame de Saint-

Remy?

– J'aurais craint de n'être pas de retour pour l'heure de votre dîner, monsieur, dit Raoul, et par conséquent de vous faire attendre.

En ce moment un petit garçon, moitié paysan, moitié laquais, vint avertir que le souper était servi.

Athos conduisit son hôte dans une salle à manger fort simple, mais dont les fenêtres s'ouvraient d'un côté sur le jardin et de l'autre sur une serre où poussaient de magnifiques fleurs.

D'Artagnan jeta les yeux sur le service: la vaisselle était magnifique; on voyait que c'était de la vieille argenterie de famille. Sur un dressoir était une aiguière d'argent superbe; d'Artagnan s'arrêta à la regarder.

– Ah! voilà qui est divinement fait, dit-il.

– Oui, répondit Athos, c'est un chef-d'oeuvre d'un grand artiste florentin nommé Benvenuto Cellini.

– Et la bataille qu'elle représente?

– Est celle de Marignan. C'est le moment où l'un de mes ancêtres donne son épée à François Ier, qui vient de briser la sienne. Ce fut à cette occasion qu'Enguerrand de la Fère, mon aïeul, fut fait chevalier de Saint-Michel. En outre, le roi, quinze ans plus tard, car il n'avait pas oublié qu'il avait combattu trois heures encore avec l'épée de son ami Enguerrand sans qu'elle se rompît, lui fit don de cette aiguière et d'une épée que vous avez peut-être vue autrefois chez moi, et qui est aussi un assez beau morceau d'orfèvrerie. C'était le temps des géants, dit Athos. Nous sommes des nains, nous autres, à côté de ces hommes-là. Asseyons-nous, d'Artagnan, et soupons. À propos, dit Athos au petit laquais qui venait de servir le potage, appelez Charlot.

L'enfant sortit, et, un instant après, l'homme de service auquel les deux voyageurs s'étaient adressés en arrivant entra.

– Mon cher Charlot, lui dit Athos, je vous recommande particulièrement, pour tout le temps qu'il demeurera ici, Planchet, le laquais de monsieur d'Artagnan. Il aime le bon vin; vous avez la clef des caves. Il a couché longtemps sur la dure et ne doit pas détester un bon lit; veillez encore à cela, je vous prie.

Charlot s'inclina et sortit.

– Charlot est aussi un brave homme, dit le comte, voici dix-huit ans qu'il me sert.

– Vous pensez à tout, dit d'Artagnan, et je vous remercie pour

Planchet, mon cher Athos.

Le jeune homme ouvrit de grands yeux à ce nom, et regarda si c'était bien au comte que d'Artagnan parlait.

– Ce nom vous paraît bizarre, n'est-ce pas, Raoul? dit Athos en souriant. C'était mon nom de guerre, alors que M. d'Artagnan, deux braves amis et moi faisions nos prouesses à La Rochelle sous le défunt cardinal et sous M. de Bassompierre qui est mort aussi depuis. Monsieur daigne me conserver ce nom d'amitié, et chaque fois que je l'entends, mon coeur est joyeux.

– Ce nom-là était célèbre, dit d'Artagnan, et il eut un jour les honneurs du triomphe.

– Que voulez-vous dire, monsieur? demanda Raoul avec sa curiosité juvénile.

– Je n'en sais ma foi rien, dit Athos.

– Vous avez oublié le bastion Saint-Gervais, Athos, et cette serviette dont trois balles firent un drapeau. J'ai meilleure mémoire que vous, je m'en souviens, et je vais vous raconter cela, jeune homme.

Et il raconta à Raoul toute l'histoire du bastion, comme Athos lui avait raconté celle de son aïeul.

À ce récit, le jeune homme crut voir se dérouler un de ces faits d'armes racontés par le Tasse ou l'Arioste, et qui appartiennent aux temps prestigieux de la chevalerie.

– Mais ce que ne vous dit pas d'Artagnan, Raoul, reprit à son tour Athos, c'est qu'il était une des meilleures lames de son temps: jarret de fer, poignet d'acier, coup d'oeil sûr et regard brûlant, voilà ce qu'il offrait à son adversaire: il avait dix- huit ans, trois ans de plus que vous, Raoul, lorsque je le vis à l'oeuvre pour la première fois et contre des hommes éprouvés.

– Et M. d'Artagnan fut vainqueur? dit le jeune homme, dont les yeux brillaient pendant cette conversation et semblaient implorer des détails.

– J'en tuai un, je crois! dit d'Artagnan interrogeant Athos du regard. Quant à l'autre, je le désarmai, ou je le blessai, je ne me le rappelle plus.

– Oui, vous le blessâtes. Oh! vous étiez un rude athlète!

– Eh! je n'ai pas encore trop perdu, reprit d'Artagnan avec son petit rire gascon plein de contentement de lui-même, et dernièrement encore…

Un regard d'Athos lui ferma la bouche.

– Je veux que vous sachiez, Raoul, reprit Athos, vous qui vous croyez une fine épée et dont la vanité pourrait souffrir un jour quelque cruelle déception; je veux que vous sachiez combien est dangereux l'homme qui unit le sang-froid à l'agilité, car jamais je ne pourrais vous en offrir un plus frappant exemple: priez demain monsieur d'Artagnan, s'il n'est pas trop fatigué, de vouloir bien vous donner une leçon.

– Peste, mon cher Athos, vous êtes cependant un bon maître, surtout sous le rapport des qualités que vous vantez en moi. Tenez, aujourd'hui encore, Planchet me parlait de ce fameux duel de l'enclos des Carmes, avec lord de Winter et ses compagnons. Ah! jeune homme, continua d'Artagnan, il doit y avoir quelque part une épée que j'ai souvent appelée la première du royaume.

– Oh! j'aurai gâté ma main avec cet enfant, dit Athos.

– Il y a des mains qui ne se gâtent jamais, mon cher Athos, dit d'Artagnan, mais qui gâtent beaucoup les autres.

Le jeune homme eût voulu prolonger cette conversation toute la nuit; mais Athos lui fit observer que leur hôte devait être fatigué et avait besoin de repos. D'Artagnan s'en défendit par politesse, mais Athos insista pour que d'Artagnan prit possession de sa chambre. Raoul y conduisit l'hôte du logis; et, comme Athos pensa qu'il resterait le plus tard possible près de d'Artagnan pour lui faire dire toutes les vaillantises de leur jeune temps, il vint le chercher lui-même un instant après, et ferma cette bonne soirée par une poignée de main bien amicale et un souhait de bonne nuit au mousquetaire.

XVII. La diplomatie d'Athos

D'Artagnan s'était mis au lit bien moins pour dormir que pour être seul et penser à tout ce qu'il avait vu et entendu dans cette soirée.

Comme il était d'un bon naturel et qu'il avait eu tout d'abord pour Athos un penchant instinctif qui avait fini par devenir une amitié sincère, il fut enchanté de trouver un homme brillant d'intelligence et de force au lieu de cet ivrogne abruti qu'il s'attendait à voir cuver son vin sur quelque fumier; il accepta, sans trop regimber, cette supériorité constante d'Athos sur lui, et, au lieu de ressentir la jalousie et le désappointement qui eussent attristé une nature moins généreuse, il n'éprouva en résumé qu'une joie sincère et loyale qui lui fit concevoir pour sa négociation les plus favorables espérances.

Cependant il lui semblait qu'il ne retrouvait point Athos franc et clair sur tous les points. Qu'était-ce que ce jeune homme qu'il disait avoir adopté et qui avait avec lui une si grande ressemblance? Qu'étaient-ce que ce retour à la vie du monde et cette sobriété exagérée qu'il avait remarquée à table? Une chose même insignifiante en apparence, cette absence de Grimaud, dont Athos ne pouvait se séparer autrefois et dont le nom même n'avait pas été prononcé malgré les ouvertures faites à ce sujet, tout cela inquiétait d'Artagnan. Il ne possédait donc plus la confiance de son ami, ou bien Athos était attaché à quelque chaîne invisible, ou bien encore prévenu d'avance contre la visite qu'il lui faisait.

Il ne put s'empêcher de songer à Rochefort, à ce qu'il lui avait dit à l'église Notre-Dame. Rochefort aurait-il précédé d'Artagnan chez Athos?

D'Artagnan n'avait pas de temps à perdre en longues études. Aussi résolut-il d'en venir dès le lendemain à une explication. Ce peu de fortune d'Athos si habilement déguisé annonçait l'envie de paraître et trahissait un reste d'ambition facile à réveiller. La vigueur d'esprit et la netteté d'idées d'Athos en faisaient un homme plus prompt qu'un autre à s'émouvoir. Il entrerait dans les plans du ministre avec d'autant plus d'ardeur, que son activité naturelle serait doublée d'une dose de nécessité.

Ces idées maintenaient d'Artagnan éveillé malgré sa fatigue; il dressait ses plans d'attaque, et quoiqu'il sût qu'Athos était un rude adversaire, il fixa l'action au lendemain après le déjeuner.

Cependant il se dit aussi, d'un autre côté, que sur un terrain si nouveau il fallait s'avancer avec prudence, étudier pendant plusieurs jours les connaissances d'Athos, suivre ses nouvelles habitudes et s'en rendre compte, essayer de tirer du naïf jeune homme, soit en faisant des armes avec lui, soit en courant quelque gibier, les renseignements intermédiaires qui lui manquaient pour joindre l'Athos d'autrefois à l'Athos d'aujourd'hui; et cela devait être facile, car le précepteur devait avoir déteint sur le coeur et l'esprit de son élève. Mais d'Artagnan lui-même qui était un garçon d'une grande finesse, comprit sur-le-champ quelles chances il donnerait contre lui au cas où une indiscrétion ou une maladresse laisserait à découvert ses manoeuvres à l'oeil exercé d'Athos.

Puis, faut-il le dire, d'Artagnan, tout prêt à user de ruse contre la finesse d'Aramis ou la vanité de Porthos, d'Artagnan avait honte de biaiser avec Athos, l'homme franc, le coeur loyal. Il lui semblait qu'en le reconnaissant leur maître en diplomatie, Aramis et Porthos l'en estimeraient davantage, tandis qu'au contraire Athos l'en estimerait moins.

– Ah! pourquoi Grimaud, le silencieux Grimaud, n'est-il pas ici? disait d'Artagnan; il y a bien des choses dans son silence que j'aurais comprises, Grimaud avait un silence si éloquent!

Cependant toutes les rumeurs s'étaient éteintes successivement dans la maison; d'Artagnan avait entendu se fermer les portes et les volets; puis, après s'être répondu quelque temps les uns aux autres dans la campagne, les chiens s'étaient tus à leur tour; enfin, un rossignol perdu dans un massif d'arbres avait quelque temps égrené au milieu de la nuit ses gammes harmonieuses et s'était endormi; il ne se faisait plus dans le château qu'un bruit de pas égal et monotone au-dessous de sa chambre; il supposait que c'était la chambre d'Athos.

– Il se promène et réfléchit, pensa d'Artagnan, mais à quoi? C'est ce qu'il est impossible de savoir. On pouvait deviner le reste, mais non pas cela.

Enfin, Athos se mit au lit sans doute, car ce dernier bruit s'éteignit.

Le silence et la fatigue unis ensemble vainquirent d'Artagnan; il ferma les yeux à son tour, et presque aussitôt le sommeil le prit.

D'Artagnan n'était pas dormeur. À peine l'aube eut-elle doré ses rideaux, qu'il sauta en bas de son lit et ouvrit les fenêtres. Il lui sembla alors voir à travers la jalousie quelqu'un qui rôdait dans la cour en évitant de faire du bruit. Selon son habitude de ne rien laisser passer à sa portée sans s'assurer de ce que c'était, d'Artagnan regarda attentivement sans faire aucun bruit, et reconnut le justaucorps grenat et les cheveux bruns de Raoul.

Le jeune homme, car c'était bien lui, ouvrit la porte de l'écurie, en tira le cheval bai qu'il avait déjà monté la veille, le sella et brida lui-même avec autant de promptitude et de dextérité qu'eût pu le faire le plus habile écuyer, puis il fit sortir l'animal par l'allée droite du potager, ouvrit une petite porte latérale qui donnait sur un sentier, tira son cheval dehors, la referma derrière lui, et alors, par-dessus la crête du mur, d'Artagnan le vit passer comme une flèche en se courbant sous les branches pendantes et fleuries des érables et des acacias.

D'Artagnan avait remarqué la veille que le sentier devait conduire à Blois.

 

– Eh, eh! dit le Gascon, voici un gaillard qui fait déjà des siennes, et qui ne me paraît point partager les haines d'Athos contre le beau sexe: il ne va pas chasser, car il n'a ni armes ni chiens; il ne remplit pas un message, car il se cache. De qui se cache-t-il?.. est-ce de moi ou de son père?.. car je suis sûr que le comte est son père… Parbleu! quant à cela je le saurai, car j'en parlerai tout net à Athos.

Le jour grandissait; tous ces bruits que d'Artagnan avait entendus s'éteindre successivement la veille se réveillaient, l'un après l'autre: l'oiseau dans les branches, le chien dans l'étable, les moutons dans les champs; les bateaux amarrés sur la Loire paraissaient eux-mêmes s'animer, se détachant du rivage et se laissant aller au fil de l'eau. D'Artagnan resta ainsi à sa fenêtre pour ne réveiller personne, puis lorsqu'il eut entendu les portes et les volets du château s'ouvrir, il donna un dernier pli à ses cheveux, un dernier tour à sa moustache, brossa par habitude les rebords de son feutre avec la manche de son pourpoint, et descendit. Il avait à peine franchi la dernière marche du perron, qu'il aperçut Athos baissé vers terre et dans l'attitude d'un homme qui cherche un écu dans le sable.

– Eh! bonjour, cher hôte, dit d'Artagnan.

– Bonjour, cher ami. La nuit a-t-elle été bonne?

– Excellente, Athos, comme votre lit, comme votre souper d'hier soir qui devait me conduire au sommeil, comme, votre accueil quand vous m'avez revu. Mais que regardiez-vous donc là si attentivement? Seriez-vous devenu amateur de tulipes par hasard?

– Mon cher ami, il ne faudrait pas pour cela vous moquer de moi. À la campagne, les goûts changent fort, et on arrive à aimer, sans y faire attention, toutes ces belles choses que le regard de Dieu fait sortir du fond de la terre et que l'on méprise fort dans les villes. Je regardais tout bonnement des iris que j'avais déposés près de ce réservoir et qui ont été écrasés ce matin. Ces jardiniers sont les gens les plus maladroits du monde. En ramenant le cheval après lui avoir fait tirer de l'eau, ils l'auront laissé marcher dans la plate-bande.

D'Artagnan se prit à sourire.

– Ah! dit-il, vous croyez?

Et il amena son ami le long de l'allée, où bon nombre de pas pareils à celui qui avait écrasé les iris étaient imprimés.

– Les voici encore, ce me semble; tenez, Athos, dit-il indifféremment.

– Mais, oui; et des pas tout frais!

– Tout frais, répéta d'Artagnan.

– Qui donc est sorti par ici ce matin? se demanda Athos avec inquiétude. Un cheval se serait-il échappé de l'écurie?

– Ce n'est pas probable, dit d'Artagnan, car les pas sont très égaux et très reposés.

– Où est Raoul? s'écria Athos, et comment se fait-il que je ne l'aie pas aperçu?

– Chut! dit d'Artagnan en mettant avec un sourire son doigt sur sa bouche.

– Qu'y a-t-il donc? demanda Athos.

D'Artagnan raconta ce qu'il avait vu, en épiant la physionomie de son hôte.

– Ah! je devine tout maintenant, dit Athos avec un léger mouvement d'épaules: le pauvre garçon est allé à Blois.

– Pour quoi faire?

– Eh, mon Dieu! pour savoir des nouvelles de la petite La

Vallière. Vous savez, cette enfant qui s'est foulé hier le pied.

– Vous croyez? dit d'Artagnan incrédule.

– Non seulement je le crois, mais j'en suis sûr, répondit Athos.

N'avez-vous donc pas remarqué que Raoul est amoureux?

– Bon! De qui? de cette enfant de sept ans?

– Mon cher, à l'âge de Raoul le coeur est si plein, qu'il faut bien le répandre sur quelque chose, rêve ou réalité. Eh bien! son amour, à lui, est moitié l'un, moitié l'autre.

– Vous voulez rire! Quoi! cette petite fille.

– N'avez-vous donc pas regardé? C'est la plus jolie petite créature qui soit au monde: des cheveux d'un blond d'argent, des yeux bleus déjà mutins et langoureux à la fois.

– Mais que dites-vous de cet amour?

– Je ne dis rien, je ris et je me moque de Raoul; mais ces premiers besoins du coeur sont tellement impérieux, ces épanchements de la mélancolie amoureuse chez les jeunes gens sont si doux et si amers tout ensemble, que cela paraît avoir souvent tous les caractères de la passion. Moi, je me rappelle qu'à l'âge de Raoul j'étais devenu amoureux d'une statue grecque que le bon roi Henri IV avait donnée à mon père, et que je pensai devenir fou de douleur, lorsqu'on me dit que l'histoire de Pygmalion n'était qu'une fable.

– C'est du désoeuvrement. Vous n'occupez pas assez Raoul, et il cherche à s'occuper de son côté.

– Pas autre chose. Aussi songé-je à l'éloigner d'ici.

– Et vous ferez bien.

– Sans doute; mais ce sera lui briser le coeur, et il souffrira autant que pour un véritable amour. Depuis trois ou quatre ans, et à cette époque lui-même était un enfant, il s'est habitué à parer et à admirer cette petite idole, qu'il finirait un jour par adorer s'il restait ici. Ces enfants rêvent tout le jour ensemble et causent de mille choses sérieuses comme de vrais amants de vingt ans. Bref, cela a fait longtemps sourire les parents de la petite de La Vallière, mais je crois qu'ils commencent à froncer le sourcil.

– Enfantillage! mais Raoul a besoin d'être distrait; éloignez-le bien vite d'ici, ou, morbleu! vous n'en ferez jamais un homme.

– Je crois, dit Athos, que je vais l'envoyer à Paris.

– Ah! fit d'Artagnan.

Et il pensa que le moment des hostilités était arrivé.

– Si vous voulez, dit-il, nous pouvons faire un sort à ce jeune homme.

– Ah! fit à son tour Athos.

– Je veux même vous consulter sur quelque chose qui m'est passé en tête.

– Faites.

– Croyez-vous que le temps soit venu de prendre du service?

– Mais n'êtes-vous pas toujours au service, vous, d'Artagnan?

– Je m'entends: du service actif. La vie d'autrefois n'a-t-elle plus rien qui vous tente, et, si des avantages réels vous attendaient, ne seriez-vous pas bien aise de recommencer en ma compagnie et en celle de notre ami Porthos les exploits de notre jeunesse?

– C'est une proposition que vous me faites alors! dit Athos.

– Nette et franche.

– Pour rentrer en campagne?

– Oui.

– De la part de qui et contre qui demanda tout à coup Athos en attachant son oeil si clair et si bienveillant sur le Gascon.

– Ah diable! vous êtes pressant!

– Et surtout précis. Écoutez bien d'Artagnan. Il n'y a qu'une personne ou plutôt une cause à qui un homme comme moi puisse être utile: celle du roi.

– Voilà précisément, dit le mousquetaire.

– Oui; mais entendons-nous, reprit sérieusement Athos: si par la cause du roi vous entendez celle de M. de Mazarin, nous cessons de nous comprendre.

– Je ne dis pas précisément, répondit le Gascon embarrassé.

– Voyons, d'Artagnan, dit Athos, ne jouons pas au plus fin, votre hésitation, vos détours me disent de quelle part vous venez. Cette cause, en effet, on n'ose l'avouer hautement, et lorsqu'on recrute pour elle, c'est l'oreille basse et la voix embarrassée.

– Ah! mon cher Athos! dit d'Artagnan.

– Eh! vous savez bien, reprit Athos, que je ne parle pas pour vous, qui êtes la perle des gens braves et hardis, je vous parle de cet Italien mesquin et intrigant de ce cuistre qui essaie de mettre sur sa tête une couronnée qu'il a volée sous un oreiller, de ce faquin qui appelle son parti le parti du roi, et qui s'avise de faire mettre des princes du sang en prison, n'osant pas les tuer, comme faisait notre cardinal à nous, le grand cardinal; un fesse-mathieu qui pèse ses écus d'or et garde les rognés, de peur, quoiqu'il triche, de les perdre à son jeu du lendemain; un drôle enfin qui maltraite la reine, à ce qu'on assure; au reste, tant pis pour elle! et qui va d'ici à trois mois nous faire une guerre civile pour garder ses pensions. C'est là le maître que vous me proposez, d'Artagnan? Grand merci!

– Vous êtes plus vif qu'autrefois, Dieu me pardonne! dit d'Artagnan, et les années ont échauffé votre sang, au lieu de le refroidir. Qui vous dit donc que ce soit là mon maître et que je veuille vous l'imposer?

«Diable! s'était dit le Gascon, ne livrons pas nos secrets à un homme si mal disposé.»

– Mais alors, cher ami, reprit Athos, qu'est-ce donc que ces propositions?

– Eh, mon Dieu! rien de plus simple: vous vivez dans vos terres, vous, et il paraît que vous êtes heureux dans votre médiocrité dorée. Porthos a cinquante ou soixante mille livres de revenu peut-être; Aramis a toujours quinze duchesses qui se disputent le prélat, comme elles se disputaient le mousquetaire; c'est encore un enfant gâté du sort; mais moi, que fais-je en ce monde? Je porte ma cuirasse et mon buffle depuis vingt ans, cramponné à ce grade insuffisant, sans avancer, sans reculer, sans vivre. Je suis mort en un mot! Eh bien! lorsqu'il s'agit pour moi de ressusciter un peu, vous venez tous me dire: C'est un faquin! c'est un drôle! un cuistre! un mauvais maître! Eh, parbleu! je suis de votre avis, moi, mais trouvez-m'en un meilleur, ou faites-moi des rentes.

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