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Vingt ans après

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Passons à un autre exercice.

– Messieurs, continua le duc de Beaufort, profitant d'un grand silence qui se faisait pour produire le programme de la troisième partie de la soirée, vous vous rappelez tous que M. le duc de Guise avait appris à tous les chiens de Paris à sauter pour mademoiselle de Pons, qu'il avait proclamée la belle des belles! eh bien, messieurs, ce n'était rien, car ces animaux obéissaient machinalement, ne sachant point faire de dissidence (M. de Beaufort voulait dire différence) entre ceux pour lesquels ils devaient sauter et ceux pour lesquels ils ne le devaient pas. Pistache va vous montrer ainsi qu'à monsieur le gouverneur qu'il est fort au-dessus de ses confrères. Monsieur de Chavigny, ayez la bonté de me prêter votre canne.

M. de Chavigny prêta sa canne à M. de Beaufort.

M. de Beaufort la plaça horizontalement à la hauteur d'un pied.

– Pistache, mon ami, dit-il, faites-moi le plaisir de sauter pour madame de Montbazon.

Tout le monde se mit à rire: on savait qu'au moment où il avait été arrêté, M. de Beaufort était l'amant déclaré de madame de Montbazon.

Pistache ne fit aucune difficulté, et sauta joyeusement par-dessus la canne.

– Mais, dit M. de Chavigny, il me semble que Pistache fait juste ce que faisaient ses confrères quand ils sautaient pour mademoiselle de Pons.

– Attendez, dit le prince. Pistache, mon ami, dit-il, sautez pour la reine.

Et il haussa la canne de six pouces.

Le chien sauta respectueusement par-dessus la canne.

– Pistache, mon ami, continua le duc en haussant la canne de six pouces, sautez pour le roi.

Le chien prit son élan, et, malgré la hauteur, sauta légèrement par-dessus.

– Et maintenant, attention, reprit le duc en baissant la canne presque au niveau de terre, Pistache, mon ami, sautez pour l'illustrissime facchino Mazarini di Piscina.

Le chien tourna le derrière à la canne.

– Eh bien! qu'est-ce que cela? dit M. de Beaufort en décrivant un demi-cercle de la queue à la tête de l'animal, et en lui présentant de nouveau la canne, sautez donc, monsieur Pistache.

Mais Pistache, comme la première fois, fit un demi-tour sur lui- même et présenta le derrière à la canne.

M. de Beaufort fit la même évolution et répéta la même phrase, mais cette fois la patience de Pistache était à bout; il se jeta avec fureur sur la canne, l'arracha des mains du prince et la brisa entre ses dents.

M. de Beaufort lui prit les deux morceaux de la gueule, et, avec un grand sérieux, les rendit à M. de Chavigny en lui faisant force excuses et en lui disant que la soirée était finie; mais que s'il voulait bien dans trois mois assister à une autre séance, Pistache aurait appris de nouveaux tours.

Trois jours après, Pistache était empoisonné.

On chercha le coupable; mais, comme on le pense bien, le coupable demeura inconnu. M. de Beaufort lui fit élever un tombeau avec cette épitaphe:

«Ci-gît Pistache, un des chiens les plus intelligents qui aient jamais existé.»

Il n'y avait rien à dire de cet éloge: M. de Chavigny ne put l'empêcher.

Mais alors le duc dit bien haut qu'on avait fait sur son chien l'essai de la drogue dont on devait se servir pour lui, et un jour, après son dîner, il se mit au lit en criant qu'il avait des coliques et que c'était le Mazarin qui l'avait fait empoisonner.

Cette nouvelle espièglerie revint aux oreilles du cardinal et lui fit grand'peur. Le donjon de Vincennes passait pour fort malsain: madame de Rambouillet avait dit que la chambre dans laquelle étaient morts Puylaurens, le maréchal Ornano et le grand prieur de Vendôme valait son pesant d'arsenic, et le mot avait fait fortune. Il ordonna donc que le prisonnier ne mangeât plus rien sans qu'on fit l'essai du vin et des viandes. Ce fut alors que l'exempt La Ramée fut placé près de lui à titre de dégustateur.

Cependant M. de Chavigny n'avait point pardonné au duc les impertinences qu'avait déjà expiées l'innocent Pistache.

M. de Chavigny était une créature du feu cardinal, on disait même que c'était son fils; il devait donc quelque peu se connaître en tyrannie: il se mit à rendre ses noises à M. de Beaufort; il lui enleva ce qu'on lui avait laissé jusqu'alors de couteaux de fer et de fourchettes d'argent, il lui fit donner des couteaux d'argent et des fourchettes de bois. M. de Beaufort se plaignit; M. de Chavigny lui fit répondre qu'il venait d'apprendre que le cardinal ayant dit à madame de Vendôme que son fils était au donjon de Vincennes pour toute sa vie, il avait craint qu'à cette désastreuse nouvelle son prisonnier ne se portât à quelque tentative de suicide. Quinze jours après, M. de Beaufort trouva deux rangées d'arbres gros comme le petit doigt plantés sur le chemin qui conduisait au jeu de paume; il demanda ce que c'était, et il lui fut répondu que c'était pour lui donner de l'ombre un jour. Enfin, un matin, le jardinier vint le trouver, et, sous la couleur de lui plaire, lui annonça qu'on allait faire pour lui des plants d'asperges. Or, comme chacun le sait, les asperges, qui mettent aujourd'hui quatre ans à venir, en mettaient cinq à cette époque où le jardinage était moins perfectionné. Cette civilité mit M. de Beaufort en fureur.

Alors M. de Beaufort pensa qu'il était temps de recourir à l'un de ses quarante moyens, et il essaya d'abord du plus simple, qui était de corrompre La Ramée; mais La Ramée, qui avait acheté sa charge d'exempt quinze cents écus, tenait fort à sa charge. Aussi, au lieu d'entrer dans les vues du prisonnier, alla-t-il tout courant prévenir M. de Chavigny; aussitôt M. de Chavigny mit huit hommes dans la chambre même du prince, doubla les sentinelles et tripla les postes. À partir de ce moment, le prince ne marcha plus que comme les rois de théâtre, avec quatre hommes devant lui et quatre derrière, sans compter ceux qui marchaient en serre-file.

M. de Beaufort rit beaucoup d'abord de cette sévérité, qui lui devenait une distraction. Il répéta tant qu'il put: «Cela m'amuse, cela me diversifie» (M. de Beaufort voulait dire: Cela me divertit; mais, comme on sait, il ne disait pas toujours ce qu'il voulait dire). Puis il ajoutait: «D'ailleurs, quand je voudrai me soustraire aux honneurs que vous me rendez, j'ai encore trente- neuf autres moyens.»

Mais cette distraction devint à la fin un ennui. Par fanfaronnade, mais de Beaufort tint bon six mois; mais au bout de six mois, voyant toujours huit hommes s'asseyant quand il s'asseyait, se levant quand il se levait, s'arrêtant quand il s'arrêtait, il commença à froncer le sourcil et à compter les jours.

Cette nouvelle persécution amena une recrudescence de haine contre le Mazarin. Le prince jurait du matin au soir, ne parlant que de capilotades d'oreilles mazarines. C'était à faire frémir; le cardinal, qui savait tout ce qui se passait à Vincennes, en enfonçait malgré lui sa barrette jusqu'au cou.

Un jour M. de Beaufort rassembla les gardiens, et malgré sa difficulté d'élocution devenue proverbiale, il leur fit ce discours qui, il est vrai, était préparé d'avance:

– Messieurs, leur dit-il, souffrirez-vous donc qu'un petit-fils du bon roi Henri IV soit abreuvé d'outrages et d'ignobilies (il voulait dire d'ignominies); ventre-saint-gris! comme disait mon grand-père, j'ai presque régné dans Paris, savez-vous! j'ai eu en garde pendant tout un jour le roi et Monsieur. La reine me caressait alors et m'appelait le plus honnête homme du royaume. Messieurs les bourgeois, maintenant, mettez-moi dehors: j'irai au Louvre, je tordrai le cou au Mazarin, vous serez mes gardes du corps, je vous ferai tous officiers et avec de bonnes pensions. Ventre-saint-gris! en avant, marche!

Mais, si pathétique qu'elle fût, l'éloquence du petit-fils de Henri IV n'avait point touché ces coeurs de pierre; pas un ne bougea: ce que voyant, M. de Beaufort leur dit qu'ils étaient tous des gredins et s'en fit des ennemis cruels.

Quelquefois, lorsque M. de Chavigny le venait voir, ce à quoi il ne manquait pas deux ou trois fois la semaine, le duc profitait de ce moment pour le menacer.

– Que feriez-vous, monsieur, lui disait-il, si un beau jour vous voyiez apparaître une armée de Parisiens tout bardés de fer et hérissés de mousquets, venant me délivrer?

– Monseigneur, répondit M. de Chavigny en saluant profondément le prince, j'ai sur les remparts vingt pièces d'artillerie, et dans mes casemates trente mille coups à tirer; je les cartonnerais de mon mieux.

– Oui, mais quand vous auriez tiré vos trente mille coups, ils prendraient le donjon, et le donjon pris, je serais forcé de les laisser vous pendre, ce dont je serais bien marri, certainement.

Et à son tour le prince salua M. de Chavigny avec la plus grande politesse.

– Mais moi, Monseigneur, reprenait M. de Chavigny, au premier croquant qui passerait le seuil de mes poternes, ou qui mettrait le pied sur mon rempart, je serais forcé, à mon bien grand regret, de vous tuer de ma propre main, attendu que vous m'êtes confié tout particulièrement, et que je vous dois rendre mort au vif.

Et il saluait Son Altesse de nouveau.

– Oui, continuait le duc; mais comme bien certainement ces braves gens-là ne viendraient ici qu'après avoir un peu pendu M. Giulio Mazarini, vous vous garderiez bien de porter la main sur moi et vous me laisseriez vivre, de peur d'être tiré à quatre chevaux par les Parisiens, ce qui est bien plus désagréable encore que d'être pendu, allez.

Ces plaisanteries aigres-douces allaient ainsi dix minutes, un quart d'heure, vingt minutes au plus, mais elles finissaient toujours ainsi:

M. de Chavigny, se retournant vers la porte:

– Holà! La Ramée, criait-il.

La Ramée entrait.

– La Ramée, continuait M. de Chavigny, je vous recommande tout particulièrement M. de Beaufort: traitez-le avec tous les égards dus à son nom et à son rang, et à cet effet ne le perdez pas un instant de vue.

 

Puis il se retirait en saluant M. de Beaufort avec une politesse ironique qui mettait celui-ci dans des colères bleues.

La Ramée était donc devenu le commensal obligé du prince, son gardien éternel, l'ombre de son corps; mais, il faut le dire, la compagnie de La Ramée, joyeux vivant, franc convive, buveur reconnu, grand joueur de paume, bon diable au fond, et n'ayant pour M. de Beaufort qu'un défaut, celui d'être incorruptible, était devenu pour le prince plutôt une distraction qu'une fatigue.

Malheureusement il n'en était point de même pour maître La Ramée, et quoiqu'il estimât à un certain prix l'honneur d'être enfermé avec un prisonnier de si haute importance, le plaisir de vivre dans la familiarité du petit-fils d'Henri IV ne compensait pas celui qu'il eût éprouvé à aller faire de temps en temps visite à sa famille.

On peut être excellent exempt du roi, en même temps que bon père et bon époux. Or maître La Ramée adorait sa femme et ses enfants, qu'il ne faisait plus qu'entrevoir du haut de la muraille, lorsque pour lui donner cette consolation paternelle et conjugale ils se venaient promener de l'autre côté des fossés; décidément c'était trop peu pour lui, et La Ramée sentait que sa joyeuse humeur, qu'il avait considérée comme la cause de sa bonne santé, sans calculer qu'au contraire elle n'en était probablement que le résultat, ne tiendrait pas longtemps à un pareil régime. Cette conviction ne fit que croître dans son esprit, lorsque, peu à peu, les relations de M. de Beaufort et de M. de Chavigny s'étant aigries de plus en plus, ils cessèrent tout à fait de se voir. La Ramée sentit alors la responsabilité peser plus forte sur sa tête, et comme justement, par ces raisons que nous venons d'expliquer, il cherchait du soulagement, il accueillit très chaudement l'ouverture que lui avait faite son ami, l'intendant du maréchal de Grammont, de lui donner un acolyte: il en avait aussitôt parlé à M. de Chavigny, lequel avait répondu qu'il ne s'y opposait en aucune manière, à la condition toutefois que le sujet lui convînt.

Nous regardons comme parfaitement inutile de faire à nos lecteurs le portrait physique et moral de Grimaud: si, comme nous l'espérons, ils n'ont pas tout à fait oublié la première partie de cet ouvrage, ils doivent avoir conservé un souvenir assez net de cet estimable personnage, chez lequel il ne s'était fait d'autre changement que d'avoir pris vingt ans de plus: acquisition qui n'avait fait que le rendre plus taciturne et plus silencieux, quoique, depuis le changement qui s'était opéré en lui, Athos lui eût rendu toute permission de parler.

Mais à cette époque il y avait déjà douze ou quinze ans que Grimaud se taisait, et une habitude de douze ou quinze ans est devenue une seconde nature.

XX. Grimaud entre en fonctions

Grimaud se présenta donc avec ses dehors favorables au donjon de Vincennes. M. de Chavigny se piquait d'avoir l'oeil infaillible; ce qui pourrait faire croire qu'il était véritablement le fils du cardinal de Richelieu, dont c'était aussi la prétention éternelle. Il examina donc avec attention le postulant, et conjectura que les sourcils rapprochés, les lèvres minces, le nez crochu et les pommettes saillantes de Grimaud étaient des indices parfaits. Il ne lui adressa que douze paroles; Grimaud en répondit quatre.

– Voilà un garçon distingué, et je l'avais jugé tel, dit M. de Chavigny; allez vous faire agréer de M. La Ramée, et dites- lui que vous me convenez sur tous les points.

Grimaud tourna sur ses talons et s'en alla passer l'inspection beaucoup plus rigoureuse de La Ramée. Ce qui le rendait plus difficile, c'est que M. de Chavigny savait qu'il pouvait se reposer sur lui, et que lui voulait pouvoir se reposer sur Grimaud.

Grimaud avait juste les qualités qui peuvent séduire un exempt qui désire un sous-exempt; aussi, après mille questions qui n'obtinrent chacune qu'un quart de réponse, La Ramée, fasciné par cette sobriété de paroles, se frotta les mains et enrôla Grimaud.

– La consigne? demanda Grimaud.

– La voici: Ne jamais laisser le prisonnier seul, lui ôter tout instrument piquant ou tranchant, l'empêcher de faire signe aux gens du dehors ou de causer trop longtemps avec ses gardiens.

– C'est tout? demanda Grimaud.

– Tout pour le moment, répondit La Ramée. Des circonstances nouvelles, s'il y en a, amèneront de nouvelles consignes.

– Bon, répondit Grimaud.

Et il entra chez M. le duc de Beaufort.

Celui-ci était en train de se peigner la barbe qu'il laissait pousser ainsi que ses cheveux, pour faire pièce au Mazarin en étalant sa misère et en faisant parade de sa mauvaise mine. Mais comme quelques jours auparavant il avait cru, du haut du donjon, reconnaître au fond d'un carrosse la belle madame de Montbazon, dont le souvenir lui était toujours cher, il n'avait pas voulu être pour elle ce qu'il était pour Mazarin; il avait donc, dans l'espérance de la revoir, demandé un peigne de plomb qui lui avait été accordé.

M. de Beaufort avait demandé un peigne de plomb, parce que comme tous les blonds, il avait la barbe un peu rouge: il se la teignait en se la peignant.

Grimaud, en entrant, vit le peigne que le prince venait de déposer sur la table; il le prit en faisant une révérence.

Le duc regarda cette étrange figure avec étonnement.

La figure mit le peigne dans sa poche.

– Holà, hé! qu'est-ce que cela? s'écria le duc, et quel est ce drôle?

Grimaud ne répondit point, mais salua une seconde fois.

– Es-tu muet? s'écria le duc.

Grimaud fit signe que non.

– Qu'es-tu alors? réponds, je te l'ordonne, dit le duc.

– Gardien, répondit Grimaud.

– Gardien! s'écria le duc. Bien, il ne manquait que cette figure patibulaire à ma collection. Holà! La Ramée, quelqu'un!

La Ramée appelé accourut; malheureusement pour le prince il allait, se reposant sur Grimaud, se rendre à Paris, il était déjà dans la cour et remonta mécontent.

– Qu'est-ce, mon prince? demanda-t-il.

– Quel est ce maraud qui prend mon peigne et qui le met dans sa poche? demanda M. de Beaufort.

– C'est un de vos gardes, Monseigneur, un garçon plein de mérite et que vous apprécierez comme M. de Chavigny et moi, j'en suis sûr.

– Pourquoi me prend-il mon peigne?

– En effet, dit La Ramée, pourquoi prenez-vous le peigne de

Monseigneur?

Grimaud tira le peigne de sa poche, passa son doigt dessus, et, en regardant et montrant la grosse dent, se contenta de prononcer un seul mot:

– Piquant.

– C'est vrai, dit La Ramée.

– Que dit cet animal? demanda le duc.

– Que tout instrument piquant est interdit par le roi à

Monseigneur.

– Ah çà! dit le duc, êtes-vous fou, La Ramée? Mais c'est vous- même qui me l'avez donné, ce peigne.

– Et grand tort j'ai eu, Monseigneur; car en vous le donnant je me suis mis en contravention avec ma consigne.

Le duc regarda furieusement Grimaud, qui avait rendu le peigne à

La Ramée.

– Je prévois que ce drôle me déplaira énormément, murmura le prince.

En effet, en prison il n'y a pas de sentiment intermédiaire. Comme tout, hommes et choses, vous est ou ami ou ennemi, on aime ou l'on hait quelquefois avec raison, mais bien plus souvent encore par instinct. Or, par ce motif infiniment simple que Grimaud au premier coup d'oeil avait plu à M. de Chavigny et à La Ramée, il devait, ses qualités aux yeux du gouverneur et de l'exempt devenant des défauts aux yeux du prisonnier, déplaire tout d'abord à M. de Beaufort.

Cependant Grimaud ne voulut pas dès le premier jour rompre directement en visière avec le prisonnier; il avait besoin, non pas d'une répugnance improvisée, mais d'une belle et bonne haine bien tenace.

Il se retira donc pour faire place à quatre gardes qui, venant de déjeuner, pouvaient reprendre leur service près du prince.

De son côté, le prince avait à confectionner une nouvelle plaisanterie sur laquelle il comptait beaucoup: il avait demandé des écrevisses pour son déjeuner du lendemain et comptait passer la journée à faire une petite potence pour pendre la plus belle au milieu de sa chambre. La couleur rouge que devait lui donner la cuisson ne laisserait aucun doute sur l'allusion, et ainsi il aurait eu le plaisir de pendre le cardinal en effigie en attendant qu'il fût pendu en réalité, sans qu'on pût toutefois lui reprocher d'avoir pendu autre chose qu'une écrevisse.

La journée fut employée aux préparatifs de l'exécution. On devient très enfant en prison, et M. de Beaufort était de caractère à le devenir plus que tout autre. Il alla se promener comme d'habitude, brisa deux ou trois petites branches destinées à jouer un rôle dans sa parade, et, après avoir beaucoup cherché, trouva un morceau de verre cassé, trouvaille qui parut lui faire le plus grand plaisir. Rentré chez lui, il effila son mouchoir.

Aucun de ces détails n'échappa à l'oeil investigateur de Grimaud.

Le lendemain matin la potence était prête, et afin de pouvoir la planter dans le milieu de la chambre, M. de Beaufort en effilait un des bouts avec son verre brisé.

La Ramée le regardait faire avec la curiosité d'un père qui pense qu'il va peut-être découvrir un joujou nouveau pour ses enfants, et les quatre gardes avec cet air de désoeuvrement qui faisait à cette époque comme aujourd'hui le caractère principal de la physionomie du soldat.

Grimaud entra comme le prince venait de poser son morceau de verre, quoiqu'il n'eût pas encore achevé d'effiler le pied de sa potence; mais il s'était interrompu pour attacher le fil à son extrémité opposée.

Il jeta sur Grimaud un coup d'oeil où se révélait un reste de la mauvaise humeur de la veille; mais comme il était d'avance très satisfait du résultat que ne pouvait manquer d'avoir sa nouvelle invention, il n'y fit pas autrement attention.

Seulement, quand il eut fini de faire un noeud à la marinière à un bout de son fil et un noeud coulant à l'autre, quand il eut jeté un regard sur le plat d'écrevisses et choisi de l'oeil la plus majestueuse, il se retourna pour aller chercher son morceau de verre. Le morceau de verre avait disparu.

– Qui m'a pris mon morceau de verre? demanda le prince en fronçant le sourcil.

Grimaud fit signe que c'était lui.

– Comment! toi encore? et pourquoi me l'as-tu pris?

– Oui, demanda La Ramée, pourquoi avez-vous pris le morceau de verre à Son Altesse?

Grimaud, qui tenait à la main le fragment de vitre, passa le doigt sur le fil, et dit:

– Tranchant.

– C'est juste, Monseigneur, dit La Ramée. Ah peste! que nous avons acquis là un garçon précieux!

– Monsieur Grimaud, dit le prince, dans votre intérêt, je vous en conjure, ayez soin de ne jamais vous trouver à la portée de ma main.

Grimaud fit la révérence et se retira au bout de la chambre.

– Chut, chut, Monseigneur, dit La Ramée; donnez-moi votre petite potence, je vais l'effiler avec mon couteau.

– Vous? dit le duc en riant.

– Oui, moi; n'était-ce pas cela que vous désiriez?

– Sans doute.

– Tiens, au fait, dit le duc, ce sera plus drôle. Tenez, mon cher

La Ramée.

La Ramée, qui n'avait rien compris à l'exclamation du prince, effila le pied de la potence le plus proprement du monde.

– Là, dit le duc; maintenant, faites-moi un petit trou en terre pendant que je vais aller chercher le patient.

La Ramée mit un genou en terre et creusa le sol.

Pendant ce temps, le prince suspendit son écrevisse au fil.

Puis il planta la potence au milieu de la chambre en éclatant de rire.

La Ramée aussi rit de tout son coeur, sans trop savoir de quoi il riait, et les gardes firent chorus.

Grimaud seul ne rit pas.

Il s'approcha de La Ramée, et, lui montrant l'écrevisse qui tournait au bout de son fil:

– Cardinal! dit-il.

– Pendu par Son Altesse le duc de Beaufort, reprit le prince en riant plus fort que jamais, et par maître Jacques-Chrysostome La Ramée, exempt du roi.

La Ramée poussa un cri de terreur et se précipita vers la potence, qu'il arracha de terre, qu'il mit incontinent en morceaux, et dont il jeta les morceaux par la fenêtre. Il allait en faire autant de l'écrevisse, tant il avait perdu l'esprit, lorsque Grimaud la lui prit des mains.

– Bonne à manger, dit-il; et il la mit dans sa poche.

Cette fois le duc avait pris si grand plaisir à cette scène, qu'il pardonna presque à Grimaud le rôle qu'il avait joué. Mais comme, dans le courant de la journée, il réfléchit à l'intention qu'avait eue son gardien, et qu'au fond cette intention lui parut mauvaise, il sentit sa haine pour lui s'augmenter d'une manière sensible.

 

Mais l'histoire de l'écrevisse n'en eut pas moins, au grand désespoir de La Ramée, un immense retentissement dans l'intérieur du donjon, et même au-dehors. M. de Chavigny, qui au fond du coeur détestait fort le cardinal, eut soin de conter l'anecdote à deux ou trois amis bien intentionnés, qui la répandirent à l'instant même.

Cela fit passer deux ou trois bonnes journées à M. de Beaufort.

Cependant, le duc avait remarqué parmi ses gardes un homme porteur d'une assez bonne figure, et il l'amadouait d'autant plus qu'à chaque instant Grimaud lui déplaisait davantage. Or, un matin qu'il avait pris cet homme à part, et qu'il était parvenu à lui parler quelque temps en tête à tête, Grimaud entra, regarda ce qui se passait, puis s'approchant respectueusement du garde et du prince, il prit le garde par le bras.

– Que me voulez-vous? demanda brutalement le duc.

Grimaud conduisit le garde à quatre pas et lui montra la porte.

– Allez, dit-il.

Le garde obéit.

– Oh! mais, s'écria le prince, vous m'êtes insupportable: je vous châtierai.

Grimaud salua respectueusement.

– Monsieur l'espion, je vous romprai les os! s'écria le prince exaspéré.

Grimaud salua en reculant.

– Monsieur l'espion, continua le duc, je vous étranglerai de mes propres mains.

Grimaud salua en reculant toujours.

– Et cela, reprit le prince, qui pensait qu'autant valait en finir de suite, pas plus tard qu'à l'instant même.

Et il étendit ses deux mains crispées vers Grimaud, qui se contenta de pousser le garde dehors et de fermer la porte derrière lui.

En même temps il sentit les mains du prince qui s'abaissaient sur ses épaules, pareilles à deux tenailles de fer; il se contenta, au lieu d'appeler ou de se défendre, d'amener lentement son index à la hauteur de ses lèvres et de prononcer à demi-voix, en colorant sa figure de son plus charmant sourire, le mot:

– Chut!

C'était une chose si rare de la part de Grimaud qu'un geste, qu'un sourire et qu'une parole, que Son Altesse s'arrêta tout court, au comble de la stupéfaction.

Grimaud profita de ce moment pour tirer de la doublure de sa veste un charmant petit billet à cachet aristocratique, auquel sa longue station dans les habits de Grimaud n'avait pu faire perdre entièrement son premier parfum, et le présenta au duc sans prononcer une parole.

Le duc, de plus en plus étonné, lâcha Grimaud, prit le billet, et, reconnaissant l'écriture:

– De madame de Montbazon? s'écria-t-il.

Grimaud fit signe de la tête que oui.

Le duc déchira rapidement l'enveloppe, passa sa main sur ses yeux, tant il était ébloui, et lut ce qui suit:

«Mon cher duc,

Vous pouvez vous fier entièrement au brave garçon qui vous remettra ce billet, car c'est le valet d'un gentilhomme qui est à nous, et qui nous l'a garanti comme éprouvé par vingt ans de fidélité. Il a consenti à entrer au service de votre exempt et à s'enfermer avec vous à Vincennes, pour préparer et aider à votre fuite, de laquelle nous nous occupons.

Le moment de la délivrance approche; prenez patience et courage en songeant que, malgré le temps et l'absence, tous vos amis vous ont conservé les sentiments qu'ils vous avaient voués.

Votre toute et toujours affectionnée,

«MARIE DE MONTBAZON.»

«P. – S. – Je signe en toutes lettres, car ce serait par trop de vanité de penser qu'après cinq ans d'absence vous reconnaîtriez mes initiales.»

Le duc demeura un instant étourdi. Ce qu'il cherchait depuis cinq ans sans avoir pu le trouver, c'est-à-dire un serviteur, un aide, un ami, lui tombait tout à coup du ciel au moment où il s'y attendait le moins. Il regarda Grimaud avec étonnement et revint à sa lettre qu'il relut d'un bout à l'autre.

– Oh! chère Marie, murmura-t-il quand il eut fini, c'est donc bien elle que j'avais aperçue au fond de son carrosse! Comment, elle pense encore à moi après cinq ans de séparation! Morbleu! voilà une constance comme on n'en voit que dans l'Astrée.

Puis se retournant vers Grimaud:

– Et toi, mon brave garçon, ajouta-t-il, tu consens donc à nous aider?

Grimaud fit signe que oui.

– Et tu es venu ici pour cela?

Grimaud répéta le même signe.

– Et moi qui voulais t'étrangler! s'écria le duc. Grimaud se prit à sourire.

– Mais attends, dit le duc.

Et il fouilla dans sa poche.

– Attends, continua-t-il en renouvelant l'expérience infructueuse une première fois, il ne sera pas dit qu'un pareil dévouement pour un petit-fils de Henri IV restera sans récompense.

Le mouvement du duc de Beaufort dénonçait la meilleure intention du monde. Mais une des précautions qu'on prenait à Vincennes était de ne pas laisser d'argent aux prisonniers.

Sur quoi Grimaud, voyant le désappointement du duc, tira de sa poche une bourse pleine d'or et la lui présenta.

– Voilà ce que vous cherchez, dit-il.

Le duc ouvrit la bourse et voulut la vider entre les mains de

Grimaud, mais Grimaud secoua la tête.

– Merci, Monseigneur, ajouta-t-il en se reculant, je suis payé.

Le duc tombait de surprise en surprise.

Le duc lui tendit la main; Grimaud s'approcha et la lui baisa respectueusement. Les grandes manières d'Athos avaient déteint sur Grimaud.

– Et maintenant, demanda le duc, qu'allons-nous faire?

– Il est onze heures du matin, reprit Grimaud. Que Monseigneur, à deux heures, demande à faire une partie de paume avec La Ramée, et envoie deux ou trois balles pardessus les remparts.

– Eh bien, après?

– Après… Monseigneur s'approchera des murailles et criera à un homme qui travaille dans les fossés de les lui renvoyer.

– Je comprends, dit le duc.

Le visage de Grimaud parut exprimer une vive satisfaction: le peu d'usage qu'il faisait d'habitude de la parole lui rendait la conversation difficile.

Il fit un mouvement pour se retirer.

– Ah çà! dit le duc, tu ne veux donc rien accepter?

– Je voudrais que Monseigneur me fît une promesse.

– Laquelle? parle.

– C'est que, lorsque nous nous sauverons, je passerai toujours et partout le premier; car si l'on rattrape Monseigneur, le plus grand risque qu'il coure est d'être réintégré dans sa prison, tandis que si l'on m'attrape, moi, le moins qui puisse m'arriver, c'est d'être pendu.

– C'est trop juste, dit le duc, et, foi de gentilhomme, il sera fait comme tu demandes.

– Maintenant, dit Grimaud, je n'ai plus qu'une chose à demander à Monseigneur: c'est qu'il continue de me faire l'honneur de me détester comme auparavant.

– Je tâcherai, dit le duc.

On frappa à la porte.

Le duc mit son billet et sa bourse dans sa poche et se jeta sur son lit. On savait que c'était sa ressource dans ses grands moments d'ennui. Grimaud alla ouvrir: c'était La Ramée qui venait de chez le cardinal, où s'était passée la scène que nous avons racontée.

La Ramée jeta un regard investigateur autour de lui, et voyant toujours les mêmes symptômes d'antipathie entre le prisonnier et son gardien, il sourit plein d'une satisfaction intérieure.

Puis se retournant vers Grimaud:

– Bien, mon ami, lui dit-il, bien. Il vient d'être parlé de vous en bon lieu, et vous aurez bientôt, je l'espère, des nouvelles qui ne vous seront point désagréables.

Grimaud salua d'un air qu'il tâcha de rendre gracieux et se retira, ce qui était son habitude quand son supérieur entrait.

– Eh bien, Monseigneur! dit La Ramée avec son gros rire, vous boudez donc toujours ce pauvre garçon?

– Ah! c'est vous, La Ramée, dit le duc; ma foi, il était temps que vous arrivassiez. Je m'étais jeté sur mon lit et j'avais tourné le nez au mur pour ne pas céder à la tentation de tenir ma promesse en étranglant ce scélérat de Grimaud.

– Je doute pourtant, dit La Ramée en faisant une spirituelle allusion au mutisme de son subordonné, qu'il ait dit quelque chose de désagréable à Votre Altesse.

– Je le crois pardieu bien! un muet d'Orient. Je vous jure qu'il était temps que vous revinssiez, La Ramée, et que j'avais hâte de vous revoir.

– Monseigneur est trop bon, dit La Ramée, flatté du compliment.

– Oui, continua le duc; en vérité, je me sens aujourd'hui d'une maladresse qui vous fera plaisir à voir.

– Nous ferons donc une partie de paume? dit machinalement La

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