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Dès que la porte se fut refermée:

– Sire, dit Aramis avec rapidité, vous êtes sauvé! Le bourreau de Londres a disparu; son aide s'est cassé la cuisse hier sous les fenêtres de Votre Majesté. Ce cri que nous avons entendu, c'était le sien. Sans doute on s'est déjà aperçu de la disparition de l'exécuteur; mais il n'y a de bourreau qu'à Bristol, et il faut le temps de l'aller chercher. Nous avons donc au moins jusqu'à demain.

– Mais le comte de La Fère? demanda le roi.

– À deux pieds de vous, sire. Prenez le poker du brasier et frappez trois coups, vous allez l'entendre vous répondre.

Le roi, d'une main tremblante, prit l'instrument et frappa trois coups à intervalles égaux. Aussitôt des coups sourds et ménagés, répondant au signal donné, retentirent sous le parquet.

– Ainsi, dit le roi, celui qui me répond là…

– Est le comte de La Fère, sire, dit Aramis. Il prépare la voie par laquelle Votre Majesté pourra fuir. Parry, de son côté, soulèvera cette dalle de marbre, et un passage sera tout ouvert.

– Mais, dit Parry, je n'ai aucun instrument.

– Prenez ce poignard, dit Aramis; seulement prenez garde de le trop émousser, car vous pourrez bien en avoir besoin pour creuser autre chose que la pierre.

– Oh! Juxon, dit Charles, se retournant vers l'évêque et lui prenant les deux mains, Juxon, retenez la prière de celui qui fut votre roi…

– Qui l'est encore et qui le sera toujours, dit Juxon en baisant la main du prince.

– Priez toute votre vie pour ce gentilhomme que vous voyez, pour cet autre que vous entendez sous nos pieds, pour deux autres encore qui, quelque part qu'ils soient, veillent, j'en suis sûr, à mon salut.

– Sire répondit Juxon, vous serez obéi. Chaque jour il y aura, tant que je vivrai, une prière offerte à Dieu pour ces fidèles amis de Votre Majesté.

Le mineur continua quelque temps encore son travail, qu'on sentait incessamment se rapprocher. Mais tout à coup un bruit inattendu retentit dans la galerie. Aramis saisit le poker et donna le signal de l'interruption.

Ce bruit se rapprochait: c'était celui d'un certain nombre de pas égaux et réguliers. Les quatre hommes restèrent immobiles; tous les yeux se fixèrent sur la porte, qui s'ouvrit lentement et avec une sorte de solennité.

Des gardes étaient formés en haie dans la chambre qui précédait celle du roi. Un commissaire du parlement, vêtu de noir et plein d'une gravité de mauvais augure, entra, salua le roi, et déployant un parchemin, lui lut son arrêt comme on a l'habitude de le faire aux condamnés qui vont marcher à l'échafaud.

– Que signifie cela? demanda Aramis à Juxon.

Juxon fit un signe qui voulait dire qu'il était en tout point aussi ignorant que lui.

– C'est donc pour aujourd'hui? demanda le roi avec une émotion perceptible seulement pour Juxon et Aramis.

– N'étiez-vous point prévenu, sire, que c'était pour ce matin? répondit l'homme vêtu de noir.

– Et, dit le roi, je dois périr comme un criminel ordinaire, de la main du bourreau de Londres?

– Le bourreau de Londres a disparu, sire, dit le commissaire du parlement; mais à sa place un homme s'est offert. L'exécution ne sera donc retardée que du temps seulement que vous demanderez pour mettre ordre à vos affaires temporelles et spirituelles.

Une légère sueur qui perla à la racine des cheveux de Charles fut la seule trace d'émotion qu'il donna en apprenant cette nouvelle.

Mais Aramis devint livide. Son coeur ne battait plus: il ferma les yeux et appuya sa main sur une table. En voyant cette profonde douleur, Charles parut oublier la sienne.

Il alla à lui, lui prit la main et l'embrassa.

– Allons, ami, dit-il avec un doux et triste sourire, du courage.

Puis se retournant vers le commissaire:

– Monsieur, dit-il, je suis prêt. Vous le voyez, je ne désire que deux choses qui ne vous retarderont pas beaucoup, je crois: la première, de communier; la seconde, d'embrasser mes enfants et de leur dire adieu pour la dernière fois; cela me sera-t-il permis?

– Oui, sire, répondit le commissaire du parlement.

Et il sortit.

Aramis, rappelé à lui, s'enfonçait les ongles dans la chair, un immense gémissement sortit de sa poitrine.

– Oh! Monseigneur, s'écria-t-il en saisissant les mains de Juxon, où est Dieu? où est Dieu?

– Mon fils, dit avec fermeté l'évêque, vous ne le voyez point, parce que les passions de la terre le cachent.

– Mon enfant, dit le roi à Aramis, ne te désole pas ainsi. Tu demandes ce que fait Dieu? Dieu regarde ton dévouement et mon martyre, et, crois-moi, l'un et l'autre auront leur récompense; prends-t'en donc de ce qui arrive aux hommes, et non à Dieu. Ce sont les hommes qui me font mourir, ce sont les hommes qui te font pleurer.

– Oui, sire, dit Aramis, oui, vous avez raison; c'est aux hommes qu'il faut que je m'en prenne, et c'est à eux que je m'en prendrai.

– Asseyez-vous, Juxon, dit le roi en tombant à genoux, car il vous reste à m'entendre, et il me reste à me confesser. Restez, monsieur, dit-il à Aramis qui faisait un mouvement pour se retirer; restez, Parry, je n'ai rien à dire, même dans le secret de la pénitence, qui ne puisse se dire en face de tous; restez, et je n'ai qu'un regret, c'est que le monde entier ne puisse pas m'entendre comme vous et avec vous.

Juxon s'assit, et le roi, agenouillé devant lui comme le plus humble des fidèles, commença sa confession.

LXXI. Remember

La confession royale achevée, Charles communia, puis il demanda à voir ses enfants. Dix heures sonnaient; comme l'avait dit le roi, ce n'était donc pas un grand retard.

Cependant le peuple était déjà prêt; il savait que dix heures étaient le moment fixé pour l'exécution, il s'entassait dans les rues adjacentes au palais, et le roi commençait à distinguer ce bruit lointain que font la foule et la mer, quand l'une est agitée par ses passions, l'autre par ses tempêtes.

Les enfants du roi arrivèrent: c'était d'abord la princesse Charlotte, puis le duc de Glocester, c'est-à-dire une petite fille blonde, belle et les yeux mouillés de larmes, puis un jeune garçon de huit à neuf ans, dont l'oeil sec et la lèvre dédaigneusement relevée accusaient la fierté naissante. L'enfant avait pleuré toute la nuit, mais devant tout ce monde il ne pleurait pas.

Charles sentit son coeur se fondre à l'aspect de ces deux enfants qu'il n'avait pas vus depuis deux ans, et qu'il ne revoyait qu'au moment de mourir. Une larme vint à ses yeux et il se retourna pour l'essuyer, car il voulait être fort devant ceux à qui il léguait un si lourd héritage de souffrance et de malheur.

Il parla à la jeune fille d'abord; l'attirant à lui, il lui recommanda la piété, la résignation et l'amour filial; puis, passant de l'un à l'autre, il prit le jeune duc de Glocester, et l'asseyant sur son genou pour qu'à la fois il pût le presser sur son coeur et baiser son visage:

– Mon fils, lui dit-il, vous avez vu par les rues et dans les antichambres beaucoup de gens en venant ici; ces gens vont couper la tête à votre père, ne l'oubliez jamais. Peut-être un jour, vous voyant près d'eux et vous ayant en leur pouvoir, voudront-ils vous faire roi à l'exclusion du prince de Galles ou du duc d'York, vos frères aînés qui sont, l'un en France, l'autre je ne sais où; mais vous n'êtes pas le roi, mon fils, et vous ne pouvez le devenir que par leur mort. Jurez-moi donc de ne pas vous laisser mettre la couronne sur la tête, que vous n'ayez légitimement droit à cette couronne; car un jour, écoutez bien, mon fils, si vous faisiez cela, tête et couronne, ils abattraient tout, et ce jour-là vous ne pourriez mourir calme et sans remords, comme je meurs. Jurez, mon fils.

L'enfant étendit sa petite main dans celle de son père, et dit.

– Sire, je jure à Votre Majesté…

Charles l'interrompit.

– Henri, dit-il, appelle-moi ton père.

– Mon père, reprit l'enfant, je vous jure qu'ils me tueront avant de me faire roi.

– Bien, mon fils, dit Charles. Maintenant embrassez-moi, et vous aussi, Charlotte, et ne m'oubliez point.

– Oh! non, jamais! jamais! s'écrièrent les deux enfants en lançant leurs bras au cou du roi.

– Adieu, dit Charles; adieu, mes enfants. Emmenez-les, Juxon; leurs larmes m'ôteraient le courage de mourir.

Juxon arracha les pauvres enfants des bras de leur père et les remit à ceux qui les avaient amenés.

Derrière eux les portes s'ouvrirent, et tout le monde put entrer.

Le roi, se voyant seul au milieu de la foule des gardes et des curieux qui commençaient à envahir la chambre, se rappela que le comte de La Fère était là bien près, sous le parquet de l'appartement, ne le pouvant voir et espérant peut-être toujours.

Il tremblait que le moindre bruit ne semblât un signal pour Athos, et que celui-ci, en se remettant au travail, ne se trahit lui- même. Il affecta donc l'immobilité et contint par son exemple tous les assistants dans le repos.

Le roi ne se trompait point, Athos était réellement sous ses pieds: il écoutait, il se désespérait de ne pas entendre le signal; il commençait parfois, dans son impatience, à déchiqueter de nouveau la pierre; mais, craignant d'être entendu, il s'arrêtait aussitôt.

Cette horrible inaction dura deux heures. Un silence de mort régnait dans la chambre royale.

Alors Athos se décida à chercher la cause de cette sombre et muette tranquillité que troublait seule l'immense rumeur de la foule. Il entr'ouvrit la tenture qui cachait le trou de la crevasse, et descendit sur le premier étage de l'échafaud. Au- dessus de sa tête, à quatre pouces à peine, était le plancher qui s'étendait au niveau de la plate-forme et qui faisait l'échafaud.

Ce bruit qu'il n'avait entendu que sourdement jusque-là et qui dès lors parvint à lui, sombre et menaçant, le fit bondir de terreur. Il alla jusqu'au bord de l'échafaud, entr'ouvrit le drap noir à la hauteur de son oeil et vit les cavaliers acculés à la terrible machine; au-delà des cavaliers, une rangée de pertuisaniers; au- delà des pertuisaniers, des mousquetaires; et au-delà des mousquetaires les premières files du peuple, qui, pareil à un sombre océan, bouillonnait et mugissait.

 

– Qu'est-il donc arrivé? se demanda Athos plus tremblant que le drap dont il froissait les plis. Le peuple se presse, les soldats sont sous les armes, et parmi les spectateurs, qui tous ont les yeux fixés sur la fenêtre, j'aperçois d'Artagnan! Qu'attend-il? Que regarde-t-il? Grand Dieu auraient-ils laissé échapper le bourreau!

Tout à coup le tambour roula sourd et funèbre sur la place; un bruit de pas pesants et prolongés retentit au-dessus de sa tête. Il lui sembla que quelque chose de pareil à une procession immense foulait les parquets de White-Hall; bientôt il entendit craquer les planches mêmes de l'échafaud. Il jeta un dernier regard sur la place, et l'attitude des spectateurs lui apprit ce qu'une dernière espérance restée au fond de son coeur l'empêchait encore de deviner.

Le murmure de la place avait cessé entièrement. Tous les yeux étaient fixés sur la fenêtre de White-Hall, les bouches entr'ouvertes et les haleines suspendues indiquaient l'attente de quelque terrible spectacle.

Ce bruit de pas que, de la place qu'il occupait alors sous le parquet de l'appartement du roi, Athos avait entendu au-dessus de sa tête se reproduisit sur l'échafaud, qui plia sous le poids, de façon à ce que les planches touchèrent presque la tête du malheureux gentilhomme. C'était évidemment deux files de soldats qui prenaient leur place.

Au même instant une voix bien connue du gentilhomme, une noble voix prononça ces paroles au-dessus de sa tête:

– Monsieur le colonel, je désire parler au peuple.

Athos frissonna des pieds à la tête: c'était bien le roi qui parlait sur l'échafaud.

En effet, après avoir bu quelques gouttes de vin et rompu un pain, Charles, las d'attendre la mort, s'était tout à coup décidé à aller au-devant d'elle et avait donné le signal de la marche.

Alors on avait ouvert à deux battants la fenêtre donnant sur la place, et du fond de la vaste chambre, le peuple avait pu voir s'avancer silencieusement d'abord un homme masqué, qu'à la hache qu'il tenait à la main il avait reconnu pour le bourreau. Cet homme s'était approché du billot et y avait déposé sa hache.

C'était le premier bruit qu'Athos avait entendu.

Puis, derrière cet homme, pâle sans doute, mais calme et marchant d'un pas ferme, Charles Stuart, lequel s'avançait entre deux prêtres suivis de quelques officiers supérieurs, chargés de présider à l'exécution, et escorté de deux files de pertuisaniers, qui se rangèrent aux deux côtés de l'échafaud.

La vue de l'homme masqué avait provoqué une longue rumeur. Chacun était plein de curiosité pour savoir quel était ce bourreau inconnu qui s'était présenté si à point pour que le terrible spectacle promis au peuple pût avoir lieu, quand le peuple avait cru que ce spectacle était remis au lendemain. Chacun l'avait donc dévoré des yeux; mais tout ce qu'on avait pu voir, c'est que c'était un homme de moyenne taille, vêtu tout en noir, et qui paraissait déjà d'un certain âge, car l'extrémité d'une barbe grisonnante dépassait le bas du masque qui lui couvrait le visage.

Mais à la vue du roi si calme, si noble, si digne, le silence s'était à l'instant même rétabli, de sorte que chacun put entendre le désir qu'il avait manifesté de parler au peuple.

À cette demande, celui à qui elle était adressée avait sans doute répondu par un signe affirmatif, car d'une voix ferme et sonore, et qui vibra jusqu'au fond du coeur d'Athos, le roi commença de parler.

Il expliquait sa conduite au peuple et lui donnait des conseils pour le bien de l'Angleterre.

– Oh! se disait Athos en lui-même, est-il bien possible que j'entende ce que j'entends et que je voie ce que je vois? Est-il bien possible que Dieu ait abandonné son représentant sur la terre à ce point qu'il le laisse mourir si misérablement!.. Et moi qui ne l'ai pas vu! moi qui ne lui ai pas dit adieu!

Un bruit pareil à celui qu'aurait fait l'instrument de mort remué sur le billot se fit entendre.

Le roi s'interrompit.

– Ne touchez pas à la hache, dit-il.

Et il reprit son discours où il l'avait laissé.

Le discours fini, un silence de glace s'établit sur la tête du comte. Il avait la main à son front, et entre sa main et son front ruisselaient des gouttes de sueur, quoique l'air fût glacé.

Ce silence indiquait les derniers préparatifs.

Le discours terminé, le roi avait promené sur la foule un regard plein de miséricorde; et détachant l'ordre qu'il portait, et qui était cette même plaque en diamants que la reine lui avait envoyée, il la remit au prêtre qui accompagnait Juxon. Puis il tira de sa poitrine une petite croix en diamants aussi. Celle-là, comme la plaque, venait de Madame Henriette.

– Monsieur, dit-il en s'adressant au prêtre qui accompagnait Juxon, je garderai cette croix dans ma main jusqu'au dernier moment; vous me la reprendrez quand je serai mort.

– Oui, sire, dit une voix qu'Athos reconnut pour celle d'Aramis.

Alors Charles, qui jusque-là s'était tenu la tête couverte, prit son chapeau et le jeta près de lui; puis un à un il défit tous les boutons de son pourpoint, se dévêtit et le jeta près de son chapeau. Alors, comme il faisait froid, il demanda sa robe de chambre, qu'on lui donna.

Tous ces préparatifs avaient été faits avec un calme effrayant.

On eût dit que le roi allait se coucher dans son lit et non dans son cercueil.

Enfin, relevant ses cheveux avec la main:

– Vous gêneront-ils, monsieur? dit-il au bourreau. En ce cas on pourrait les retenir avec un cordon.

Charles accompagna ces paroles d'un regard qui semblait vouloir pénétrer sous le masque de l'inconnu. Ce regard si noble, si calme et si assuré força cet homme à détourner la tête. Mais derrière le regard profond du roi il trouva le regard ardent d'Aramis.

Le roi, voyant qu'il ne répondait pas, répéta sa question.

– Il suffira, répondit l'homme d'une voix sourde, que vous les écartiez sur le cou.

Le roi sépara ses cheveux avec les deux mains, et regardant le billot:

– Ce billot est bien bas, dit-il, n'y en aurait-il point de plus élevé?

– C'est le billot ordinaire, répondit l'homme masqué.

– Croyez-vous me couper la tête d'un seul coup? demanda le roi.

– Je l'espère, répondit l'exécuteur.

Il y avait dans ces deux mots: Je l'espère, une si étrange intonation, que tout le monde frissonna, excepté le roi.

– C'est bien, dit le roi; et maintenant, bourreau, écoute.

L'homme masqué fit un pas vers le roi et s'appuya sur sa hache.

– Je ne veux pas que tu me surprennes, lui dit Charles. Je m'agenouillerai pour prier, alors ne frappe pas encore.

– Et quand frapperai-je? demanda l'homme masqué.

– Quand je poserai le cou sur le billot et que je tendrai les bras en disant: Remember, alors frappe hardiment.

L'homme masqué s'inclina légèrement.

– Voici le moment de quitter le monde, dit le roi à ceux qui l'entouraient. Messieurs, je vous laisse au milieu de la tempête et vous précède dans cette patrie qui ne connaît pas d'orage. Adieu.

Il regarda Aramis et lui fit un signe de tête particulier.

– Maintenant, continua-t-il, éloignez-vous et laissez-moi faire tout bas ma prière, je vous prie. Éloigne-toi aussi, dit-il à l'homme masqué; ce n'est que pour un instant, et je sais que je t'appartiens; mais souviens-toi de ne frapper qu'à mon signal.

Alors Charles s'agenouilla, fit le signe de la croix, approcha sa bouche des planches comme s'il eût voulu baiser la plate-forme; puis s'appuyant d'une main sur le plancher et de l'autre sur le billot:

– Comte de La Fère, dit-il en français, êtes-vous là et puis-je parler?

Cette voix frappa droit au coeur d'Athos et le perça comme un fer glacé.

– Oui, Majesté, dit-il en tremblant.

– Ami fidèle, coeur généreux, dit le roi, je n'ai pu être sauvé je ne devais pas l'être. Maintenant, dussé-je commettre un sacrilège, je te dirai: Oui, j'ai parlé aux hommes, j'ai parlé à Dieu, je te parle à toi le dernier. Pour soutenir une cause que j'ai crue sacrée, j'ai perdu le trône de mes pères et diverti l'héritage de mes enfants. Un million en or me reste, je l'ai enterré dans les caves du château de Newcastle au moment où j'ai quitté cette ville. Cet argent, toi seul sais qu'il existe, fais- en usage quand tu croiras qu'il en sera temps pour le plus grand bien de mon fils aîné; et maintenant, comte de La Fère, dites-moi adieu.

– Adieu, Majesté sainte et martyre, balbutia Athos glacé de terreur.

Il se fit alors un instant de silence, pendant lequel il sembla à

Athos que le roi se relevait et changeait de position.

Puis d'une voix pleine et sonore, de manière qu'on l'entendît non seulement sur l'échafaud, mais encore sur la place:

– Remember, dit le roi.

Il achevait à peine ce mot qu'un coup terrible ébranla le plancher de l'échafaud; la poussière s'échappa du drap et aveugla le malheureux gentilhomme. Puis soudain, comme par un mouvement machinal il levait les yeux et la tête, une goutte chaude tomba sur son front. Athos recula avec un frisson d'épouvante, et au même instant, les gouttes se changèrent en une noire cascade, qui rejaillit sur le plancher.

Athos, tombé lui-même à genoux, demeura pendant quelques instants comme frappé de folie et d'impuissance. Bientôt, à son murmure décroissant, il s'aperçut que la foule s'éloignait; il demeura encore un instant immobile, muet et consterné. Alors se retournant, il alla tremper le bout de son mouchoir dans le sang du roi martyr; puis, comme la foule s'éloignait de plus en plus, il descendit, fendit le drap, et se glissa entre deux chevaux, se mêla au peuple dont il portait le vêtement, et arriva le premier à la taverne.

Monté à sa chambre, il se regarda dans une glace, vit son front marqué d'une large tache rouge, porta la main à son front, la retira pleine du sang du roi et s'évanouit.

LXXII. L'homme masqué

Quoiqu'il ne fût que quatre heures du soir, il faisait nuit close; la neige tombait épaisse et glacée. Aramis rentra à son tour et trouva Athos, sinon sans connaissance, du moins anéanti.

Aux premiers mots de son ami, le comte sortit de l'espèce de léthargie où il était tombé.

– Eh bien! dit Aramis, vaincus par la fatalité.

– Vaincus! dit Athos. Noble et malheureux roi!

– Êtes-vous donc blessé? demanda Aramis.

– Non, ce sang est le sien.

Le comte s'essuya le front.

– Où étiez-vous donc?

– Où vous m'aviez laissé, sous l'échafaud.

– Et vous avez tout vu?

– Non, mais tout entendu; Dieu me garde d'une autre heure pareille à celle que je viens de passer! N'ai-je point les cheveux blancs?

– Alors vous savez que je ne l'ai point quitté?

– J'ai entendu votre voix jusqu'au dernier moment.

– Voici la plaque qu'il m'a donnée, dit Aramis, voici la croix que j'ai retirée de sa main; il désirait qu'elles fussent remises à la reine.

– Et voilà un mouchoir pour les envelopper, dit Athos.

Et il tira de sa poche le mouchoir qu'il avait trempé dans le sang du roi.

– Maintenant, demanda Athos, qu'a-t-on fait de ce pauvre cadavre?

– Par ordre de Cromwell, les honneurs royaux lui seront rendus. Nous avons placé le corps dans un cercueil de plomb; les médecins s'occupent d'embaumer ces malheureux restes, et, leur oeuvre finie, le roi sera déposé dans une chapelle ardente.

– Dérision! murmura sombrement Athos; les honneurs royaux à celui qu'ils ont assassiné!

– Cela prouve, dit Aramis, que le roi meurt, mais que la royauté ne meurt pas.

– Hélas! dit Athos, c'est peut-être le dernier roi chevalier qu'aura eu le monde.

– Allons, ne vous désolez pas, comte, dit une grosse voix dans l'escalier, où retentissaient les larges pas de Porthos, nous sommes tous mortels, mes pauvres amis.

– Vous arrivez tard, mon cher Porthos, dit le comte de La Fère.

– Oui, dit Porthos, il y avait des gens sur ma route qui m'ont retardé. Ils dansaient, les misérables! J'en ai pris un par le cou et je crois l'avoir un peu étranglé. Juste en ce moment une patrouille est venue. Heureusement, celui à qui j'avais eu particulièrement affaire a été quelques minutes sans pouvoir parler. J'ai profité de cela pour me jeter dans une petite rue. Cette petite rue m'a conduit dans une autre plus petite encore. Alors je me suis perdu. Je ne connais pas Londres, je ne sais pas l'anglais, j'ai cru que je ne me retrouverais jamais; enfin me voilà.

 

– Mais d'Artagnan, dit Aramis, ne l'avez-vous point vu et ne lui serait-il rien arrivé?

– Nous avons été séparés par la foule, dit Porthos, et, quelques efforts que j'aie faits, je n'ai pas pu le rejoindre.

– Oh! dit Athos avec amertume, je l'ai vu, moi; il était au premier rang de la foule, admirablement placé pour ne rien perdre; et comme, à tout prendre, le spectacle était curieux, il aura voulu voir jusqu'au bout.

– Oh! comte de La Fère, dit une voix calme, quoique étouffée par la précipitation de la course, est-ce bien vous qui calomniez les absents?

Ce reproche atteignit Athos au coeur. Cependant, comme l'impression que lui avait produite d'Artagnan aux premiers rangs de ce peuple stupide et féroce était profonde, il se contenta de répondre:

– Je ne vous calomnie pas, mon ami. On était inquiet de vous ici, et j'ai dit où vous étiez. Vous ne connaissiez pas le roi Charles, ce n'était qu'un étranger pour vous, et vous n'étiez pas forcé de l'aimer.

Et en disant ces mots il tendit la main à son ami. Mais d'Artagnan fit semblant de ne point voir le geste d'Athos et garda sa main sous son manteau.

Athos laissa retomber lentement la sienne près de lui.

– Ouf! je suis las, dit d'Artagnan, et il s'assit.

– Buvez un verre de porto, dit Aramis en prenant une bouteille sur une table et en remplissant un verre; buvez, cela vous remettra.

– Oui, buvons, dit Athos, qui, sensible au mécontentement du Gascon, voulait choquer son verre contre le sien, buvons et quittons cet abominable pays. La felouque nous attend, vous le savez; partons ce soir, nous n'avons plus rien à faire ici.

– Vous êtes bien pressé, monsieur le comte, dit d'Artagnan.

– Ce sol sanglant me brûle les pieds, dit Athos.

– La neige ne me fait pas cet effet, à moi, dit tranquillement le

Gascon.

– Mais que voulez-vous donc que nous fassions, dit Athos, maintenant que le roi est mort?

– Ainsi, monsieur le comte, dit d'Artagnan avec négligence, vous ne voyez point qu'il vous reste quelque chose à faire en Angleterre?

– Rien, rien, dit Athos, qu'à douter de la bonté divine et à mépriser mes propres forces.

– Eh bien! moi, dit d'Artagnan, moi chétif, moi badaud sanguinaire, qui suis allé me placer à trente pas de l'échafaud pour mieux voir tomber la tête de ce roi que je ne connaissais pas, et qui, à ce qu'il paraît, m'était indifférent, je pense autrement que monsieur le comte… je reste!

Athos pâlit extrêmement; chaque reproche de son ami vibrait jusqu'au plus profond de son coeur.

– Ah! vous restez à Londres? dit Porthos à d'Artagnan.

– Oui, dit celui-ci. Et vous?

– Dame! dit Porthos un peu embarrassé vis-à-vis d'Athos et d'Aramis, dame! si vous restez, comme je suis venu avec vous, je ne m'en irai qu'avec vous; je ne vous laisserai pas seul dans cet abominable pays.

– Merci, mon excellent ami. Alors j'ai une petite entreprise à vous proposer, et que nous mettrons à exécution ensemble quand monsieur le comte sera parti, et dont l'idée m'est venue pendant que je regardais le spectacle que vous savez.

– Laquelle? dit Porthos.

– C'est de savoir quel est cet homme masqué qui s'est offert si obligeamment pour couper le cou du roi.

– Un homme masqué! s'écria Athos, vous n'avez donc pas laissé fuir le bourreau?

– Le bourreau? dit d'Artagnan, il est toujours dans la cave, où je présume qu'il dit deux mots aux bouteilles de notre hôte. Mais vous m'y faites penser…

Il alla à la porte.

– Mousqueton! dit-il.

– Monsieur? répondit une voix qui semblait sortir des profondeurs de la terre.

– Lâchez votre prisonnier, dit d'Artagnan, tout est fini.

– Mais, dit Athos, quel est donc le misérable qui a porté la main sur son roi?

– Un bourreau amateur, qui, du reste, manie la hache avec facilité, car, ainsi qu'il l'espérait, dit Aramis, il ne lui a fallu qu'un coup.

– N'avez-vous point vu son visage? demanda Athos.

– Il avait un masque, dit d'Artagnan.

– Mais vous qui étiez près de lui, Aramis?

– Je n'ai vu qu'une barbe grisonnante qui passait sous le masque.

– C'est donc un homme d'un certain âge? demanda Athos.

– Oh! dit d'Artagnan, cela ne signifie rien. Quand on met un masque, on peut bien mettre une barbe.

– Je suis fâché de ne pas l'avoir suivi, dit Porthos.

– Eh bien! mon cher Porthos, dit d'Artagnan, voilà justement l'idée qui m'est venue, à moi.

Athos comprit tout; il se leva.

– Pardonne-moi, d'Artagnan, dit-il; j'ai douté de Dieu, je pouvais bien douter de toi. Pardonne-moi, ami.

– Nous verrons cela tout à l'heure, dit d'Artagnan avec un demi- sourire.

– Eh bien? dit Aramis.

– Eh bien, reprit d'Artagnan, tandis que je regardais, non pas le roi, comme le pense monsieur le comte, car je sais ce que c'est qu'un homme qui va mourir, et, quoique je dusse être habitué à ces sortes de choses, elles me font toujours mal, mais bien le bourreau masqué, cette idée me vint, ainsi que je vous l'ai dit, de savoir qui il était. Or, comme nous avons l'habitude de nous compléter les uns par les autres, et de nous appeler à l'aide, comme on appelle sa seconde main au secours de la première, je regardai machinalement autour de moi pour voir si Porthos ne serait pas là; car je vous avais reconnu près du roi, Aramis, et vous, comte, je savais que vous deviez être sous l'échafaud. Ce qui fait que je vous pardonne, ajouta-t-il en tendant la main à Athos, car vous avez bien dû souffrir. Je regardais donc autour de moi quand je vis à ma droite une tête qui avait été fendue, et qui, tant bien que mal, s'était raccommodée avec du taffetas noir.»Parbleu! me dis-je, il me semble que voilà une couture de ma façon, et que j'ai recousu ce crâne-là quelque part.» En effet, c'était ce malheureux Écossais, le frère de Parry, vous savez, celui sur lequel Groslow s'est amusé à essayer ses forces, et qui n'avait plus qu'une moitié de tête quand nous le rencontrâmes.

– Parfaitement, dit Porthos, l'homme aux poules noires.

– Vous l'avez dit, lui-même; il faisait des signes à un autre homme qui se trouvait à ma gauche; je me retournai, et je reconnus l'honnête Grimaud, tout occupé comme moi à dévorer des yeux mon bourreau masqué.

« – Oh! lui fis-je. Or, comme cette syllabe est l'abréviation dont se sert M. le comte les jours où il lui parle, Grimaud comprit que c'était lui qu'on appelait, et se retourna comme mû par un ressort; il me reconnut à son tour, alors, allongeant le doigt vers l'homme masqué:

« – Hein? dit-il. Ce qui voulait dire: avez-vous vu?

« – Parbleu! répondis-je.

«Nous nous étions parfaitement compris.

«Je me retournai vers notre Écossais; celui-là aussi avait des regards parlants.

«Bref, tout finit, vous savez comment, d'une façon fort lugubre. Le peuple s'éloigna; peu à peu le soir venait; je m'étais retiré dans un coin de la place avec Grimaud et l'Écossais, auquel j'avais fait signe de demeurer avec nous, et je regardais de là le bourreau, qui, rentré dans la chambre royale, changeait d'habit; le sien était ensanglanté sans doute. Après quoi il mit un chapeau noir sur sa tête, s'enveloppa d'un manteau et disparut. Je devinai qu'il allait sortir et je courus en face de la porte. En effet, cinq minutes après nous le vîmes descendre l'escalier.

– Vous l'avez suivi? s'écria Athos.

– Parbleu! dit d'Artagnan; mais ce n'est pas sans peine, allez! À chaque instant il se retournait; alors nous étions obligés de nous cacher ou de prendre des airs indifférents. J'aurais été à lui et je l'aurais bien tué; mais je ne suis pas égoïste, moi, et c'était un régal que je vous ménageais, à Aramis et à vous, Athos, pour vous consoler un peu. Enfin, après une demi-heure de marche à travers les rues les plus tortueuses de la Cité, il arriva à une petite maison isolée, où pas un bruit, pas une lumière n'annonçaient la présence de l'homme.

«Grimaud tira de ses larges chausses un pistolet.

« – Hein? dit-il en le montrant.

« – Non pas, lui dis-je. Et je lui arrêtai le bras.

«Je vous l'ai dit, j'avais mon idée.

«L'homme masqué s'arrêta devant une porte basse et tira une clef; mais avant de la mettre dans la serrure, il se retourna pour voir s'il n'avait pas été suivi. J'étais blotti derrière un arbre; Grimaud derrière une borne; l'Écossais, qui n'avait rien pour se cacher, se jeta à plat ventre sur le chemin.

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