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Le comte de Monte Cristo

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«Au bout d’un instant, Vampa se retourna vers sa maîtresse:

– Ah! ah! dit-il, c’est bien, tu es habillée; à mon tour de faire ma toilette.

«En effet, Teresa était revêtue de la tête aux pieds du costume de la fille du comte de San-Felice.

«Vampa prit le corps de Cucumetto entre ses bras, l’emporta dans la grotte, tandis qu’à son tour Teresa restait dehors.

«Si un second voyageur fût alors passé, il eût vu une chose étrange: c’était une bergère gardant ses brebis avec une robe de cachemire, des boucles d’oreilles et un collier de perles, des épingles de diamants et des boutons de saphirs, d’émeraudes et de rubis.

«Sans doute, il se fût cru revenu au temps de Florian, et eût affirmé, en revenant à Paris, qu’il avait rencontré la bergère des Alpes assise au pied des monts Sabins.

«Au bout d’un quart d’heure, Vampa sortit à son tour de la grotte. Son costume n’était pas moins élégant, dans son genre, que celui de Teresa.

«Il avait une veste de velours grenat à boutons d’or ciselé, un gilet de soie tout couvert de broderies. une écharpe romaine nouée autour du cou, une cartouchière toute piquée d’or et de soie rouge et verte; des culottes de velours bleu de ciel attachées au-dessous du genou par des boucles de diamants, des guêtres de peau de daim bariolées de mille arabesques, et un chapeau où flottaient des rubans de toutes couleurs; deux montres pendaient à sa ceinture, et un magnifique poignard était passé à sa cartouchière.

«Teresa jeta un cri d’admiration. Vampa, sous cet habit, ressemblait à une peinture de Léopold Robert ou de Schnetz.

«Il avait revêtu le costume complet de Cucumetto.

«Le jeune homme s’aperçut de l’effet qu’il produisait sur sa fiancée, et un sourire d’orgueil passa sur sa bouche.

– Maintenant, dit-il à Teresa, es-tu prête à partager ma fortune quelle qu’elle soit?

– Oh oui! s’écria la jeune fille avec enthousiasme.

– À me suivre partout où j’irai?

– Au bout du monde.

– Alors, prends mon bras et partons, car nous n’avons pas de temps à perdre.»

«La jeune fille passa son bras sous celui de son amant, sans même lui demander où il la conduisait; car, en ce moment, il lui paraissait beau, fier et puissant comme un dieu.

«Et tous deux s’avancèrent dans la forêt, dont au bout de quelques minutes, ils eurent franchi la lisière.

«Il va sans dire que tous les sentiers de la montagne étaient connus de Vampa; il avança donc dans la forêt sans hésiter un seul instant, quoiqu’il n’y eût aucun chemin frayé, mais seulement reconnaissant la route qu’il devait suivre à la seule inspection des arbres et des buissons; ils marchèrent ainsi une heure et demie à peu près.

«Au bout de ce temps, ils étaient arrivés à l’endroit le plus touffu du bois. Un torrent dont le lit était à sec conduisait dans une gorge profonde. Vampa prit cet étrange chemin, qui, encaissé entre deux rives et rembruni par l’ombre épaisse des pins, semblait, moins la descente facile, ce sentier de l’Averne dont parle Virgile.

«Teresa, redevenue craintive à l’aspect de ce lieu sauvage et désert, se serrait contre son guide, sans dire une parole; mais comme elle le voyait marcher toujours d’un pas égal, comme un calme profond rayonnait sur son visage, elle avait elle-même la force de dissimuler son émotion.

«Tout à coup, à dix pas d’eux, un homme sembla se détacher d’un arbre derrière lequel il était caché, et mettait Vampa en joue:

– Pas un pas de plus! cria-t-il, ou tu es mort.

– Allons donc», dit Vampa en levant la main avec un geste de mépris; tandis que Teresa, ne dissimulant plus sa terreur, se pressait contre lui, «est-ce que les loups se déchirent entre eux!

– Qui es-tu? demanda la sentinelle.

– Je suis Luigi Vampa, le berger de la ferme de San-Felice.

– Que veux-tu?

– Je veux parler à tes compagnons qui sont à la clairière de Rocca Bianca.

– Alors, suis-moi, dit la sentinelle, ou plutôt, puisque tu sais où cela est, marche devant.

«Vampa sourit d’un air de mépris à cette précaution du bandit, passa devant avec Teresa et continua son chemin du même pas ferme et tranquille qui l’avait conduit jusque-là.

«Au bout de cinq minutes, le bandit leur fit signe de s’arrêter.

«Les deux jeunes gens obéirent.

«Le bandit imita trois fois le cri du corbeau.

«Un croassement répondit à ce triple appel.

– C’est bien, dit le bandit. Maintenant tu peux continuer ta route.»

«Luigi et Teresa se remirent en chemin.

«Mais à mesure qu’ils avançaient, Teresa, tremblante se serrait contre son amant; en effet, à travers les arbres, on voyait apparaître des armes et étinceler des canons de fusil.

«La clairière de Rocca Bianca était au sommet d’une petite montagne qui autrefois sans doute avait été un volcan, volcan éteint avant que Rémus et Romulus eussent déserté Albe pour venir bâtir Rome.

«Teresa et Luigi atteignirent le sommet et se trouvèrent au même instant en face d’une vingtaine de bandits.

– Voici un jeune homme qui vous cherche et qui désire vous parler dit la sentinelle.

– Et que veut-il nous dire? demanda celui qui, en l’absence du chef, faisait l’intérim du capitaine.

– Je veux dire que je m’ennuie de faire le métier de berger, dit Vampa.

– Ah! je comprends, dit le lieutenant, et tu viens nous demander à être admis dans nos rangs?

– Qu’il soit le bienvenu! crièrent plusieurs bandits de Ferrusino, de Pampinara et d’Anagni, qui avaient reconnu Luigi Vampa.

– Oui, seulement je viens vous demander une autre chose que d’être votre compagnon.

– Et que viens-tu nous demander? dirent les bandits avec étonnement.

– Je viens vous demander à être votre capitaine, dit le jeune homme.

«Les bandits éclatèrent de rire.

– Et qu’as-tu fait pour aspirer à cet honneur? demanda le lieutenant.

– J’ai tué votre chef Cucumetto, dont voici la dépouille, dit Luigi, et j’ai mis le feu à la villa de San-Felice pour donner une robe de noce à ma fiancée.

«Une heure après, Luigi Vampa était élu capitaine en remplacement de Cucumetto.

– Eh bien, mon cher Albert, dit Franz en se retournant vers son ami, que pensez-vous maintenant du citoyen Luigi Vampa?

– Je dis que c’est un mythe, répondit Albert, et qu’il n’a jamais existé.

– Qu’est-ce que c’est qu’un mythe? demanda Pastrini.

– Ce serait trop long à vous expliquer, mon cher hôte, répondit Franz. Et vous dites donc que maître Vampa exerce en ce moment sa profession aux environs de Rome?

– Et avec une hardiesse dont jamais bandit avant lui n’avait donné l’exemple.

– La police a tenté vainement de s’en emparer, alors?

– Que voulez-vous! il est d’accord à la fois avec les bergers de la plaine, les pêcheurs du Tibre et les contrebandiers de la côte. On le cherche dans la montagne, il est sur le fleuve; on le poursuit sur le fleuve, il gagne la pleine mer; puis tout à coup, quand on le croit réfugié dans l’île del Giglio, del Guanouti ou de Monte-Cristo, on le voit reparaître à Albano, à Tivoli ou à la Riccia.

– Et quelle est sa manière de procéder à l’égard des voyageurs?

– Ah! mon Dieu! c’est bien simple. Selon la distance où l’on est de la ville, il leur donne huit heures, douze heures, un jour, pour payer leur rançon; puis, ce temps écoulé, il accorde une heure de grâce. À la soixantième minute de cette heure, s’il n’a pas l’argent, il fait sauter la cervelle du prisonnier d’un coup de pistolet, ou lui plante son poignard dans le cœur, et tout est dit.

– Eh bien, Albert, demanda Franz à son compagnon, êtes-vous toujours disposé à aller au Colisée par les boulevards extérieurs?

– Parfaitement, dit Albert, si la route est plus pittoresque.»

En ce moment, neuf heures sonnèrent, la porte s’ouvrit et notre cocher parut.

«Excellences, dit-il, la voiture vous attend.

– Eh bien, dit Franz, en ce cas, au Colisée!

– Par la porte del Popolo, Excellences, ou par les rues?

– Par les rues, morbleu! par les rues! s’écria Franz.

– Ah! mon cher! dit Albert en se levant à son tour et en allumant son troisième cigare, en vérité, je vous croyais plus brave que cela.»

Sur ce, les deux jeunes gens descendirent l’escalier et montèrent en voiture.

XXXIV. Apparition

Franz avait trouvé un terme moyen pour qu’Albert arrivât au Colisée sans passer devant aucune ruine antique, et par conséquent sans que les préparations graduelles ôtassent au colosse une seule coudée de ses gigantesques proportions. C’était de suivre la via Sistinia, de couper à angle droit devant Sainte-Marie-Majeure, et d’arriver par la via Urbana et San Pietro in Vincoli jusqu’à la via del Colosseo.

Cet itinéraire offrait d’ailleurs un autre avantage: c’était celui de ne distraire en rien Franz de l’impression produite sur lui par l’histoire qu’avait racontée maître Pastrini, et dans laquelle se trouvait mêlé son mystérieux amphitryon de Monte-Cristo. Aussi s’était-il accoudé dans son coin et était-il retombé dans ces mille interrogatoires sans fin qu’il s’était faits à lui-même et dont pas un ne lui avait donné une réponse satisfaisante.

Une chose, au reste, lui avait encore rappelé son ami Simbad le marin: c’étaient ces mystérieuses relations entre les brigands et les matelots. Ce qu’avait dit maître Pastrini du refuge que trouvait Vampa sur les barques des pécheurs et des contrebandiers rappelait à Franz ces deux bandits corses qu’il avait trouvés soupant avec l’équipage du petit yacht, lequel s’était détourné de son chemin et avait abordé à Porto-Vecchio, dans le seul but de les remettre à terre. Le nom que se donnait son hôte de Monte-Cristo, prononcé par son hôte de l’hôtel d’Espagne, lui prouvait qu’il jouait le même rôle philanthropique sur les côtes de Piombino, de Civita-Vecchia, d’Ostie et de Gaëte que sur celles de Corse, de Toscane et d’Espagne; et comme lui-même, autant que pouvait se le rappeler Franz, avait parlé de Tunis et de Palerme, c’était une preuve qu’il embrassait un cercle de relations assez étendu.

 

Mais si puissantes que fussent sur l’esprit du jeune homme toutes ces réflexions, elles s’évanouirent à l’instant où il vit s’élever devant lui le spectre sombre et gigantesque du Colisée, à travers les ouvertures duquel la lune projetait ces longs et pâles rayons qui tombent des yeux des fantômes. La voiture arrêta à quelques pas de la Mesa Sudans. Le cocher vint ouvrir la portière; les deux jeunes gens sautèrent à bas de la voiture et se trouvèrent en face d’un cicérone qui semblait sortir de dessous terre.

Comme celui de l’hôtel les avait suivis, cela leur en faisait deux.

Impossible, au reste, d’éviter à Rome ce luxe des guides outre le cicérone général qui s’empare de vous au moment où vous mettez le pied sur le seuil de la porte de l’hôtel, et qui ne vous abandonne plus que le jour où vous mettez le pied hors de la ville, il y a encore un cicérone spécial attaché à chaque monument, et je dirai presque à chaque fraction du monument. Qu’on juge donc si l’on doit manquer de ciceroni au Colosseo, c’est-à-dire au monument par excellence, qui faisait dire à Martial:

«Que Memphis cesse de nous vanter les barbares miracles de ses pyramides, que l’on ne chante plus les merveilles de Babylone; tout doit céder devant l’immense travail de l’amphithéâtre des Césars, toutes les voix de la renommée doivent se réunir pour vanter ce monument.»

Franz et Albert n’essayèrent point de se soustraire à la tyrannie cicéronienne. Au reste, cela serait d’autant plus difficile que ce sont les guides seulement qui ont le droit de parcourir le monument avec des torches. Ils ne firent donc aucune résistance, et se livrèrent pieds et poings liés à leurs conducteurs.

Franz connaissait cette promenade pour l’avoir faite dix fois déjà. Mais comme son compagnon, plus novice, mettait pour la première fois le pied dans le monument de Flavius Vespasien, je dois l’avouer à sa louange, malgré le caquetage ignorant de ses guides, il était fortement impressionné. C’est qu’en effet on n’a aucune idée, quand on ne l’a pas vue, de la majesté d’une pareille ruine, dont toutes les proportions sont doublées encore par la mystérieuse clarté de cette lune méridionale dont les rayons semblent un crépuscule d’Occident.

Aussi à peine Franz le penseur eut-il fait cent pas sous les portiques intérieurs, qu’abandonnant Albert à ses guides, qui ne voulaient pas renoncer au droit imprescriptible de lui faire voir dans tous leurs détails la Fosse des Lions, la Loge des Gladiateurs, le Podium des Césars, il prit un escalier à moitié ruiné et, leur laissant continuer leur route symétrique, il alla tout simplement s’asseoir à l’ombre d’une colonne, en face d’une échancrure qui lui permettait d’embrasser le géant de granit dans toute sa majestueuse étendue.

Franz était là depuis un quart d’heure à peu près, perdu, comme je l’ai dit, dans l’ombre d’une colonne, occupé à regarder Albert, qui, accompagné de ses deux porteurs de torches, venait de sortir d’un vomitorium placé à l’autre extrémité du Colisée, et lesquels, pareils à des ombres qui suivent un feu follet, descendaient de gradin en gradin vers les places réservées aux vestales, lorsqu’il lui sembla entendre rouler dans les profondeurs du monument une pierre détachée de l’escalier situé en face de celui qu’il venait de prendre pour arriver à l’endroit où il était assis. Ce n’est pas chose rare sans doute qu’une pierre qui se détache sous le pied du temps et va rouler dans l’abîme; mais, cette fois, il lui semblait que c’était aux pieds d’un homme que la pierre avait cédé et qu’un bruit de pas arrivait jusqu’à lui, quoique celui qui l’occasionnait fît tout ce qu’il put pour l’assourdir.

En effet, au bout d’un instant, un homme parut sortant graduellement de l’ombre à mesure qu’il montait l’escalier, dont l’orifice, situé en face de Franz, était éclairé par la lune, mais dont les degrés, à mesure qu’on les descendait, s’enfonçaient dans l’obscurité.

Ce pouvait être un voyageur comme lui, préférant une méditation solitaire au bavardage insignifiant de ses guides, et par conséquent son apparition n’avait rien qui pût le surprendre; mais à l’hésitation avec laquelle il monta les dernières marches, à la façon dont, arrivé sur la plate-forme, il s’arrêta et parut écouter, il était évident qu’il était venu là dans un but particulier et qu’il attendait quelqu’un.

Par un mouvement instinctif, Franz s’effaça le plus qu’il put derrière la colonne.

À dix pieds du sol où ils se trouvaient tous deux, la voûte était enfoncée, et une ouverture ronde, pareille à celle d’un puits, permettait d’apercevoir le ciel tout constellé d’étoiles.

Autour de cette ouverture, qui donnait peut-être déjà depuis des centaines d’années passage aux rayons de la lune, poussaient des broussailles dont les vertes et frêles découpures se détachaient en vigueur sur l’azur mat du firmament, tandis que de grandes lianes et de puissants jets de lierre pendaient de cette terrasse supérieure et se balançaient sous la voûte, pareils à des cordages flottants.

Le personnage dont l’arrivée mystérieuse avait attiré l’attention de Franz était placé dans une demi-teinte qui ne lui permettait pas de distinguer ses traits, mais qui cependant n’était pas assez obscure pour l’empêcher de détailler son costume: il était enveloppé d’un grand manteau brun dont un des pans, rejeté sur son épaule gauche, lui cachait le bas du visage, tandis que son chapeau à larges bords en couvrait la partie supérieure. L’extrémité seule de ses vêtements se trouvait éclairée par la lumière oblique qui passait par l’ouverture, et qui permettait de distinguer un pantalon noir encadrant coquettement une botte vernie.

Cet homme appartenait évidemment, sinon à l’aristocratie, du moins à la haute société.

Il était là depuis quelques minutes et commençait à donner des signes visibles d’impatience, lorsqu’un léger bruit se fit entendre sur la terrasse supérieure.

Au même instant une ombre parut intercepter la lumière, un homme apparut à l’orifice de l’ouverture, plongea son regard perçant dans les ténèbres, et aperçut l’homme au manteau; aussitôt il saisit une poignée de ces lianes pendantes et de ces lierres flottants, se laissa glisser, et, arrivé à trois ou quatre pieds du sol sauta légèrement à terre. Celui-ci avait le costume d’un Transtévère complet.

«Excusez-moi, Excellence, dit-il en dialecte romain, je vous ai fait attendre. Cependant, je ne suis en retard que de quelques minutes. Dix heures viennent de sonner à Saint-Jean-de-Latran.

– C’est moi qui étais en avance et non vous qui étiez en retard, répondit l’étranger dans le plus pur toscan; ainsi pas de cérémonie: d’ailleurs m’eussiez-vous fait attendre, que je me serais bien douté que c’était par quelque motif indépendant de votre volonté.

– Et vous auriez eu raison, Excellence, je viens du château Saint-Ange, et j’ai eu toutes les peines du monde à parler à Beppo.

– Qu’est-ce que Beppo?

– Beppo est un employé de la prison, à qui je fais une petite rente pour savoir ce qui se passe dans l’intérieur du château de Sa Sainteté.

– Ah! ah! je vois que vous êtes homme de précaution, mon cher!

– Que voulez-vous, Excellence! on ne sait pas ce qui peut arriver; peut-être moi aussi serai-je un jour pris au filet comme ce pauvre Peppino; et aurai-je besoin d’un rat pour ronger quelques mailles de ma prison.

– Bref, qu’avez-vous appris?

– Il y aura deux exécutions mardi à deux heures comme c’est l’habitude à Rome lors des ouvertures des grandes fêtes. Un condamné sera mazzolato, c’est un misérable qui a tué un prêtre qui l’avait élevé, et qui ne mérite aucun intérêt. L’autre sera decapitato, et celui-là, c’est le pauvre Peppino.

– Que voulez-vous, mon cher, vous inspirez une si grande terreur, non seulement au gouvernement pontifical mais encore aux royaumes voisins qu’on veut absolument faire un exemple.

– Mais Peppino ne fait pas même partie de ma bande; c’est un pauvre berger qui n’a commis d’autre crime que de nous fournir des vivres.

– Ce qui le constitue parfaitement votre complice. Aussi, voyez qu’on a des égards pour lui: au lieu de l’assommer, comme vous le serez, si jamais on vous met la main dessus, on se contentera de le guillotiner. Au reste, cela variera les plaisirs du peuple, et il y aura spectacle pour tous les goûts.

– Sans compter celui que je lui ménage et auquel il ne s’attend pas, reprit le Transtévère.

– Mon cher ami, permettez-moi de vous dire, reprit l’homme au manteau, que vous me paraissez tout disposé à faire quelque sottise.

– Je suis disposé à tout pour empêcher l’exécution du pauvre diable qui est dans l’embarras pour m’avoir servi; par la Madone! je me regarderai comme un lâche, si je ne faisais pas quelque chose pour ce brave garçon.

– Et que ferez-vous?

– Je placerai une vingtaine d’hommes autour de l’échafaud, et, au moment où on l’amènera, au signal que je donnerai, nous nous élancerons le poignard au poing sur l’escorte, et nous l’enlèverons.

– Cela me paraît fort chanceux, et je crois décidément que mon projet vaut mieux que le vôtre.

– Et quel est votre projet, Excellence?

– Je donnerai dix mille piastres à quelqu’un que je sais, et qui obtiendra que l’exécution de Peppino soit remise à l’année prochaine; puis, dans le courant de l’année, je donnerai mille autres piastres à un autre quelqu’un que je sais encore, et le ferai évader de prison.

– Êtes-vous sûr de réussir?

– Pardieu! dit en français l’homme au manteau.

– Plaît-il? demanda le Transtévère.

– Je dis, mon cher, que j’en ferai plus à moi seul avec mon or que vous et tous vos gens avec leurs poignards, leurs pistolets, leurs carabines et leurs tromblons. Laissez-moi donc faire.

– À merveille; mais si vous échouez, nous nous tiendrons toujours prêts.

– Tenez-vous toujours prêts, si c’est votre plaisir mais soyez certain que j’aurai sa grâce.

– C’est après-demain mardi, faites-y attention. Vous n’avez plus que demain.

– Eh bien, mais le jour se compose de vingt-quatre heures, chaque heure se compose de soixante minutes, chaque minute de soixante secondes; en quatre-vingt-six mille quatre cents secondes on fait bien des choses.

– Si vous avez réussi, Excellence, comment le saurons-nous?

– C’est bien simple. J’ai loué les trois dernières fenêtres du café Rospoli; si j’ai obtenu le sursis, les deux fenêtres du coin seront tendues en damas jaune mais celle du milieu sera tendue en damas blanc avec une croix rouge.

– À merveille. Et par qui ferez-vous passer la grâce?

– Envoyez-moi un de vos hommes déguisé en pénitent et je la lui donnerai. Grâce à son costume, il arrivera jusqu’au pied de l’échafaud et remettra la bulle au chef de la confrérie, qui la remettra au bourreau. En attendant, faites savoir cette nouvelle à Peppino; qu’il n’aille pas mourir de peur ou devenir fou, ce qui serait cause que nous aurions fait pour lui une dépense inutile.

– Écoutez, Excellence, dit le paysan, je vous suis bien dévoué, et vous en êtes convaincu, n’est-ce pas?

– Je l’espère, au moins.

– Eh bien, si vous sauvez Peppino ce sera plus que du dévouement à l’avenir, ce sera de l’obéissance.

– Fais attention à ce que tu dis là, mon cher! je te le rappellerai peut-être un jour, car peut-être un jour moi aussi, j’aurai besoin de toi…

– Eh bien, alors, Excellence, vous me trouverez à l’heure du besoin comme je vous aurai trouvé à cette même heure; alors, fussiez-vous à l’autre bout du monde, vous n’aurez qu’à m’écrire: «Fais cela», et je le ferai, foi de…

– Chut! dit l’inconnu, j’entends du bruit.

– Ce sont des voyageurs qui visitent le Colisée aux flambeaux.

– Il est inutile qu’ils nous trouvent ensemble. Ces mouchards de guides pourraient vous reconnaître; et, si honorable que soit votre amitié, mon cher ami, si on nous savait liés comme nous le sommes, cette liaison, j’en ai bien peur, me ferait perdre quelque peu de mon crédit.

– Ainsi, si vous avez le sursis?

– La fenêtre du milieu tendue en damas avec une croix rouge.

– Si vous ne l’avez pas?…

– Trois tentures jaunes.

– Et alors?…

– Alors, mon cher ami, jouez du poignard tout à votre aise, je vous le permets, et je serai là pour vous voir faire.

– Adieu, Excellence, je compte sur vous, comptez sur moi.»

À ces mots le Transtévère disparut par l’escalier, tandis que l’inconnu, se couvrant plus que jamais le visage de son manteau, passa à deux pas de Franz et descendit dans l’arène par les gradins extérieurs.

 

Une seconde après, Franz entendit son nom retentir sous les voûtes: c’était Albert qui l’appelait.

Il attendit pour répondre que les deux hommes fussent éloignés, ne se souciant pas de leur apprendre qu’ils avaient eu un témoin qui, s’il n’avait pas vu leur visage, n’avait pas perdu un mot de leur entretien.

Dix minutes après, Franz roulait vers l’hôtel d’Espagne, écoutant avec une distraction fort impertinente la savante dissertation qu’Albert faisait, d’après Pline et Calpurnius, sur les filets garnis de pointes de fer qui empêchaient les animaux féroces de s’élancer sur les spectateurs.

Il le laissait aller sans le contredire; il avait hâte de se trouver seul pour penser sans distraction à ce qui venait de se passer devant lui.

De ces deux hommes, l’un lui était certainement étranger, et c’était la première fois qu’il le voyait et l’entendait, mais il n’en était pas ainsi de l’autre; et, quoique Franz n’eût pas distingué son visage constamment enseveli dans l’ombre ou caché par son manteau, les accents de cette voix l’avaient trop frappé la première fois qu’il les avait entendus pour qu’ils pussent jamais retentir devant lui sans qu’il les reconnût.

Il y avait surtout dans les intonations railleuses quelque chose de strident et de métallique qui l’avait fait tressaillir dans les ruines du Colisée comme dans la grotte de Monte-Cristo.

Aussi était-il bien convaincu que cet homme n’était autre que Simbad le marin.

Aussi, en toute autre circonstance, la curiosité que lui avait inspirée cet homme eût été si grande qu’il se serait fait reconnaître à lui, mais dans cette occasion; la conversation qu’il venait d’entendre était trop intime pour qu’il ne fût pas retenu par la crainte très sensée que son apparition ne lui serait pas agréable. Il l’avait donc laissé s’éloigner, comme on l’a vu, mais en se promettant, s’il le rencontrait une autre fois, de ne pas laisser échapper cette seconde occasion comme il avait fait de la première.

Franz était trop préoccupé pour bien dormir. Sa nuit fut employée à passer et repasser dans son esprit toutes les circonstances qui se rattachaient à l’homme de la grotte et à l’inconnu du Colisée, et qui tendaient à faire de ces deux personnages le même individu; et plus Franz y pensait, plus il s’affermissait dans cette opinion.

Il s’endormit au jour, et ce qui fit qu’il ne s’éveilla que fort tard. Albert, en véritable Parisien, avait déjà pris ses précautions pour la soirée. Il avait envoyé chercher une loge au théâtre Argentina.

Franz avait plusieurs lettres à écrire en France, il abandonna donc pour toute la journée la voiture à Albert.

À cinq heures, Albert rentra; il avait porté ses lettres de recommandation, avait des invitations pour toutes ses soirées et avait vu Rome.

Une journée avait suffi à Albert pour faire tout cela.

Et encore avait-il eu le temps de s’informer de la pièce qu’on jouait et des acteurs qui la joueraient.

La pièce avait pour titre: Parisiana; les acteurs avaient nom: Coselli, Moriani et la Spech.

Nos deux jeunes gens n’étaient pas si malheureux, comme on le voit: ils allaient assister à la représentation d’un des meilleurs opéras de l’auteur de Lucia di lammermoor, joué par trois des artistes les plus renommés de l’Italie.

Albert n’avait jamais pu s’habituer aux théâtres ultramontains, à l’orchestre desquels on ne va pas, et qui n’ont ni balcons, ni loges découvertes; c’était dur pour un homme qui avait sa stalle aux Bouffes et sa part de la loge infernale à l’Opéra.

Ce qui n’empêchait pas Albert de faire des toilettes flamboyantes toutes les fois qu’il allait à l’Opéra avec Franz, toilettes perdues; car, il faut l’avouer à la honte d’un des représentants les plus dignes de notre fashion, depuis quatre mois qu’il sillonnait l’Italie en tous sens, Albert n’avait pas eu une seule aventure.

Albert essayait quelquefois de plaisanter à cet endroit; mais au fond il était singulièrement mortifié, lui, Albert de Morcerf, un des jeunes gens les plus courus, d’en être encore pour ses frais. La chose était d’autant plus pénible que, selon l’habitude modeste de nos chers compatriotes, Albert était parti de Paris avec cette conviction qu’il allait avoir en Italie les plus grands succès, et qu’il viendrait faire les délices du boulevard de Gand du récit de ses bonnes fortunes.

Hélas! il n’en avait rien été: les charmantes comtesses génoises, florentines et napolitaines s’en étaient tenues, non pas à leurs maris, mais à leurs amants, et Albert avait acquis cette cruelle conviction, que les Italiennes ont du moins sur les Françaises l’avantage d’être fidèles à leur infidélité.

Je ne veux pas dire qu’en Italie, comme partout, il n’y ait pas des exceptions.

Et cependant Albert était non seulement un cavalier parfaitement élégant, mais encore un homme de beaucoup d’esprit; de plus il était vicomte: de nouvelle noblesse, c’est vrai; mais aujourd’hui qu’on ne fait plus ses preuves, qu’importe qu’on date de 1399 ou de 1815! Par-dessus tout cela il avait cinquante mille livres de rente. C’était plus qu’il n’en faut, comme on le voit, pour être à la mode à Paris. C’était donc quelque peu humiliant de n’avoir encore été sérieusement remarqué par personne dans aucune des villes où il avait passé.

Mais aussi comptait-il se rattraper à Rome, le carnaval étant, dans tous les pays de la terre qui célèbrent cette estimable institution, une époque de liberté où les plus sévères se laissent entraîner à quelque acte de folie. Or, comme le carnaval s’ouvrait le lendemain, il était fort important qu’Albert lançât son prospectus avant cette ouverture.

Albert avait donc, dans cette intention, loué une des loges les plus apparentes du théâtre, et fait, pour s’y rendre, une toilette irréprochable. C’était au premier rang, qui remplace chez nous la galerie. Au reste, les trois premiers étages sont aussi aristocratiques les uns que les autres, et on les appelle pour cette raison les rangs nobles.

D’ailleurs cette loge, où l’on pouvait tenir à douze sans être serrés, avait coûté aux deux amis un peu moins cher qu’une loge de quatre personnes à l’Ambigu.

Albert avait encore un autre espoir, c’est que s’il arrivait à prendre place dans le cœur d’une belle Romaine, cela le conduirait naturellement à conquérir un posto dans la voiture, et par conséquent à voir le carnaval du haut d’un véhicule aristocratique ou d’un balcon princier.

Toutes ces considérations rendaient donc Albert plus sémillant qu’il ne l’avait jamais été. Il tournait le dos aux acteurs, se penchant à moitié hors de la loge et lorgnant toutes les jolies femmes avec une jumelle de six pouces de long.

Ce qui n’amenait pas une seule jolie femme à récompenser d’un seul regard, même de curiosité, tout le mouvement que se donnait Albert.

En effet, chacun causait de ses affaires, de ses amours, de ses plaisirs, du carnaval qui s’ouvrait le lendemain de la semaine sainte prochaine, sans faire attention un seul instant ni aux acteurs, ni à la pièce, à l’exception des moments indiqués, où chacun alors se retournait, soit pour entendre une portion du récitatif de Coselli, soit pour applaudir quelque trait brillant de Moriani, soit pour crier bravo à la Spech; puis les conversations particulières reprenaient leur train habituel.

Vers la fin du premier acte, la porte d’une loge restée vide jusque-là s’ouvrit, et Franz vit entrer une personne à laquelle il avait eu l’honneur d’être présenté à Paris et qu’il croyait encore en France. Albert vit le mouvement que fit son ami à cette apparition, et se retournant vers lui:

«Est-ce que vous connaissez cette femme? dit-il.

– Oui; comment la trouvez-vous?

– Charmante, mon cher, et blonde. Oh! les adorables cheveux! C’est une Française?

– C’est une Vénitienne.

– Et vous l’appelez?

– La comtesse G…

– Oh! je la connais de nom, s’écria Albert; on la dit aussi spirituelle que jolie. Parbleu, quand je pense que j’aurais pu me faire présenter à elle au dernier bal de Mme de Villefort, où elle était, et que j’ai négligé cela: je suis un grand niais!

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