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Le comte de Monte Cristo

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– Voulez-vous que je répare ce tort? demanda Franz.

– Comment! vous la connaissez assez pour me conduire dans sa loge?

– J’ai eu l’honneur de lui parler trois ou quatre fois dans ma vie; mais, vous le savez, c’est strictement assez pour ne pas commettre une inconvenance.»

En ce moment la comtesse aperçut Franz et lui fit de la main un signe gracieux, auquel il répondit par une respectueuse inclination de tête.

«Ah çà! mais il me semble que vous êtes au mieux avec elle? dit Albert.

– Eh bien, voilà ce qui vous trompe et ce qui nous fera faire sans cesse, à nous autres Français, mille sottises à l’étranger: c’est de tout soumettre à nos points de vue parisiens; en Espagne, et en Italie surtout, ne jugez jamais de l’intimité des gens sur la liberté des rapports. Nous nous sommes trouvés en sympathie avec la comtesse, voilà tout.

– En sympathie de cœur? demanda Albert en riant.

– Non, d’esprit, voilà tout, répondit sérieusement Franz.

– Et à quelle occasion?

– À l’occasion d’une promenade au Colisée pareille à celle que nous avons faite ensemble.

– Au clair de la lune?

– Oui.

– Seuls?

– À peu près!

– Et vous avez parlé…

– Des morts.

– Ah! s’écria Albert, c’était en vérité fort récréatif. Eh bien, moi, je vous promets que si j’ai le bonheur d’être le cavalier de la belle comtesse dans une pareille promenade, je ne lui parlerai que des vivants.

– Et vous aurez peut-être tort.

– En attendant, vous allez me présenter à elle comme vous me l’avez promis?

– Aussitôt la toile baissée.

– Que ce diable de premier acte est long!

– Écoutez le finale, il est fort beau, et Coselli le chante admirablement.

– Oui, mais quelle tournure!

– La Spech y est on ne peut plus dramatique.

– Vous comprenez que lorsqu’on a entendu la Sontag et la Malibran…

– Ne trouvez-vous pas la méthode de Moriani excellente?

– Je n’aime pas les bruns qui chantent blond.

– Ah! mon cher, dit Franz en se retournant, tandis qu’Albert continuait de lorgner, en vérité vous êtes par trop difficile!»

Enfin la toile tomba à la grande satisfaction du vicomte de Morcerf, qui prit son chapeau, donna un coup de main rapide à ses cheveux, à sa cravate et à ses manchettes, et fit observer à Franz qu’il l’attendait.

Comme de son côté, la comtesse, que Franz interrogeait des yeux, lui fit comprendre par un signe, qu’il serait le bienvenu, Franz ne mit aucun retard à satisfaire l’empressement d’Albert, et faisant – suivi de son compagnon qui profitait du voyage pour rectifier les faux plis que les mouvements avaient pu imprimer à son col de chemise et au revers de son habit – le tour de l’hémicycle, il vint frapper à la loge n° 4, qui était celle qu’occupait la comtesse.

Aussitôt le jeune homme qui était assis à côté d’elle sur le devant de la loge se leva, cédant sa place, selon l’habitude italienne, au nouveau venu, qui doit la céder à son tour lorsqu’une autre visite arrive.

Franz présenta Albert à la comtesse comme un de nos jeunes gens les plus distingués par sa position sociale et par son esprit; ce qui, d’ailleurs, était vrai; car à Paris, et dans le milieu où vivait Albert, c’était un cavalier irréprochable. Il ajouta que, désespéré de n’avoir pas su profiter du séjour de la comtesse à Paris pour se faire présenter à elle, il l’avait chargé de réparer cette faute, mission dont il s’acquittait en priant la comtesse, près de laquelle il aurait eu besoin lui-même d’un introducteur, d’excuser son indiscrétion.

La comtesse répondit en faisant un charmant salut à Albert et en tendant la main à Franz.

Albert, invité par elle, prit la place vide sur le devant, et Franz s’assit au second rang derrière la comtesse.

Albert avait trouvé un excellent sujet de conversation: c’était Paris, il parlait à la comtesse de leurs connaissances communes. Franz comprit qu’il était sur le terrain. Il le laissa aller, et, lui demandant sa gigantesque lorgnette, il se mit à son tour à explorer la salle.

Seule sur le devant d’une loge, placée au troisième rang en face d’eux, était une femme admirablement belle, vêtue d’un costume grec, qu’elle portait avec tant d’aisance qu’il était évident que c’était son costume naturel.

Derrière elle, dans l’ombre, se dessinait la forme d’un homme dont il était impossible de distinguer le visage.

Franz interrompit la conversation d’Albert et de la comtesse pour demander à cette dernière si elle connaissait la belle Albanaise qui était si digne d’attirer non seulement l’attention des hommes, mais encore des femmes.

«Non, dit-elle; tout ce que je sais, c’est qu’elle est à Rome depuis le commencement de la saison; car, à l’ouverture du théâtre, je l’ai vue où elle est, et depuis un mois elle n’a pas manqué une seule représentation, tantôt accompagnée de l’homme qui est avec elle en ce moment, tantôt suivie simplement d’un domestique noir.

– Comment la trouvez-vous, comtesse?

– Extrêmement belle. Medora devait ressembler à cette femme.»

Franz et la comtesse échangèrent un sourire. Elle se remit à causer avec Albert, et Franz à lorgner son Albanaise.

La toile se leva sur le ballet. C’était un de ces bons ballets italiens mis en scène par le fameux Henri qui s’était fait, comme chorégraphe, en Italie, une réputation colossale, que le malheureux est venu perdre au théâtre nautique; un de ces ballets où tout le monde, depuis le premier sujet jusqu’au dernier comparse, prend une part si active à l’action, que cent cinquante personnes font à la fois le même geste et lèvent ensemble ou le même bras ou la même jambe.

On appelait ce ballet Poliska.

Franz était trop préoccupé de sa belle Grecque pour s’occuper du ballet, si intéressant qu’il fût. Quant à elle, elle prenait un plaisir visible à ce spectacle, plaisir qui faisait une opposition suprême avec l’insouciance profonde de celui qui l’accompagnait, et qui, tant que dura le chef-d’œuvre chorégraphique, ne fit pas un mouvement, paraissant, malgré le bruit infernal que menaient les trompettes, les cymbales et les chapeaux chinois à l’orchestre, goûter les célestes douceurs d’un sommeil paisible et radieux.

Enfin le ballet finit, et la toile tomba au milieu des applaudissements frénétiques d’un parterre enivré.

Grâce à cette habitude de couper l’opéra par un ballet, les entractes sont très courts en Italie, les chanteurs ayant le temps de se reposer et de changer de costume tandis que les danseurs exécutent leurs pirouettes et confectionnent leurs entrechats.

L’ouverture du second acte commença; aux premiers coups d’archet, Franz vit le dormeur se soulever lentement et se rapprocher de la Grecque, qui se retourna pour lui adresser quelques paroles, et s’accouda de nouveau sur le devant de la loge.

La figure de son interlocuteur était toujours dans l’ombre, et Franz ne pouvait distinguer aucun de ses traits.

La toile se leva, l’attention de Franz fut nécessairement attirée par les acteurs, et ses yeux quittèrent un instant la loge de la belle Grecque pour se porter vers la scène.

L’acte s’ouvre, comme on sait, par le duo du rêve: Parisina, couchée, laisse échapper devant Azzo le secret de son amour pour Ugo; l’époux trahi passe par toutes les fureurs de la jalousie, jusqu’à ce que, convaincu que sa femme lui est infidèle, il la réveille pour lui annoncer sa prochaine vengeance.

Ce duo est un des plus beaux, des plus expressifs et des plus terribles qui soient sortis de la plume féconde de Donizetti. Franz l’entendait pour la troisième fois, et quoiqu’il ne passât pas pour un mélomane enragé, il produisit sur lui un effet profond. Il allait en conséquence joindre ses applaudissements à ceux de la salle, lorsque ses mains, prêtes à se réunir, restèrent écartées, et que le bravo qui s’échappait de sa bouche expira sur ses lèvres.

L’homme de la loge s’était levé tout debout, et, sa tête se trouvant dans la lumière, Franz venait de retrouver le mystérieux habitant de Monte-Cristo, celui dont la veille il lui avait si bien semblé reconnaître la taille et la voix dans les ruines du Colisée.

Il n’y avait plus de doute, l’étrange voyageur habitait Rome.

Sans doute l’expression de la figure de Franz était en harmonie avec le trouble que cette apparition jetait dans son esprit, car la comtesse le regarda éclata de rire, et lui demanda ce qu’il avait.

«Madame la comtesse, répondit Franz, je vous ai demandé tout à l’heure si vous connaissiez cette femme albanaise: maintenant je vous demanderai si vous connaissez son mari.

– Pas plus qu’elle, répondit la comtesse.

– Vous ne l’avez jamais remarqué?

– Voilà bien une question à la française! Vous savez bien que, pour nous autres Italiennes, il n’y a pas d’autre homme au monde que celui que nous aimons!

– C’est juste, répondit Franz.

– En tout cas, dit-elle en appliquant les jumelles d’Albert à ses yeux et en les dirigeant vers la loge, ce doit être quelque nouveau déterré, quelque trépassé sorti du tombeau avec la permission du fossoyeur car il me semble affreusement pâle.

– Il est toujours comme cela, répondit Franz.

– Vous le connaissez donc? demanda la comtesse; alors c’est moi qui vous demanderai qui il est.

– Je crois l’avoir déjà vu, et il me semble le reconnaître.

– En effet, dit-elle en faisant un mouvement de ses belles épaules comme si un frisson lui passait dans les veines, je comprends que lorsqu’on a une fois vu un pareil homme on ne l’oublie jamais.»

L’effet que Franz avait éprouvé n’était donc pas une impression particulière, puisqu’une autre personne le ressentait comme lui.

«Eh bien, demanda Franz à la comtesse après qu’elle eut pris sur elle de le lorgner une seconde fois que pensez-vous de cet homme?

 

– Que cela me paraît être Lord Ruthwen en chair et en os.»

En effet, ce nouveau souvenir de Byron frappa Franz: si un homme pouvait lui faire croire à l’existence des vampires, c’était cet homme.

«Il faut que je sache qui il est, dit Franz en se levant.

– Oh! non, s’écria la comtesse; non, ne me quittez pas, je compte sur vous pour me reconduire, et je vous garde.

– Comment! véritablement, lui dit Franz en se penchant à son oreille, vous avez peur?

– Écoutez, lui dit-elle, Byron m’a juré qu’il croyait aux vampires, il m’a dit qu’il en avait vu, il m’a dépeint leur visage, eh bien! c’est absolument cela: ces cheveux noirs, ces grands yeux brillant d’une flamme étrange, cette pâleur mortelle; puis, remarquez qu’il n’est pas avec une femme comme toutes les femmes, il est avec une étrangère… une Grecque, une schismatique… sans doute quelque magicienne comme lui. Je vous en prie, n’y allez pas. Demain mettez-vous à sa recherche si bon vous semble, mais aujourd’hui je vous déclare que je vous garde.»

Franz insista.

«Écoutez, dit-elle en se levant, je m’en vais, je ne puis rester jusqu’à la fin du spectacle, j’ai du monde chez moi: serez-vous assez peu galant pour me refuser votre compagnie?»

Il n’y avait d’autre réponse à faire que de prendre son chapeau, d’ouvrir la porte et de présenter son bras à la comtesse.

C’est ce qu’il fit.

La comtesse était véritablement fort émue; et Franz lui-même ne pouvait échapper à une certaine terreur superstitieuse, d’autant plus naturelle que ce qui était chez la comtesse le produit d’une sensation instinctive, était chez lui le résultat d’un souvenir.

Il sentit qu’elle tremblait en montant en voiture.

Il la reconduisit jusque chez elle: il n’y avait personne, et elle n’était aucunement attendue; il lui en fit le reproche.

«En vérité lui dit-elle, je ne me sens pas bien, et j’ai besoin d’être seule; la vue de cet homme m’a toute bouleversée.»

Franz essaya de rire.

«Ne riez pas, lui dit-elle; d’ailleurs vous n’en avez pas envie. Puis promettez-moi une chose.

– Laquelle?

– Promettez-la-moi.

– Tout ce que vous voudrez, excepté de renoncer à découvrir quel est cet homme. J’ai des motifs que je ne puis vous dire pour désirer savoir qui il est, d’où il vient et où il va.

– D’où il vient, je l’ignore; mais où il va, je puis vous le dire: il va en enfer à coup sûr.

– Revenons à la promesse que vous vouliez exiger de moi, comtesse, dit Franz.

– Ah! c’est de rentrer directement à l’hôtel et de ne pas chercher ce soir à voir cet homme. Il y a certaines affinités entre les personnes que l’on quitte et les personnes que l’on rejoint. Ne servez pas de conducteur entre cet homme et moi. Demain courez après lui si bon vous semble, mais ne me le présentez jamais, si vous ne voulez pas me faire mourir de peur. Sur ce, bonsoir, tâchez de dormir, moi, je sais bien qui ne dormira pas.»

Et à ces mots la comtesse quitta Franz, le laissant indécis de savoir si elle s’était amusée à ses dépens ou si elle avait véritablement ressenti la crainte qu’elle avait exprimée.

En rentrant à l’hôtel, Franz trouva Albert en robe de chambre, en pantalon à pied, voluptueusement étendu sur un fauteuil et fumant son cigare.

«Ah! c’est vous! lui dit-il; ma foi, je ne vous attendais que demain.

– Mon cher Albert, répondit Franz, je suis heureux de trouver l’occasion de vous dire une fois pour toutes que vous avez la plus fausse idée des femmes italiennes; il me semble pourtant que vos mécomptes amoureux auraient dû vous la faire perdre.

– Que voulez-vous! ces diablesses de femmes, c’est à n’y rien comprendre! Elles vous donnent la main, elles vous la serrent; elles vous parlent tout bas, elles se font reconduire chez elles: avec le quart de ces manières de faire, une Parisienne se perdrait de réputation.

– Eh! justement, c’est parce qu’elles n’ont rien à cacher, c’est parce qu’elles vivent au grand soleil, que les femmes y mettent si peu de façons dans le beau pays où résonne le si, comme dit Dante. D’ailleurs, vous avez bien vu que la comtesse a eu véritablement peur.

– Peur de quoi? de cet honnête monsieur qui était en face de nous avec cette jolie Grecque? Mais j’ai voulu en avoir le cœur net quand ils sont sortis, et je les ai croisés dans le corridor. Je ne sais pas où diable vous avez pris toutes vos idées de l’autre monde! C’est un fort beau garçon qui est fort bien mis, et qui a tout l’air de se faire habiller en France chez Blin ou chez Humann; un peu pâle, c’est vrai, mais vous savez que la pâleur est un cachet de distinction.»

Franz sourit, Albert avait de grandes prétentions à être pâle.

«Aussi, lui dit Franz, je suis convaincu que les idées de la comtesse sur cet homme n’ont pas le sens commun. A-t-il parlé près de vous, et avez-vous entendu quelques-unes de ses paroles?

– Il a parlé, mais en romaïque. J’ai reconnu l’idiome à quelques mots grecs défigurés. Il faut vous dire, mon cher, qu’au collège j’étais très fort en grec.

– Ainsi il parlait le romaïque?

– C’est probable.

– Plus de doute, murmura Franz, c’est lui.

– Vous dites?…

– Rien. Que faisiez-vous donc là?

– Je vous ménageais une surprise.

– Laquelle?

– Vous savez qu’il est impossible de se procurer une calèche?

– Pardieu! puisque nous avons fait inutilement tout ce qu’il était humainement possible de faire pour cela.

– Eh bien, j’ai eu une idée merveilleuse.»

Franz regarda Albert en homme qui n’avait pas grande confiance dans son imagination.

«Mon cher, dit Albert, vous m’honorez là d’un regard qui mériterait bien que je vous demandasse réparation.

– Je suis prêt à vous la faire, cher ami, si l’idée est aussi ingénieuse que vous le dites.

– Écoutez.

– J’écoute.

– Il n’y a pas moyen de se procurer de voiture n’est-ce pas?

– Non.

– Ni de chevaux?

– Pas davantage.

– Mais l’on peut se procurer une charrette?

– Peut-être.

– Une paire de bœufs?

– C’est probable.

– Eh bien, mon cher! voilà notre affaire. Je vais faire décorer la charrette, nous nous habillons en moissonneurs napolitains, et nous représentons au naturel le magnifique tableau de Léopold Robert. Si pour plus grande ressemblance, la comtesse veut prendre le costume d’une femme de Pouzzole ou de Sorrente, cela complétera la mascarade, et elle est assez belle pour qu’on la prenne pour l’original de la Femme à l’Enfant.

– Pardieu! s’écria Franz, pour cette fois vous avez raison, monsieur Albert, et voilà une idée véritablement heureuse.

– Et toute nationale, renouvelée des rois fainéants, mon cher, rien que cela! Ah! messieurs les Romains, vous croyez qu’on courra à pied par vos rues comme des lazzaroni, et cela parce que vous manquez de calèches et de chevaux; eh bien! on en inventera.

– Et avez-vous déjà fait part à quelqu’un de cette triomphante imagination?

– À notre hôte. En rentrant, je l’ai fait monter et lui ai exposé mes désirs. Il m’a assuré que rien n’était plus facile; je voulais faire dorer les cornes des bœufs, mais il m’a dit que cela demandait trois jours: il faudra donc nous passer de cette superfluité.

– Et où est-il?

– Qui?

– Notre hôte?

– En quête de la chose. Demain il serait déjà peut-être un peu tard.

– De sorte qu’il va nous rendre réponse ce soir même?

– Je l’attends.»

En ce moment la porte s’ouvrit, et maître Pastrini passa la tête.

«Permesso? dit-il.

– Certainement que c’est permis! s’écria Franz.

– Eh bien, dit Albert, nous avez-vous trouvé la charrette requise et les bœufs demandés?

– J’ai trouvé mieux que cela, répondit-il d’un air parfaitement satisfait de lui-même.

– Ah! mon cher hôte, prenez garde, dit Albert, le mieux est l’ennemi du bien.

– Que Vos Excellences s’en rapportent à moi, dit maître Pastrini d’un ton capable.

– Mais enfin qu’y a-t-il? demanda Franz à son tour.

– Vous savez dit l’aubergiste, que le comte de Monte-Cristo habite sur le même carré que vous?

– Je le crois bien, dit Albert, puisque c’est grâce à lui que nous sommes logés comme deux étudiants de la rue Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

– Eh bien, il sait l’embarras dans lequel vous vous trouvez, et vous fait offrir deux places dans sa voiture et deux places à ses fenêtres du palais Rospoli.»

Albert et Franz se regardèrent.

«Mais, demanda Albert, devons-nous accepter l’offre de cet étranger, d’un homme que nous ne connaissons pas?

– Quel homme est-ce que ce comte de Monte-Cristo? demanda Franz à son hôte.

– Un très grand seigneur sicilien ou maltais, je ne sais pas au juste, mais noble comme un Borghèse et riche comme une mine d’or.

– Il me semble, dit Franz à Albert, que, si cet homme était d’aussi bonnes manières que le dit notre hôte, il aurait dû nous faire parvenir son invitation d’une autre façon, soit en nous écrivant, soit…

En ce moment on frappa à la porte.

«Entrez», dit Franz.

Un domestique, vêtu d’une livrée parfaitement élégante, parut sur le seuil de la chambre.

«De la part du comte de Monte-Cristo, pour M. Franz d’Épinay et pour M. le vicomte Albert de Morcerf», dit-il.

Et il présenta à l’hôte deux cartes, que celui-ci remit aux jeunes gens.

«M. le comte de Monte-Cristo, continua le domestique, fait demander à ces messieurs la permission de se présenter en voisin demain matin chez eux; il aura l’honneur de s’informer auprès de ces messieurs à quelle heure ils seront visibles.

– Ma foi, dit Albert à Franz, il n’y a rien à y reprendre, tout y est.

– Dites au comte, répondit Franz, que c’est nous qui aurons l’honneur de lui faire notre visite.

Le domestique se retira.

«Voilà ce qui s’appelle faire assaut d’élégance, dit Albert; allons, décidément vous aviez raison, maître Pastrini, et c’est un homme tout à fait comme il faut que votre comte de Monte-Cristo.

– Alors vous acceptez son offre? dit l’hôte.

– Ma foi, oui, répondit Albert. Cependant, je vous l’avoue, je regrette notre charrette et les moissonneurs; et, s’il n’y avait pas la fenêtre du palais Rospoli pour faire compensation à ce que nous perdons, je crois que j’en reviendrais à ma première idée: qu’en dites-vous, Franz?

– Je dis que ce sont aussi les fenêtres du palais Rospoli qui me décident», répondit Franz à Albert.

En effet, cette offre de deux places à une fenêtre du palais Rospoli avait rappelé à Franz la conversation qu’il avait entendue dans les ruines du Colisée entre son inconnu et son Transtévère, conversation dans laquelle l’engagement avait été pris par l’homme au manteau d’obtenir la grâce du condamné. Or, si l’homme au manteau était, comme tout portait Franz à le croire, le même que celui dont l’apparition dans la salle Argentina l’avait si fort préoccupé, il le reconnaîtrait sans aucun doute, et alors rien ne l’empêcherait de satisfaire sa curiosité à son égard.

Franz passa une partie de la nuit à rêver à ses deux apparitions et à désirer le lendemain. En effet, le lendemain tout devait s’éclaircir; et cette fois, à moins que son hôte de Monte-Cristo ne possédât l’anneau de Gygès et, grâce à cet anneau, la faculté de se rendre invisible, il était évident qu’il ne lui échapperait pas. Aussi fut-il éveillé avant huit heures.

Quant à Albert, comme il n’avait pas les mêmes motifs que Franz d’être matinal, il dormait encore de son mieux.

Franz fit appeler son hôte, qui se présenta avec son obséquiosité ordinaire.

«Maître Pastrini, lui dit-il, ne doit-il pas y avoir aujourd’hui une exécution?

– Oui, Excellence; mais si vous me demandez cela pour avoir une fenêtre, vous vous y prenez bien tard.

– Non, reprit Franz; d’ailleurs, si je tenais absolument à voir ce spectacle, je trouverais place, je pense, sur le mont Pincio.

– Oh! je présumais que Votre Excellence ne voudrait pas se compromettre avec toute la canaille, dont c’est en quelque sorte l’amphithéâtre naturel.

– Il est probable que je n’irai pas, dit Franz; mais je désirerais avoir quelques détails.

– Lesquels?

– Je voudrais savoir le nombre des condamnés, leurs noms et le genre de leur supplice.

– Cela tombe à merveille, Excellence! on vient justement de m’apporter les tavolette.

– Qu’est-ce que les tavolette?

– Les tavolette sont des tablettes en bois que l’on accroche à tous les coins de rue la veille des exécutions, et sur lesquelles on colle les noms des condamnés, la cause de leur condamnation et le mode de leur supplice. Cet avis a pour but d’inviter les fidèles à prier Dieu de donner aux coupables un repentir sincère.

 

– Et l’on vous apporte ces tavolette pour que vous joigniez vos prières à celles des fidèles? demanda Franz d’un air de doute.

– Non, Excellence; je me suis entendu avec le colleur, et il m’apporte cela comme il m’apporte les affiches de spectacles, afin que si quelques-uns de mes voyageurs désirent assister à l’exécution, ils soient prévenus.

– Ah! mais c’est une attention tout à fait délicate! s’écria Franz.

– Oh! dit maître Pastrini en souriant, je puis me vanter de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour satisfaire les nobles étrangers qui m’honorent de leur confiance.

– C’est ce que je vois, mon hôte! et c’est ce que je répéterai à qui voudra l’entendre, soyez en bien certain. En attendant, je désirerais lire une de ces tavolette.

– C’est bien facile, dit l’hôte en ouvrant la porte j’en ai fait mettre une sur le carré.»

Il sortit, détacha la tavoletta, et la présenta à Franz.

Voici la traduction littérale de l’affiche patibulaire:

«On fait savoir à tous que le mardi 22 février, premier jour de carnaval, seront, par arrêt du tribunal de la Rota, exécutés, sur la place del Popolo le nommé Andrea Rondolo, coupable d’assassinat sur la personne très respectable et très vénérée de don César Terlini, chanoine de l’église de Saint-Jean de Latran, et le nommé Peppino, dit Rocca Priori convaincu de complicité avec le détestable bandit Luigi Vampa et les hommes de sa troupe.

«Le premier sera mazzolato.

«Et le second decapitato.

«Les âmes charitables sont priées de demander à Dieu un repentir sincère pour ces deux malheureux condamnés»

C’était bien ce que Franz avait entendu la surveille, dans les ruines du Colisée, et rien n’était changé au programme: les noms des condamnés, la cause de leur supplice et le genre de leur exécution étaient exactement les mêmes.

Ainsi, selon toute probabilité, le Transtévère n’était autre que le bandit Luigi Vampa, et l’homme au manteau Simbad le marin, qui, à Rome comme à Porto-Vecchio, et à Tunis, poursuivait le cours de ses philanthropiques expéditions.

Cependant le temps s’écoulait, il était neuf heures, et Franz allait réveiller Albert, lorsque à son grand étonnement il le vit sortir tout habillé de sa chambre. Le carnaval lui avait trotté par la tête, et l’avait éveillé plus matin que son ami ne l’espérait.

«Eh bien, dit Franz à son hôte, maintenant que nous voilà prêts tous deux, croyez-vous, mon cher monsieur Pastrini, que nous puissions nous présenter chez le comte de Monte-Cristo?

– Oh! bien certainement! répondit-il; le comte de Monte-Cristo a l’habitude d’être très matinal, et je suis sûr qu’il y a plus de deux heures déjà qu’il est levé.

– Et vous croyez qu’il n’y a pas d’indiscrétion à se présenter chez lui maintenant?

– Aucune.

– En ce cas, Albert, si vous êtes prêt…

– Entièrement prêt, dit Albert.

– Allons remercier notre voisin de sa courtoisie.

– Allons!

Franz et Albert n’avaient que le carré à traverser l’aubergiste les devança et sonna pour eux; un domestique vint ouvrir.

«I Signori Francesi», dit l’hôte.

Le domestique s’inclina et leur fit signe d’entrer.

Ils traversèrent deux pièces meublées avec un luxe, qu’ils ne croyaient pas trouver dans l’hôtel de maître Pastrini, et ils arrivèrent enfin dans un salon d’une élégance parfaite. Un tapis de Turquie était tendu sur le parquet, et les meubles les plus confortables offraient leurs coussins rebondis et leurs dossiers renversés. De magnifiques tableaux de maîtres, entremêlés de trophées d’armes splendides, étaient suspendus aux murailles, et de grandes portières de tapisserie flottaient devant les portes.

«Si Leurs Excellences veulent s’asseoir, dit domestique, je vais prévenir M. le comte.»

Et il disparut par une des portes.

Au moment où cette porte s’ouvrit, le son d’une guzla arriva jusqu’aux deux amis, mais s’éteignit aussitôt: la porte, refermée presque en même temps qu’ouverte, n’avait pour ainsi dire laissé pénétrer dans le salon qu’une bouffée d’harmonie.

Franz et Albert échangèrent un regard et reportèrent les yeux sur les meubles, sur les tableaux et sur les armes. Tout cela, à la seconde vue, leur parut encore plus magnifique qu’à la première.

«Eh bien, demanda Franz à son ami, que dites-vous de cela?

– Ma foi, mon cher, je dis qu’il faut que notre voisin soit quelque agent de change qui a joué à la baisse sur les fonds espagnols, ou quelque prince qui voyage incognito.

– Chut! lui dit Franz; c’est ce que nous allons savoir, car le voilà.»

En effet, le bruit d’une porte tournant sur ses gonds venait d’arriver jusqu’aux visiteurs; et presque aussitôt la tapisserie, se soulevant, donna passage au propriétaire de toutes ces richesses.

Albert s’avança au-devant de lui, mais Franz resta cloué à sa place.

Celui qui venait d’entrer n’était autre que l’homme au manteau du Colisée, l’inconnu de la loge, l’hôte mystérieux de Monte-Cristo.

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