Бесплатно

Le comte de Monte Cristo

Текст
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

«Rita était couchée entre eux deux.

«La lune éclairait cette scène.

– Eh bien, lui dit Cucumetto, as-tu fait la commission dont tu t’étais chargé?

– Oui, capitaine, répondit Carlini, et demain, avant neuf heures, le père de Rita sera ici avec l’argent.

– À merveille. En attendant, nous allons passer une joyeuse nuit. Cette jeune fille est charmante, et tu as, en vérité, bon goût, maître Carlini. Aussi comme je ne suis pas égoïste nous allons retourner auprès des camarades et tirer au sort à qui elle appartiendra maintenant.

– Ainsi vous êtes décidé à l’abandonner à la loi commune? demanda Carlini.

– Et pourquoi ferait-on exception en sa faveur?

– J’avais cru qu’à ma prière…

– Et qu’es-tu plus que les autres?

– C’est juste.

– Mais sois tranquille, reprit Cucumetto en riant, un peu plus tôt, un peu plus tard, ton tour viendra.

Les dents de Carlini se serraient à se briser.

– Allons, dit Cucumetto en faisant un pas vers les convives, viens-tu?

– Je vous suis…

«Cucumetto s’éloigna sans perdre de vue Carlini, car sans doute il craignait qu’il ne le frappât par derrière. Mais rien dans le bandit ne dénonçait une intention hostile.

Il était debout, les bras croisés, près de Rita toujours évanouie.

Un instant, l’idée de Cucumetto fut que le jeune homme allait la prendre dans ses bras et fuir avec elle. Mais peu lui importait maintenant, il avait eu de Rita ce qu’il voulait; et quant à l’argent, trois cents piastres réparties à la troupe faisaient une si pauvre somme qu’il s’en souciait médiocrement.

Il continua donc sa route vers la clairière; mais, à son grand étonnement, Carlini y arriva presque aussitôt que lui.

– Le tirage au sort! le tirage au sort! crièrent tous les bandits en apercevant le chef.

Et les yeux de tous ces hommes brillèrent d’ivresse et de lascivité, tandis que la flamme du foyer jetait sur toute leur personne une lueur rougeâtre qui les faisait ressembler à des démons.

Ce qu’ils demandaient était juste; aussi le chef fit-il de la tête un signe annonçant qu’il acquiesçait à leur demande. On mit tous les noms dans un chapeau, celui de Carlini comme ceux des autres, et le plus jeune de la bande tira de l’urne improvisée un bulletin.

Ce bulletin portait le nom de Diavolaccio.

C’était celui-là même qui avait proposé à Carlini la santé du chef, et à qui Carlini avait répondu en lui brisant le verre sur la figure.

Une large blessure ouverte de la tempe à la bouche, laissait couler le sang à flots.

Diavolaccio, se voyant ainsi favorisé de la fortune, poussa un éclat de rire.

– Capitaine, dit-il, tout à l’heure Carlini n’a pas voulu boire à votre santé, proposez-lui de boire à la mienne; il aura peut-être plus de condescendance pour vous que pour moi.»

Chacun s’attendait à une explosion de la part de Carlini; mais au grand étonnement de tous, il prit un verre d’une main, un fiasco de l’autre, puis, remplissant le verre:

– À ta santé, Diavolaccio, dit-il d’une voix parfaitement calme.

«Et il avala le contenu du verre sans que sa main tremblât. Puis, s’asseyant près du feu:

– Ma part de souper! dit-il; la course que je viens de faire m’a donné de l’appétit.

– Vive Carlini! s’écrièrent les brigands.

– À la bonne heure, voilà ce qui s’appelle prendre la chose en bon compagnon.

Et tous reformèrent le cercle autour du foyer, tandis que Diavolaccio s’éloignait.

Carlini mangeait et buvait, comme si rien ne s’était passé.

Les bandits le regardaient avec étonnement, ne comprenant rien à cette impassibilité, lorsqu’ils entendirent derrière eux retentir sur le sol un pas alourdi.

Ils se retournèrent et aperçurent Diavolaccio tenant la jeune fille entre ses bras.

Elle avait la tête renversée, et ses longs cheveux pendaient jusqu’à terre.

À mesure qu’ils entraient dans le cercle de la lumière projetée par le foyer, on s’apercevait de la pâleur de la jeune fille et de la pâleur du bandit.

Cette apparition avait quelque chose de si étrange et de si solennel, que chacun se leva, excepté Carlini, qui resta assis et continua de boire et de manger, comme si rien ne se passait autour de lui.

Diavolaccio continuait de s’avancer au milieu du plus profond silence, et déposa Rita aux pieds du capitaine.

Alors tout le monde put reconnaître la cause de cette pâleur de la jeune fille et de cette pâleur du bandit: Rita avait un couteau enfoncé jusqu’au manche au-dessous de la mamelle gauche.

Tous les yeux se portèrent sur Carlini: la gaine était vide à sa ceinture.

– Ah! ah! dit le chef, je comprends maintenant pourquoi Carlini était resté en arrière.

«Toute nature sauvage est apte à apprécier une action forte; quoique peut-être aucun des bandits n’eût fait ce que venait de faire Carlini, tous comprirent ce qu’il avait fait.

– Eh bien, dit Carlini en se levant à son tour et en s’approchant du cadavre, la main sur la crosse d’un de ses pistolets, y a-t-il encore quelqu’un qui me dispute cette femme?

– Non, dit le chef, elle est à toi!»

«Alors Carlini la prit à son tour dans ses bras, et l’emporta hors du cercle de lumière que projetait la flamme du foyer.

«Cucumetto disposa les sentinelles comme d’habitude, et les bandits se couchèrent, enveloppés dans leurs manteaux, autour du foyer.

«À minuit, la sentinelle donna l’éveil, et en un instant le chef et ses compagnons furent sur pied.

«C’était le père de Rita, qui arrivait lui-même, portant la rançon de sa fille.

– Tiens, dit-il à Cucumetto en lui tendant un sac d’argent, voici trois cents pistoles, rends-moi mon enfant.

«Mais le chef, sans prendre l’argent, lui fit signe de le suivre. Le vieillard obéit; tous deux s’éloignèrent sous les arbres, à travers les branches desquels filtraient les rayons de la lune. Enfin Cucumetto s’arrêta étendant la main et montrant au vieillard deux personnes groupées au pied d’un arbre:

– Tiens, lui dit-il, demande ta fille à Carlini, c’est lui qui t’en rendra compte.

«Et il s’en retourna vers ses compagnons.

«Le vieillard resta immobile et les yeux fixes. Il sentait que quelque malheur inconnu, immense, inouï, planait sur sa tête.

«Enfin, il fit quelques pas vers le groupe informe dont il ne pouvait se rendre compte.

«Au bruit qu’il faisait en s’avançant vers lui, Carlini releva la tête, et les formes des deux personnages commencèrent à apparaître plus distinctes aux yeux du vieillard.

«Une femme était couchée à terre, la tête posée sur les genoux d’un homme assis et qui se tenait penché vers elle; c’était en se relevant que cet homme avait découvert le visage de la femme qu’il tenait serrée contre sa poitrine.

«Le vieillard reconnut sa fille, et Carlini reconnut le vieillard.

– Je t’attendais, dit le bandit au père de Rita.

– Misérable! dit le vieillard, qu’as-tu fait?

«Et il regardait avec terreur Rita, pâle, immobile, ensanglantée, avec un couteau dans la poitrine.

«Un rayon de la lune frappait sur elle et l’éclairait de sa lueur blafarde.

– Cucumetto avait violé ta fille, dit le bandit, et, comme je l’aimais, je l’ai tuée; car, après lui, elle allait servir de jouet à toute la bande.

«Le vieillard ne prononça point une parole, seulement il devint pâle comme un spectre.

– Maintenant, dit Carlini, si j’ai eu tort, venge-la.

«Et il arracha le couteau du sein de la jeune fille et, se levant, il l’alla offrir d’une main au vieillard tandis que de l’autre il écartait sa veste et lui présentait sa poitrine nue.

– Tu as bien fait, lui dit le vieillard d’une voix sourde. Embrasse-moi, mon fils.

«Carlini se jeta en sanglotant dans les bras du père de sa maîtresse. C’étaient les premières larmes que versait cet homme de sang.

– Maintenant, dit le vieillard à Carlini, aide-moi à enterrer ma fille.

«Carlini alla chercher deux pioches, et le père et l’amant se mirent à creuser la terre au pied d’un chêne dont les branches touffues devaient recouvrir la tombe de la jeune fille.

«Quand la tombe fut creusée, le père l’embrassa le premier, l’amant ensuite; puis, l’un la prenant par les pieds, l’autre par-dessous les épaules, ils la descendirent dans la fosse.

«Puis ils s’agenouillèrent des deux côtés et dirent les prières des morts.

«Puis, lorsqu’ils eurent fini, ils repoussèrent la terre sur le cadavre jusqu’à ce que la fosse fût comblée.

«Alors, lui tendant la main:

– Je te remercie, mon fils! dit le vieillard à Carlini; maintenant, laisse-moi seul.

– Mais cependant… dit celui-ci.

– Laisse-moi, je te l’ordonne.

«Carlini obéit, alla rejoindre ses camarades, s’enveloppa dans son manteau, et bientôt parut aussi profondément endormi que les autres.

«Il avait été décidé la veille que l’on changerait de campement.

«Une heure avant le jour Cucumetto éveilla ses hommes et l’ordre fut donné de partir.

«Mais Carlini ne voulut pas quitter la forêt sans savoir ce qu’était devenu le père de Rita.

«Il se dirigea vers l’endroit où il l’avait laissé.

«Il trouva le vieillard pendu à une des branches du chêne qui ombrageait la tombe de sa fille.

«Il fit alors sur le cadavre de l’un et sur la fosse de l’autre le serment de les venger tous deux.

«Mais il ne put tenir ce serment; car, deux jours après dans une rencontre avec les carabiniers romains, Carlini fut tué.

«Seulement, on s’étonna que, faisant face à l’ennemi, il eût reçu une balle entre les deux épaules.

«L’étonnement cessa quand un des bandits eut fait remarquer à ses camarades que Cucumetto était placé dix pas en arrière de Carlini lorsque Carlini était tombé.

«Le matin du départ de la forêt de Frosinone, il avait suivi Carlini dans l’obscurité, avait entendu le serment qu’il avait fait, et, en homme de précaution, il avait pris l’avance.

 

«On racontait encore sur ce terrible chef de bande dix autres histoires non moins curieuses que celle-ci.

«Ainsi, de Fondi à Pérouse, tout le monde tremblait au seul nom de Cucumetto.

«Ces histoires avaient souvent été l’objet des conversations de Luigi et de Teresa.

«La jeune fille tremblait fort à tous ces récits; mais Vampa la rassurait avec un sourire, frappant son bon fusil, qui portait si bien la balle; puis, si elle n’était pas rassurée, il lui montrait à cent pas quelque corbeau perché sur une branche morte, le mettait en joue, lâchait la détente, et l’animal, frappé, tombait au pied de l’arbre.

«Néanmoins, le temps s’écoulait: les deux jeunes gens avaient arrêté qu’ils se marieraient lorsqu’ils auraient, Vampa vingt ans, et Teresa dix-neuf.

«Ils étaient orphelins tous deux; ils n’avaient de permission à demander qu’à leur maître; ils l’avaient demandée et obtenue.

«Un jour qu’ils causaient de leur projet d’avenir, ils entendirent deux ou trois coups de feu; puis tout à coup un homme sortit du bois près duquel les deux jeunes gens avaient l’habitude de faire paître leurs troupeaux, et accourut vers eux.

«Arrivé à la portée de la voix:

– Je suis poursuivi! leur cria-t-il; pouvez-vous me cacher?

«Les deux jeunes gens reconnurent bien que ce fugitif devait être quelque bandit; mais il y a entre le paysan et le bandit romain une sympathie innée qui fait que le premier est toujours prêt à rendre service au second.

«Vampa, sans rien dire, courut donc à la pierre qui bouchait l’entrée de leur grotte, démasqua cette entrée en tirant la pierre à lui, fit signe au fugitif de se réfugier dans cet asile inconnu de tous, repoussa la pierre sur lui et revint s’asseoir près de Teresa.

«Presque aussitôt, quatre carabiniers à cheval apparurent à la lisière du bois; trois paraissaient être à la recherche du fugitif, le quatrième traînait par le cou un bandit prisonnier.

«Les trois carabiniers explorèrent le pays d’un coup d’œil, aperçurent les deux jeunes gens, accoururent à eux au galop, et les interrogèrent.

«Ils n’avaient rien vu.

– C’est fâcheux, dit le brigadier, car celui que nous cherchons, c’est le chef.

– Cucumetto? ne purent s’empêcher de s’écrier ensemble Luigi et Teresa.

– Oui, répondit le brigadier; et comme sa tête est mise à prix à mille écus romains, il y en aurait eu cinq cents pour vous si vous nous aviez aidés à le prendre.

«Les deux jeunes gens échangèrent un regard. Le brigadier eut un instant d’espérance. Cinq cents écus romains font trois mille francs, et trois mille francs sont une fortune pour deux pauvres orphelins qui vont se marier.

– Oui, c’est fâcheux, dit Vampa, mais nous ne l’avons pas vu.

«Alors les carabiniers battirent le pays dans des directions différentes, mais inutilement.

«Puis, successivement, ils disparurent.

«Alors Vampa alla tirer la pierre, et Cucumetto sortit.

«Il avait vu, à travers les jours de la porte de granit, les deux jeunes gens causer avec les carabiniers; il s’était douté du sujet de leur conversation, il avait lu sur le visage de Luigi et de Teresa l’inébranlable résolution de ne point le livrer et tira de sa poche une bourse pleine d’or et la leur offrit.

«Mais Vampa releva la tête avec fierté; quant à Teresa, ses yeux brillèrent en pensant à tout ce qu’elle pourrait acheter de riches bijoux et beaux habits avec cette bourse pleine d’or.

«Cucumetto était un Satan fort habile: il avait pris la forme d’un bandit au lieu de celle d’un serpent; il surprit ce regard, reconnut dans Teresa une digne fille d’Ève, et rentra dans la forêt en se retournant plusieurs fois sous prétexte de saluer ses libérateurs.

«Plusieurs jours s’écoulèrent sans que l’on revit Cucumetto, sans qu’on entendit reparler de lui.

«Le temps du carnaval approchait. Le comte de San-Felice annonça un grand bal masqué où tout ce que Rome avait de plus élégant fut invité.

«Teresa avait grande envie de voir ce bal. Luigi demanda à son protecteur l’intendant la permission pour elle et pour lui d’y assister cachés parmi les serviteurs de la maison. Cette permission lui fut accordée.

«Ce bal était surtout donné par le comte pour faire plaisir à sa fille Carmela, qu’il adorait.

«Carmela était juste de l’âge et de la taille de Teresa, et Teresa était au moins aussi belle que Carmela.

«Le soir du bal, Teresa mit sa plus belle toilette ses plus riches aiguilles, ses plus brillantes verroteries. Elle avait le costume des femmes de Frascati.

«Luigi avait l’habit si pittoresque du paysan romain les jours de fête.

«Tous deux se mêlèrent, comme on l’avait permis, aux serviteurs et aux paysans.

«La fête était magnifique. Non seulement la villa était ardemment illuminée, mais des milliers de lanternes de couleur étaient suspendues aux arbres du jardin. Aussi bientôt le palais eut-il débordé sur les terrasses et les terrasses dans les allées.

«À chaque carrefour; il y avait un orchestre, des buffets et des rafraîchissements; les promeneurs s’arrêtaient, les quadrilles se formaient et l’on dansait là où il plaisait de danser.

«Carmela était vêtue en femme de Sonino. Elle avait son bonnet tout brodé de perles, les aiguilles de ses cheveux étaient d’or et de diamants, sa ceinture était de soie turque à grandes fleurs brochées, son surtout et son jupon étaient de cachemire, son tablier était de mousseline des Indes; les boutons de son corset étaient autant de pierreries.

«Deux autres de ses compagnes étaient vêtues, l’une en femme de Nettuno, l’autre en femme de la Riccia.

«Quatre jeunes gens des plus riches et des plus nobles familles de Rome les accompagnaient avec cette liberté italienne qui a son égale dans aucun autre pays du monde: ils étaient vêtus de leur côté en paysans d’Albano, de Velletri, de Civita-Castellana et de Sora.

«Il va sans dire que ces costumes de paysans, comme ceux de paysannes, étaient resplendissant d’or et de pierreries.

«Il vint à Carmela l’idée de faire un quadrille uniforme, seulement il manquait une femme.

«Carmela regardait tout autour d’elle, pas une de ses invitées n’avait un costume analogue au sien et à ceux de ses compagnes.

«Le comte San-Felice lui montra, au milieu des paysannes, Teresa appuyée au bras de Luigi.

– Est-ce que vous permettez, mon père? dit Carmela.

– Sans doute, répondit le comte, ne sommes-nous pas en carnaval!

«Carmela se pencha vers un jeune homme qui l’accompagnait en causant, et lui dit quelques mots tout en lui montrant du doigt la jeune fille.

«Le jeune homme suivit des yeux la jolie main qui lui servait de conductrice, fit un geste d’obéissance et vint inviter Teresa à figurer au quadrille dirigé par la fille du comte.

«Teresa sentit comme une flamme qui lui passait sur le visage. Elle interrogea du regard Luigi: il n’y avait pas moyen de refuser. Luigi laissa lentement glisser le bras de Teresa, qu’il tenait sous le sien, et Teresa, s’éloignant conduite par son élégant cavalier, vint prendre, toute tremblante, sa place au quadrille aristocratique.

«Certes, aux yeux d’un artiste, l’exact et sévère costume de Teresa eût eu un bien autre caractère que celui de Carmela et des ses compagnes, mais Teresa était une jeune fille frivole et coquette; les broderies de la mousseline, les palmes de la ceinture, l’éclat du cachemire l’éblouissaient, le reflet des saphirs et des diamants la rendaient folle.

«De son côté Luigi sentait naître en lui un sentiment inconnu: c’était comme une douleur sourde qui le mordait au cœur d’abord, et de là, toute frémissante, courait par ses veines et s’emparait de tout son corps; il suivit des yeux les moindres mouvements de Teresa et de son cavalier; lorsque leurs mains se touchaient il ressentait comme des éblouissements, ses artères battaient avec violence, et l’on eût dit que le son d’une cloche vibrait à ses oreilles. Lorsqu’ils se parlaient, quoique Teresa écoutât, timide et les yeux baissés, les discours de son cavalier, comme Luigi lisait dans les yeux ardents du beau jeune homme que ces discours étaient des louanges, il lui semblait que la terre tournait sous lui et que toutes les voix de l’enfer lui soufflaient des idées de meurtre et d’assassinat. Alors, craignant de se laisser emporter à sa folie, il se cramponnait d’une main à la charmille contre laquelle il était debout, et de l’autre il serrait d’un mouvement convulsif le poignard au manche sculpté qui était passé dans sa ceinture et que, sans s’en apercevoir, il tirait quelquefois presque entier du fourreau.

«Luigi était jaloux! il sentait qu’emportée par sa nature coquette et orgueilleuse Teresa pouvait lui échapper.

«Et cependant la jeune paysanne, timide et presque effrayée d’abord, s’était bientôt remise. Nous avons dit que Teresa était belle. Ce n’est pas tout, Teresa était gracieuse, de cette grâce sauvage bien autrement puissante que notre grâce minaudière et affectée.

«Elle eut presque les honneurs du quadrille, et si elle fut envieuse de la fille du comte de San-Felice, nous n’oserions pas dire que Carmela ne fut pas jalouse d’elle.

«Aussi fût-ce avec force compliments que son beau cavalier la reconduisit à la place où il l’avait prise, et où l’attendait Luigi.

«Deux ou trois fois, pendant la contredanse, la jeune fille avait jeté un regard sur lui, et à chaque fois elle l’avait vu pâle et les traits crispés. Une fois même la lame de son couteau, à moitié tirée de sa gaine, avait ébloui ses yeux comme un sinistre éclair.

«Ce fut donc presque en tremblant qu’elle reprit le bras de son amant.

«Le quadrille avait eu le plus grand succès, et il était évident qu’il était question d’en faire une seconde édition; Carmela seule s’y opposait; mais le comte de San-Felice pria sa fille si tendrement, qu’elle finit par consentir.

«Aussitôt un des cavaliers s’avança pour inviter Teresa, sans laquelle il était impossible que la contredanse eût lieu; mais la jeune fille avait déjà disparu.

«En effet, Luigi ne s’était pas senti la force de supporter une seconde épreuve; et, moitié par persuasion, moitié par force, il avait entraîné Teresa vers un autre point du jardin. Teresa avait cédé bien malgré elle; mais elle avait vu à la figure bouleversée du jeune homme, elle comprenait à son silence entrecoupé de tressaillements nerveux, que quelque chose d’étrange se passait en lui. Elle-même n’était pas exempte d’une agitation intérieure, et sans avoir cependant rien fait de mal, elle comprenait que Luigi était en droit de lui faire des reproches: sur quoi? elle l’ignorait; mais elle ne sentait pas moins que ces reproches seraient mérités.

«Cependant, au grand étonnement de Teresa, Luigi demeura muet, et pas une parole n’entrouvrit ses lèvres pendant tout le reste de la soirée. Seulement, lorsque le froid de la nuit eut chassé les invités des jardins et que les portes de la villa se furent refermées sur eux pour une fête intérieure, il reconduisit Teresa; puis, comme elle allait rentrer chez elle:

– Teresa, dit-il, à quoi pensais-tu lorsque tu dansais en face de la jeune comtesse de San-Felice?

– Je pensais, répondit la jeune fille dans toute la franchise de son âme, que je donnerais la moitié de ma vie pour avoir un costume comme celui qu’elle portait.

– Et que te disait ton cavalier?

– Il me disait qu’il ne tiendrait qu’à moi de l’avoir, et que je n’avais qu’un mot à dire pour cela.

– Il avait raison, répondit Luigi. Le désires-tu aussi ardemment que tu le dis?

– Oui.

– Eh bien tu l’auras!

«La jeune fille, étonnée, leva la tête pour le questionner; mais son visage était si sombre et si terrible que la parole se glaça sur ses lèvres.

«D’ailleurs, en disant ces paroles, Luigi s’était éloigné.

«Teresa le suivit des yeux dans la nuit tant qu’elle put l’apercevoir. Puis, lorsqu’il eut disparu, elle rentra chez elle en soupirant.

«Cette même nuit, il arriva un grand événement par l’imprudence sans doute de quelque domestique qui avait négligé d’éteindre les lumières; le feu prit à la villa San-Felice, juste dans les dépendances de l’appartement de la belle Carmela. Réveillée au milieu de la nuit par la lueur des flammes, elle avait sauté au bas de son lit, s’était enveloppée de sa robe de chambre, et avait essayé de fuir par la porte; mais le corridor par lequel il fallait passer était déjà la proie de l’incendie. Alors elle était rentrée dans sa chambre, appelant à grands cris du secours, quand tout à coup sa fenêtre, située à vingt pieds du sol, s’était ouverte; un jeune paysan s’était élancé dans l’appartement, l’avait prise dans ses bras, et, avec une force et une adresse surhumaines l’avait transportée sur le gazon de la pelouse, où elle s’était évanouie. Lorsqu’elle avait repris ses sens, son père était devant elle. Tous les serviteurs l’entouraient, lui portant des secours. Une aile tout entière de la villa était brûlée; mais qu’importait, puisque Carmela était saine et sauve.

 

«On chercha partout son libérateur, mais son libérateur ne reparut point; on le demanda à tout le monde, mais personne ne l’avait vu. Quant à Carmela, elle était si troublée qu’elle ne l’avait point reconnu.

«Au reste, comme le comte était immensément riche, à part le danger qu’avait couru Carmela, et qui lui parut, par la manière miraculeuse dont elle y avait échappé, plutôt une nouvelle faveur de la Providence qu’un malheur réel, la perte occasionnée par les flammes fut peu de chose pour lui.

«Le lendemain, à l’heure habituelle, les deux jeunes gens se retrouvèrent à la lisière de la forêt. Luigi était arrivé le premier. Il vint au-devant de la jeune fille avec une grande gaieté; il semblait avoir complètement oublié la scène de la veille. Teresa était visiblement pensive, mais en voyant Luigi ainsi disposé, elle affecta de son côté l’insouciance rieuse qui était le fond de son caractère quand quelque passion ne le venait pas troubler.

«Luigi prit le bras de Teresa sous le sien, et la conduisit jusqu’à la porte de la grotte. Là il s’arrêta. La jeune fille, comprenant qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire, le regarda fixement.

– Teresa, dit Luigi, hier soir tu m’as dit que tu donnerais tout au monde pour avoir un costume pareil à celui de la fille du comte?

– Oui, dit Teresa, avec étonnement, mais j’étais folle de faire un pareil souhait.

– Et moi, je t’ai répondu: C’est bien, tu l’auras.

– Oui, reprit la jeune fille, dont l’étonnement croissait à chaque parole de Luigi; mais tu as répondu cela sans doute pour me faire plaisir.

– Je ne t’ai jamais rien promis que je ne te l’aie donné, Teresa, dit orgueilleusement Luigi; entre dans la grotte et habille-toi.

«À ces mots, il tira la pierre, et montra à Teresa la grotte éclairée par deux bougies qui brûlaient de chaque côté d’un magnifique miroir; sur la table rustique, faite par Luigi, étaient étalés le collier de perles et les épingles de diamants; sur une chaise à côté était déposé le reste du costume.

«Teresa poussa un cri de joie, et, sans s’informer d’où venait ce costume, sans prendre le temps de remercier Luigi, elle s’élança dans la grotte transformée en cabinet de toilette.

«Derrière elle Luigi repoussa la pierre, car il venait d’apercevoir, sur la crête d’une petite colline qui empêchait que de la place où il était on ne vît Palestrina, un voyageur à cheval, qui s’arrêta un instant comme incertain de sa route, se dessinant sur l’azur du ciel avec cette netteté de contour particulière aux lointains des pays méridionaux.

«En apercevant Luigi, le voyageur mit son cheval au galop, et vint à lui.

«Luigi ne s’était pas trompé; le voyageur, qui allait de Palestrina à Tivoli, était dans le doute de son chemin.

«Le jeune homme le lui indiqua; mais, comme à un quart de mille de là la route se divisait en trois sentiers, et qu’arrivé à ces trois sentiers le voyageur pouvait de nouveau s’égarer, il pria Luigi de lui servir de guide.

«Luigi détacha son manteau et le déposa à terre, jeta sur son épaule sa carabine, et, dégagé ainsi du lourd vêtement, marcha devant le voyageur de ce pas rapide du montagnard que le pas d’un cheval a peine à suivre.

«En dix minutes, Luigi et le voyageur furent à l’espèce de carrefour indiqué par le jeune pâtre.

«Arrivés là, d’un geste majestueux comme celui d’un empereur, il étendit la main vers celle des trois routes que le voyageur devait suivre:

– Voilà votre chemin, dit-il, Excellence, vous n’avez plus à vous tromper maintenant.

– Et toi, voici ta récompense, dit le voyageur en offrant au jeune pâtre quelques pièces de menue monnaie.

– Merci, dit Luigi en retirant sa main; je rends un service, je ne le vends pas.

– Mais», dit le voyageur, qui paraissait du reste habitué à cette différence entre la servilité de l’homme des villes et l’orgueil du campagnard, «si tu refuses un salaire, tu acceptes au moins un cadeau.

– Ah! oui, c’est autre chose.

– Eh bien, dit le voyageur, prends ces deux sequins de Venise, et donne-les à ta fiancée pour en faire une paire de boucles d’oreilles.

– Et vous, alors, prenez ce poignard, dit le jeune pâtre, vous n’en trouveriez pas un dont la poignée fût mieux sculptée d’Albano à Civita-Castellana.

– J’accepte, dit le voyageur; mais alors, c’est moi qui suis ton obligé, car ce poignard vaut plus de deux sequins.

– Pour un marchand peut-être, mais pour moi, qui l’ai sculpté moi-même, il vaut à peine une piastre.

– Comment t’appelles-tu? demanda le voyageur.

– Luigi Vampa, répondit le pâtre du même air qu’il eût répondu: Alexandre, roi de Macédoine. Et vous?

– Moi, dit le voyageur, je m’appelle Simbad le marin.»

Franz d’Épinay jeta un cri de surprise.

«Simbad le marin! dit-il.

– Oui, reprit le narrateur, c’est le nom que le voyageur donna à Vampa comme étant le sien.

– Eh bien, mais, qu’avez-vous à dire contre ce nom? interrompit Albert; c’est un fort beau nom, et les aventures du patron de ce monsieur m’ont, je dois l’avouer, fort amusé dans ma jeunesse.»

Franz n’insista pas davantage. Ce nom de Simbad le marin, comme on le comprend bien, avait réveillé en lui tout un monde de souvenirs, comme avait fait la veille celui du comte de Monte-Cristo.

Continuez, dit-il à l’hôte.

– Vampa mit dédaigneusement les deux sequins dans sa poche, et reprit lentement le chemin par lequel il était venu. Arrivé à deux ou trois cents pas de la grotte, il crut entendre un cri.

«Il s’arrêta, écoutant de quel côté venait ce cri.

«Au bout d’une seconde, il entendit son nom prononcé distinctement.

«L’appel venait du côté de la grotte.

«Il bondit comme un chamois, armant son fusil tout en courant, et parvint en moins d’une minute au sommet de la colline opposée à celle où il avait aperçu le voyageur.

«Là, les cris: Au secours! arrivèrent à lui plus distincts.

«Il jeta les yeux sur l’espace qu’il dominait; un homme enlevait Teresa, comme le centaure Nessus Déjanire.

«Cet homme, qui se dirigeait vers le bois, était déjà aux trois quarts du chemin de la grotte à la forêt.

«Vampa mesura l’intervalle; cet homme avait deux cents pas d’avance au moins sur lui, il n’y avait pas de chance de le rejoindre avant qu’il eût gagné le bois.

«Le jeune pâtre s’arrêta comme si ses pieds eussent pris racine. Il appuya la crosse de son fusil à l’épaule, leva lentement le canon dans la direction du ravisseur, le suivit une seconde dans sa course et fit feu.

«Le ravisseur s’arrêta court; ses genoux plièrent et il tomba entraînant Teresa dans sa chute.

«Mais Teresa se releva aussitôt, quant au fugitif, il resta couché, se débattant dans les convulsions de l’agonie.

«Vampa s’élança aussitôt vers Teresa, car à dix pas du moribond les jambes lui avaient manqué à son tour, et elle était retombée à genoux: le jeune homme avait cette crainte terrible que la balle qui venait d’abattre son ennemi n’eût en même temps blessé sa fiancée.

«Heureusement il n’en était rien, c’était le terreur seule qui avait paralysé les forces de Teresa. Lorsque Luigi se fut bien assuré qu’elle était saine et sauve, il se retourna vers le blessé.

«Il venait d’expirer les poings fermés, la bouche contractée par la douleur, et les cheveux hérissés sous la sueur de l’agonie.

«Ses yeux étaient restés ouverts et menaçants.

«Vampa s’approcha du cadavre, et reconnut Cucumetto.

«Depuis le jour où le bandit avait été sauvé par les deux jeunes gens, il était devenu amoureux de Teresa et avait juré que la jeune fille serait à lui. Depuis ce jour il l’avait épiée; et, profitant du moment où son amant l’avait laissée seule pour indiquer le chemin au voyageur, il l’avait enlevée et la croyait déjà à lui, lorsque la balle de Vampa, guidée par le coup d’œil infaillible du jeune pâtre, lui avait traversé le cœur.

«Vampa le regarda un instant sans que la moindre émotion se trahît sur son visage, tandis qu’au contraire Teresa, toute tremblante encore, n’osait se rapprocher du bandit mort qu’à petits pas, et jetait en hésitant un coup d’œil sur le cadavre par-dessus l’épaule de son amant.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»