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Le comte de Monte Cristo

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XXXIII. Bandits romains

Le lendemain, Franz se réveilla le premier, et aussitôt réveillé, sonna.

Le tintement de la clochette vibrait encore, lorsque maître Pastrini entra en personne.

«Eh bien, dit l’hôte triomphant, et sans même attendre que Franz l’interrogeât, je m’en doutais bien hier, Excellence, quand je ne voulais rien vous promettre; vous vous y êtes pris trop tard, et il n’y a plus une seule calèche à Rome: pour les trois derniers jours, s’entend.

– Oui, reprit Franz, c’est-à-dire pour ceux où elle est absolument nécessaire.

– Qu’y a-t-il? demanda Albert en entrant, pas de calèche?

– Justement, mon cher ami, répondit Franz, et vous avez deviné du premier coup.

– Eh bien, voilà une jolie ville que votre ville éternelle!

– C’est-à-dire, Excellence reprit maître Pastrini, qui désirait maintenir la capitale du monde chrétien dans une certaine dignité à l’égard de ses voyageurs, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de calèche à partir de dimanche matin jusqu’à mardi soir, mais d’ici là vous en trouverez cinquante si vous voulez.

– Ah! c’est déjà quelque chose, dit Albert; nous sommes aujourd’hui jeudi; qui sait, d’ici à dimanche, ce qui peut arriver?

– Il arrivera dix à douze mille voyageurs, répondit Franz, lesquels rendront la difficulté plus grande encore.

– Mon ami, dit Morcerf, jouissons du présent et n’assombrissons pas l’avenir.

– Au moins, demanda Franz, nous pourrons avoir une fenêtre?

– Sur quoi?

– Sur la rue du Cours, parbleu!

– Ah! bien oui, une fenêtre! s’exclama maître Pastrini; impossible; de toute impossibilité! Il en restait une au cinquième étage du palais Doria, et elle a été louée à un prince russe pour vingt sequins par jour.»

Les deux jeunes gens se regardaient d’un air stupéfait.

«Eh bien, mon cher, dit Franz à Albert, savez-vous ce qu’il y a de mieux à faire? c’est de nous en aller passer le carnaval à Venise; au moins là, si nous ne trouvons pas de voiture, nous trouverons des gondoles.

– Ah! ma foi non! s’écria Albert, j’ai décidé que je verrais le carnaval à Rome, et je l’y verrai, fût-ce sur des échasses.

– Tiens! s’écria Franz, c’est une idée triomphante, surtout pour éteindre les moccoletti, nous nous déguiserons en polichinelles vampires ou en habitants des Landes, et nous aurons un succès fou.

– Leurs Excellences désirent-elles toujours une voiture jusqu’à dimanche?

– Parbleu! dit Albert, est-ce que vous croyez que nous allons courir les rues de Rome à pied, comme des clercs d’huissier?

– Je vais m’empresser d’exécuter les ordres de Leurs Excellences, dit maître Pastrini: seulement je les préviens que la voiture leur coûtera six piastres par jour.

– Et moi, mon cher monsieur Pastrini, dit Franz, moi qui ne suis pas notre voisin le millionnaire, je vous préviens à mon tour, qu’attendu que c’est la quatrième fois que je viens à Rome, je sais le prix des calèches, jours ordinaires, dimanches et fêtes. Nous vous donnerons douze piastres pour aujourd’hui, demain et après-demain, et vous aurez encore un fort joli bénéfice.

– Cependant, Excellence!… dit maître Pastrini, essayant de se rebeller.

– Allez, mon cher hôte, allez, dit Franz, ou je vais moi-même faire mon prix avec votre affettatore, qui est le mien aussi, c’est un vieil ami à moi, qui m’a déjà pas mal volé d’argent dans sa vie, et qui, dans l’espérance de m’en voler encore, en passera par un prix moindre que celui que je vous offre: vous perdrez donc la différence et ce sera votre faute.

– Ne prenez pas cette peine, Excellence, dit maître Pastrini, avec ce sourire du spéculateur italien qui s’avoue vaincu, je ferai de mon mieux, et j’espère que vous serez content.

– À merveille! voilà ce qui s’appelle parler. Quand voulez-vous la voiture?

– Dans une heure.

– Dans une heure elle sera à la porte.»

Une heure après, effectivement, la voiture attendait les deux jeunes gens: c’était un modeste fiacre que, vu la solennité de la circonstance, on avait élevé au rang de calèche; mais, quelque médiocre apparence qu’il eût, les deux jeunes gens se fussent trouvés bien heureux d’avoir un pareil véhicule pour les trois derniers jours.

«Excellence! cria le cicérone en voyant Franz mettre le nez à la fenêtre, faut-il faire approcher le carrosse du palais?»

Si habitué que fût Franz à l’emphase italienne, son premier mouvement fut de regarder autour de lui mais c’était bien à lui-même que ces paroles s’adressaient.

Franz était l’Excellence; le carrosse, c’était le fiacre; le palais, c’était l’hôtel de Londres.

Tout le génie laudatif de la nation était dans cette seule phrase.

Franz et Albert descendirent. Le carrosse s’approcha du palais. Leurs Excellences allongèrent leurs jambes sur les banquettes, le cicérone sauta sur le siège de derrière.

«Où Leurs Excellences veulent-elles qu’on les conduise?

– Mais, à Saint-Pierre d’abord, et au Colisée ensuite», dit Albert en véritable Parisien.

Mais Albert ne savait pas une chose: c’est qu’il faut un jour pour voir Saint-Pierre, et un mois pour l’étudier: la journée se passa donc rien qu’à voir Saint-Pierre.

Tout à coup, les deux amis s’aperçurent que le jour baissait.

Franz tira sa montre, il était quatre heures et demie.

On reprit aussitôt le chemin de l’hôtel. À la porte, Franz donna l’ordre au cocher de se tenir prêt à huit heures. Il voulait faire voir à Albert le Colisée au clair de lune, comme il lui avait fait voir Saint-Pierre au grand jour. Lorsqu’on fait voir à un ami une ville qu’on a déjà vue, on y met la même coquetterie qu’à montrer une femme dont on a été l’amant.

En conséquence, Franz traça au cocher son itinéraire; il devait sortir par la porte del Popolo, longer la muraille extérieure et rentrer par la porte San-Giovanni. Ainsi le Colisée leur apparaissait sans préparation aucune, et sans que le Capitole, le Forum, l’arc de Septime Sévère, le temple d’Antonin et Faustine et la Via Sacra eussent servi de degrés placés sur sa route pour le rapetisser.

On se mit à table: maître Pastrini avait promis à ses hôtes un festin excellent; il leur donna un dîner passable: il n’y avait rien à dire.

À la fin du dîner, il entra lui-même: Franz crut d’abord que c’était pour recevoir ses compliments et s’apprêtait à les lui faire, lorsqu’aux premiers mots il l’interrompit:

«Excellence, dit-il, je suis flatté de votre approbation; mais ce n’était pas pour cela que j’étais monté chez vous…

– Était-ce pour nous dire que vous aviez trouvé une voiture? demanda Albert en allumant son cigare.

– Encore moins, et même, Excellence, vous ferez bien de n’y plus penser et d’en prendre votre parti. À Rome, les choses se peuvent ou ne se peuvent pas. Quand on vous a dit qu’elles ne se pouvaient pas, c’est fini.

– À Paris, c’est bien plus commode: quand cela ne se peut pas, on paie le double et l’on a à l’instant même ce que l’on demande.

– J’entends dire cela à tous les Français, dit maître Pastrini un peu piqué, ce qui fait que je ne comprends pas comment ils voyagent.

– Mais aussi, dit Albert en poussant flegmatiquement sa fumée au plafond et en se renversant balancé sur les deux pieds de derrière de son fauteuil, ce sont les fous et les niais comme nous qui voyagent; les gens sensés ne quittent pas leur hôtel de la rue du Helder, le boulevard de Gand et le café de Paris.»

Il va sans dire qu’Albert demeurait dans la rue susdite, faisait tous les jours sa promenade fashionable, et dînait quotidiennement dans le seul café où l’on dîne, quand toutefois on est en bons termes avec les garçons.

Maître Pastrini resta un instant silencieux, il était évident qu’il méditait la réponse, qui sans doute ne lui paraissait pas parfaitement claire.

«Mais enfin, dit Franz à son tour, interrompant les réflexions géographiques de son hôte, vous étiez venu dans un but quelconque; voulez-vous nous exposer l’objet de votre visite?

– Ah! c’est juste; le voici: vous avez commandé la calèche pour huit heures?

– Parfaitement.

– Vous avez l’intention de visiter il Colosseo?

– C’est-à-dire le Colisée?

– C’est exactement la même chose.

– Soit.

– Vous avez dit à votre cocher de sortir par la porte del Popolo, de faire le tour des murs et de rentrer par la porte San-Giovanni?

– Ce sont mes propres paroles.

– Eh bien, cet itinéraire est impossible.

– Impossible!

– Ou du moins fort dangereux.

– Dangereux! et pourquoi?

– À cause du fameux Luigi Vampa.

– D’abord, mon cher hôte, qu’est-ce que le fameux Luigi Vampa? demanda Albert; il peut être très fameux à Rome, mais je vous préviens qu’il est ignoré à Paris.

– Comment! vous ne le connaissez pas?

– Je n’ai pas cet honneur.

– Vous n’avez jamais entendu prononcer son nom?

– Jamais.

– Eh bien, c’est un bandit auprès duquel les Deseraris et les Gasparone sont des espèces d’enfants de chœur.

– Attention, Albert! s’écria Franz, voilà donc enfin un bandit!

– Je vous préviens, mon cher hôte, que je ne croirai pas un mot de ce que vous allez nous dire. Ce point arrêté entre nous, parlez tant que vous voudrez, je vous écoute. «Il y avait une fois…» Eh bien, allez donc!»

Maître Pastrini se retourna du côté de Franz, qui lui paraissait le plus raisonnable des deux jeunes gens. Il faut rendre justice au brave homme: il avait logé bien des Français dans sa vie, mais jamais il n’avait compris certain côté de leur esprit.

«Excellence, dit-il fort gravement, s’adressant, comme nous l’avons dit, à Franz, si vous me regardez comme un menteur, il est inutile que je vous dise ce que je voulais vous dire; je puis cependant vous affirmer que c’était dans l’intérêt de Vos Excellences.

 

– Albert ne vous dit pas que vous êtes un menteur, mon cher monsieur Pastrini, reprit Franz, il vous dit qu’il ne vous croira pas, voilà tout. Mais, moi, je vous croirai, soyez tranquille; parlez donc.

– Cependant, Excellence, vous comprenez bien que si l’on met en doute ma véracité…

– Mon cher, reprit Franz, vous êtes plus susceptible que Cassandre, qui cependant était prophétesse, et que personne n’écoutait; tandis que vous, au moins, vous êtes sûr de la moitié de votre auditoire. Voyons, asseyez-vous, et dites-nous ce que c’est que M. Vampa.

– Je vous l’ai dit, Excellence, c’est un bandit, comme nous n’en avons pas encore vu depuis le fameux Mastrilla.

– Eh bien, quel rapport a ce bandit avec l’ordre que j’ai donné à mon cocher de sortir par la porte del Popolo et de rentrer par la porte San-Giovanni?

– Il y a, répondit maître Pastrini, que vous pourrez bien sortir par l’une, mais que je doute que vous rentriez par l’autre.

– Pourquoi cela? demanda Franz.

– Parce que, la nuit venue, on n’est plus en sûreté à cinquante pas des portes.

– D’honneur? s’écria Albert.

– Monsieur le vicomte, dit maître Pastrini, toujours blessé jusqu’au fond du cœur du doute émis par Albert sur sa véracité, ce que je dis n’est pas pour vous, c’est pour votre compagnon de voyage, qui connaît Rome, lui, et qui sait qu’on ne badine pas avec ces choses-là.

– Mon cher, dit Albert s’adressant à Franz, voici une aventure admirable toute trouvée: nous bourrons notre calèche de pistolets, de tromblons et de fusils à deux coups. Luigi Vampa vient pour nous arrêter, nous l’arrêtons. Nous le ramenons à Rome; nous en faisons hommage à Sa Sainteté, qui nous demande ce qu’elle peut faire pour reconnaître un si grand service. Alors nous réclamons purement et simplement un carrosse et deux chevaux de ses écuries, et nous voyons le carnaval en voiture; sans compter que probablement le peuple romain, reconnaissant, nous couronne au Capitole et nous proclame, comme Curtius et Horatius Coclès, les sauveurs de la patrie.»

Pendant qu’Albert déduisait cette proposition, maître Pastrini faisait une figure qu’on essayerait vainement de décrire.

«Et d’abord, demanda Franz à Albert, où prendrez-vous ces pistolets, ces tromblons, ces fusils à deux coups dont vous voulez farcir votre voiture?

– Le fait est que ce ne sera pas dans mon arsenal, dit-il, car à la Terracine, on m’a pris jusqu’à mon couteau poignard; et à vous?

– À moi, on m’en a fait autant à Aqua-Pendente.

– Ah çà! mon cher hôte, dit Albert en allumant son second cigare au reste de son premier, savez-vous que c’est très commode pour les voleurs cette mesure-là, et qu’elle m’a tout l’air d’avoir été prise de compte à demi avec eux?»

Sans doute maître Pastrini trouva la plaisanterie compromettante, car il n’y répondit qu’à moitié et encore en adressant la parole à Franz, comme au seul être raisonnable avec lequel il pût convenablement s’entendre.

«Son Excellence sait que ce n’est pas l’habitude de se défendre quand on est attaqué par des bandits.

– Comment! s’écria Albert, dont le courage se révoltait à l’idée de se laisser dévaliser sans rien dire; comment! ce n’est pas l’habitude?

– Non, car toute défense serait inutile. Que voulez-vous faire contre une douzaine de bandits qui sortent d’un fossé, d’une masure ou d’un aqueduc, et qui vous couchent en joue tous à la fois?

– Eh sacrebleu! je veux me faire tuer!» s’écria Albert.

L’aubergiste se tourna vers Franz d’un air qui voulait dire: Décidément, Excellence, votre camarade est fou.

«Mon cher Albert, reprit Franz, votre réponse est sublime, et vaut le Qu’il mourût du vieux Corneille: seulement, quand Horace répondait cela, il s’agissait du salut de Rome, et la chose en valait la peine. Mais quant à nous, remarquez qu’il s’agit simplement d’un caprice à satisfaire, et qu’il serait ridicule, pour un caprice, de risquer notre vie.

– Ah! per Bacco! s’écria maître Pastrini, à la bonne heure, voilà ce qui s’appelle parler.»

Albert se versa un verre de lacryma Christi, qu’il but à petits coups, en grommelant des paroles inintelligibles.

«Eh bien, maître Pastrini, reprit Franz, maintenant que voilà mon compagnon calmé, et que vous avez pu apprécier mes dispositions pacifiques, maintenant, voyons qu’est-ce que le seigneur Luigi Vampa? Est-il berger ou patricien? est-il jeune ou vieux? est-il petit ou grand? Dépeignez-nous le, afin que si nous le rencontrions par hasard dans le monde, comme Jean Sbogar ou Lara, nous puissions au moins le reconnaître.

– Vous ne pouvez pas mieux vous adresser qu’à moi, Excellence, pour avoir des détails exacts, car j’ai connu Luigi Vampa tout enfant; et, un jour que j’étais tombé moi-même entre ses mains, en allant de Ferentino à Alatri, il se souvint, heureusement pour moi, de notre ancienne connaissance; il me laissa aller, non seulement sans me faire payer de rançon, mais encore après m’avoir fait cadeau d’une fort belle montre et m’avoir raconté son histoire.

– Voyons la montre», dit Albert.

Maître Pastrini tira de son gousset une magnifique Breguet portant le nom de son auteur, le timbre de Paris et une couronne de comte.

«Voilà, dit-il.

– Peste! fit Albert je vous en fais mon compliment; j’ai la pareille à peu près il tira sa montre de la poche de son gilet et elle m’a coûté trois mille francs.

– Voyons l’histoire, dit Franz à son tour, en tirant un fauteuil et en faisant signe à maître Pastrini de s’asseoir.

– Leurs Excellences permettent? dit l’hôte.

– Pardieu! dit Albert, vous n’êtes pas un prédicateur, mon cher, pour parler debout.»

L’hôtelier s’assit, après avoir fait à chacun de ses futurs auditeurs un salut respectueux, lequel avait pour but d’indiquer qu’il était prêt à leur donner sur Luigi Vampa les renseignements qu’ils demandaient.

«Ah çà, fit Franz, arrêtant maître Pastrini au moment où il ouvrait la bouche, vous dites que vous avez connu Luigi Vampa tout enfant; c’est donc encore un jeune homme?

– Comment, un jeune homme! je crois bien; il a vingt-deux ans à peine! Oh! c’est un gaillard qui ira loin, soyez tranquille!

– Que dites-vous de cela, Albert? c’est beau, à vingt-deux ans, de s’être déjà fait une réputation, dit Franz.

– Oui, certes, et, à son âge, Alexandre, César et Napoléon, qui depuis ont fait un certain bruit dans le monde, n’étaient pas si avancés que lui.

– Ainsi, reprit Franz, s’adressant à son hôte, le héros dont nous allons entendre l’histoire n’a que vingt-deux ans.

– À peine, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire.

– Est-il grand ou petit?

– De taille moyenne: à peu près comme Son Excellence, dit l’hôte en montrant Albert.

– Merci de la comparaison, dit celui-ci en s’inclinant.

– Allez toujours, maître Pastrini, reprit Franz, souriant de la susceptibilité de son ami. Et à quelle classe de la société appartenait-il?

– C’était un simple petit pâtre attaché à la ferme du comte de San-Felice, située entre Palestrina et le lac de Gabri. Il était né à Pampinara, et était entré à l’âge de cinq ans au service du comte. Son père, berger lui-même à Anagni, avait un petit troupeau à lui; et vivait de la laine de ses moutons et de la récolte faite avec le lait de ses brebis, qu’il venait vendre à Rome.

«Tout enfant, le petit Vampa avait un caractère étrange. Un jour, à l’âge de sept ans, il était venu trouver le curé de Palestrina, et l’avait prié de lui apprendre à lire. C’était chose difficile; car le jeune pâtre ne pouvait pas quitter son troupeau. Mais le bon curé allait tous les jours dire la messe dans un pauvre petit bourg trop peu considérable pour payer un prêtre, et qui, n’ayant pas même de nom, était connu sous celui dell’Borgo. Il offrit à Luigi de se trouver sur son chemin à l’heure de son retour et de lui donner ainsi sa leçon, le prévenant que cette leçon serait courte et qu’il eût par conséquent à en profiter.

«L’enfant accepta avec joie.

«Tous les jours, Luigi menait paître son troupeau sur la route de Palestrina au Borgo; tous les jours, à neuf heures du matin, le curé passait, le prêtre et l’enfant s’asseyaient sur le revers d’un fossé, et le petit pâtre prenait sa leçon dans le bréviaire du curé.

«Au bout de trois mois, il savait lire.

«Ce n’était pas tout, il lui fallait maintenant apprendre à écrire.

«Le prêtre fit faire par un professeur d’écriture de Rome trois alphabets: un en gros, un en moyen, et un en fin, et il lui montra qu’en suivant cet alphabet sur une ardoise il pouvait, à l’aide d’une pointe de fer, apprendre à écrire.

«Le même soir, lorsque le troupeau fut rentré à la ferme, le petit Vampa courut chez le serrurier de Palestrina, prit un gros clou, le forgea, le martela, l’arrondit, et en fit une espèce de stylet antique.

«Le lendemain, il avait réuni une provision d’ardoises et se mettait à l’œuvre.

«Au bout de trois mois, il savait écrire.

«Le curé, étonné de cette profonde intelligence et touché de cette aptitude, lui fit cadeau de plusieurs cahiers de papier, d’un paquet de plumes et d’un canif.

«Ce fut une nouvelle étude à faire, mais étude qui n’était rien auprès de la première. Huit jours après, il maniait la plume comme il maniait le stylet.

«Le curé raconta cette anecdote au comte de San-Felice, qui voulut voir le petit pâtre, le fit lire et écrire devant lui, ordonna à son intendant de le faire manger avec les domestiques, et lui donna deux piastres par mois.

«Avec cet argent, Luigi acheta des livres et des crayons.

«En effet, il avait appliqué à tous les objets cette facilité d’imitation qu’il avait, et, comme Giotto enfant, il dessinait sur ses ardoises ses brebis, les arbres, les maisons.

«Puis, avec la pointe de son canif, il commença à tailler le bois et à lui donner toutes sortes de formes. C’est ainsi que Pinelli, le sculpteur populaire, avait commencé.

«Une jeune fille de six ou sept ans, c’est-à-dire un peu plus jeune que Vampa, gardait de son côté les brebis dans une ferme voisine de Palestrina; elle était orpheline, née à Valmontone, et s’appelait Teresa.

«Les deux enfants se rencontraient, s’asseyaient l’un près de l’autre, laissaient leurs troupeaux se mêler et paître ensemble, causaient, riaient et jouaient puis, le soir, on démêlait les moutons du comte de San-Felice d’avec ceux du baron de Cervetri, et les enfants se quittaient pour revenir à leur ferme respective, en se promettant de se retrouver le lendemain matin.

«Le lendemain ils tenaient parole, et grandissaient ainsi côte à côte.

«Vampa atteignit douze ans, et la petite Teresa onze.

«Cependant, leurs instincts naturels se développaient.

«À côté du goût des arts que Luigi avait poussé aussi loin qu’il le pouvait faire dans l’isolement, il était triste par boutade, ardent par secousse, colère par caprice, railleur toujours. Aucun des jeunes garçons de Pampinara, de Palestrina ou de Valmontone n’avait pu non seulement prendre aucune influence sur lui, mais encore devenir son compagnon. Son tempérament volontaire, toujours disposé à exiger sans jamais vouloir se plier à aucune concession, écartait de lui tout mouvement amical, toute démonstration sympathique. Teresa seule commandait d’un mot, d’un regard, d’un geste à ce caractère entier qui pliait sous la main d’une femme, et qui, sous celle de quelque homme que ce fût, se serait raidi jusqu’à rompre.

«Teresa était, au contraire, vive, alerte et gaie, mais coquette à l’excès, les deux piastres que donnait à Luigi l’intendant du comte de San-Felice, le prix de tous les petits ouvrages sculptés qu’il vendait aux marchands de joujoux de Rome passaient en boucles d’oreilles de perles, en colliers de verre, en aiguilles d’or. Aussi, grâce à cette prodigalité de son jeune ami, Teresa était-elle la plus belle et la plus élégante paysanne des environs de Rome.

«Les deux enfants continuèrent à grandir, passant toutes leurs journées ensemble, et se livrant sans combat aux instincts de leur nature primitive. Aussi, dans leurs conversations, dans leurs souhaits, dans leurs rêves, Vampa se voyait toujours capitaine de vaisseau, général d’armée ou gouverneur d’une province; Teresa se voyait riche, vêtue des plus belles robes et suivie de domestiques en livrée, puis, quand ils avaient passé toute la journée à broder leur avenir de ces folles et brillantes arabesques, ils se séparaient pour ramener chacun leurs moutons dans leur étable, et redescendre, de la hauteur de leurs songes, à l’humilité de leur position réelle.

«Un jour, le jeune berger dit à l’intendant du comte qu’il avait vu un loup sortir des montagnes de la Sabine et rôder autour de son troupeau. L’intendant lui donna un fusil: c’est ce que voulait Vampa.

 

«Ce fusil se trouva par hasard être un excellent canon de Brescia, portant la balle comme une carabine anglaise; seulement un jour le comte, en assommant un renard blessé, en avait cassé la crosse et l’on avait jeté le fusil au rebut.

«Cela n’était pas une difficulté pour un sculpteur comme Vampa. Il examina la couche primitive, calcula ce qu’il fallait y changer pour la mettre à son coup d’œil, et fit une autre crosse chargée d’ornements si merveilleux que, s’il eût voulu aller vendre à la ville le bois seul, il en eût certainement tiré quinze ou vingt piastres.

«Mais il n’avait garde d’agir ainsi: un fusil avait longtemps été le rêve du jeune homme. Dans tous les pays où l’indépendance est substituée à la liberté, le premier besoin qu’éprouve tout cœur fort, toute organisation puissante, est celui d’une arme qui assure en même temps l’attaque et la défense, et qui faisant celui qui la porte terrible, le fait souvent redouté.

«À partir de ce moment, Vampa donna tous les instants qui lui restèrent à l’exercice du fusil; il acheta de la poudre et des balles, et tout lui devint un but: le tronc de l’olivier, triste, chétif et gris, qui pousse au versant des montagnes de la Sabine; le renard qui, le soir, sortait de son terrier pour commencer sa chasse nocturne, et l’aigle qui planait dans l’air. Bientôt il devint si adroit, que Teresa surmontait la crainte qu’elle avait éprouvée d’abord en entendant la détonation, et s’amusa à voir son jeune compagnon placer la balle de son fusil où il voulait la mettre, avec autant de justesse que s’il l’eût poussée avec la main.

«Un soir, un loup sortit effectivement d’un bois de sapins près duquel les deux jeunes gens avaient l’habitude de demeurer: le loup n’avait pas fait dix pas en plaine qu’il était mort.

«Vampa, tout fier de ce beau coup, le chargea sur ses épaules et le rapporta à la ferme.

«Tous ces détails donnaient à Luigi une certaine réputation aux alentours de la ferme; l’homme supérieur partout où il se trouve, se crée une clientèle d’admirateurs. On parlait dans les environs de ce jeune pâtre comme du plus adroit, du plus fort et du plus brave contadino qui fût à dix lieues à la ronde; et quoique de son côté Teresa, dans un cercle plus étendu encore, passât pour une des plus jolies filles de la Sabine, personne ne s’avisait de lui dire un mot d’amour, car on la savait aimée par Vampa.

«Et cependant les deux jeunes gens ne s’étaient jamais dit qu’ils s’aimaient. Ils avaient poussé l’un à côté de l’autre comme deux arbres qui mêlent leurs racines sous le sol, leurs branches dans l’air, leur parfum dans le ciel; seulement leur désir de se voir était le même; ce désir était devenu un besoin, et ils comprenaient plutôt la mort qu’une séparation d’un seul jour.

«Teresa avait seize ans et Vampa dix-sept.

«Vers ces temps, on commença de parler beaucoup d’une bande de brigands qui s’organisait dans les monts Lepini. Le brigandage n’a jamais été sérieusement extirpé dans le voisinage de Rome. Il manque de chefs parfois, mais quand un chef se présente, il est rare qu’il lui manque une bande.

«Le célèbre Cucumetto, traqué dans les Abruzzes chassé du royaume de Naples, où il avait soutenu une véritable guerre, avait traversé Garigliano comme Manfred, et était venu entre Sonnino et Juperno se réfugier sur les bords de l’Amasine.

«C’était lui qui s’occupait à réorganiser une troupe, et qui marchait sur les traces de Decesaris et de Gasparone, qu’il espérait bientôt surpasser. Plusieurs jeunes gens de Palestrina, de Frascati et de Pampinara disparurent. On s’inquiéta d’eux d’abord puis bientôt on sut qu’ils étaient allés rejoindre la bande de Cucumetto.

«Au bout de quelque temps, Cucumetto devint l’objet de l’attention générale. On citait de ce chef de bandits des traits d’audace extraordinaires et de brutalité révoltante.

«Un jour, il enleva une jeune fille: c’était la fille de l’arpenteur de Frosinone. Les lois des bandits sont positives: une jeune fille est à celui qui l’enlève d’abord, puis les autres la tirent au sort, et la malheureuse sert aux plaisirs de toute la troupe jusqu’à ce que les bandits l’abandonnent ou qu’elle meure.

«Lorsque les parents sont assez riches pour la racheter, on envoie un messager qui traite de la rançon; la tête de la prisonnière répond de la sécurité de l’émissaire. Si la rançon est refusée, la prisonnière est condamnée irrévocablement.

«La jeune fille avait son amant dans la troupe de Cucumetto: il s’appelait Carlini.

«En reconnaissant le jeune homme, elle tendit les bras vers lui et se crut sauvée. Mais le pauvre Carlini, en la reconnaissant, lui, sentit son cœur se briser, car il se doutait bien du sort qui attendait sa maîtresse.

«Cependant, comme il était le favori de Cucumetto, comme il avait partagé ses dangers depuis trois ans, comme il lui avait sauvé la vie en abattant d’un coup de pistolet un carabinier qui avait déjà le sabre levé sur sa tête, il espéra que Cucumetto aurait quelque pitié de lui.

«Il prit donc le chef à part, tandis que la jeune fille, assise contre le tronc d’un grand pin qui s’élevait au milieu d’une clairière de la forêt, s’était fait un voile de la coiffure pittoresque des paysannes romaines et cachait son visage aux regards luxurieux des bandits.

«Là, il lui raconta tout, ses amours avec la prisonnière, leurs serments de fidélité, et comment chaque nuit, depuis qu’ils étaient dans les environs, ils se donnaient rendez-vous dans une ruine.

«Ce soir-là justement, Cucumetto avait envoyé Carlini dans un village voisin, il n’avait pu se trouver au rendez-vous; mais Cucumetto s’y était trouvé par hasard, disait-il, et c’est alors qu’il avait enlevé la jeune fille.

«Carlini supplia son chef de faire une exception en sa faveur et de respecter Rita, lui disant que le père était riche et qu’il payerait une bonne rançon.

«Cucumetto parut se rendre aux prières de son ami, et le chargea de trouver un berger qu’on pût envoyer chez le père de Rita à Frosinone.

«Alors Carlini s’approcha tout joyeux de la jeune fille, lui dit qu’elle était sauvée, et l’invita à écrire à son père une lettre dans laquelle elle racontait ce qui lui était arrivé, et lui annoncerait que sa rançon était fixée à trois cents piastres.

«On donnait pour tout délai au père douze heures, c’est-à-dire jusqu’au lendemain neuf heures du matin.

«La lettre écrite, Carlini s’en empara aussitôt et courut dans la plaine pour chercher un messager.

«Il trouva un jeune pâtre qui parquait son troupeau. Les messagers naturels des bandits sont les bergers, qui vivent entre la ville et la montagne, entre la vie sauvage et la vie civilisée.

«Le jeune berger partit aussitôt, promettant d’être avant une heure à Frosinone.

«Carlini revint tout joyeux pour rejoindre sa maîtresse et lui annoncer cette bonne nouvelle.

«Il trouva la troupe dans la clairière, où elle soupait joyeusement des provisions que les bandits levaient sur les paysans comme un tribut seulement; au milieu de ces gais convives, il chercha vainement Cucumetto et Rita.

«Il demanda où ils étaient, les bandits répondirent par un grand éclat de rire. Une sueur froide coula sur le front de Carlini, et il sentit l’angoisse qui le prenait aux cheveux.

«Il renouvela sa question. Un des convives remplit un verre de vin d’Orvieto et le lui tendit en disant:

– À la santé du brave Cucumetto et de la belle Rita!

«En ce moment, Carlini crut entendre un cri de femme. Il devina tout. Il prit le verre, le brisa sur la face de celui qui le lui présentait, et s’élança dans la direction du cri.

«Au bout de cent pas, au détour d’un buisson, il trouva Rita évanouie entre les bras de Cucumetto.

«En apercevant Carlini, Cucumetto se releva tenant un pistolet de chaque main.

«Les deux bandits se regardèrent un instant: l’un le sourire de la luxure sur les lèvres, l’autre la pâleur de la mort sur le front.

«On eût cru qu’il allait se passer entre ces deux hommes quelque chose de terrible. Mais peu à peu les traits de Carlini se détendirent, sa main, qu’il avait portée à un des pistolets de sa ceinture, retomba près de lui pendante à son côté.

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