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Le comte de Monte Cristo

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IX. Le soir des fiançailles

Villefort, comme nous l’avons dit, avait repris le chemin de la place du Grand-Cours, et en rentrant dans la maison de Mme de Saint-Méran, il trouva les convives qu’il avait laissés à table passés au salon en prenant le café..

Renée l’attendait avec une impatience qui était partagée par tout le reste de la société. Aussi fut-il accueilli par une exclamation générale:

«Eh bien, trancheur de têtes, soutien de l’État, Brutus royaliste! s’écria l’un, qu’y a-t-il? voyons!

– Eh bien, sommes-nous menacés d’un nouveau régime de la Terreur? demanda l’autre.

– L’ogre de Corse serait-il sorti de sa caverne? demanda un troisième.

– Madame la marquise, dit Villefort s’approchant de sa future belle-mère, je viens vous prier de m’excuser si je suis forcé de vous quitter ainsi… Monsieur le marquis, pourrais-je avoir l’honneur de vous dire deux mots en particulier?

– Ah! mais c’est donc réellement grave? demanda la marquise, en remarquant le nuage qui obscurcissait le front de Villefort.

– Si grave que je suis forcé de prendre congé de vous pour quelques jours; ainsi, continua-t-il en se tournant vers Renée, voyez s’il faut que la chose soit grave.

– Vous partez, monsieur? s’écria Renée, incapable de cacher l’émotion que lui causait cette nouvelle inattendue.

– Hélas! oui, mademoiselle, répondit Villefort: il le faut.

– Et où allez-vous donc? demanda la marquise.

– C’est le secret de la justice, madame; cependant si quelqu’un d’ici a des commissions pour Paris, j’ai un de mes amis qui partira ce soir et qui s’en chargera avec plaisir.»

Tout le monde se regarda.

«Vous m’avez demandé un moment d’entretien? dit le marquis.

– Oui, passons dans votre cabinet, s’il vous plaît.»

Le marquis prit le bras de Villefort et sortit avec lui.

«Eh bien, demanda celui-ci en arrivant dans son cabinet, que se passe-t-il donc? parlez.

– Des choses que je crois de la plus haute gravité, et qui nécessitent mon départ à l’instant même pour Paris. Maintenant, marquis, excusez l’indiscrète brutalité de la question, avez-vous des rentes sur l’État?

– Toute ma fortune est en inscriptions; six à sept cent mille francs à peu près.

– Eh bien, vendez, marquis, vendez, ou vous êtes ruiné.

– Mais, comment voulez-vous que je vende d’ici?

– Vous avez un agent de change, n’est-ce pas?

– Oui.

– Donnez-moi une lettre pour lui, et qu’il vende sans perdre une minute, sans perdre une seconde; peut-être même arriverai-je trop tard.

– Diable! dit le marquis, ne perdons pas de temps.»

Et il se mit à table et écrivit une lettre à son agent de change, dans laquelle il lui ordonnait de vendre à tout prix.

«Maintenant que j’ai cette lettre, dit Villefort en la serrant soigneusement dans son portefeuille, il m’en faut une autre.

– Pour qui?

– Pour le roi.

– Pour le roi?

– Oui.

– Mais je n’ose prendre sur moi d’écrire ainsi à Sa Majesté.

– Aussi, n’est-ce point à vous que je la demande, mais je vous charge de la demander à M. de Salvieux. Il faut qu’il me donne une lettre à l’aide de laquelle Je puisse pénétrer près de Sa Majesté, sans être soumis à toutes les formalités de demande d’audience, qui peuvent me faire perdre un temps précieux.

– Mais n’avez-vous pas le garde des Sceaux, qui a ses grandes entrées aux Tuileries, et par l’intermédiaire duquel vous pouvez jour et nuit parvenir jusqu’au roi?

– Oui, sans doute, mais il est inutile que je partage avec un autre le mérite de la nouvelle que je porte. Comprenez-vous? le garde des Sceaux me reléguerait tout naturellement au second rang et m’enlèverait tout le bénéfice de la chose. Je ne vous dis qu’une chose, marquis: ma carrière est assurée si j’arrive le premier aux Tuileries, car j’aurai rendu au roi un service qu’il ne lui sera pas permis d’oublier.

– En ce cas, mon cher, allez faire vos paquets; moi, j’appelle de Salvieux, et je lui fais écrire la lettre qui doit vous servir de laissez-passer.

– Bien, ne perdez pas de temps, car dans un quart d’heure il faut que je sois en chaise de poste.

– Faites arrêter votre voiture devant la porte.

– Sans aucun doute; vous m’excuserez auprès de la marquise, n’est-ce pas? auprès de Mlle de Saint-Méran, que je quitte, dans un pareil jour, avec un bien profond regret.

– Vous les trouverez toutes deux dans mon cabinet, et vous pourrez leur faire vos adieux.

– Merci cent fois; occupez-vous de ma lettre.»

Le marquis sonna; un laquais parut.

«Dites au comte de Salvieux que je l’attends… Allez, maintenant, continua le marquis s’adressant à Villefort.

– Bon, je ne fais qu’aller et venir.»

Et Villefort sortit tout courant; mais à la porte il songea qu’un substitut du procureur du roi qui serait vu marchant à pas précipités risquerait de troubler le repos de toute une ville; il reprit donc son allure ordinaire, qui était toute magistrale.

À sa porte, il aperçut dans l’ombre comme un blanc fantôme qui l’attendait debout et immobile. C’était la belle fille catalane, qui, n’ayant pas de nouvelles d’Edmond, s’était échappée à la nuit tombante du Pharo pour venir savoir elle-même la cause de l’arrestation de son amant.

À l’approche de Villefort, elle se détacha de la muraille contre laquelle elle était appuyée et vint lui barrer le chemin.

Dantès avait parlé au substitut de sa fiancée, et Mercédès n’eut point besoin de se nommer pour que Villefort la reconnût. Il fut surpris de la beauté et de la dignité de cette femme, et lorsqu’elle lui demanda ce qu’était devenu son amant, il lui sembla que c’était lui l’accusé, et que c’était elle le juge.

«L’homme dont vous parlez, dit brusquement Villefort, est un grand coupable, et je ne puis rien faire pour lui, mademoiselle.»

Mercédès laissa échapper un sanglot, et, comme Villefort essayait de passer outre, elle l’arrêta une seconde fois.

«Mais où est-il du moins, demanda-t-elle, que je puisse m’informer s’il est mort ou vivant?

– Je ne sais, il ne m’appartient plus», répondit Villefort.

Et, gêné par ce regard fin et cette suppliante attitude, il repoussa Mercédès et rentra, refermant vivement la porte, comme pour laisser dehors cette douleur qu’on lui apportait.

Mais la douleur ne se laisse pas repousser ainsi. Comme le trait mortel dont parle Virgile, l’homme blessé l’emporte avec lui. Villefort rentra, referma la porte, mais arrivé dans son salon les jambes lui manquèrent à son tour; il poussa un soupir qui ressemblait à un sanglot, et se laissa tomber dans un fauteuil.

Alors, au fond de ce cœur malade naquit le premier germe d’un ulcère mortel. Cet homme qu’il sacrifiait à son ambition, cet innocent qui payait pour son père coupable, lui apparut pâle et menaçant, donnant la main à sa fiancée, pâle comme lui, et traînant après lui le remords, non pas celui qui fait bondir le malade comme les furieux de la fatalité antique, mais ce tintement sourd et douloureux qui, à de certains moments, frappe sur le cœur et le meurtrit au souvenir d’une action passée, meurtrissure dont les lancinantes douleurs creusent un mal qui va s’approfondissant jusqu’à la mort.

Alors il y eut dans l’âme de cet homme encore un instant d’hésitation. Déjà plusieurs fois il avait requis, et cela sans autre émotion que celle de la lutte du juge avec l’accusé, la peine de mort contre les prévenus; et ces prévenus, exécutés grâce à son éloquence foudroyante qui avait entraîné ou les juges ou le jury, n’avaient pas même laissé un nuage sur son front, car ces prévenus étaient coupables, ou du moins Villefort les croyait tels.

Mais, cette fois, c’était bien autre chose: cette peine de la prison perpétuelle, il venait de l’appliquer à un innocent, un innocent qui allait être heureux, et dont il détruisait non seulement la liberté, mais le bonheur: cette fois, il n’était plus juge, il était bourreau.

En songeant à cela, il sentait ce battement sourd que nous avons décrit, et qui lui était inconnu jusqu’alors, retentissant au fond de son cœur et emplissant sa poitrine de vagues appréhensions. C’est ainsi que, par une violente souffrance instinctive, est averti le blessé, qui jamais n’approchera sans trembler le doigt de sa blessure ouverte et saignante avant que sa blessure soit fermée.

Mais la blessure qu’avait reçue Villefort était de celles qui ne se ferment pas, ou qui ne se ferment que pour se rouvrir plus sanglantes et plus douloureuses qu’auparavant.

Si, dans ce moment, la douce voix de Renée eût retenti à son oreille pour lui demander grâce; si la belle Mercédès fût entrée et lui eût dit: «Au nom du Dieu qui nous regarde et qui nous juge, rendez-moi mon fiancé», oui, ce front à moitié plié sous la nécessité s’y fût courbé tout à fait, et de ses mains glacées eût sans doute, au risque de tout ce qui pouvait en résulter pour lui, signé l’ordre de mettre en liberté Dantès; mais aucune voix ne murmura dans le silence, et la porte ne s’ouvrit que pour donner entrée au valet de chambre de Villefort, qui vint lui dire que les chevaux de poste étaient attelés à la calèche de voyage.

Villefort se leva, ou plutôt bondit, comme un homme qui triomphe d’une lutte intérieure, courut à son secrétaire, versa dans ses poches tout l’or qui se trouvait dans un des tiroirs, tourna un instant effaré dans la chambre, la main sur son front, et articulant des paroles sans suite; puis enfin, sentant que son valet de chambre venait de lui poser son manteau sur les épaules, il sortit, s’élança en voiture, et ordonna d’une voix brève de toucher rue du Grand-Cours, chez M. de Saint-Méran.

Le malheureux Dantès était condamné.

Comme l’avait promis M. de Saint-Méran, Villefort trouva la marquise et Renée dans le cabinet. En apercevant Renée, le jeune homme tressaillit; car il crut qu’elle allait lui demander de nouveau la liberté de Dantès. Mais, hélas! il faut le dire à la honte de notre égoïsme, la belle jeune fille n’était préoccupée que d’une chose: du départ de Villefort.

 

Elle aimait Villefort, Villefort allait partir au moment de devenir son mari. Villefort ne pouvait dire quand il reviendrait, et Renée, au lieu de plaindre Dantès, maudit l’homme qui, par son crime, la séparait de son amant.

Que devait donc dire Mercédès!

La pauvre Mercédès avait retrouvé, au coin de la rue de la Loge, Fernand, qui l’avait suivie; elle était rentrée aux Catalans, et mourante, désespérée, elle s’était jetée sur son lit. Devant ce lit, Fernand s’était mis à genoux, et pressant sa main glacée, que Mercédès ne songeait pas à retirer, il la couvrait de baisers brûlants que Mercédès ne sentait même pas.

Elle passa la nuit ainsi. La lampe s’éteignit quand il n’y eut plus d’huile: elle ne vit pas plus l’obscurité qu’elle n’avait vu la lumière, et le jour revint sans qu’elle vît le jour.

La douleur avait mis devant ses yeux un bandeau qui ne lui laissait voir qu’Edmond.

«Ah! vous êtes là! dit-elle enfin, en se retournant du côté de Fernand.

– Depuis hier je ne vous ai pas quittée», répondit Fernand avec un soupir douloureux.

M. Morrel ne s’était pas tenu pour battu: il avait appris qu’à la suite de son interrogatoire Dantès avait été conduit à la prison; il avait alors couru chez tous ses amis, il s’était présenté chez les personnes de Marseille qui pouvaient avoir de l’influence, mais déjà le bruit s’était répandu que le jeune homme avait été arrêté comme agent bonapartiste, et comme, à cette époque, les plus hasardeux regardaient comme un rêve insensé toute tentative de Napoléon pour remonter sur le trône, il n’avait trouvé partout que froideur, crainte ou refus, et il était rentré chez lui désespéré, mais avouant cependant que la position était grave et que personne n’y pouvait rien.

De son côté, Caderousse était fort inquiet et fort tourmenté: au lieu de sortir comme l’avait fait M. Morrel, au lieu d’essayer quelque chose en faveur de Dantès, pour lequel d’ailleurs il ne pouvait rien, il s’était enfermé avec deux bouteilles de vin de cassis, et avait essayé de noyer son inquiétude dans l’ivresse. Mais, dans l’état d’esprit où il se trouvait, c’était trop peu de deux bouteilles pour éteindre son jugement; il était donc demeuré, trop ivre pour aller chercher d’autre vin, pas assez ivre pour que l’ivresse eût éteint ses souvenirs, accoudé en face de ses deux bouteilles vides sur une table boiteuse, et voyant danser, au reflet de sa chandelle à la longue mèche, tous ces spectres, qu’Hoffmann a semés sur ses manuscrits humides de punch, comme une poussière noire et fantastique.

Danglars, seul, n’était ni tourmenté ni inquiet; Danglars même était joyeux, car il s’était vengé d’un ennemi et avait assuré, à bord du Pharaon, sa place qu’il craignait de perdre; Danglars était un de ces hommes de calcul qui naissent avec une plume derrière l’oreille et un encrier à la place du cœur; tout était pour lui dans ce monde soustraction ou multiplication, et un chiffre lui paraissait bien plus précieux qu’un homme, quand ce chiffre pouvait augmenter le total que cet homme pouvait diminuer.

Danglars s’était donc couché à son heure ordinaire et dormait tranquillement.

Villefort, après avoir reçu la lettre de M. de Salvieux, embrassé Renée sur les deux joues, baisé la main de Mme de Saint-Méran, et serré celle du marquis, courait la poste sur la route d’Aix.

Le père Dantès se mourait de douleur et d’inquiétude.

Quant à Edmond, nous savons ce qu’il était devenu.

X. Le petit cabinet des Tuileries

Abandonnons Villefort sur la route de Paris, où, grâce aux triples guides qu’il paie, il brûle le chemin et pénétrons à travers les deux ou trois salons qui le précèdent dans ce petit cabinet des Tuileries, à la fenêtre cintrée, si bien connu pour avoir été le cabinet favori de Napoléon et de Louis XVIII, et pour être aujourd’hui celui de Louis-Philippe.

Là, dans ce cabinet, assis devant une table de noyer qu’il avait rapportée d’Hartwell, et que, par une de ces manies familières aux grands personnages, il affectionnait tout particulièrement, le roi Louis XVIII écoutait assez légèrement un homme de cinquante à cinquante-deux ans, à cheveux gris, à la figure aristocratique et à la mise scrupuleuse, tout en notant à la marge un volume d’Horace, édition de Gryphias, assez incorrecte quoique estimée, et qui prêtait beaucoup aux sagaces observations philologiques de Sa Majesté.

«Vous dites donc, monsieur? dit le roi.

– Que je suis on ne peut plus inquiet, Sire.

– Vraiment? auriez-vous vu en songe sept vaches grasses et sept vaches maigres?

– Non, Sire, car cela ne nous annoncerait que sept années de fertilité et sept années de disette, et, avec un roi aussi prévoyant que l’est Votre Majesté, la disette n’est pas à craindre.

– De quel autre fléau est-il donc question, mon cher Blacas?

– Sire, je crois, j’ai tout lieu de croire qu’un orage se forme du côté du Midi.

– Eh bien, mon cher duc, répondit Louis XVIII, je vous crois mal renseigné, et je sais positivement, au contraire, qu’il fait très beau temps de ce côté-là.»

Tout homme d’esprit qu’il était, Louis XVIII aimait la plaisanterie facile.

«Sire dit M. de Blacas, ne fût-ce que pour rassurer un fidèle serviteur, Votre Majesté ne pourrait-elle pas envoyer dans le Languedoc, dans la Provence et dans le Dauphiné des hommes sûrs qui lui feraient un rapport sur l’esprit de ces trois provinces?

– Conimus surdis, répondit le roi, tout en continuant d’annoter son Horace.

– Sire, répondit le courtisan en riant, pour avoir l’air de comprendre l’hémistiche du poète de Vénouse, Votre Majesté peut avoir parfaitement raison en comptant sur le bon esprit de la France; mais je crois ne pas avoir tout à fait tort en craignant quelque tentative désespérée.

– De la part de qui?

– De la part de Bonaparte, ou du moins de son parti.

– Mon cher Blacas, dit le roi, vous m’empêchez de travailler avec vos terreurs.

– Et moi, Sire, vous m’empêchez de dormir avec votre sécurité.

– Attendez, mon cher, attendez, je tiens une note très heureuse sur le Pastor quum traheret; attendez et vous continuerez après.»

Il se fit un instant de silence, pendant lequel Louis XVIII inscrivit, d’une écriture qu’il faisait aussi menue que possible, une nouvelle note en marge de son Horace; puis, cette note inscrite:

– Continuez, mon cher duc, dit-il en se relevant de l’air satisfait d’un homme qui croit avoir eu une idée lorsqu’il a commencé l’idée d’un autre. Continuez, je vous écoute.

– Sire, dit Blacas, qui avait eu un instant l’espoir de confisquer Villefort à son profit, je suis forcé de vous dire que ce ne sont point de simples bruits dénués de tout fondement, de simples nouvelles en l’air, qui m’inquiètent. C’est un homme bien-pensant méritant toute ma confiance, et chargé par moi de surveiller le Midi (le duc hésita en prononçant ces mots), qui arrive en poste pour me dire: Un grand péril menace le roi. Alors, je suis accouru Sire.

– Mala ducis agi domum, continua Louis XVIII en annotant.

– Votre Majesté m’ordonne-t-elle de ne plus insister sur ce sujet?

– Non, mon cher duc, mais allongez la main.

– Laquelle?

– Celle que vous voudrez, là-bas, à gauche.

– Ici, Sire?

– Je vous dis à gauche et vous cherchez à droite; c’est à ma gauche que je veux dire: là; vous y êtes; vous devez trouver le rapport du ministre de la police en date d’hier… Mais, tenez voici M. Dandré lui-même… n’est-ce pas, vous dites M. Dandré? interrompit Louis XVIII, s’adressant à l’huissier qui venait en effet d’annoncer le ministre de la police.

– Oui, Sire, M. le baron Dandré, reprit l’huissier.

– C’est juste, baron, reprit Louis XVIII avec un imperceptible sourire; entrez, baron, et racontez au duc ce que vous savez de plus récent sur M. de Bonaparte. Ne nous dissimulez rien de la situation, quelque grave qu’elle soit. Voyons, l’île d’Elbe est-elle un volcan, et allons-nous en voir sortir la guerre flamboyante et toute hérissée: belle, horrida bella

M. Dandré se balança fort gracieusement sur le dos d’un fauteuil auquel il appuyait ses deux mains et dit:

«Votre Majesté a-t-elle bien voulu consulter le rapport d’hier?

– Oui, oui, mais dites au duc lui-même, qui ne peut le trouver, ce que contenait le rapport; détaillez-lui ce que fait l’usurpateur dans son île.

– Monsieur, dit le baron au duc, tous les serviteurs de Sa Majesté doivent s’applaudir des nouvelles récentes qui nous parviennent de l’île d’Elbe. Bonaparte…»

M. Dandré regarda Louis XVIII qui, occupé à écrire une note, ne leva pas même la tête.

«Bonaparte, continua le baron, s’ennuie mortellement; il passe des journées entières à regarder travailler ses mineurs de Porto-Longone.

– Et il se gratte pour se distraire, dit le roi.

– Il se gratte? demanda le duc; que veut dire votre Majesté?

– Eh oui, mon cher duc; oubliez-vous donc que ce grand homme, ce héros, ce demi-dieu est atteint d’une maladie de peau qui le dévore, prurigo?

– Il y a plus, monsieur le duc, continua le ministre de la police, nous sommes à peu près sûrs que dans peu de temps l’usurpateur sera fou.

– Fou?

– Fou à lier: sa tête s’affaiblit, tantôt il pleure des larmes, tantôt il rit à gorge déployée; d’autres fois, il passe des heures sur le rivage à jeter des cailloux dans l’eau, et lorsque le caillou a fait cinq ou six ricochets, il paraît aussi satisfait que s’il avait gagné un autre Marengo ou un nouvel Austerlitz. Voilà, vous en conviendrez, des signes de folie.

– Ou de sagesse, monsieur le baron, ou de sagesse, dit Louis XVIII en riant: c’était en jetant des cailloux à la mer que se récréaient les grands capitaines de l’Antiquité; voyez Plutarque, à la vie de Scipion l’Africain.»

M. de Blacas demeura rêveur entre ces deux insouciances. Villefort, qui n’avait pas voulu tout lui dire pour qu’un autre ne lui enlevât point le bénéfice tout entier de son secret, lui en avait dit assez, cependant, pour lui donner de graves inquiétudes.

«Allons, allons, Dandré, dit Louis XVIII, Blacas n’est point encore convaincu, passez à la conversion de l’usurpateur.»

Le ministre de la police s’inclina.

«Conversion de l’usurpateur! murmura le duc, regardant le roi et Dandré, qui alternaient comme deux bergers de Virgile. L’usurpateur est-il converti?

– Absolument, mon cher duc.

– Aux bons principes; expliquez cela, baron.

– Voici ce que c’est, monsieur le duc, dit le ministre avec le plus grand sérieux du monde: dernièrement Napoléon a passé une revue, et comme deux ou trois de ses vieux grognards, comme il les appelle, manifestaient le désir de revenir en France il leur a donné leur congé en les exhortant à servir leur bon roi; ce furent ses propres paroles, monsieur le duc, j’en ai la certitude.

– Eh bien, Blacas, qu’en pensez-vous? dit le roi triomphant, en cessant un instant de compulser le scoliaste volumineux ouvert devant lui.

– Je dis, Sire, que M. le ministre de la Police ou moi nous nous trompons; mais comme il est impossible que ce soit le ministre de la Police, puisqu’il a en garde le salut et l’honneur de Votre Majesté, il est probable que c’est moi qui fais erreur. Cependant, Sire, à la place de Votre Majesté, je voudrais interroger la personne dont je lui ai parlé; j’insisterai même pour que Votre Majesté lui fasse cet honneur.

– Volontiers, duc, sous vos auspices je recevrai qui vous voudrez; mais je veux le recevoir les armes en main. Monsieur le ministre, avez-vous un rapport plus récent que celui-ci! car celui-ci a déjà la date du 20 février, et nous sommes au 3 mars!

– Non, Sire, mais j’en attendais un d’heure en heure. Je suis sorti depuis le matin, et peut-être depuis mon absence est-il arrivé.

– Allez à la préfecture, et s’il n’y en a pas, eh bien, eh bien, continua riant Louis XVIII, faites-en un; n’est-ce pas ainsi que cela se pratique?

– Oh! Sire! dit le ministre, Dieu merci, sous ce rapport, il n’est besoin de rien inventer; chaque jour encombre nos bureaux des dénonciations les plus circonstanciées, lesquelles proviennent d’une foule de pauvres hères qui espèrent un peu de reconnaissance pour des services qu’ils ne rendent pas, mais qu’ils voudraient rendre. Ils tablent sur le hasard, et ils espèrent qu’un jour quelque événement inattendu donnera une espèce de réalité à leurs prédictions.

– C’est bien; allez, monsieur, dit Louis XVIII, et songez que je vous attends.

 

– Je ne fais qu’aller et venir, Sire; dans dix minutes je suis de retour.

– Et moi, Sire, dit M. de Blacas, je vais chercher mon messager.

– Attendez donc, attendez donc, dit Louis XVIII. En vérité, Blacas, il faut que je vous change vos armes; je vous donnerai un aigle aux ailes déployées, tenant entre ses serres une proie qui essaie vainement de lui échapper, avec cette devise: Tenax.

– Sire, j’écoute, dit M. de Blacas, se rongeant les poings d’impatience.

– Je voudrais vous consulter sur ce passage: Molli fugiens anhelitu; vous savez, il s’agit du cerf qui fuit devant le loup. N’êtes-vous pas chasseur et grand louvetier? Comment trouvez-vous, à ce double titre, le molli anhelitu?

Admirable, Sire; mais mon messager est comme le cerf dont vous parlez, car il vient de faire 220 lieues en poste, et cela en trois jours à peine.

– C’est prendre bien de la fatigue et bien du souci, mon cher duc, quand nous avons le télégraphe qui ne met que trois ou quatre heures, et cela sans que son haleine en souffre le moins du monde.

– Ah! Sire, vous récompensez bien mal ce pauvre jeune homme, qui arrive de si loin et avec tant d’ardeur pour donner à Votre Majesté un avis utile; ne fût-ce que pour M. de Salvieux, qui me le recommande, recevez-le bien, je vous en supplie.

– M. de Salvieux, le chambellan de mon frère?

– Lui-même.

– En effet, il est à Marseille.

– C’est de là qu’il m’écrit.

– Vous parle-t-il donc aussi de cette conspiration?

– Non, mais il me recommande M. de Villefort, et me charge de l’introduire près de Votre Majesté.

– M. de Villefort? s’écria le roi; ce messager s’appelle-t-il donc M. de Villefort?

– Oui, Sire.

– Et c’est lui qui vient de Marseille?

– En personne.

– Que ne me disiez-vous son nom tout de suite! reprit le roi, en laissant percer sur son visage un commencement d’inquiétude.

– Sire, je croyais ce nom inconnu de Votre Majesté.

– Non pas, non pas, Blacas; c’est un esprit sérieux, élevé, ambitieux surtout; et, pardieu, vous connaissez de nom son père.

– Son père?

– Oui, Noirtier.

– Noirtier le girondin? Noirtier le sénateur?

– Oui, justement.

– Et Votre Majesté a employé le fils d’un pareil homme?

– Blacas, mon ami, vous n’y entendez rien, je vous ai dit que Villefort était ambitieux: pour arriver, Villefort sacrifiera tout, même son père.

– Alors, Sire, je dois donc le faire entrer?

– À l’instant même, duc. Où est-il?

– Il doit m’attendre en bas, dans ma voiture.

– Allez me le chercher.

– J’y cours.»

Le duc sortit avec la vivacité d’un jeune homme; l’ardeur de son royalisme sincère lui donnait vingt ans.

Louis XVIII resta seul, reportant les yeux sur son Horace entrouvert et murmurant:

Justum et tenacem propositi virum.

M. de Blacas remonta avec la même rapidité qu’il était descendu; mais dans l’antichambre il fut forcé d’invoquer l’autorité du roi. L’habit poudreux de Villefort, son costume, où rien n’était conforme à la tenue de cour, avait excité la susceptibilité de M. de Brézé, qui fut tout étonné de trouver dans ce jeune homme la prétention de paraître ainsi vêtu devant le roi. Mais le duc leva toutes les difficultés avec un seul mot: Ordre de Sa Majesté; et malgré les observations que continua de faire le maître des cérémonies, pour l’honneur du principe, Villefort fut introduit.

Le roi était assis à la même place où l’avait laissé le duc. En ouvrant la porte, Villefort se trouva juste en face de lui: le premier mouvement du jeune magistrat fut de s’arrêter.

«Entrez, monsieur de Villefort, dit le roi, entrez.»

Villefort salua et fit quelques pas en avant, attendant que le roi l’interrogeât.

«Monsieur de Villefort, continua Louis XVIII, voici le duc de Blacas, qui prétend que vous avez quelque chose d’important à nous dire.

– Sire, M. le duc a raison, et j’espère que Votre Majesté va le reconnaître elle-même.

– D’abord, et avant toutes choses, monsieur, le mal est-il aussi grand, à votre avis, que l’on veut me le faire croire?

– Sire, je le crois pressant; mais, grâce à la diligence que j’ai faite, il n’est pas irréparable, je l’espère.

– Parlez longuement si vous le voulez, monsieur, dit le roi, qui commençait à se laisser aller lui-même à l’émotion qui avait bouleversé le visage de M. de Blacas, et qui altérait la voix de Villefort; parlez, et surtout commencez par le commencement: j’aime l’ordre en toutes choses.

– Sire, dit Villefort, je ferai à Votre Majesté un rapport fidèle, mais je la prierai cependant de m’excuser si le trouble où je suis jette quelque obscurité dans mes paroles.»

Un coup d’œil jeté sur le roi après cet exorde insinuant, assura Villefort de la bienveillance de son auguste auditeur, et il continua:

«Sire, je suis arrivé le plus rapidement possible à Paris pour apprendre à Votre Majesté que j’ai découvert dans le ressort de mes fonctions, non pas un de ces complots vulgaires et sans conséquence, comme il s’en trame tous les jours dans les derniers rangs du peuple et de l’armée, mais une conspiration véritable, une tempête qui ne menace rien de moins que le trône de Votre Majesté. Sire, l’usurpateur arme trois vaisseaux; il médite quelque projet, insensé peut-être, mais peut-être aussi terrible, tout insensé qu’il est. À cette heure, il doit avoir quitté l’île d’Elbe pour aller où? je l’ignore, mais à coup sûr pour tenter une descente soit à Naples, soit sur les côtes de Toscane, soit même en France. Votre Majesté n’ignore pas que le souverain de l’île d’Elbe a conservé des relations avec l’Italie et avec la France.

– Oui, monsieur, je le sais, dit le roi fort ému, et, dernièrement encore, on a eu avis que des réunions bonapartistes avaient lieu rue Saint-Jacques; mais continuez, je vous prie; comment avez-vous eu ces détails?

– Sire, ils résultent d’un interrogatoire que j’ai fait subir à un homme de Marseille que depuis longtemps je surveillais et que j’ai fait arrêter le jour même de mon départ; cet homme, marin turbulent et d’un bonapartisme qui m’était suspect, a été secrètement à l’île d’Elbe; il y a vu le grand maréchal qui l’a chargé d’une mission verbale pour un bonapartiste de Paris, dont je n’ai jamais pu lui faire dire le nom; mais cette mission était de charger ce bonapartiste de préparer les esprits à un retour (remarquez que c’est l’interrogatoire qui parle, Sire), à un retour qui ne peut manquer d’être prochain.

– Et où est cet homme? demanda Louis XVIII.

– En prison, Sire.

– Et la chose vous a paru grave?

– Si grave, Sire, que cet événement m’ayant surpris au milieu d’une fête de famille, le jour même de mes fiançailles, j’ai tout quitté, fiancée et amis, tout remis à un autre temps pour venir déposer aux pieds de Votre Majesté et les craintes dont j’étais atteint et l’assurance de mon dévouement.

– C’est vrai, dit Louis XVIII; n’y avait-il pas un projet d’union entre vous et Mlle de Saint-Méran?

– La fille d’un des plus fidèles serviteurs de Votre Majesté.

– Oui, oui; mais revenons à ce complot, monsieur de Villefort.

– Sire, j’ai peur que ce soit plus qu’un complot, j’ai peur que ce soit une conspiration.

– Une conspiration dans ces temps-ci, dit le roi en souriant, est chose facile à méditer, mais plus difficile à conduire à son but, par cela même que, rétabli d’hier sur le trône de nos ancêtres, nous avons les yeux ouverts à la fois sur le passé, sur le présent et sur l’avenir; depuis dix mois, mes ministres redoublent de surveillance pour que le littoral de la Méditerranée soit bien gardé. Si Bonaparte descendait à Naples, la coalition tout entière serait sur pied, avant seulement qu’il fût à Piombino; s’il descendait en Toscane, il mettrait le pied en pays ennemi; s’il descend en France, ce sera avec une poignée d’hommes, et nous en viendrons facilement à bout, exécré comme il l’est par la population. Rassurez-vous donc, monsieur; mais ne comptez pas moins sur notre reconnaissance royale.

– Ah! voici M. Dandré!» s’écria le duc de Blacas.

En ce moment, parut en effet sur le seuil de la porte M. le ministre de la Police, pâle, tremblant, et dont le regard vacillait, comme s’il eût été frappé d’un éblouissement.

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