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Notre Dame de Paris

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Ici le prêtre s’arrêta, et la prisonnière entendit sortir de sa poitrine des soupirs qui faisaient un bruit de râle et d’arrachement.

Il reprit:

«… Un jour, j’étais appuyé à la fenêtre de ma cellule… – Quel livre lisais-je donc? Oh! tout cela est un tourbillon dans ma tête. – Je lisais. La fenêtre donnait sur une place. J’entends un bruit de tambour et de musique. Fâché d’être ainsi troublé dans ma rêverie, je regarde dans la place. Ce que je vis, il y en avait d’autres que moi qui le voyaient, et pourtant ce n’était pas un spectacle fait pour des yeux humains. Là, au milieu du pavé, – il était midi, – un grand soleil, – une créature dansait. Une créature si belle que Dieu l’eût préférée à la Vierge, et l’eût choisie pour sa mère, et eût voulu naître d’elle si elle eût existé quand il se fit homme! Ses yeux étaient noirs et splendides, au milieu de sa chevelure noire quelques cheveux que pénétrait le soleil blondissaient comme des fils d’or. Ses pieds disparaissaient dans leur mouvement comme les rayons d’une roue qui tourne rapidement. Autour de sa tête, dans ses nattes noires, il y avait des plaques de métal qui pétillaient au soleil et faisaient à son front une couronne d’étoiles. Sa robe semée de paillettes scintillait bleue et piquée de mille étincelles comme une nuit d’été. Ses bras souples et bruns se nouaient et se dénouaient autour de sa taille comme deux écharpes. La forme de son corps était surprenante de beauté. Oh! la resplendissante figure qui se détachait comme quelque chose de lumineux dans la lumière même du soleil!… – Hélas! jeune fille, c’était toi. – Surpris, enivré, charmé, je me laissai aller à te regarder. Je te regardai tant que tout à coup je frissonnai d’épouvante, je sentis que le sort me saisissait.»

Le prêtre, oppressé, s’arrêta encore un moment. Puis il continua.

«Déjà à demi fasciné, j’essayai de me cramponner à quelque chose et de me retenir dans ma chute. Je me rappelai les embûches que Satan m’avait déjà tendues. La créature qui était sous mes yeux avait cette beauté surhumaine qui ne peut venir que du ciel ou de l’enfer. Ce n’était pas là une simple fille faite avec un peu de notre terre, et pauvrement éclairée à l’intérieur par le vacillant rayon d’une âme de femme. C’était un ange! mais de ténèbres, mais de flamme et non de lumière. Au moment où je pensais cela, je vis près de toi une chèvre, une bête du sabbat, qui me regardait en riant. Le soleil de midi lui faisait des cornes de feu. Alors j’entrevis le piège du démon, et je ne doutai plus que tu ne vinsses de l’enfer et que tu n’en vinsses pour ma perdition. Je le crus.»

Ici le prêtre regarda en face la prisonnière et ajouta froidement:

«Je le crois encore. – Cependant le charme opérait peu à peu, ta danse me tournoyait dans le cerveau, je sentais le mystérieux maléfice s’accomplir en moi, tout ce qui aurait dû veiller s’endormait dans mon âme, et comme ceux qui meurent dans la neige je trouvais du plaisir à laisser venir ce sommeil. Tout à coup, tu te mis à chanter. Que pouvais-je faire, misérable? Ton chant était plus charmant encore que ta danse. Je voulus fuir. Impossible. J’étais cloué, j’étais enraciné dans le sol. Il me semblait que le marbre de la dalle m’était monté jusqu’aux genoux. Il fallut rester jusqu’au bout. Mes pieds étaient de glace, ma tête bouillonnait. Enfin, tu eus peut-être pitié de moi, tu cessas de chanter, tu disparus. Le reflet de l’éblouissante vision, le retentissement de la musique enchanteresse s’évanouirent par degrés dans mes yeux et dans mes oreilles. Alors je tombai dans l’encoignure de la fenêtre, plus raide et plus faible qu’une statue descellée. La cloche de vêpres me réveilla. Je me relevai, je m’enfuis, mais, hélas! il y avait en moi quelque chose de tombé qui ne pouvait se relever, quelque chose de survenu que je ne pouvais fuir.»

Il fit encore une pause, et poursuivit:

«Oui, à dater de ce jour, il y eut en moi un homme que je ne connaissais pas. Je voulus user de tous mes remèdes, le cloître, l’autel, le travail, les livres. Folie! Oh! que la science sonne creux quand on y vient heurter avec désespoir une tête pleine de passions! Sais-tu, jeune fille, ce que je voyais toujours désormais entre le livre et moi? Toi, ton ombre, l’image de l’apparition lumineuse qui avait un jour traversé l’espace devant moi. Mais cette image n’avait plus la même couleur; elle était sombre, funèbre, ténébreuse comme le cercle noir qui poursuit longtemps la vue de l’imprudent qui a regardé fixement le soleil.

«Ne pouvant m’en débarrasser, entendant toujours ta chanson bourdonner dans ma tête, voyant toujours tes pieds danser sur mon bréviaire, sentant toujours la nuit en songe ta forme glisser sur ma chair, je voulus te revoir, te toucher, savoir qui tu étais, voir si je te retrouverais bien pareille à l’image idéale qui m’était restée de toi, briser peut-être mon rêve avec la réalité. En tout cas, j’espérais qu’une impression nouvelle effacerait la première, et la première m’était devenue insupportable. Je te cherchai. Je te revis. Malheur! Quand je t’eus vue deux fois, je voulus te voir mille, je voulus te voir toujours. Alors, – comment enrayer sur cette pente de l’enfer? – alors je ne m’appartins plus. L’autre bout du fil que le démon m’avait attaché aux ailes, il l’avait noué à ton pied. Je devins vague et errant comme toi. Je t’attendais sous les porches, je t’épiais au coin des rues, je te guettais du haut de ma tour. Chaque soir, je rentrais en moi-même plus charmé, plus désespéré, plus ensorcelé, plus perdu!

«J’avais su qui tu étais, égyptienne, bohémienne, gitane, zingara, comment douter de la magie? Écoute. J’espérai qu’un procès me débarrasserait du charme. Une sorcière avait enchanté Bruno d’Ast, il la fit brûler et fut guéri. Je le savais. Je voulus essayer du remède. J’essayai d’abord de te faire interdire le parvis Notre-Dame, espérant t’oublier si tu ne revenais plus. Tu n’en tins compte. Tu revins. Puis il me vint l’idée de t’enlever. Une nuit je le tentai. Nous étions deux. Nous te tenions déjà, quand ce misérable officier survint. Il te délivra. Il commençait ainsi ton malheur, le mien et le sien. Enfin, ne sachant plus que faire et que devenir, je te dénonçai à l’official. Je pensais que je serais guéri, comme Bruno d’Ast. Je pensais aussi confusément qu’un procès te livrerait à moi, que dans une prison je te tiendrais, je t’aurais, que là tu ne pourrais m’échapper, que tu me possédais depuis assez longtemps pour que je te possédasse aussi à mon tour. Quand on fait le mal, il faut faire tout le mal. Démence de s’arrêter à un milieu dans le monstrueux! L’extrémité du crime a des délires de joie. Un prêtre et une sorcière peuvent s’y fondre en délices sur la botte de paille d’un cachot!

«Je te dénonçai donc. C’est alors que je t’épouvantais dans mes rencontres. Le complot que je tramais contre toi, l’orage que j’amoncelais sur ta tête s’échappait de moi en menaces et en éclairs. Cependant j’hésitais encore. Mon projet avait des côtés effroyables qui me faisaient reculer.

«Peut-être y aurais-je renoncé, peut-être ma hideuse pensée se serait-elle desséchée dans mon cerveau sans porter son fruit. Je croyais qu’il dépendrait toujours de moi de suivre ou de rompre ce procès. Mais toute mauvaise pensée est inexorable et veut devenir un fait; mais là où je me croyais tout-puissant, la fatalité était plus puissante que moi. Hélas! hélas! c’est elle qui t’a prise et qui t’a livrée au rouage terrible de la machine que j’avais ténébreusement construite! – Écoute. Je touche à la fin.

«Un jour, – par un autre beau soleil, – je vois passer devant moi un homme qui prononce ton nom et qui rit et qui a la luxure dans les yeux. Damnation! je l’ai suivi. Tu sais le reste.»

Il se tut.

La jeune fille ne put trouver qu’une parole:

«Ô mon Phœbus!

– Pas ce nom! dit le prêtre en lui saisissant le brai avec violence. Ne prononce pas ce nom! Oh! misérables que nous sommes, c’est ce nom qui nous a perdus! Ou plutôt nous nous sommes tous perdus les uns les autres par l’inexplicable jeu de la fatalité! – Tu souffres, n’est-ce pas? tu as froid, la nuit te fait aveugle, le cachot t’enveloppe, mais peut-être as-tu encore quelque lumière au fond de toi, ne fût-ce que ton amour d’enfant pour cet homme vide qui jouait avec ton cœur! Tandis que moi, je porte le cachot au dedans de moi, au dedans de moi est l’hiver, la glace, le désespoir, j’ai la nuit dans l’âme. Sais-tu tout ce que j’ai souffert? J’ai assisté à ton procès. J’étais assis sur le banc de l’official. Oui, sous l’un de ces capuces de prêtre, il y avait les contorsions d’un damné. Quand on t’a amenée, j’étais là; quand on t’a interrogée, j’étais là. – Caverne de loups! – C’était mon crime, c’était mon gibet que je voyais se dresser lentement sur ton front. À chaque témoin, à chaque preuve, à chaque plaidoirie, j’étais là; j’ai pu compter chacun de tes pas dans la voie douloureuse; j’étais là encore quand cette bête féroce… – Oh! je n’avais pas prévu la torture! – Écoute. Je t’ai suivie dans la chambre de douleur. Je t’ai vu déshabiller et manier demi-nue par les mains infâmes du tourmenteur. J’ai vu ton pied, ce pied où j’eusse voulu pour un empire déposer un seul baiser et mourir, ce pied sous lequel je sentirais avec tant de délices s’écraser ma tête, je l’ai vu enserrer dans l’horrible brodequin qui fait des membres d’un être vivant une boue sanglante. Oh! misérable! pendant que je voyais cela, j’avais sous mon suaire un poignard dont je me labourais la poitrine. Au cri que tu as poussé, je l’ai enfoncé dans ma chair; à un second cri, il m’entrait dans le cœur! Regarde. Je crois que cela saigne encore.»

Il ouvrit sa soutane. Sa poitrine en effet était déchirée comme par une griffe de tigre, et il avait au flanc une plaie allez large et mal fermée.

La prisonnière recula d’horreur.

«Oh! dit le prêtre, jeune fille, aie pitié de moi! Tu te crois malheureuse, hélas! hélas! tu ne sais pas ce que c’est que le malheur. Oh! aimer une femme! être prêtre! être haï! l’aimer de toutes les fureurs de son âme, sentir qu’on donnerait pour le moindre de ses sourires son sang, ses entrailles, sa renommée, son salut, l’immortalité et l’éternité, cette vie et l’autre; regretter de ne pas être roi, génie, empereur, archange, dieu, pour lui mettre un plus grand esclave sous les pieds; l’étreindre nuit et jour de ses rêves et de ses pensées; et la voir amoureuse d’une livrée de soldat! et n’avoir à lui offrir qu’une sale soutane de prêtre dont elle aura peur et dégoût! Être présent, avec sa jalousie et sa rage, tandis qu’elle prodigue à un misérable fanfaron imbécile des trésors d’amour et de beauté! Voir ce corps dont la forme vous brûle, ce sein qui a tant de douceur, cette chair palpiter et rougir sous les baisers d’un autre! Ô ciel! aimer son pied, son bras, son épaule, songer à ses veines bleues, à sa peau brune, jusqu’à s’en tordre des nuits entières sur le pavé de sa cellule, et voir toutes les caresses qu’on a rêvées pour elle aboutir à la torture! N’avoir réussi qu’à la coucher sur le lit de cuir! Oh! ce sont là les véritables tenailles rougies au feu de l’enfer! Oh! bienheureux celui qu’on scie entre deux planches, et qu’on écartèle à quatre chevaux! – Sais-tu ce que c’est que ce supplice que vous font subir, durant les longues nuits, vos artères qui bouillonnent, votre cœur qui crève, votre tête qui rompt, vos dents qui mordent vos mains; tourmenteurs acharnés qui vous retournent sans relâche, comme sur un gril ardent, sur une pensée d’amour, de jalousie et de désespoir! Jeune fille, grâce! trêve un moment! un peu de cendre sur cette braise! Essuie, je t’en conjure, la sueur qui ruisselle à grosses gouttes de mon front! Enfant! torture-moi d’une main, mais caresse-moi de l’autre! Aie pitié, jeune fille! aie pitié de moi!»

 

Le prêtre se roulait dans l’eau de la dalle et se martelait le crâne aux angles des marches de pierre. La jeune fille l’écoutait, le regardait.

Quand il se tut, épuisé et haletant, elle répéta à demi-voix:

«Ô mon Phœbus!»

Le prêtre se traîna vers elle à deux genoux.

«Je t’en supplie, cria-t-il, si tu as des entrailles, ne me repousse pas! Oh! je t’aime! je suis un misérable! Quand tu dis ce nom, malheureuse, c’est comme si tu broyais entre tes dents toutes les fibres de mon cœur! Grâce! si tu viens de l’enfer, j’y vais avec toi. J’ai tout fait pour cela. L’enfer où tu seras, c’est mon paradis, ta vue est plus charmante que celle de Dieu! Oh! dis! tu ne veux donc pas de moi? Le jour où une femme repousserait un pareil amour, j’aurais cru que les montagnes remueraient. Oh! si tu voulais!… Oh! que nous pourrions être heureux! Nous fuirions, – je te ferais fuir, – nous irions quelque part, nous chercherions l’endroit sur la terre où il y a le plus de soleil, le plus d’arbres, le plus de ciel bleu. Nous nous aimerions, nous verserions nos deux âmes l’une dans l’autre, et nous aurions une soif inextinguible de nous-mêmes que nous étancherions en commun et sans cesse à cette coupe d’intarissable amour!»

Elle l’interrompit avec un rire terrible et éclatant.

«Regardez donc, mon père! vous avez du sang après les ongles!»

Le prêtre demeura quelques instants comme pétrifié, l’œil fixé sur sa main.

«Eh bien, oui! reprit-il enfin avec une douceur étrange, outrage-moi, raille-moi, accable-moi! mais viens, viens. Hâtons-nous. C’est pour demain, te dis-je. Le gibet de la Grève, tu sais? il est toujours prêt. C’est horrible! te voir marcher dans ce tombereau! Oh! grâce! – Je n’avais jamais senti comme à présent à quel point je t’aimais. Oh! suis-moi. Tu prendras le temps de m’aimer après que je t’aurai sauvée. Tu me haïras aussi longtemps que tu voudras. Mais viens. Demain! demain! le gibet! ton supplice! Oh! sauve-toi! épargne-moi!»

Il lui prit le bras, il était égaré, il voulut l’entraîner.

Elle attacha sur lui son œil fixe.

«Qu’est devenu mon Phœbus?

– Ah! dit le prêtre en lui lâchant le bras, vous êtes sans pitié!

– Qu’est devenu Phœbus? répéta-t-elle froidement.

– Il est mort! cria le prêtre.

– Mort! dit-elle toujours glaciale et immobile; alors que me parlez-vous de vivre?»

Lui ne l’écoutait pas.

«Oh! oui, disait-il comme se parlant à lui-même, il doit être bien mort. La lame est entrée très avant. Je crois que j’ai touché le cœur avec la pointe. Oh! je vivais jusqu’au bout du poignard!»

La jeune fille se jeta sur lui comme une tigresse furieuse, et le poussa sur les marches de l’escalier avec une force surnaturelle.

«Va-t’en, monstre! va-t’en, assassin! laisse-moi mourir! Que notre sang à tous deux te fasse au front une tache éternelle! Être à toi, prêtre! jamais! jamais! Rien ne nous réunira, pas même l’enfer! Va, maudit! jamais!»

Le prêtre avait trébuché à l’escalier. Il dégagea en silence ses pieds des plis de sa robe, reprit sa lanterne, et se mit à monter lentement les marches qui menaient à la porte; il rouvrit cette porte, et sortit.

Tout à coup la jeune fille vit reparaître sa tête, elle avait une expression épouvantable, et il lui cria avec un râle de rage et de désespoir:

«Je te dis qu’il est mort!»

Elle tomba la face contre terre; et l’on n’entendit plus dans le cachot d’autre bruit que le soupir de la goutte d’eau qui faisait palpiter la mare dans les ténèbres.

V. LA MÈRE

Je ne crois pas qu’il y ait rien au monde de plus riant que les idées qui s’éveillent dans le cœur d’une mère à la vue du petit soulier de son enfant. Surtout si c’est le soulier de fête, des dimanches, du baptême, le soulier brodé jusque sous la semelle, un soulier avec lequel l’enfant n’a pas encore fait un pas. Ce soulier-là a tant de grâce et de petitesse, il lui est si impossible de marcher, que c’est pour la mère comme si elle voyait son enfant. Elle lui sourit, elle le baise, elle lui parle. Elle se demande s’il se peut en effet qu’un pied soit si petit; et, l’enfant fût-il absent, il suffit du joli soulier pour lui remettre sous les yeux la douce et fragile créature. Elle croit le voir, elle le voit, tout entier, vivant, joyeux, avec ses mains délicates, sa tête ronde, ses lèvres pures, ses yeux sereins dont le blanc est bleu. Si c’est l’hiver, il est là, il rampe sur le tapis, il escalade laborieusement un tabouret, et la mère tremble qu’il n’approche du feu. Si c’est l’été, il se traîne dans la cour, dans le jardin, arrache l’herbe d’entre les pavés, regarde naïvement les grands chiens, les grands chevaux, sans peur, joue avec les coquillages, avec les fleurs, et fait gronder le jardinier qui trouve le sable dans les plates-bandes et la terre dans les allées. Tout rit, tout brille, tout joue autour de lui comme lui, jusqu’au souffle d’air et au rayon de soleil qui s’ébattent à l’envi dans les boucles follettes de ses cheveux. Le soulier montre tout cela à la mère et lui fait fondre le cœur comme le feu une cire.

Mais quand l’enfant est perdu, ces mille images de joie, de charme, de tendresse qui se pressent autour du petit soulier deviennent autant de choses horribles. Le joli soulier brodé n’est plus qu’un instrument de torture qui broie éternellement le cœur de la mère. C’est toujours la même fibre qui vibre, la fibre la plus profonde et la plus sensible; mais au lieu d’un ange qui la caresse, c’est un démon qui la pince.

Un matin, tandis que le soleil de mai se levait dans un de ces ciels bleu foncé où le Garofalo aime à placer ses descentes de croix, la recluse de la Tour-Roland entendit un bruit de roues, de chevaux et de ferrailles dans la place de Grève. Elle s’en éveilla peu, noua ses cheveux sur ses oreilles pour s’assourdir, et se remit à contempler à genoux l’objet inanimé qu’elle adorait ainsi depuis quinze ans. Ce petit soulier, nous l’avons déjà dit, était pour elle l’univers. Sa pensée y était enfermée, et n’en devait plus sortir qu’à la mort. Ce qu’elle avait jeté vers le ciel d’imprécations amères, de plaintes touchantes, de prières et de sanglots, à propos de ce charmant hochet de satin rose, la sombre cave de la Tour-Roland seule l’a su. Jamais plus de désespoir n’a été répandu sur une chose plus gentille et plus gracieuse.

Ce matin-là, il semblait que sa douleur s’échappait plus violente encore qu’à l’ordinaire, et on l’entendait du dehors se lamenter avec une voix haute et monotone qui navrait le cœur.

«Ô ma fille! disait-elle, ma fille! ma pauvre chère petite enfant! je ne te verrai donc plus. C’est donc fini! Il me semble toujours que cela s’est fait hier! Mon Dieu, mon Dieu, pour me la reprendre si vite, il valait mieux ne pas me la donner. Vous ne savez donc pas que nos enfants tiennent à notre ventre, et qu’une mère qui a perdu son enfant ne croit plus en Dieu? – Ah! misérable que je suis, d’être sortie ce jour-là! – Seigneur! Seigneur! pour me l’ôter ainsi, vous ne m’aviez donc jamais regardée avec elle, lorsque je la réchauffais toute joyeuse à mon feu, lorsqu’elle me riait en me tétant, lorsque je faisais monter ses petits pieds sur ma poitrine jusqu’à mes lèvres? Oh! si vous aviez regardé cela, mon Dieu, vous auriez eu pitié de ma joie, vous ne m’auriez pas ôté le seul amour qui me restât dans le cœur! Étais-je donc une si misérable créature, Seigneur, que vous ne pussiez me regarder avant de me condamner? – Hélas! hélas! voilà le soulier; le pied, où est-il? où est le reste? où est l’enfant? Ma fille, ma fille! qu’ont-ils fait de toi? Seigneur, rendez-la-moi. Mes genoux se sont écorchés quinze ans à vous prier, mon Dieu, est-ce que ce n’est pas assez? Rendez-la-moi, un jour, une heure, une minute, une minute, Seigneur! et jetez-moi ensuite au démon pour l’éternité! Oh! si je savais où traîne un pan de votre robe, je m’y cramponnerais de mes deux mains, et il faudrait bien que vous me rendissiez mon enfant! Son joli petit soulier, est-ce que vous n’en avez pas pitié, Seigneur? Pouvez-vous condamner une pauvre mère à ce supplice de quinze ans? Bonne Vierge! bonne Vierge du ciel! mon enfant-Jésus à moi, on me l’a pris, on me l’a volé, on l’a mangé sur une bruyère, on a bu son sang, on a mâché ses os! Bonne Vierge, ayez pitié de moi! Ma fille! il me faut ma fille! Qu’est-ce que cela me fait, qu’elle soit dans le paradis? je ne veux pas de votre ange, je veux mon enfant! Je suis une lionne, je veux mon lionceau. – Oh! je me tordrai sur la terre, et je briserai la pierre avec mon front, et je me damnerai, et je vous maudirai, Seigneur, si vous me gardez mon enfant! vous voyez bien que j’ai les bras tout mordus, Seigneur! est-ce que le bon Dieu n’a pas de pitié? – Oh! ne me donnez que du sel et du pain noir, pourvu que j’aie ma fille et qu’elle me réchauffe comme un soleil! Hélas! Dieu mon Seigneur, je ne suis qu’une vile pécheresse; mais ma fille me rendait pieuse. J’étais pleine de religion pour l’amour d’elle; et je vous voyais à travers son sourire comme par une ouverture du ciel. – Oh! que je puisse seulement une fois, encore une fois, une seule fois, chausser ce soulier à son joli petit pied rose, et je meurs, bonne Vierge, en vous bénissant! – Ah! quinze ans! elle serait grande maintenant! – Malheureuse enfant! quoi! c’est donc bien vrai, je ne la reverrai plus, pas même dans le ciel! car, moi, je n’irai pas. Oh quelle misère! dire que voilà son soulier, et que c’est tout!»

La malheureuse s’était jetée sur ce soulier, sa consolation et son désespoir depuis tant d’années, et ses entrailles se déchiraient en sanglots comme le premier jour. Car pour une mère qui a perdu son enfant, c’est toujours le premier jour. Cette douleur-là ne vieillit pas. Les habits de deuil ont beau s’user et blanchir: le cœur reste noir.

En ce moment, de fraîches et joyeuses voix d’enfants passèrent devant la cellule. Toutes les fois que des enfants frappaient sa vue ou son oreille, la pauvre mère se précipitait dans l’angle le plus sombre de son sépulcre, et l’on eût dit qu’elle cherchait à plonger sa tête dans la pierre pour ne pas les entendre. Cette fois, au contraire, elle se dressa comme en sursaut, et écouta avidement. Un des petits garçons venait de dire: «C’est qu’on va pendre une égyptienne aujourd’hui.»

Avec le brusque soubresaut de cette araignée que nous avons vue se jeter sur une mouche au tremblement de sa toile, elle courut à sa lucarne, qui donnait, comme on sait, sur la place de Grève. En effet, une échelle était dressée près du gibet permanent, et le maître des basses-œuvres s’occupait d’en rajuster les chaînes rouillées par la pluie. Il y avait quelque peuple alentour.

Le groupe rieur des enfants était déjà loin. La sachette chercha des yeux un passant qu’elle pût interroger. Elle avisa, tout à côté de sa loge, un prêtre qui faisait semblant de lire dans le bréviaire public, mais qui était beaucoup moins occupé du lettrain de fer treillissé que du gibet, vers lequel il jetait de temps à autre un sombre et farouche coup d’œil. Elle reconnut monsieur l’archidiacre de Josas, un saint homme.

 

«Mon père, demanda-t-elle, qui va-t-on pendre là?»

Le prêtre la regarda et ne répondit pas; elle répéta sa question. Alors il dit: «Je ne sais pas.

– Il y avait là des enfants qui disaient que c’était une égyptienne, reprit la recluse.

– Je crois qu’oui», dit le prêtre.

Alors Paquette la Chantefleurie éclata d’un rire d’hyène.

«Ma sœur, dit l’archidiacre, vous haïssez donc bien les égyptiennes?

– Si je les hais? s’écria la recluse; ce sont des stryges! des voleuses d’enfants! Elles m’ont dévoré ma petite fille! mon enfant, mon unique enfant! Je n’ai plus de cœur. Elles me l’ont mangé!»

Elle était effrayante. Le prêtre la regardait froidement.

«Il y en a une surtout que je hais, et que j’ai maudite, reprit-elle; c’en est une jeune, qui a l’âge que ma fille aurait, si sa mère ne m’avait pas mangé ma fille. Chaque fois que cette jeune vipère passe devant ma cellule, elle me bouleverse le sang!

– Eh bien! ma sœur, réjouissez-vous, dit le prêtre, glacial comme une statue de sépulcre, c’est celle-là que vous allez voir mourir.»

Sa tête tomba sur sa poitrine, et il s’éloigna lentement.

La recluse se tordit les bras de joie.

«Je le lui avait prédit, qu’elle y monterait! Merci, prêtre!» cria-t-elle.

Et elle se mit à se promener à grands pas devant les barreaux de sa lucarne, échevelée, l’œil flamboyant, heurtant le mur de son épaule, avec l’air fauve d’une louve en cage qui a faim depuis longtemps et qui sent approcher l’heure du repas.

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