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Notre Dame de Paris

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II. SUITE DE L’ÉCU CHANGÉ EN FEUILLE SÈCHE

Après quelques degrés montés et descendus dans des couloirs si sombres qu’on les éclairait de lampes en plein jour, la Esmeralda, toujours entourée de son lugubre cortège, fut poussée par les sergents du palais dans une chambre sinistre. Cette chambre, de forme ronde, occupait le rez-de-chaussée de l’une de ces grosses tours qui percent encore, dans notre siècle, la couche d’édifices modernes dont le nouveau Paris a recouvert l’ancien. Pas de fenêtre à ce caveau, pas d’autre ouverture que l’entrée, basse et battue d’une énorme porte de fer. La clarté cependant n’y manquait point. Un four était pratiqué dans l’épaisseur du mur. Un gros feu y était allumé, qui remplissait le caveau de ses rouges réverbérations, et dépouillait de tout rayonnement une misérable chandelle posée dans un coin. La herse de fer qui servait à fermer le four, levée en ce moment, ne laissait voir, à l’orifice du soupirail flamboyant sur le mur ténébreux, que l’extrémité inférieure de ses barreaux, comme une rangée de dents noires, aiguës et espacées, ce qui faisait ressembler la fournaise à l’une de ces bouches de dragons qui jettent des flammes dans les légendes. À la lumière qui s’en échappait, la prisonnière vit tout autour de la chambre des instruments effroyables dont elle ne comprenait pas l’usage. Au milieu gisait un matelas de cuir presque posé à terre, sur lequel pendait une courroie à boucle, rattachée à un anneau de cuivre que mordait un monstre camard sculpté dans la clef de la voûte. Des tenailles, des pinces, de larges fers de charrue, encombraient l’intérieur du four et rougissaient pêle-mêle sur la braise. La sanglante lueur de la fournaise n’éclairait dans toute la chambre qu’un fouillis de choses horribles.

Ce tartare s’appelait simplement la chambre de la question.

Sur le lit était nonchalamment assis Pierrat Torterue, le tourmenteur-juré. Ses valets, deux gnomes à face carrée, à tablier de cuir, à brayes de toile, remuaient la ferraille sur les charbons.

La pauvre fille avait eu beau recueillir son courage. En pénétrant dans cette chambre, elle eut horreur.

Les sergents du bailli du Palais se rangèrent d’un côté, les prêtres de l’officialité de l’autre. Un greffier, une écritoire et une table étaient dans un coin. Maître Jacques Charmolue s’approcha de l’égyptienne avec un sourire très doux.

«Ma chère enfant, dit-il, vous persistez donc à nier?

– Oui, répondit-elle d’une voix déjà éteinte.

– En ce cas, reprit Charmolue, il sera bien douloureux pour nous de vous questionner avec plus d’instance que nous ne le voudrions. – Veuillez prendre la peine de vous asseoir sur ce lit. – Maître Pierrat, faites place à madamoiselle, et fermez la porte.»

Pierrat se leva avec un grognement.

«Si je ferme la porte, murmura-t-il, mon feu va s’éteindre.

– Eh bien, mon cher, repartit Charmolue, laissez-la ouverte.»

Cependant la Esmeralda restait debout. Ce lit de cuir, où s’étaient tordus tant de misérables, l’épouvantait. La terreur lui glaçait la moelle des os. Elle était là, effarée et stupide. À un signe de Charmolue, les deux valets la prirent et la posèrent assise sur le lit. Ils ne lui firent aucun mal, mais quand ces hommes la touchèrent, quand ce cuir la toucha, elle sentit tout son sang refluer vers son cœur. Elle jeta un regard égaré autour de la chambre. Il lui sembla voir se mouvoir et marcher de toutes parts vers elle, pour lui grimper le long du corps et la mordre et la pincer, tous ces difformes outils de la torture, qui étaient, parmi les instruments de tout genre qu’elle avait vus jusqu’alors, ce que sont les chauves-souris, les mille-pieds et les araignées parmi les insectes et les oiseaux.

«Où est le médecin? demanda Charmolue.

– Ici», répondit une robe noire qu’elle n’avait pas encore aperçue.

Elle frissonna.

«Madamoiselle, reprit la voix caressante du procureur en cour d’église, pour la troisième fois persistez-vous à nier les faits dont vous êtes accusée?»

Cette fois elle ne put que faire un signe de tête. La voix lui manqua.

«Vous persistez? dit Jacques Charmolue. Alors, j’en suis désespéré, mais il faut que je remplisse le devoir de mon office.

– Monsieur le procureur du roi, dit brusquement Pierrat, par où commencerons-nous?»

Charmolue hésita un moment avec la grimace ambiguë d’un poète qui cherche une rime.

«Par le brodequin», dit-il enfin.

L’infortunée se sentit si profondément abandonnée de Dieu et des hommes que sa tête tomba sur sa poitrine comme une chose inerte qui n’a pas de force en soi.

Le tourmenteur et le médecin s’approchèrent d’elle à la fois. En même temps, les deux valets se mirent à fouiller dans leur hideux arsenal.

Au cliquetis de ces affreuses ferrailles, la malheureuse enfant tressaillit comme une grenouille morte qu’on galvanise. «Oh! murmura-t-elle, si bas que nul ne l’entendit, ô mon Phœbus!» Puis elle se replongea dans son immobilité et dans son silence de marbre. Ce spectacle eût déchiré tout autre cœur que des cœurs de juges. On eût dit une pauvre âme pécheresse questionnée par Satan sous l’écarlate guichet de l’enfer. Le misérable corps auquel allait se cramponner cette effroyable fourmilière de scies, de roues et de chevalets, l’être qu’allaient manier ces âpres mains de bourreaux et de tenailles, c’était donc cette douce, blanche et fragile créature. Pauvre grain de mil que la justice humaine donnait à moudre aux épouvantables meules de la torture!

Cependant les mains calleuses des valets de Pierrat Torterue avaient brutalement mis à nu cette jambe charmante, ce petit pied qui avaient tant de fois émerveillé les passants de leur gentillesse et de leur beauté dans les carrefours de Paris.

«C’est dommage!» grommela le tourmenteur en considérant ces formes si gracieuses et si délicates. Si l’archidiacre eût été présent, certes, il se fût souvenu en ce moment de son symbole de l’araignée et de la mouche.

Bientôt la malheureuse vit, à travers un nuage qui se répandait sur ses yeux, approcher le brodequin, bientôt elle vit son pied emboîté entre les ais ferrés disparaître sous l’effrayant appareil. Alors la terreur lui rendit de la force. «Ôtez-moi cela!» cria-t-elle avec emportement. Et, se dressant tout échevelée: «Grâce!»

Elle s’élança hors du lit pour se jeter aux pieds du procureur du roi, mais sa jambe était prise dans le lourd bloc de chêne et de ferrures, et elle s’affaissa sur le brodequin, plus brisée qu’une abeille qui aurait un plomb sur l’aile.

À un signe de Charmolue, on la replaça sur le lit, et deux grosses mains assujettirent à sa fine ceinture la courroie qui pendait de la voûte.

«Une dernière fois, avouez-vous les faits de la cause?» demanda Charmolue avec son imperturbable bénignité.

– Je suis innocente.

– Alors, madamoiselle, comment expliquez-vous les circonstances à votre charge?

– Hélas, monseigneur! je ne sais.

– Vous niez donc?

– Tout!

– Faites», dit Charmolue à Pierrat.

Pierrat tourna la poignée du cric, le brodequin se resserra, et la malheureuse poussa un de ces horribles cris qui n’ont d’orthographe dans aucune langue humaine.

«Arrêtez, dit Charmolue à Pierrat. – Avouez-vous? dit-il à l’égyptienne.

– Tout! cria la misérable fille. J’avoue! j’avoue! grâce!»

Elle n’avait pas calculé ses forces en affrontant la question. Pauvre enfant dont la vie jusqu’alors avait été si joyeuse, si suave, si douce, la première douleur l’avait vaincue.

«L’humanité m’oblige à vous dire, observa le procureur du roi, qu’en avouant c’est la mort que vous devez attendre.

– Je l’espère bien», dit-elle. Et elle retomba sur le lit de cuir, mourante, pliée en deux, se laissant pendre à la courroie bouclée sur sa poitrine.

«Sus, ma belle, soutenez-vous un peu, dit maître Pierrat en la relevant. Vous avez l’air du mouton d’or qui est au cou de monsieur de Bourgogne.»

Jacques Charmolue éleva la voix.

«Greffier, écrivez. – Jeune fille bohème, vous avouez votre participation aux agapes, sabbats et maléfices de l’enfer, avec les larves, les masques et les stryges? Répondez.

– Oui, dit-elle, si bas que sa parole se perdait dans son souffle.

– Vous avouez avoir vu le bélier que Belzébuth fait paraître dans les nuées pour rassembler le sabbat, et qui n’est vu que des sorciers?

– Oui.

– Vous confessez avoir adoré les têtes de Bophomet, ces abominables idoles des templiers?

– Oui.

– Avoir eu commerce habituel avec le diable sous la forme d’une chèvre familière, jointe au procès?

– Oui.

– Enfin, vous avouez et confessez avoir, à l’aide du démon, et du fantôme vulgairement appelé le moine bourru, dans la nuit du vingt-neuvième mars dernier, meurtri et assassiné un capitaine nommé Phœbus de Châteaupers?»

Elle leva sur le magistrat ses grands yeux fixes, et répondit comme machinalement, sans convulsion et sans secousse: «Oui.» Il était évident que tout était brisé en elle.

«Écrivez, greffier», dit Charmolue. Et s’adressant aux tortionnaires: «Qu’on détache la prisonnière, et qu’on la ramène à l’audience.»

Quand la prisonnière fut déchaussée, le procureur en cour d’église examina son pied encore engourdi par la douleur.

«Allons! dit-il, il n’y a pas grand mal. Vous avez crié à temps. Vous pourriez encore danser, la belle!»

Puis il se tourna vers ses acolytes de l’officialité. «Voilà enfin la justice éclairée! Cela soulage, messieurs! Madamoiselle nous rendra ce témoignage, que nous avons agi avec toute la douceur possible.»

III. FIN DE L’ÉCU CHANGÉ EN FEUILLE SÈCHE

Quand elle rentra, pâle et boitant, dans la salle d’audience, un murmure général de plaisir l’accueillit. De la part de l’auditoire, c’était ce sentiment d’impatience satisfaite qu’on éprouve au théâtre à l’expiration du dernier entracte de la comédie, lorsque la toile se relève et que la fin va commencer. De la part des juges, c’était espoir de bientôt souper. La petite chèvre aussi bêla de joie. Elle voulut courir vers sa maîtresse, mais on l’avait attachée au banc.

 

La nuit était tout à fait venue. Les chandelles, dont on n’avait pas augmenté le nombre, jetaient si peu de lumière qu’on ne voyait pas les murs de la salle. Les ténèbres y enveloppaient tous les objets d’une sorte de brume. Quelques faces apathiques de juges y ressortaient à peine. Vis-à-vis d’eux, à l’extrémité de la longue salle, ils pouvaient voir un point de blancheur vague se détacher sur le fond sombre. C’était l’accusée.

Elle s’était traînée à sa place. Quand Charmolue se fut installé magistralement à la sienne, il s’assit, puis se releva, et dit, sans laisser percer trop de vanité de son succès: «L’accusée a tout avoué.

– Fille bohème, reprit le président, vous avez avoué tous vos faits de magie, de prostitution et d’assassinat sur Phœbus de Châteaupers?»

Son cœur se serra. On l’entendit sangloter dans l’ombre.

«Tout ce que vous voudrez, répondit-elle faiblement, mais tuez-moi vite!

– Monsieur le procureur du roi en cour d’église, dit le président, la chambre est prête à vous entendre en vos réquisitions.»

Maître Charmolue exhiba un effrayant cahier, et se mit à lire avec force gestes et l’accentuation exagérée de la plaidoirie une oraison en latin où toutes les preuves du procès s’échafaudaient sur des périphrases cicéroniennes flanquées de citations de Plaute, son comique favori. Nous regrettons de ne pouvoir offrir à nos lecteurs ce morceau remarquable. L’orateur le débitait avec une action merveilleuse. Il n’avait pas achevé l’exorde, que déjà la sueur lui sortait du front et les yeux de la tête.

Tout à coup, au beau milieu d’une période, il s’interrompit, et son regard, d’ordinaire assez doux et même assez bête, devint foudroyant.

«Messieurs, s’écria-t-il (cette fois en français, car ce n’était pas dans le cahier), Satan est tellement mêlé dans cette affaire que le voilà qui assiste à nos débats et fait singerie de leur majesté. Voyez!»

En parlant ainsi, il désignait de la main la petite chèvre, qui, voyant gesticuler Charmolue, avait cru en effet qu’il était à propos d’en faire autant, et s’était assise sur le derrière, reproduisant de son mieux, avec ses pattes de devant et sa tête barbue, la pantomime pathétique du procureur du roi en cour d’église. C’était, si l’on s’en souvient, un de ses plus gentils talents. Cet incident, cette dernière preuve, fit grand effet. On lia les pattes à la chèvre, et le procureur du roi reprit le fil de son éloquence.

Cela fut très long, mais la péroraison était admirable. En voici la dernière phrase; qu’on y ajoute la voix enrouée et le geste essoufflé de maître Charmolue:

«Ideo, Domni, coram stryga demonstrata, crimine patente, intentione criminis existente, in nomine sanctæ ecclesiæ Nostræ-Dominæ Parisiensis, quæ est in saisina habendi omnimodam altam et bassam justitiam in illa hac intemerata Civitatis insula, tenore præsentium declaramus nos requirere, primo, aliquandam pecuniarium indemnitatem; secundo, amendationem honorabilem ante portalium maximum Nostræ-Dominæ, ecclesia cathedralis; tertio, sententiam in virtute cujus ista stryga cum sua capella, seu in trivio vulgariter dicto la Grève, seu in insula exeunte in fluvio Sequanæ, juxta pointam jardini regalis, executatæ sint[105]!»

Il remit son bonnet, et se rassit.

«Eheu! soupira Gringoire navré, bassa latinitas[106]!»

Un autre homme en robe noire se leva près de l’accusée. C’était son avocat. Les juges, à jeun, commencèrent à murmurer.

«Avocat, soyez bref, dit le président.

– Monsieur le président, répondit l’avocat, puisque la défenderesse a confessé le crime, je n’ai plus qu’un mot à dire à messieurs. Voici un texte de la loi salique: «Si une stryge a mangé un homme, et qu’elle en soit convaincue, elle paiera une amende de huit mille deniers, qui font deux cents sous d’or.» Plaise à la chambre condamner ma cliente à l’amende.

– Texte abrogé, dit l’avocat du roi extraordinaire.

– Nego[107], répliqua l’avocat.

– Aux voix! dit un conseiller; le crime est patent, et il est tard.»

On alla aux voix sans quitter la salle. Les juges opinèrent du bonnet, ils étaient pressés. On voyait leurs têtes chaperonnées se découvrir l’une après l’autre dans l’ombre à la question lugubre que leur adressait tout bas le président. La pauvre accusée avait l’air de les regarder, mais son œil trouble ne voyait plus.

Puis le greffier se mit à écrire; puis il passa au président un long parchemin.

Alors la malheureuse entendit le peuple se remuer, les piques s’entre-choquer et une voix glaciale qui disait:

«Fille bohème, le jour qu’il plaira au roi notre sire, à l’heure de midi, vous serez menée dans un tombereau, en chemise, pieds nus, la corde au cou, devant le grand portail de Notre-Dame, et y ferez amende honorable avec une torche de cire du poids de deux livres à la main, et de là serez menée en place de Grève, où vous serez pendue et étranglée au gibet de la ville; et cette votre chèvre pareillement; et paierez à l’official trois lions d’or, en réparation des crimes, par vous commis et par vous confessés, de sorcellerie, de magie, de luxure et de meurtre sur la personne du sieur Phœbus de Châteaupers, Dieu ait votre âme!

– Oh! c’est un rêve!» murmura-t-elle, et elle sentit de rudes mains qui l’emportaient.

[105] «C’est pourquoi, messieurs, en présence d’une stryge avérée, le crime étant patent, l’intention criminelle évidente, au nom de la sainte église Notre-Dame de Paris, qui est en saisine d’avoir haute et basse justice de toute sorte dans cette île sans tache de la Cité, par la teneur des présentes nous déclarons requérir, premièrement, quelque indemnité pécuniaire, deuxièmement amende honorable devant les grandes portes de Notre-Dame, église cathédrale, troisièmement une sentence en vertu de laquelle cette stryge avec sa chèvre, ou bien sur la place vulgairement dite la Grève, ou bien à la sortie de l’île sur le fleuve de Seine, près de la pointe du jardin du roi, soient exécutées!»

IV. «LASCIATE OGNI SPERANZAI[108]»

Au moyen âge, quand un édifice était complet, il y en avait presque autant dans la terre que dehors. À moins d’être bâtis sur pilotis, comme Notre-Dame, un palais, une forteresse, une église avaient toujours un double fond. Dans les cathédrales, c’était en quelque sorte une autre cathédrale souterraine, basse, obscure, mystérieuse, aveugle et muette, sous la nef supérieure qui regorgeait de lumière et retentissait d’orgues et de cloches jour et nuit; quelquefois c’était un sépulcre. Dans les palais, dans les bastilles, c’était une prison, quelquefois aussi un sépulcre, quelquefois les deux ensemble. Ces puissantes bâtisses, dont nous avons expliqué ailleurs le mode de formation et de végétation, n’avaient pas simplement des fondations, mais, pour ainsi dire, des racines qui s’allaient ramifiant dans le sol en chambres, en galeries, en escaliers comme la construction d’en haut. Ainsi, églises, palais, bastilles avaient de la terre à mi-corps. Les caves d’un édifice étaient un autre édifice où l’on descendait au lieu de monter, et qui appliquait ses étages souterrains sous le monceau d’étages extérieurs du monument, comme ces forêts et ces montagnes qui se renversent dans l’eau miroitante d’un lac au-dessous des forêts et des montagnes du bord.

À la bastille Saint-Antoine, au Palais de Justice de Paris, au Louvre, ces édifices souterrains étaient des prisons. Les étages de ces prisons, en s’enfonçant dans le sol, allaient se rétrécissant et s’assombrissant. C’étaient autant de zones où s’échelonnaient les nuances de l’horreur. Dante n’a rien pu trouver de mieux pour son enfer. Ces entonnoirs de cachots aboutissaient d’ordinaire à un cul de basse-fosse à fond de cuve où Dante a mis Satan, où la société mettait le condamné à mort. Une fois une misérable existence enterrée là, adieu le jour, l’air, la vie, ogni speranza. Elle n’en sortait que pour le gibet ou le bûcher. Quelquefois elle y pourrissait. La justice humaine appelait cela oublier. Entre les hommes et lui, le condamné sentait peser sur sa tête un entassement de pierres et de geôliers, et la prison tout entière, la massive bastille n’était plus qu’une énorme serrure compliquée qui le cadenassait hors du monde vivant.

C’est dans un fond de cuve de ce genre, dans les oubliettes creusées par saint Louis, dans l’in-pace de la Tournelle, qu’on avait, de peur d’évasion sans doute, déposé la Esmeralda condamnée au gibet, avec le colossal Palais de Justice sur la tête. Pauvre mouche qui n’eût pu remuer le moindre de ses moellons!

Certes, la providence et la société avaient été également injustes, un tel luxe de malheur et de torture n’était pas nécessaire pour briser une si frêle créature.

Elle était là, perdue dans les ténèbres, ensevelie, enfouie, murée. Qui l’eût pu voir en cet état, après l’avoir vue rire et danser au soleil, eût frémi. Froide comme la nuit, froide comme la mort, plus un souffle d’air dans ses cheveux, plus un bruit humain à son oreille, plus une lueur de jour dans ses yeux, brisée en deux, écrasée de chaînes, accroupie près d’une cruche et d’un pain sur un peu de paille dans la mare d’eau qui se formait sous elle des suintements du cachot, sans mouvement, presque sans haleine, elle n’en était même plus à souffrir. Phœbus, le soleil, midi, le grand air, les rues de Paris, les danses aux applaudissements, les doux babillages d’amour avec l’officier, puis le prêtre, la matrulle, le poignard, le sang, la torture, le gibet, tout cela repassait bien encore dans son esprit, tantôt comme une vision chantante et dorée, tantôt comme un cauchemar difforme; mais ce n’était plus qu’une lutte horrible et vague qui se perdait dans les ténèbres, ou qu’une musique lointaine qui se jouait là-haut sur la terre, et qu’on n’entendait plus à la profondeur où la malheureuse était tombée.

Depuis qu’elle était là, elle ne veillait ni ne dormait. Dans cette infortune, dans ce cachot, elle ne pouvait pas plus distinguer la veille du sommeil, le rêve de la réalité, que le jour de la nuit. Tout cela était mêlé, brisé, flottant, répandu confusément dans sa pensée. Elle ne sentait plus, elle ne savait plus, elle ne pensait plus. Tout au plus elle songeait. Jamais créature vivante n’avait été engagée si avant dans le néant.

Ainsi engourdie, gelée, pétrifiée, à peine avait-elle remarqué deux ou trois fois le bruit d’une trappe qui s’était ouverte quelque part au-dessus d’elle, sans même laisser passer un peu de lumière, et par laquelle une main lui avait jeté une croûte de pain noir. C’était pourtant l’unique communication qui lui restât avec les hommes, la visite périodique du geôlier.

Une seule chose occupait encore machinalement son oreille: au-dessus de sa tête l’humidité filtrait à travers les pierres moisies de la voûte, et à intervalles égaux une goutte d’eau s’en détachait. Elle écoutait stupidement le bruit que faisait cette goutte d’eau en tombant dans la mare à côté d’elle.

Cette goutte d’eau tombant dans cette mare, c’était là le seul mouvement qui remuât encore autour d’elle, la seule horloge qui marquât le temps, le seul bruit qui vînt jusqu’à elle de tout le bruit qui se fait sur la surface de la terre.

Pour tout dire, elle sentait aussi de temps en temps, dans ce cloaque de fange et de ténèbres, quelque chose de froid qui lui passait çà et là sur le pied ou sur le bras, et elle frissonnait.

Depuis combien de temps y était-elle, elle ne le savait. Elle avait souvenir d’un arrêt de mort prononcé quelque part contre quelqu’un, puis qu’on l’avait emportée, elle, et qu’elle s’était réveillée dans la nuit et dans le silence, glacée. Elle s’était traînée sur les mains, alors des anneaux de fer lui avaient coupé la cheville du pied, et des chaînes avaient sonné. Elle avait reconnu que tout était muraille autour d’elle, qu’il y avait au-dessous d’elle une dalle couverte d’eau et une botte de paille. Mais ni lampe, ni soupirail. Alors, elle s’était assise sur cette paille, et quelquefois, pour changer de posture, sur la dernière marche d’un degré de pierre qu’il y avait dans son cachot.

Un moment, elle avait essayé de compter les noires minutes que lui mesurait la goutte d’eau, mais bientôt ce triste travail d’un cerveau malade s’était rompu de lui-même dans sa tête et l’avait laissée dans la stupeur.

Un jour enfin ou une nuit (car minuit et midi avaient même couleur dans ce sépulcre), elle entendit au-dessus d’elle un bruit plus fort que celui que faisait d’ordinaire le guichetier quand il lui apportait son pain et sa cruche. Elle leva la tête, et vit un rayon rougeâtre passer à travers les fentes de l’espèce de porte ou de trappe pratiquée dans la voûte de l’in-pace. En même temps la lourde ferrure cria, la trappe grinça sur ses gonds rouillés, tourna, et elle vit une lanterne, une main et la partie inférieure du corps de deux hommes, la porte étant trop basse pour qu’elle pût apercevoir leurs têtes. La lumière la blessa si vivement qu’elle ferma les yeux.

 

Quand elle les rouvrit, la porte était refermée, le falot était posé sur un degré de l’escalier, un homme, seul, était debout devant elle. Une cagoule noire lui tombait jusqu’aux pieds, un caffardum de même couleur lui cachait le visage. On ne voyait rien de sa personne, ni sa face ni ses mains. C’était un long suaire noir qui se tenait debout, et sous lequel on sentait remuer quelque chose. Elle regarda fixement quelques minutes cette espèce de spectre. Cependant, elle ni lui ne parlaient. On eût dit deux statues qui se confrontaient. Deux choses seulement semblaient vivre dans le caveau; la mèche de la lanterne qui pétillait à cause de l’humidité de l’atmosphère, et la goutte d’eau de la voûte qui coupait cette crépitation irrégulière de son clapotement monotone et faisait trembler la lumière de la lanterne en moires concentriques sur l’eau huileuse de la mare.

Enfin la prisonnière rompit le silence:

«Qui êtes-vous?

– Un prêtre.»

Le mot, l’accent, le son de voix, la firent tressaillir.

Le prêtre poursuivit en articulant sourdement:

«Êtes-vous préparée?

– À quoi?

– À mourir.

– Oh! dit-elle, sera-ce bientôt?

– Demain.»

Sa tête, qui s’était levée avec joie, revint frapper sa poitrine. «C’est encore bien long! murmura-t-elle; qu’est-ce que cela leur faisait, aujourd’hui?

– Vous êtes donc très malheureuse? demanda le prêtre après un silence.

– J’ai bien froid», répondit-elle.

Elle prit ses pieds avec ses mains, geste habituel aux malheureux qui ont froid et que nous avons déjà vu faire à la recluse de la Tour-Roland, et ses dents claquaient.

Le prêtre parut promener de dessous son capuchon ses yeux dans le cachot.

«Sans lumière! sans feu! dans l’eau! c’est horrible!

– Oui, répondit-elle avec l’air étonné que le malheur lui avait donné. Le jour est à tout le monde. Pourquoi ne me donne-t-on que la nuit?

– Savez-vous, reprit le prêtre après un nouveau silence, pourquoi vous êtes ici?

– Je crois que je l’ai su, dit-elle en passant ses doigts maigres sur ses sourcils comme pour aider sa mémoire, mais je ne le sais plus.»

Tout à coup elle se mit à pleurer comme un enfant.

«Je voudrais sortir d’ici, monsieur. J’ai froid, j’ai peur, et il y a des bêtes qui me montent le long du corps.

– Eh bien, suivez-moi.»

En parlant ainsi, le prêtre lui prit le bras. La malheureuse était gelée jusque dans les entrailles, cependant cette main lui fit une impression de froid.

«Oh! murmura-t-elle, c’est la main glacée de la mort. – Qui êtes-vous donc?»

Le prêtre releva son capuchon. Elle regarda. C’était ce visage sinistre qui la poursuivait depuis si longtemps, cette tête de démon qui lui était apparue chez la Falourdel au-dessus de la tête adorée de son Phœbus, cet œil qu’elle avait vu pour la dernière fois briller près d’un poignard.

Cette apparition, toujours si fatale pour elle, et qui l’avait ainsi poussée de malheur en malheur jusqu’au supplice, la tira de son engourdissement. Il lui sembla que l’espèce de voile qui s’était épaissi sur sa mémoire se déchirait. Tous les détails de sa lugubre aventure, depuis la scène nocturne chez la Falourdel jusqu’à sa condamnation à la Tournelle, lui revinrent à la fois dans l’esprit, non pas vagues et confus comme jusqu’alors, mais distincts, crus, tranchés, palpitants, terribles. Ces souvenirs à demi effacés, et presque oblitérés par l’excès de la souffrance, la sombre figure qu’elle avait devant elle les raviva, comme l’approche du feu fait ressortir toutes fraîches sur le papier blanc les lettres invisibles qu’on y a tracées avec de l’encre sympathique. Il lui sembla que toutes les plaies de son cœur se rouvraient et saignaient à la fois.

«Hah! cria-t-elle, les mains sur ses yeux et avec un tremblement convulsif, c’est le prêtre!»

Puis elle laissa tomber ses bras découragés, et resta assise, la tête baissée, l’œil fixé à terre, muette, et continuant de trembler.

Le prêtre la regardait de l’œil d’un milan qui a longtemps plané en rond du plus haut du ciel autour d’une pauvre alouette tapie dans les blés, qui a longtemps rétréci en silence les cercles formidables de son vol, et tout à coup s’est abattu sur sa proie comme la flèche de l’éclair, et la tient pantelante dans sa griffe.

Elle se mit à murmurer tout bas:

«Achevez! achevez! le dernier coup!» Et elle enfonçait sa tête avec terreur entre ses épaules, comme la brebis qui attend le coup de massue du boucher.

«Je vous fais donc horreur?» dit-il enfin.

Elle ne répondit pas.

«Est-ce que je vous fais horreur?» répéta-t-il.

Ses lèvres se contractèrent comme si elle souriait.

«Oui, dit-elle, le bourreau raille le condamné. Voilà des mois qu’il me poursuit, qu’il me menace, qu’il m’épouvante! Sans lui, mon Dieu, que j’étais heureuse! C’est lui qui m’a jetée dans cet abîme! Ô ciel! c’est lui qui a tué… c’est lui qui l’a tué! mon Phœbus!»

Ici, éclatant en sanglots et levant les yeux sur le prêtre:

«Oh! misérable! qui êtes-vous? que vous ai-je fait? vous me haïssez donc bien? Hélas! qu’avez-vous contre moi?

– Je t’aime!» cria le prêtre.

Ses larmes s’arrêtèrent subitement. Elle le regarda avec un regard d’idiot. Lui était tombé à genoux et la couvait d’un œil de flamme.

«Entends-tu? je t’aime! cria-t-il encore.

– Quel amour!» dit la malheureuse en frémissant.

Il reprit:

«L’amour d’un damné.»

Tous deux restèrent quelques minutes silencieux, écrasés sous la pesanteur de leurs émotions, lui insensé, elle stupide.

«Écoute, dit enfin le prêtre, et un calme singulier lui était revenu. Tu vas tout savoir. Je vais te dire ce que jusqu’ici j’ai à peine osé me dire à moi-même, lorsque j’interrogeais furtivement ma conscience à ces heures profondes de la nuit où il y a tant de ténèbres qu’il semble que Dieu ne nous voit plus. Écoute. Avant de te rencontrer, jeune fille, j’étais heureux…

– Et moi! soupira-t-elle faiblement.

– Ne m’interromps pas. – Oui, j’étais heureux, je croyais l’être du moins. J’étais pur, j’avais l’âme pleine d’une clarté limpide. Pas de tête qui s’élevât plus fière et plus radieuse que la mienne. Les prêtres me consultaient sur la chasteté, les docteurs sur la doctrine. Oui, la science était tout pour moi. C’était une sœur, et une sœur me suffisait. Ce n’est pas qu’avec l’âge il ne me fût venu d’autres idées. Plus d’une fois ma chair s’était émue au passage d’une forme de femme. Cette force du sexe et du sang de l’homme que, fol adolescent, j’avais cru étouffer pour la vie, avait plus d’une fois soulevé convulsivement la chaîne des vœux de fer qui me scellent, misérable, aux froides pierres de l’autel. Mais le jeûne, la prière, l’étude, les macérations du cloître, avaient refait l’âme maîtresse du corps. Et puis, j’évitais les femmes. D’ailleurs, je n’avais qu’à ouvrir un livre pour que toutes les impures fumées de mon cerveau s’évanouissent devant la splendeur de la science. En peu de minutes, je sentais fuir au loin les choses épaisses de la terre, et je me retrouvais calme, ébloui et serein en présence du rayonnement tranquille de la vérité éternelle. Tant que le démon n’envoya pour m’attaquer que de vagues ombres de femmes qui passaient éparses sous mes yeux, dans l’église, dans les rues, dans les prés, et qui revenaient à peine dans mes songes, je le vainquis aisément. Hélas! si la victoire ne m’est pas restée, la faute en est à Dieu, qui n’a pas fait l’homme et le démon de force égale. – Écoute. Un jour…»

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