Бесплатно

Notre Dame de Paris

Текст
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

– Faut-il donc s’en aller piteusement comme des laquais de grand-route? dit Clopin. Laisser là notre sœur que ces loups chaperonnés pendront demain!



– Et la sacristie, où il y a des charretées d’or! ajouta un truand dont nous regrettons de ne pas savoir le nom.



– Barbe-Mahom! cria Trouillefou.



– Essayons encore une fois», reprit le truand.



Mathias Hungadi hocha la tête.



«Nous n’entrerons pas par la porte. Il faut trouver le défaut de l’armure de la vieille fée. Un trou, une fausse poterne, une jointure quelconque.



– Qui en est? dit Clopin. J’y retourne. – À propos, où est donc le petit écolier Jehan qui était si enferraillé?



– Il est sans doute mort, répondit quelqu’un. On ne l’entend plus rire.»



Le roi de Thunes fronça le sourcil.



«Tant pis. Il y avait un brave cœur sous cette ferraille. – Et maître Pierre Gringoire?



– Capitaine Clopin, dit Andry le Rouge, il s’est esquivé que nous n’étions encore qu’au Pont-aux-Changeurs.»



Clopin frappa du pied. «Gueule-Dieu! c’est lui qui nous pousse céans, et il nous plante là au beau milieu de la besogne! – Lâche bavard, casqué d’une pantoufle!



– Capitaine Clopin, cria Andry le Rouge, qui regardait dans la rue du Parvis, voilà le petit écolier.



– Loué soit Pluto! dit Clopin. Mais que diable tire-t-il après lui?»



C’était Jehan, en effet, qui accourait aussi vite que le lui permettaient ses lourds habits de paladin et une longue échelle qu’il traînait bravement sur le pavé, plus essoufflé qu’une fourmi attelée à un brin d’herbe vingt fois plus long qu’elle.



«Victoire! Te Deum! criait l’écolier. Voilà l’échelle des déchargeurs du port Saint-Landry.»



Clopin s’approcha de lui.



«Enfant! que veux-tu faire, corne-Dieu! de cette échelle?



– Je l’ai, répondit Jehan haletant. Je savais où elle était. – Sous le hangar de la maison du lieutenant. – Il y a là une fille que je connais, qui me trouve beau comme un Cupido. – Je m’en suis servi pour avoir l’échelle, et j’ai l’échelle, Pasque-Mahom! – La pauvre fille est venue m’ouvrir toute en chemise.



– Oui, dit Clopin, mais que veux-tu faire de cette échelle?»



Jehan le regarda d’un air malin et capable, et fit claquer ses doigts comme des castagnettes. Il était sublime en ce moment. Il avait sur la tête un de ces casques surchargés du quinzième siècle, qui épouvantaient l’ennemi de leurs cimiers chimériques. Le sien était hérissé de dix becs de fer, de sorte que Jehan eût pu disputer la redoutable épithète de SPECIAL_IMAGE-img2.png-REPLACE_ME au navire homérique de Nestor.



«Ce que j’en veux faire, auguste roi de Thunes? Voyez-vous cette rangée de statues qui ont des mines d’imbéciles là-bas au-dessus des trois portails?



– Oui. Eh bien?



– C’est la galerie des rois de France!



– Qu’est-ce que cela me fait? dit Clopin.



– Attendez donc! Il y a au bout de cette galerie une porte qui n’est jamais fermée qu’au loquet, avec cette échelle j’y monte, et je suis dans l’église.



– Enfant, laisse-moi monter le premier.



– Non pas, camarade, c’est à moi l’échelle. Venez, vous serez le second.



– Que Belzébuth t’étrangle! dit le bourru Clopin. Je ne veux être après personne.



– Alors, Clopin, cherche une échelle!»



Jehan se mit à courir par la place, tirant son échelle et criant: «À moi les fils!»



En un instant l’échelle fut dressée et appuyée à la balustrade de la galerie inférieure, au-dessus d’un des portails latéraux. La foule des truands poussant de grandes acclamations se pressa au bas pour y monter. Mais Jehan maintint son droit et posa le premier le pied sur les échelons. Le trajet était assez long. La galerie des rois de France est élevée aujourd’hui d’environ soixante pieds au-dessus du pavé. Les onze marches du perron l’exhaussaient encore. Jehan montait lentement, assez empêché de sa lourde armure, d’une main tenant l’échelon, de l’autre son arbalète. Quand il fut au milieu de l’échelle il jeta un coup d’œil mélancolique sur les pauvres argotiers morts, dont le degré était jonché. «Hélas! dit-il, voilà un monceau de cadavres digne du cinquième chant de l’Iliade!» Puis il continua de monter. Les truands le suivaient. Il y en avait un sur chaque échelon. À voir s’élever en ondulant dans l’ombre cette ligne de dos cuirassés, on eût dit un serpent à écailles d’acier qui se dressait contre l’église. Jehan qui faisait la tête et qui sifflait complétait l’illusion.



L’écolier toucha enfin au balcon de la galerie, et l’enjamba assez lestement aux applaudissements de toute la truanderie. Ainsi maître de la citadelle, il poussa un cri de joie, et tout à coup s’arrêta pétrifié. Il venait d’apercevoir, derrière une statue de roi, Quasimodo caché dans les ténèbres, l’œil étincelant.



Avant qu’un second assiégeant eût pu prendre pied sur la galerie, le formidable bossu sauta à la tête de l’échelle, saisit sans dire une parole le bout des deux montants de ses mains puissantes, les souleva, les éloigna du mur, balança un moment, au milieu des clameurs d’angoisse, la longue et pliante échelle encombrée de truands du haut en bas, et subitement, avec une force surhumaine, rejeta cette grappe d’hommes dans la place. Il y eut un instant où les plus déterminés palpitèrent. L’échelle, lancée en arrière, resta un moment droite et debout et parut hésiter, puis oscilla, puis tout à coup, décrivant un effrayant arc de cercle de quatre-vingts pieds de rayon, s’abattit sur le pavé avec sa charge de bandits plus rapidement qu’un pont-levis dont les chaînes se cassent. Il y eut une immense imprécation, puis tout s’éteignit, et quelques malheureux mutilés se retirèrent en rampant de dessous le monceau de morts.



Une rumeur de douleur et de colère succéda parmi les assiégeants aux premiers cris de triomphe. Quasimodo impassible, les deux coudes appuyés sur la balustrade, regardait. Il avait l’air d’un vieux roi chevelu à sa fenêtre.



Jehan Frollo était, lui, dans une situation critique. Il se trouvait dans la galerie avec le redoutable sonneur, seul, séparé de ses compagnons par un mur vertical de quatre-vingts pieds. Pendant que Quasimodo jouait avec l’échelle, l’écolier avait couru à la poterne qu’il croyait ouverte. Point. Le sourd en entrant dans la galerie l’avait fermée derrière lui, Jehan alors s’était caché derrière un roi de pierre, n’osant souffler, et fixant sur le monstrueux bossu une mine effarée, comme cet homme qui, faisant la cour à la femme du gardien d’une ménagerie, alla un soir à un rendez-vous d’amour, se trompa de mur dans son escalade, et se trouva brusquement tête à tête avec un ours blanc.



Dans les premiers moments le sourd ne prit pas garde à lui; mais enfin il tourna la tête et se redressa tout d’un coup. Il venait d’apercevoir l’écolier.



Jehan se prépara à un rude choc, mais le sourd resta immobile; seulement il était tourné vers l’écolier qu’il regardait.



«Ho! ho! dit Jehan, qu’as-tu à me regarder de cet œil borgne et mélancolique?»



Et en parlant ainsi, le jeune drôle apprêtait sournoisement son arbalète.



«Quasimodo! cria-t-il, je vais changer ton surnom. On t’appellera l’aveugle.»



Le coup partit. Le vireton empenné siffla et vint se ficher dans le bras gauche du bossu, Quasimodo ne s’en émut pas plus que d’une égratignure au roi Pharamond. Il porta la main à la sagette, l’arracha de son bras et la brisa tranquillement sur son gros genou. Puis il laissa tomber, plutôt qu’il ne jeta à terre les deux morceaux. Mais Jehan n’eut pas le temps de tirer une seconde fois. La flèche brisée, Quasimodo souffla bruyamment, bondit comme une sauterelle et retomba sur l’écolier, dont l’armure s’aplatit du coup contre la muraille.



Alors dans cette pénombre où flottait la lumière des torches, on entrevit une chose terrible.



Quasimodo avait pris de la main gauche les deux bras de Jehan qui ne se débattait pas, tant il se sentait perdu. De la droite le sourd lui détachait l’une après l’autre, en silence, avec une lenteur sinistre, toutes les pièces de son armure, l’épée, les poignards, le casque, la cuirasse, les brassards. On eût dit un singe qui épluche une noix. Quasimodo jetait à ses pieds, morceau à morceau, la coquille de fer de l’écolier.



Quand l’écolier se vit désarmé, déshabillé, faible et nu dans ces redoutables mains, il n’essaya pas de parler à ce sourd, mais il se mit à lui rire effrontément au visage, et à chanter, avec son intrépide insouciance d’enfant de seize ans, la chanson alors populaire:





Elle est bien habillée,

La ville de Cambrai.

Marafin l’a pillée…



Il n’acheva pas. On vit Quasimodo debout sur le parapet de la galerie, qui d’une seule main tenait l’écolier par les pieds, en le faisant tourner sur l’abîme comme une fronde. Puis on entendit un bruit comme celui d’une boîte osseuse qui éclate contre un mur, et l’on vit tomber quelque chose qui s’arrêta au tiers de la chute à une saillie de l’architecture. C’était un corps mort qui resta accroché là, plié en deux, les reins brisés, le crâne vide.



Un cri d’horreur s’éleva parmi les truands. «Vengeance! cria Clopin. – À sac! répondit la multitude. – Assaut! assaut!»



Alors ce fut un hurlement prodigieux où se mêlaient toutes les langues, tous les patois, tous les accents. La mort du pauvre écolier jeta une ardeur furieuse dans cette foule. La honte la prit, et la colère d’avoir été si longtemps tenue en échec devant une église par un bossu. La rage trouva des échelles, multiplia les torches, et au bout de quelques minutes Quasimodo éperdu vit cette épouvantable fourmilière monter de toutes parts à l’assaut de Notre-Dame. Ceux qui n’avaient pas d’échelles avaient des cordes à nœuds, ceux qui n’avaient pas de cordes grimpaient aux reliefs des sculptures. Ils se pendaient aux guenilles les uns des autres. Aucun moyen de résister à cette marée ascendante de faces épouvantables. La fureur faisait rutiler ces figures farouches; leurs fronts terreux ruisselaient de sueur; leurs yeux éclairaient. Toutes ces grimaces, toutes ces laideurs investissaient Quasimodo. On eût dit que quelque autre église avait envoyé à l’assaut de Notre-Dame ses gorgones, ses dogues, ses drées, ses démons, ses sculptures les plus fantastiques. C’était comme une couche de monstres vivants sur les monstres de pierre de la façade.

 



Cependant, la place s’était étoilée de mille torches. Cette scène désordonnée, jusqu’alors enfouie dans l’obscurité, s’était subitement embrasée de lumière. Le Parvis resplendissait et jetait un rayonnement dans le ciel. Le bûcher allumé sur la haute plate-forme brûlait toujours, et illuminait au loin la ville. L’énorme silhouette des deux tours, développée au loin sur les toits de Paris, faisait dans cette clarté une large échancrure d’ombre. La ville semblait s’être émue. Des tocsins éloignés se plaignaient. Les truands hurlaient, haletaient, juraient, montaient, et Quasimodo, impuissant contre tant d’ennemis, frissonnant pour l’égyptienne, voyant les faces furieuses se rapprocher de plus en plus de sa galerie, demandait un miracle au ciel, et se tordait les bras de désespoir.



V. LE RETRAIT OÙ DIT SES HEURES MONSIEUR LOUIS DE FRANCE

Le lecteur n’a peut-être pas oublié qu’un moment avant d’apercevoir la bande nocturne des truands, Quasimodo, inspectant Paris du haut de son clocher, n’y voyait plus briller qu’une lumière, laquelle étoilait une vitre à l’étage le plus élevé d’un haut et sombre édifice, à côté de la porte Saint-Antoine. Cet édifice, c’était la Bastille. Cette étoile, c’était la chandelle de Louis XI.



Le roi Louis XI était en effet à Paris depuis deux jours. Il devait repartir le surlendemain pour sa citadelle de Montilz-lès-Tours. Il ne faisait jamais que de rares et courtes apparitions dans sa bonne ville de Paris, n’y sentant pas autour de lui assez de trappes, de gibets et d’archers écossais.



Il était venu ce jour-là coucher à la Bastille. La grande chambre de cinq toises carrées qu’il avait au Louvre, avec cheminée chargée de douze grosses bêtes et des treize grands prophètes, et son grand lit de onze pieds sur douze lui agréaient peu. Il se perdait dans toutes ces grandeurs. Ce roi bon bourgeois aimait mieux la Bastille avec une chambrette et une couchette. Et puis la Bastille était plus forte que le Louvre.



Cette chambrette que le roi s’était réservée dans la fameuse prison d’état était encore assez vaste et occupait l’étage le plus élevé d’une tourelle engagée dans le donjon. C’était un réduit de forme ronde, tapissé de nattes en paille luisante, plafonné à poutres rehaussées de fleurs de lys d’étain doré avec les entrevous de couleur, lambrissé à riches boiseries semées de rosettes d’étain blanc et peintes de beau vert-gai, fait d’orpin et de florée fine.



Il n’y avait qu’une fenêtre, une longue ogive treillissée de fil d’archal et de barreaux de fer, d’ailleurs obscurcie de belles vitres coloriées aux armes du roi et de la reine, dont le panneau revenait à vingt-deux sols.



Il n’y avait qu’une entrée, une porte moderne, à cintre surbaissé, garnie d’une tapisserie en dedans, et, au dehors, d’un de ces porches de bois d’Irlande, frêles édifices de menuiserie curieusement ouvrée, qu’on voyait encore en quantité de vieux logis il y a cent cinquante ans. «Quoiqu’ils défigurent et embarrassent les lieux, dit Sauval avec désespoir, nos vieillards pourtant ne s’en veulent point défaire et les conservent en dépit d’un chacun.»



On ne trouvait dans cette chambre rien de ce qui meublait les appartements ordinaires, ni bancs, ni tréteaux, ni formes, ni escabelles communes en forme de caisse, ni belles escabelles soutenues de piliers et de contre-piliers à quatre sols la pièce. On n’y voyait qu’une chaise pliante à bras, fort magnifique: le bois en était peint de roses sur fond rouge, le siège de cordouan vermeil, garni de longues franges de soie et piqué de mille clous d’or. La solitude de cette chaise faisait voir qu’une seule personne avait droit de s’asseoir dans la chambre. À côté de la chaise et tout près de la fenêtre, il y avait une table recouverte d’un tapis à figures d’oiseaux. Sur cette table un gallemard taché d’encre, quelques parchemins, quelques plumes, et un hanap d’argent ciselé. Un peu plus loin, un chauffe-doux, un prie-Dieu de velours cramoisi, relevé de bossettes d’or. Enfin au fond un simple lit de damas jaune et incarnat, sans clinquant ni passement; les franges sans façon. C’est ce lit, fameux pour avoir porté le sommeil ou l’insomnie de Louis XI, qu’on pouvait encore contempler, il y a deux cents ans, chez un conseiller d’état, où il a été vu par la vieille Madame Pilou, célèbre dans le Cyrus sous le nom d’Arricidie et de La Morale vivante.



Telle était la chambre qu’on appelait «le retrait où dit ses heures monsieur Louis de France».



Au moment où nous y avons introduit le lecteur, ce retrait était fort obscur. Le couvre-feu était sonné depuis une heure, il faisait nuit, et il n’y avait qu’une vacillante chandelle de cire posée sur la table pour éclairer cinq personnages diversement groupés dans la chambre.



Le premier sur lequel tombait la lumière était un seigneur superbement vêtu d’un haut-de-chausses et d’un justaucorps écarlate rayé d’argent, et d’une casaque à mahoîtres de drap d’or à dessins noirs. Ce splendide costume, où se jouait la lumière, semblait glacé de flamme à tous ses plis. L’homme qui le portait avait sur la poitrine ses armoiries brodées de vives couleurs: un chevron accompagné en pointe d’un daim passant. L’écusson était accosté à droite d’un rameau d’olivier, à gauche d’une corne de daim. Cet homme portait à sa ceinture une riche dague dont la poignée de vermeil était ciselée en forme de cimier et surmontée d’une couronne comtale. Il avait l’air mauvais, la mine fière et la tête haute. Au premier coup d’œil on voyait sur son visage l’arrogance, au second la ruse.



Il se tenait tête nue, une longue pancarte à la main, derrière la chaise à bras sur laquelle était assis, le corps disgracieusement plié en deux, les genoux chevauchant l’un sur l’autre, le coude sur la table, un personnage fort mal accoutré. Qu’on se figure en effet, sur l’opulent cuir de Cordoue, deux rotules cagneuses, deux cuisses maigres pauvrement habillées d’un tricot de laine noire, un torse enveloppé d’un surtout de futaine avec une fourrure dont on voyait moins de poil que de cuir; enfin, pour couronner un vieux chapeau gras du plus méchant drap noir bordé d’un cordon circulaire de figurines de plomb. Voilà, avec une sale calotte qui laissait à peine passer un cheveu, tout ce qu’on distinguait du personnage assis. Il tenait sa tête tellement courbée sur sa poitrine qu’on n’apercevait rien de son visage recouvert d’ombre, si ce n’est le bout de son nez sur lequel tombait un rayon de lumière, et qui devait être long. À la maigreur de sa main ridée on devinait un vieillard. C’était Louis XI.



À quelque distance derrière eux causaient à voix basse deux hommes vêtus à la coupe flamande, qui n’étaient pas assez perdus dans l’ombre pour que quelqu’un de ceux qui avaient assisté à la représentation du mystère de Gringoire n’eût pu reconnaître en eux deux des principaux envoyés flamands, Guillaume Rym, le sagace pensionnaire de Gand, et Jacques Coppenole, le populaire chaussetier. On se souvient que ces deux hommes étaient mêlés à la politique secrète de Louis XI.



Enfin, tout au fond, près de la porte, se tenait debout dans l’obscurité, immobile comme une statue, un vigoureux homme à membres trapus, à harnois militaire, à casaque armoriée, dont la face carrée, percée d’yeux à fleur de tête, fendue d’une immense bouche, dérobant ses oreilles sous deux larges abat-vent de cheveux plats, sans front, tenait à la fois du chien et du tigre.



Tous étaient découverts, excepté le roi.



Le seigneur qui était auprès du roi lui faisait lecture d’une espèce de long mémoire que Sa Majesté semblait écouter avec attention. Les deux flamands chuchotaient.



«Croix-Dieu! grommelait Coppenole, je suis las d’être debout. Est-ce qu’il n’y a pas de chaise ici?»



Rym répondait par un geste négatif, accompagné d’un sourire discret.



«Croix-Dieu! reprenait Coppenole tout malheureux d’être obligé de baisser ainsi la voix, l’envie me démange de m’asseoir à terre, jambes croisées, en chaussetier, comme je fais dans ma boutique.



– Gardez-vous-en bien, maître Jacques!



– Ouais! maître Guillaume! ici l’on ne peut donc être que sur les pieds?



– Ou sur les genoux», dit Rym.



En ce moment la voix du roi s’éleva. Ils se turent.



«Cinquante sols les robes de nos valets, et douze livres les manteaux des clercs de notre couronne! C’est cela! versez l’or à tonnes! Êtes-vous fou, Olivier?»



En parlant ainsi, le vieillard avait levé la tête. On voyait reluire à son cou les coquilles d’or du collier de Saint-Michel. La chandelle éclairait en plein son profil décharné et morose. Il arracha le papier des mains de l’autre.



«Vous nous ruinez! cria-t-il en promenant ses yeux creux sur le cahier. Qu’est-ce que tout cela? qu’avons-nous besoin d’une si prodigieuse maison? Deux chapelains à raison de dix livres par mois chacun, et un clerc de chapelle à cent sols! Un valet de chambre à quatre-vingt-dix livres par an! Quatre écuyers de cuisine à six vingts livres par an chacun! Un hasteur, un potager, un saussier, un queux, un sommelier d’armures, deux valets de sommiers à raison de dix livres par mois chaque! Deux galopins de cuisine à huit livres! Un palefrenier et ses deux aides à vingt-quatre livres par mois! Un porteur, un pâtissier, un boulanger, deux charretiers, chacun soixante livres par an! Et le maréchal des forges, six vingts livres! Et le maître de la chambre de nos deniers, douze cents livres, et le contrôleur, cinq cents! – Que sais-je, moi? C’est une furie! Les gages de nos domestiques mettent la France au pillage! Tous les mugots du Louvre fondront à un tel feu de dépense! Nous y vendrons nos vaisselles! Et l’an prochain, si Dieu et Notre-Dame (ici il souleva son chapeau) nous prêtent vie, nous boirons nos tisanes dans un pot d’étain!»



En disant cela, il jetait un coup d’œil sur le hanap d’argent qui étincelait sur la table. Il toussa, et poursuivit:



«Maître Olivier, les princes qui règnent aux grandes seigneuries, comme rois et empereurs, ne doivent pas laisser engendrer la somptuosité en leurs maisons; car de là ce feu court par la province. – Donc, maître Olivier, tiens-toi ceci pour dit. Notre dépense augmente tous les ans. La chose nous déplaît. Comment, pasque-Dieu! jusqu’en 79 elle n’a point passé trente-six mille livres. En 80, elle a atteint quarante-trois mille six cent dix-neuf livres, – j’ai le chiffre en tête, – en 81, soixante-six mille six cent quatre-vingts livres; et cette année, par la foi de mon corps! elle atteindra quatre-vingt mille livres! Doublée en quatre ans! Monstrueux!»



Il s’arrêta essoufflé, puis il reprit avec emportement: «Je ne vois autour de moi que gens qui s’engraissent de ma maigreur! Vous me sucez des écus par tous les pores!»



Tous gardaient le silence. C’était une de ces colères qu’on laisse aller. Il continua:



«C’est comme cette requête en latin de la seigneurie de France, pour que nous ayons à rétablir ce qu’ils appellent les grandes charges de la couronne! Charges en effet! charges qui écrasent! Ah! messieurs! vous dites que nous ne sommes pas un roi, pour régner dapifero nullo, buticulario nullo! Nous vous le ferons voir, pasque-Dieu! si nous ne sommes pas un roi!»



Ici il sourit dans le sentiment de sa puissance, sa mauvaise humeur s’en adoucit, et il se tourna vers les flamands:



«Voyez-vous, compère Guillaume? le grand panetier, le grand bouteillier, le grand chambellan, le grand sénéchal ne valent pas le moindre valet. – Retenez ceci, compère Coppenole; – ils ne servent à rien. À se tenir ainsi inutiles autour du roi, ils me font l’effet des quatre évangélistes qui environnent le cadran de la grande horloge du Palais, et que Philippe Brille vient de remettre à neuf. Ils sont dorés, mais ils ne marquent pas l’heure; et l’aiguille peut se passer d’eux.»



Il demeura un moment pensif, et ajouta en hochant sa vieille tête:



«Ho! Ho! par Notre-Dame, je ne suis pas Philippe Brille, et je ne redorerai pas les grands vassaux. Je suis de l’avis du roi Édouard: sauvez le peuple et tuez les seigneurs. – Continue, Olivier.»



Le personnage qu’il désignait par ce nom reprit le cahier de ses mains, et se remit à lire à haute voix:



«… À Adam Tenon, commis à la garde des sceaux de la prévôté de Paris, pour l’argent, façon et gravure desdits sceaux qui ont été faits neufs pour ce que les autres précédents, pour leur antiquité et caduqueté, ne pouvaient plus bonnement servir. – Douze livres parisis.

 



«À Guillaume Frère, la somme de quatre livres quatre sols parisis, pour ses peines et salaires d’avoir nourri et alimenté les colombes des deux colombiers de l’Hôtel des Tournelles, durant les mois de janvier, février et mars de cette année; et pour ce a donné sept sextiers d’orge.



«À un cordelier, pour confession d’un criminel, quatre sols parisis.»



Le roi écoutait en silence. De temps en temps il toussait. Alors il portait le hanap à ses lèvres et buvait une gorgée en faisant une grimace.



«En cette année ont été faits par ordonnance de justice à son de trompe par les carrefours de Paris cinquante-six cris. – Compte à régler.



«Pour avoir fouillé et cherché en certains endroits, tant dans Paris qu’ailleurs, de la finance qu’on disait y avoir été cachée, mais rien n’y a été trouvé; – quarante-cinq livres parisis.»



– Enterrer un écu pour déterrer un sou! dit le roi.



– … Pour avoir mis à point, à l’Hôtel des Tournelles, six panneaux de verre blanc à l’endroit où est la cage de fer, treize sols. – Pour avoir fait et livré, par le commandement du roi, le jour des monstres, quatre écussons aux armes dudit seigneur, enchapessés de chapeaux de roses tout à l’entour, six livres. – Pour deux manches neuves au vieil pourpoint du roi, vingt sols. – Pour une boîte de graisse à graisser les bottes du roi, quinze deniers. – Une étable faite de neuf pour loger les pourceaux noirs du roi, trente livres parisis. – Plusieurs cloisons, planches et trappes faites pour enfermer les lions d’emprès Saint-Paul, vingt-deux livres.



– Voilà des bêtes qui sont chères, dit Louis XI. N’importe! c’est une belle magnificence de roi. Il y a un grand lion roux que j’aime pour ses gentillesses. – L’avez-vous vu, maître Guillaume? – Il faut que les princes aient de ces animaux mirifiques. À nous autres rois, nos chiens doivent être des lions, et nos chats des tigres. Le grand va aux couronnes. Du temps des païens de Jupiter, quand le peuple offrait aux églises cent bœufs et cent brebis, les empereurs donnaient cent lions et cent aigles. Cela était farouche et fort beau. Les rois de France ont toujours eu de ces rugissements autour de leur trône. Néanmoins on me rendra cette justice que j’y dépense encore moins d’argent qu’eux, et que j’ai une plus grande modestie de lions, d’ours, d’éléphants et de léopards. – Allez, maître Olivier. Nous voulions dire cela à nos amis les Flamands.»



Guillaume Rym s’inclina profondément, tandis que Coppenole, avec sa mine bourrue, avait l’air d’un de ces ours dont parlait Sa Majesté. Le roi n’y prit pas garde. Il venait de tremper ses lèvres dans le hanap, et recrachait le breuvage en disant: «Pouah! la fâcheuse tisane!» Celui qui lisait continua:



«Pour nourriture d’un maraud piéton enverrouillé depuis six mois dans la logette de l’écorcherie, en attendant qu’on sache qu’en faire. – Six livres quatre sols.



– Qu’est cela? interrompit le roi. Nourrir ce qu’il faut pendre! Pasque-Dieu! je ne donnerai plus un sol pour cette nourriture. – Olivier, entendez-vous de la chose avec monsieur d’Estouteville, et dès ce soir faites-moi le préparatif des noces du galant avec une potence. – Reprenez.»



Olivier fit une marque avec le pouce à l’article du maraud piéton et passa outre.



«À Henriet Cousin, maître exécuteur des hautes œuvres de la justice de Paris, la somme de soixante sols parisis, à lui taxée et ordonnée par monseigneur le prévôt de Paris, pour avoir acheté, de l’ordonnance de mondit sieur le prévôt, une grande épée à feuille servant à exécuter et décapiter les personnes qui par justice sont condamnées pour leurs démérites, et icelle fait garnir de fourreau et de tout ce qui y appartient; et pareillement a fait remettre à point et rhabiller la vieille épée, qui s’était éclatée et ébréchée en faisant la justice de messire Louis de Luxembourg, comme plus à plein peut apparoir…»



Le roi interrompit: «Il suffit. J’ordonnance la somme de grand cœur. Voilà des dépenses où je ne regarde pas. Je n’ai jamais regretté cet argent-là. – Suivez.



– Pour avoir fait de neuf une grande cage…



– Ah! dit le roi en prenant de ses deux mains les bras de sa chaise, je savais bien que j’étais venu en cette Bastille pour quelque chose. – Attendez, maître Olivier. Je veux voir moi-même la cage. Vous m’en lirez le coût pendant que je l’examinerai. – Messieurs les Flamands, venez voir cela. C’est curieux.»



Alors il se leva, s’appuya sur le bras de son interlocuteur, fit signe à l’espèce de muet qui se tenait debout devant la porte de le précéder, aux deux Flamands de le suivre, et sortit de la chambre.



La royale compagnie se recruta, à la porte du retrait, d’hommes d’armes tout alourdis de fer, et de minces pages qui portaient des flambeaux. Elle chemina quelque temps dans l’intérieur du sombre donjon, percé d’escaliers et de corridors jusque dans l’épaisseur des murailles. Le capitaine de la Bastille marchait en tête, et faisait ouvrir les guichets devant le vieux roi malade et voûté, qui toussait en marchant.



À chaque guichet, toutes les têtes étaient obligées de se baisser excepté celle du vieillard plié par l’âge. «Hum! disait-il entre ses gencives, car il n’avait plus de dents, nous sommes déjà tout prêt pour la porte du sépulcre. À porte basse, passant courbé.»



Enfin, après avoir franchi un dernier guichet si embarrassé de serrures qu’on mit un quart d’heure à l’ouvrir, ils entrèrent dans une haute et vaste salle en ogive, au centre de laquelle on distinguait, à la lueur des torches, un gros cube massif de maçonnerie, de fer et de bois. L’intérieur était creux. C’était une des ces fameuses cages à prisonniers d’État qu’on appelait les fillettes du roi. Il y avait aux parois deux ou trois petites fenêtres, si drument treillissées d’épais barreaux de fer qu’on n’en voyait pas la vitre. La porte était une grande dalle de pierre plate, comme aux tombeaux. De ces portes qui ne servent jamais que pour entrer. Seulement, ici, le mort était un vivant.



Le roi se mit à marcher lentement autour du petit édifice en l’examinant avec soin, tandis que maître Olivier qui le suivait lisait tout haut le mémoire:



«Pour avoir fait de neuf une grande cage de bois de grosses solives, membrures et sablières, contenant neuf pieds de long sur huit de lé, et de hauteur sept pieds entre deux planchers, lissée et boujonnée à gros boujons de fer, laquelle a été assise en une chambre étant à l’une des tours de la bastide Saint-Antoine, en laquelle cage est mis et détenu, par commandement du roi notre seigneur, un prisonnier qui habitait précédemment une vieille cage caduque et décrépite. – Ont été employées à cette dite cage neuve quatre-vingt-seize solives de couche et cinquante-deux solives debout, dix sablières de trois toises de long; et ont été occupés dix-neuf charpentiers pour équarrir, ouvrer et tailler tout ledit bois en la cour de la Bastille pendant vingt jours…



– D’assez beaux cœurs de chêne, dit le roi en cognant du poing la charpente.



– … Il est entré dans cette cage, poursuivit l’autre, deux cent vingt gros boujons de fer, de neuf pieds et de huit, le surplus de moyenne longueur, avec les rouelles, pommelles et contre-bandes servant auxdits boujons, pesant tout ledit fer trois mille sept cent trente-cinq livres; outre huit grosses équières de fer servant à attacher ladite cage, avec les crampons et clous pesant ensemble deux cent dix-huit livres de fer, sans compter le fer des treillis des fenêtres de la cham

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»