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Vies des dames galantes

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– Lorsque le roy Charles fit le tour de son royaume, il fut laissé en une bonne ville que je nommerois bien une fille dont venoit d'accoucher une fille de très-bonne maison; si fut donnée en garde à une pauvre femme de ville pour la nourrir et avoir soin d'elle, et luy fut avancé deux cents écus pour la nourriture. La pauvre femme la nourrit et la gouverna si bien, que dans quinze ans elle devint très-belle et s'abandonna; car sa mère oncques puis n'en fit cas, qui dans quatre mois se maria avec un très-grand. Ah! que j'en ai cogneu de tels et telles où l'on n'y a advisé en rien!

– J'ouys une fois, estant en Espagne, conter qu'un grand seigneur d'Andalousie ayant marié une sienne sœur avec un autre fort grand seigneur aussi, au bout de trois jours que le mariage fut consomné il luy dit: «Senor hermano, agora que soys cazado con my hermana, y l'haveys bien godida solo, jo le hago saber que siendo hija, tal y tal gozaron d'ella. De lo passado no tenga cuydado, que poca cosa es. Del futuro guardate, que mas y mucho a vos tota19.» Comme voulant dire que ce qui est fait est fait, il n'en faut plus parler, mais qu'il faut se garder de l'advenir, car il touche plus à l'honneur que le passé.

Il y en a qui sont de cet humeur, ne pensans estre si bien cocus par herbe comme par la gerbe, en quoy il y a de l'apparence.

– J'ay ouy aussi parler d'un grand seigneur estranger, lequel ayant une fille des plus belles du monde, et estant recherchée en mariage d'un autre grand seigneur qui la méritoit bien, luy fut accordée par le père; mais avant qu'il la laissast jamais sortir de la maison, il en voulut taster, disant qu'il ne vouloit laisser si aisément une si belle monture qu'il avoit si curieusement élevée, que premièrement il n'eust monté dessus et sceu ce qu'elle sçauroit faire à l'avenir. Je ne sçay s'il est vray, mais je l'ay ouy dire, et que non seulement luy en fit la preuve, mais bien un autre beau et brave gentilhomme; et pourtant le mary par après n'y trouva rien amer, sinon que tout sucre.

– J'ay ouy parler de mesme de force autres pères, et sur-tout d'un très-grand, à l'endroit de leurs filles, n'en faisant non plus de conscience que le cocq de la fable d'Esope, qui ayant esté rencontré par le renard et menacé qu'il le vouloit faire mourir, donc sur ce le cocq, rapportant tous les biens qu'il faisoit au monde, et surtout de la belle et bonne poulaille qui sortoit de luy: «Ha! dit le renard, c'est-là où je vous veux, monsieur le gallant, car vous estes si paillard que vous ne faites difficulté de monter sur vos filles comme sur d'autres poules;» et pour ce le fit mourir. Voilà un grand justicier et plitiq.

Je vous laisse donc à penser que peuveut faire aucunes filles avec leurs amants; car il n'y eut jamais fille sans avoir ou désirer un amy, et qu'il y en a que les pères, frères, cousins et parents ont fait de mesme.

– De nos temps, Ferdinant, roy de Naples, cogneut ainsi par mariage sa tante, fille du roy de Castille, à l'age de treize à quatorze ans, mais ce fut par dispence du pape. On faisoit lors difficulté si elle se devoit ou pouvoit donner. Cela ressent pourtant son empereur Caligula, qui débauscha et repassa toutes ses sœurs les unes après les autres, par-dessus lesquelles et sur toutes il ayma extresmement la plus jeune, nommée Drusille, qu'estant petit garçon il avoit dépucellée; et puis estant mariée avec un Lucius Cassius Longinus, homme consulaire, il la luy enleva et l'entretint publiquement, comme si ce fust esté sa femme légitime; tellement qu'estant une fois tombé malade, il la fit héritière de tous ses biens, voire de l'empire. Mais elle vint à mourir, qu'il regretta si très-tant, qu'il en fit crier les vacations de la justice et cessation de tous autres œuvres, pour induire le peuple d'en faire avec luy un deuil public, et en porta long-temps longs cheveux et longue barbe; et quand il haranguoit le sénat, le peuple et ses genres de guerre, ne juroit jamais que par le nom de Drusille.

Pour quant à ses autres sœurs, après qu'il en fut saoul, il les prostitua et abandonna à de grands pages qu'il avoit nourrys et cogneus fort vilainement: encor, s'il ne ne leur eust fait aucun mal, passe, puisqu'elles l'avoient accoustumé et que c'estoit un mal plaisant, ainsi que je l'ay veu appeler tel à aucunes filles estant dévirginées et à aucunes femmes prises à force; mais il leur fit mille indignités: il les envoya en exil, il leur osta toutes leurs bagues et joyaux pour en faire de l'argent, ayant brouillé et dépendu fort mal-à-propos tout le grand que Tibère lui avoit laissé; encor les pauvrettes, estants après sa mort retournées d'exil, voyant le corps de leur frère mal et fort pauvrement enterré sous quelques mottes, elles le firent désenterrer, le brusler et enterrer le plus honnestement qu'elles purent: bonté certes grande de sœurs à un frère si ingrat et dénaturé.

L'Italien, pour excuser l'amour illicite de ses proches, dit que quando messer Bernado el bacieco stà in colera, el in sua rabia non riceve lege, et non perdona a nissuna dama.

– Nous avons force exemples des anciens qui en ont fait de mesme. Mais pour revenir à nostre discours, j'ay ouy conter d'un qui ayant marié une belle et honneste demoselle à un sien amy, et se vantant qu'il lui avoit donné une belle et honneste monture, saine, nette, sans sur-ost et sans malandre, comme il dist, et d'autant plus luy estoit obligé, il luy fut respondu par un de la compagnie, qui dit à part à un de ses compagnons: «Tout cela est bon et vray si elle ne fust esté montée et chevauchée trop tost, dont pour cela elle est un peu foulée sur le devant.»

Mais aussi je voudrois bien sçavoir à ces messieurs de marys, que si telles montures bien souvent, n'avoient un si, ou à dire quelque chose en elles, ou quelque deffectuosité ou deffaut ou tare, s'ils en auroient si bon marché, et si elles ne leur cousteroient davantage? Ou bien, si ce n'estoit pour eux, ou en accommoderoit bien d'autres qui le méritent mieux qu'eux, comme ces maquignons qui se défont de leurs chevaux tarez ainsi qu'ils peuvent; mais ceux qui en sçavent les sys, ne s'en pouvant deffaire autrement, les donnent à ces messieurs qui n'en sçavent rien, d'autant (ainsi que j'ay ouy dire à plusieurs pères) que c'est une fort belle défaite que d'une fille tarée, ou qui commence à l'estre, ou a envie et apparence de l'estre.

Que je connois de filles de par le monde qui n'ont pas porté leur pucelage au lict hymenean, mais pourtant qui sont bien instruites de leurs mères, ou autres de leurs parentes et amies, très-sçavantes maquerelles de faire bonne mine à ce premier assaut, et s'aident de divers moyens et inventions avec des subtilitez, pour le faire trouver bon à leurs marys et leur monstrer que jamais il n'y avoit esté fait breche.

La plus grande part s'aident à faire une grande résistance et défence à cette pointe d'assaut, et à faire des opiniastres jusques à l'extrémité, dont il y a aucuns marys qui en sont très-contents, et croyent fermement qu'ils en ont eu tout l'honneur et fait la première pointe, comme braves et déterminez soldats; et en font leurs contes lendemain matin, qu'ils sont crestez comme petits cocqs ou jolets qui ont mangé force millet le soir, à leurs compagnons et amys, et mesme possible à ceux qui ont les premiers entré en la forteresse sans leur sceu, qui en rient à part eux leur saoul, et avec les femmes leurs maistresses, qui se vantent d'avoir bien joué leur jeu et leur avoir donné belle.

Il y a pourtant aucuns marys ombrageux qui prennent mauvais augures de ces résistances, et ne se contentent point de les voir si rebelles; comme un que je sçay, qui, demandant à sa femme pourquoy elle faisoit ainsy de la farouche et de la difficultueuse, et si elle le desdaignoit jusque-là, elle, luy pensant faire son excuse et ne donner la faute à aucun desdain, luy dit qu'elle avoit peur qu'il luy fist mal. Il lui respondit: «Vous l'avez donc esprouvé, car nul mal ne se peut connoistre sans l'avoir enduré?» Mais elle, subtile, le niant, répliqua qu'elle l'avoit ainsi ouy dire à aucunes de ses compagnes qui avoient esté mariées, et l'en avoient ainsi advisée: «Voilà de beaux advis et entretiens,» dit-il.

– Il y a un autre remède que ces femmes s'advisent, qui est de monstrer le lendemain de leurs nopces leur linge teint de gouttes de sang qu'espandent ces pauvres filles à la charge dure de leur despucellement, ainsi que l'on fait en Espagne, qui en monstrent publiquement par la fenestre ledit linge, en criant tout haut: Virgen la tenemos. Nous la tenons pour vierge.

Certes, encore ay-je ouy dire dans Viterbe cette coustume s'y observe tout de mesme: et d'autant que celles qui ont passé premièrement par les picques ne peuvent faire cette monstre par leur propre sang, elles se sont advisées, ainsi que j'ay ouy dire, et que plusieurs courtisanes jeunes à Rome me l'ont assuré elles-mesmes, pour mieux vendre leur virginité, de teindre ledit linge de gouttes de sang de pigeon, qui est le plus propre de tous: et le lendemain le mary le voit, qui en reçoit un extrême contentement, et croit fermement que ce soit du sang virginal de sa femme, et lui semble bien que c'est un gallant, mais il est bien trompé.

Sur quoy je feray ce plaisant conte d'un gentilhomme, lequel ayant eu l'esguillette nouée la première nuict de ses nopces, et la mariée, qui n'estoit pas de ces pucelles très-belles et de bonne part, se doutant bien qu'il dust faire rage, ne faillit, par l'advis de ses bonnes compagnes, matrosnes, parentes et bonnes amies, d'avoir le petit linge teint: mais le malheur fut tel pour elle, que le mary fut tellement noué qu'il ne put rien faire, encore qu'il ne tinst pas à elle à luy en faire la monstre la plus belle et se parer au montoir le mieux qu'elle pouvoit, et au coucher beau jeu, sans faire de la farouche ny nullement de la diablesse, ainsi que les spectateurs, cachés à la mode accoustumée, rapportoient, afin de cacher mieux son pucellage dérobé d'ailleurs; mais il n'y eut rien d'exécuté.

 

Le soir, à la mode accoustumée, le réveillon ayant esté porté, il y eut un quidam qui s'advisa, en faisant la guerre aux nopces, comme on fait communément, de dérober le linge qu'on trouva joliment teint de sang, lequel fust monstré soudain et crié haut en l'assistance qu'elle n'estoit plus vierge, et que c'estoit ce coup que sa membrane virginale avoit esté forcée et rompue: le mary, qui estoit assuré qu'il n'avoit rien fait, mais pourtant qui faisoit du gallant et vaillant champion, demeura fort estonné et ne sceut ce que vouloit dire ce linge teint, si-non qu'après avoir songé assez, se douta de quelque fourbe et astuce putanesques, mais pourtant n'en sonna jamais mot.

La mariée et ses confidentes furent aussi-bien faschées et estournées de quoy le mary avoit fait faux-feu, et que leur affaire ne s'en portoit pas mieux. De rien pourtant n'en fut fait aucun semblant jusques au bout de huict jours, que le mary vint à avoir l'esguillette desnoüée, et fit rage et feu, dont d'aise ne se souvenant de rien, alla publier à toute la compagnie que c'estoit à bon escient qu'il avoit fait preuve de sa vaillance et fait sa femme vraye femme et bien damée; et confessa que jusques alors il avoit esté saisi de toute impuissance: de quoy l'assistance sur ce subject en fit divers discours, et jetta diverses sentences sur la mariée qu'on pensoit estre femme par son linge teinturé; et s'escandalisa ainsi d'elle-mesme, non qu'elle en fust bien cause proprement, mais son mary, qui par sa débolesse, flaquesse et mollitude, se gasta luy-mesme.

– Il y a aucuns marys qui cognoissent aussi à leur première nuict le pucelage de leurs femmes s'ils l'ont conquis oui ou non par la trace qu'ils y trouvent; comme un que je cognois, lequel, ayant espousé une femme en secondes nopces, et luy ayant fait accroire que son premier mary n'y avoit jamais touché par son impuissance, et qu'elle estoit vierge et pucelle aussi bien qu'auparavant estre mariée, néanmoins il la trouva si vaste et si copieuse en amplitude, qu'il se mit à dire: «Hé comment! estes-vous cette pucelle de Marolle, si serrée et si estroite qu'on me disoit! Hé! vous avez un grand empand, et le chemin y est tellement grand et battu que je n'ay garde de m'esgarer.» Si fallut-il qu'il passât par-là et le beust doux comme laict; car si son premier mary n'y avoit point touché comme il estoit vray, il y en avoit bien eu d'autres.

Que dirons-nous d'aucunes mères, qui, voyant l'impuissance de leurs gendres, ou qui ont l'esguillette noüée ou autre défectuosité, sont les maquerelles de leurs filles, et que, pour gaigner leur douaire, s'en font donner à d'autres, et bien souvent engroisser, afin d'avoir les enfants héritiers après la mort du père?

J'en cognois une qui conseilla bien cela à sa fille, et de fait n'y espargna rien; mais le malheur pour elle fut que jamais n'en put avoir. Aussi je cognois un qui, ne pouvant rien faire à sa femme, attira un grand laquais qu'il avoit, beau fils, pour coucher et dépuceler sa femme en dormant, et sauver son honneur par-là; mais elle s'en aperçeut et le laquais n'y fit rien, qui fut cause qu'ils plaidèrent long-temps: finalement ils se démarièrent.

– Le roy Henry de Castille en fit de mesme, lequel, ainsi que raconte Baptista Fulquosius20, voyant qu'il ne pouvoit faire d'enfant à sa femme, il s'aida d'un beau et jeune gentilhomme de sa Cour pour lui en faire, ce qu'il fit; dont pour sa peine il lui fit de grands biens et l'advança en des honneurs, grandeurs et dignitez: ne faut douter si la femme ne l'en ayma et s'en trouva bien. Voilà un bon cocu.

– Pour ces esguilletes noüées, en fut dernièrement un procès en la cour du parlement de Paris, entre le sieur de Bray, trésorier, et sa femme, à qui il ne pouvoit rien faire ayant eu l'esguillette noüée, ou autre défaut, dont la femme, bien marrie, l'en appela en jugement. Il fut ordonné par la Cour qu'ils seroient visitez eux deux par grands médecins experts. Le mary choisit les siens et la femme les siens, dont en fut fait un fort plaisant sonnet à la Cour, qu'une grande dame me list elle-mesme, et me donna ainsi que je disnois avec elle. On disoit qu'une dame l'avoit fait, d'autres un homme. Le sonnet est tel:

SONNET
 
Entre les médecins renommés à Paris
En sçavoir, en espreuve, en science, en doctrine,
Pour juger l'Imparfait de la coulpe androgyne,
Par de Bray et sa femme ont esté sept choisis.
 
 
De Bray a eu pour luy les trois de moindre prix,
Le Court, l'Endormy, Pietre; et sa femme, plus fine,
Les quatre plus experts en l'art de médecine,
Le Grand, le Gros, Duret et Vigoureux a pris.
 
 
On peut par-là juger qui des deux gaignera,
Et si le Grand du Court victorieux sera,
Vigoureux d'Endormy, le Gros, Duret de Pietre.
 
 
Et de Bray n'ayant point ces deux de son costé,
Estant tant imparfait que mary le peut estre,
A faute de bon droit en sera débouté.
 

– J'ay ouy parler d'un autre mary, lequel la première nuict tenant embrassée sa nouvelle espouse, elle se ravit en telle joye et plaisir, que, s'oubliant en elle-mesme, ne se put engarder de faire un petit mobile tordion de remuement non accoustumé de faire aux nouvelles mariées; il ne dit autre chose sinon: «Ah! j'en ay!» et continua sa route. Et voilà nos cocus en herbe, dont j'en sçai une milliasse de contes; mais je n'aurois jamais fait; et le pis que je vois en eux, c'est quand ils espousent la vache et le veau, comme on dit, et qu'ils les prennent toutes grosses.

Comme un que je sçay, qui, s'estant marié avec une fort belle et honneste demoiselle, par la faveur et volonté de leur prince et seigneur, qui aymoit fort ce gentilhomme et la luy avoit fait espouser, au bout de huit jours elle vint à estre cogneuë grosse, aussi elle le publia pour mieux couvrir son jeu. Le prince, qui s'estoit tousjours bien douté de quelques amours entre elle et un autre, lui dit: «Une telle, j'ay bien mis dans mes tablettes le jour et l'heure de vos nopces; quand on les affrontera à celuy et celle de vostre accouchement, vous aurez de la honte.» Mais elle, pour ce dire, n'en fit que rougir un peu, et n'en fut autre chose, si-non qu'elle tenoit toujours mine de dona da ben.

Or il y a d'aucunes filles qui craignent si fort leur père et mère, qu'on leur arracheroit plustot la vie du corps que le boucon puceau, les craignant cent fois plus que leurs marys.

– J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste demoiselle, laquelle, estant fort pourchassée du plaisir d'amour de son serviteur, elle lui respondit: «Attendez un peu que je sois mariée, et vous verrez comme, sous cette courtine de mariage qui cache tout, et ventre enflé et descouvert, nous y ferons à bon escient.»

– Un autre, estant fort recherchée d'un grand, elle luy dit: «Sollicitez un peu nostre prince qu'il me marie bien-tost avec celui qui me pourchasse, et me face vistement payer mon mariage qu'il m'a promis; le lendemain de mes nopces, si nous ne nous rencontrons, marché nul.»

– Je sçai une dame qui, n'ayant esté recherchée d'amours que quatre jours avant ses nopces, par un gentilhomme parent de son mary, dans six après il en jouyt; pour le moins il s'en vanta, et estoit aisé de le croire; car, ils se monstroient telle privauté qu'on eust dit que toute leur vie ils avoient estés nourris ensemble; mesme il en dist des signes et marques qu'elle portoit sur son corps, et aussi qu'ils continuèrent leur jeu long-temps après. Le gentilhomme disoit que la privauté qui leur donna occasion de venir là, ce fut que, pour porter une mascarade, s'entrechangèrent leurs habillements; car il prit celui de sa maistresse, et elle celuy de son amy, dont le mary n'en fit que rire, et aucuns prindrent subject d'y redire et penser mal.

Il fut fait une chanson à la Cour d'un mary qui fut marié le mardy et fut cocu le jeudy: c'est bien avancer le temps.

– Que dirons-nous d'une fille ayant esté sollicitée longuement d'un gentilhomme de bonne maison et riche, mais pourtant nigaud et non digne d'elle, et par l'advis de ses parents, pressée de l'espouser, elle fit response qu'elle aymoit mieux mourir que de l'espouser, et qu'il se déportast de son amour, qu'on ne luy en parlast plus ny à ses parents; car, s'ils la forçoient de l'espouser, elle le feroit plustost cocu. Mais pourtant fallut qu'elle passast par-là, car la sentence luy fut donnée ainsi par ceux et celles des plus grands qui avoient sur elle puissance, et mesme de ses parents.

La vigille des nopces, ainsi que son mary la voyoit triste et pensive, luy demanda ce qu'elle avoit, elle luy respondit toute en colère: «Vous ne m'avez voulu jamais croire à vous oster de me poursuivre; vous sçavez ce que je vous ay tousjours dit, que, si je venois par malheur à estre vostre femme, que je vous ferois cocu, et je vous jure que je le feray et vous tiendray parole.»

Elle n'en faisoit point la petite bouche devant aucunes de ses compagnes et aucuns de ses serviteurs. Asseurez-vous que depuis elle n'y a pas failli; et luy monstra qu'elle estoit bien gentille femme, car elle tint bien sa parole.

Je vous laisse à penser si elle en devoit avoir blasme, puis qu'un averty en vaut deux, et qu'elle l'advisoit de l'inconvénient où il tomberoit. Et pourquoi ne s'en donnoit-il garde? Mais pour cela, il ne s'en soucia pas beaucoup.

– Ces filles qui s'abandonnent ainsi sitost après estre mariées font comme dit l'Italien: Che la vacca, che e stata molto tempo ligata, corre più che quella che hà havuto sempre piena libertà21.

Ainsi que fit la première femme de Baudoüin, roy de Jérusalem, que j'ay dit ci-devant, laquelle, ayant esté mise en religion de force par son mary, après avoir rompu le cloistre et en estre sortie, et tirant vers Constantinople, mena telle paillardise qu'elle en donnoit à tous passants, allants et venants, tant gens-d'armes que pellerins vers Jérusalem, sans esgard de sa royale condition; mais le grand jeûne qu'elle en avoit fait durant sa prison en estoit cause.

J'en nommerois bien d'autres. Or, voilà donc de bonnes gens de cocus ceux-là, comme sont aussi ceux-là qui permettent à leurs femmes, quand elles sont belles et recherchées de leur beauté, et les abandonnent pour s'en ressentir et tirer de la faveur, du bien et des moyens.

Il s'en voit fort de ceux-là aux cours des grands roys et princes, lesquels s'en trouvent très-bien, car, de pauvres qu'ils auront esté, ou pour engagement de leurs biens, ou pour procès, ou bien pour voyages de guerres sont au tapis, les voilà remontez et aggrandis en grandes charges par le trou de leurs femmes, où ils n'y trouvent nulle diminution, mais plustost augmentation; for en une belle dame que j'ay ouy dire, dont elle en avoit perdu la moitié par accident, qu'on disoit que son mary luy avoit donné la vérole ou quelques chancres qui la luy avoient mangée.

Certes les faveurs et bienfaits des grands esbranlent fort un cœur chaste, et engendrent bien des cocus.

– J'ay ouy dire et raconter d'un prince estranger22, lequel, ayant esté fait général de son prince souverain et maistre en une grande expédition d'un voyage de guerre qu'il luy avoit commandé, et ayant laissé en la Cour de son maistre sa femme, l'une des belles de la chrestienté, se mit à luy faire si bien l'amour, qu'il l'esbranla, la terrassa et l'abbattit, si beau qu'il l'engrossa.

 

Le mary, tournant au bout de treize ou quatorze mois, la trouva en tel estat, bien marry et fasché contr'elle. Ne faut point demander comment ce fut à elle, qui estoit fort habile, à faire ses excuses, et à un sien beau-frère.

Enfin elles furent telles qu'elle luy dit: «Monsieur, l'événement de vostre voyage en est cause, qui a esté si mal receu de vostre maistre (car il n'y fit pas bien certes ses affaires), et en vostre absence l'on vous a tant prestez de charitez pour n'y avoir point fait ses besognes, que, sans que vostre seigneur se mist à m'aymer, vous estiez perdu; et, pour ne vous laisser perdre, je me suis perdüe: il y va autant et plus de mon honneur que du vostre; pour votre avancement, je ne me suis espargnée la plus précieuse chose de moy: jugez donc si j'ay tant failly comme vous diriez bien; car, autrement, vostre vie, vostre honneur et faveur y fust esté en bransle. Vous estes mieux que jamais; la chose n'est si divulguée que la tache vous en demeure trop apparente. Sur cela, excusez-moi et me pardonnez.»

Le beau-frère, qui sçavoit dire des mieux, et qui possible avoit part à la groisse, y en adjousta autres belles paroles et prégnantes, si bien que tout servit, et par ainsi l'accord fut fait, et furent ensemble mieux que devant, vivants en toute franchise et bonne amitié; dont pourtant le prince leur maistre, qui avoit fait la débausche et le débat, ne l'estima jamais plus (ainsi que j'ay ouy dire) comme il en avoit fait, pour en avoir tenu si peu de compte à l'endroit de sa femme et pour l'avoir beu si doux, tellement qu'il ne l'estima depuis de si grand cœur comme il l'avoit tenu auparavant, encore que, dans son ame, il estoit bien aise que la pauvre dame ne patist point pour luy avoir fait plaisir. J'ay veu aucuns et aucunes excuser cette dame, et trouver qu'elle avoit bien fait de se perdre pour sauver son mary et le remettre en faveur.

Oh! qu'il y a de pareils exemples à celuy-cy, et encore à un d'une grande dame qui sauva la vie à son mary, qui avoit esté jugé à mort en pleine cour, ayant esté convaincu de grandes concussions et malles versations en son gouvernement et en sa charge, dont le mary l'en ayma après toute sa vie.

– J'ay ouy parler d'un grand seigneur aussi, qui, ayant esté jugé d'avoir la teste tranchée, si qu'estant déjà sur l'eschaffault sa grace survint, que sa fille, qui estoit des plus belles, avoit obtenue, et, descendant de l'eschaffault, il ne dit autre chose sinon: «Dieu sauve le bon c.. de ma fille, qui m'a si bien sauvé!»

– Saint Augustin est en doute si un citoyen chrestien d'Antioche pécha quand, pour se délivrer d'une grosse somme d'argent pour laquelle il estoit estroitement prisonnier, permit à sa femme de coucher avec un gentilhomme fort riche qui lui promit de l'acquitter de son debte.

Si saint Augustin est de cette opinion, que peut-il donc permettre à plusieurs femmes, veufves et filles, qui pour rachepter leurs pères, parents et marys voire mesmes, abandonnent leur gentil corps sur force inconvénients qui leur surviennent, comme de prison, d'esclavitude, de la vie, des assauts et prise de ville, bref une infinité d'autres, jusques à gaigner quelquesfois des capitaines et des soldats, pour les bien faire combattre et tenir leurs partis, ou pour soutenir un long siége et reprendre une place. J'en conterois cent sujets, pour ne craindre pour eux à prostituer leur chasteté; et quel mal en peut-il arriver ny escandale pour cela? mais un grand bien.

Qui dira donc le contraire, qu'il ne face bon estre quelques fois cocu, puisque l'on en tire telles commoditez du salut de vies et de rembarquement de faveurs, grandeurs et dignitez et biens, que j'en cognois beaucoup, et en ay ouy parler de plusieurs, qui se sont bien avancés par la beauté et par le devant de leurs femmes?

Je ne veux offenser personne; mais j'oserois bien dire que je tiens d'aucuns et d'aucunes que les dames leur ont bien servy, et que certes les valeurs d'aucuns ne les ont tant fait valoir qu'elles.

– Je cognois une grande et habile dame, qui fit bailler l'ordre à son mary, et l'eut luy seul avec les deux plus grands princes de la chrestienté. Elle luy disoit souvent, et devant tout le monde (car elle estoit de plaisante compagnie, et rencontroit très-bien). «Ha! mon amy, que tu eusses couru long-temps fauvettes avant que tu eusses eu ce diable que tu portes au col.»

– J'en ay ouy parler d'un grand du temps du roy François, lequel ayant receu l'ordre, et s'en voulant prévaloir un jour devant feu M. de la Chastaigneraye mon oncle, et luy dit: «Ha! que vous voudriez avoir cet ordre pendu au col aussi bien comme moy!» Mon oncle, qui estoit prompt, haut à la main, et scalabreux s'il en fut onc, lui respondit: «J'aymerois mieux estre mort que de l'avoir par le moyen du trou que vous l'avez eu.» L'autre ne luy dit rien, car il savoit bien à qui il avoit à faire.

– J'ay ouy conter d'un grand seigneur, à qui sa femme ayant sollicité et porté en sa maison la patente d'une des grandes charges du pays où il estoit, que son prince lui avoit octroyée par la faveur de sa femme, il ne la voulut accepter nullement, d'autant qu'il avoit sceu que sa femme avoit demeuré trois mois avec le prince fort favorisée, et non sans soupçons. Il monstra bien par-là sa générosité, qu'il avoit toute sa vie manifestée: toutes fois il l'accepta, après avoir fait chose que je ne veux dire.

Et voilà comme les dames ont bien fait autant ou plus de chevaliers que les batailles, que je nommerois, les cognoissant aussi bien qu'un autre; n'estoit que je ne veux mesdire, ny faire escandale. Et si elles leur ont donné des honneurs, elles leur donnent bien des richesses.

J'en cognois un qui estoit pauvre haire lorsqu'il amena sa femme à la Cour, qui estoit très-belle; et, en moins de deux ans, ils se remirent et devinrent fort riches.

– Encore faut-il estimer ces dames qui eslèvent ainsi leurs marys en biens, et ne les rendent coquins et cocus tout ensemble: ainsi que l'on dit de Marguerite de Namur, laquelle fut si sotte de s'engager et de donner tout ce qu'elle pouvoit à Loüis duc d'Orléans, luy qui estoit si grand et si puissant seigneur, et frère du Roy, et tirer de son mary tout ce qu'elle pouvoit, si bien qu'il en devint pauvre, et fut contraint de vendre sa comté de Bloys audit M. d'Orléans, lequel, pensez qu'il la luy paya de l'argent et de la substance mesmes que sa sotte femme luy avoit donnée. Sotte bien estoit-elle, puisqu'elle donnoit à plus grand que soy; et pensez qu'après il se moqua et de l'une et de l'autre; car il estoit bien homme pour le faire, tant il estoit volage et peu constant en amours.

– Je cognois une grande dame, laquelle estant venuë fort amoureuse d'un gentilhomme de la Cour, et luy par conséquent joüissant d'elle, ne luy pouvant donner d'argent, d'autant que son mari luy tenoit son trésor caché comme un prestre, lui donna la plus grande partie de ses pierreries, qui montoient à plus de trente mille escus; si bien qu'à la Cour on disoit qu'il pouvoit bien bastir, puisqu'il avoit force pierres amassées et accumulées; et puis après, estant venue et escheue à elle une grande succession, et ayant mis la main sur quelques vingt mille escus, elle ne les garda guères que son gallant n'en eust sa bonne part. Et disoit-on que si cette succession ne luy fust eschuë, ne sçachant que luy pouvoir plus donner, luy eust donné jusques à sa robe et chemise; en quoy tels escroqueurs et escornifleurs sont grandement à blasmer, d'aller ainsi allambiquer et tirer toute la substance de ces pauvres diablesses martelées et encapriciées; car la bourse estant si souvent revisitée, ne peut demeurer toujours en son enfleure, ni en son estre, comme la bourse de devant, qui est toujours en son mesme estat, et preste à y pescher qui veut, sans y trouver à dire les prisonniers qui y sont entrés et sortis. Ce bon gentilhomme, que je dis si bien empierré, vint quelque temps après à mourir; et toutes ses hardes, à la mode de Paris, vindrent à estre criées et vendues à l'encan, qui furent appréciées à cela, et recognuës pour les avoir veuës à la dame par plusieurs personnes, non sans grande honte de la dame.

– Il y eut un grand prince, qui aymant une fort honneste dame, fit achepter une douzaine de boutons de diamants très-brillants, et proprement mis en œuvre avec leurs lettres égyptiennes et hiéroglyfiques, qui contenoient leur sens caché, dont il en fit un présent à sadite maistresse, qui, après les avoir regardées fixement, lui dit qu'il n'en estoit meshuy plus besoin à elle de lettres hiéroglyfiques, puisque les escritures estoient des-jà accomplies entre eux deux, ainsi qu'elles avoient esté entre cette dame et le gentil homme de cy-dessus.

J'ai cogneu une dame qui disoit souvent à son mary qu'elle l rendroit plustost coquin que cocu; mais ces deux mots tenant de l'équivoque, un peu de l'un de l'autre assemblèrent en elle et en son mary ces deux belles qualitez.

19C'est-à-dire: «Monsieur mon frère, présentement que vous êtes marié avec ma sœur et que vous en jouissez seul, il faut que vous sachiez qu'étant fille, tel et tel en ont joui. Ne vous inquiétez point du passé, parce que c'est peu de chose; mais gardez-vous de l'avenir, parce qu'il vous touche de bien plus près.»
20Baptista Fulgosius, dont les Factorum et Dictorum memorabilium libri IX ont été imprimés diverses fois. Ce fait particulier se trouve dans le chapitre 3 du IXe livre.
21C'est-à-dire: «Que la vache, qui a longtemps été attachée, court plus que celle qui a toujours en pleine liberté.»
22François de Lorraine, duc de Guise, tué par Poltrot. Voy. Rem. sur le mot Adultérin, page 547 du Cath. d'Esp., édit. de 1699.
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