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Vies des dames galantes

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– J'ay cogneu un prince de par le monde qui fit bien mieux, car il achepta d'un orfevre une très-belle coupe d'argent doré, comme pour un chef-d'œuvre et grand spéciauté, la mieux élabourée, gravée et sigillée qu'il estoit possible de voir, où estoient taillées bien gentiment et subtillement au burin plusieurs figures de l'Aretin, de l'homme et de la femme; et ce au bas estage de la coupe, et au dessus et au haut plusieurs aussi de diverses manières de cohabitations de bestes, là où j'appris la première fois (car j'ay veu souvent ladicte coupe et beu dedans, non sans rire) celle du lion et de la lionne, qui est toute contraire à celle des autres animaux, que je n'avois jamais sceu, dont je m'en rapporte à ceux qui le sçavent sans que je le die. Cette coupe estoit l'honneur du buffet de ce prince; car, comme j'ay dit, elle estoit très-belle et riche d'art, et agréable à voir au dedans et au dehors. Quand ce prince festinoit les dames et filles de la Cour, comme souvent il les convioit, ses sommeilliers ne failloient jamais, par son commandement, de leur bailler à boire dedans; et celles qui ne l'avoient jamais veue, ou en beuvant ou après, les unes demeuroient estonnées et ne sçavoient que dire là-dessus: aucunes demeuroient honteuses, et la couleur leur sautoit au visage; aucunes s'entredisoient entr'elles: «Qu'est-ce que cela qui est gravé là-dedans? Je crois que ce sont des salauderies. Je n'y bois plus. J'aurois bien grand soif avant que j'y retournasse boire.» Mais il falloit qu'elles beussent là, ou bien qu'elles esclatassent de soif; et, pour ce, aucunes fermoient les yeux en beuvant; les autres moins vergogneuses point; qui en avoient ouy parler du mestier, tant dames que filles, se mettoyent à rire sous bourre; les autres en crevoient tout à trac. Les unes disoient, quand on leur demandoit qu'elles avoient à rire et ce qu'elles avoient veu, disoient qu'elles n'avoient rien veu que des peintures, et que pour cela elles n'y lairroient à boire une autre fois. Les autres disoient: «Quant à moy, je n'y songe point à mal; la veue et la peinture ne souillent point l'ame.» Les unes disoient: «Le bon vin est aussi bon leans qu'ailleurs.» Les autres affermoient qu'il y faisoit aussi bon boire qu'en une autre coupe, et que la soif s'y passoit aussi bien. Aux unes on faisoit la guerre pourquoy elles ne fermoient les yeux en beuvant; elles respondoient qu'elles vouloient voir ce qu'elles beuvoient, craignant que ce ne fust du vin, mais quelque médecine ou poison. Aux autres on demandoit à quoy elles prenoient plus de plaisir, ou à voir ou à boire; elles respondoient: «A tout.» Les unes disoient: «Voilà de belles grotesques;» les autres: «Voilà de plaisantes nommeries;» les unes disoient: «Voilà de beaux images;» les autres: «Voilà de beaux miroirs;» les unes disoient: «L'orfevre estoit bien à loisir de s'amuser à faire ces fadezes;» les autres disoient: «Et vous, monsieur, encore plus d'avoir achepté ce beau hanap.» Aux unes on demandoit si elles sentoient rien qui les picquast au mitan du corps pour cela: elles respondoient que nulle de ces drolleries y avoit eu pouvoir pour les picquer: aux autres on demandoit si elles n'avoient point senty le vin chaut et qu'il les eust eschauffées, encore que ce fust en hyver; elles respondoient qu'elles n'avoient garde, car elles avoient beu bien froid, qui les avoit bien rafraischies: aux unes on demandoit quelles images de toutes celles elles voudroient tenir en leur lict; elles respondoient qu'elles ne se pouvoient oster de là pour les y transporter. Bref, cent mille brocards et sornettes sur ce sujet s'entre-donnoient les gentilshommes et dames ainsi à table, comme j'ay veu que c'estoit une très-plaisante gausserie, et chose à voir et ouyr; mais surtout à mon gré, le plus et le meilleur estoit à contempler ces filles innocentes, ou qui feignoient l'estre, et autres dames nouvellement venues, à tenir leur mine froide riante du bout du nez et des lèvres, ou à se contraindre et faire des hypocrites, comme plusieurs dames en faisoient de mesme. Et notez que, quand elles eussent deu mourir de soif, les sommelliers n'eussent osé leur donner à boire en une autre coupe ny verre. Et, qui plus est, aucunes juroient, pour faire bon minois, qu'elles ne tourneroient jamais à ces festins; mais elles ne laissoient pour cela à y tourner souvent, car ce prince estoit très-splendide et friand. D'autres disoient, quand on les convioit: «J'iray, mais en protestation qu'on ne nous baillera point à boire dans la coupe;» et quand elles y estoient, elles y beuvoient plus que jamais. Enfin elles s'y anezèrent si bien, qu'elles ne firent plus de scrupule d'y boire; et si firent bien mieux aucunes, qu'elles se servirent de telles visions en temps et lieu, et, qui, plus est, aucunes s'en débauscherent pour en faire l'essay; car toute personne d'esprit veut essayer tout. Voilà les effets de cette belle coupe si bien historiée. A quoy se faut imaginer les autres discours, les songes, les mines et les paroles que telles dames disoient et faisoient entr'elles, à part ou en compagnie. Je pense que telle coupe estoit bien différente à celle dont parle M. de Ronsard en l'une de ses premières odes, dédiée au feu Roy Henry, qui se commence ainsi:

 
Comme un qui prend une couppe,
Seul honneur de son trésor,
Et de son rang verse à la trouppe
Du vin qui rit dedans l'or.
 

Mais en cette coupe le vin ne rioit pas aux personnes, mais les personnes au vin: car les unes beuvoient en riant, et les autres beuvoient en se ravissant; les unes se compissoient en beuvant, et les autres beuvoient en se compissant; je dis d'autre chose que du pissat. Bref, cette coupe faisoit de terribles effets, tant y estoient pénétrantes ces visions, images et perspectives: dont je me souviens qu'une fois, en une gallerie du comte de Chasteauvilain, dit le seigneur Adjacet, une troupe de dames avec leurs serviteurs estant allés voir cette belle maison, leur veue s'addressa sur de beaux et rares tableaux qui estoient en ladite gallerie. A elles se présenta un tableau beau, où estoient représentées force belles dames nues qui estoient aux bains, qui s'entre touchoient, se palpoient, se manioient et frottoient, s'entre-mesloient, se tastonnoient, et, qui plus est, se faisoient le poil tant gentiment et si proprement en monstrant tout, qu'une froide recluse ou hermite s'en fust eschauffée et esmeue; et c'est pourquoy une grande dame, dont j'ay ouy parler et cogneue, se perdant en ce tableau, dit à son serviteur en se tournant vers luy, comme enragée de cette rage d'amour: «C'est trop demeuré icy: montons en carrosse promptement, et allons en mon logis, car je ne puis plus contenir cette ardeur; il la faut aller esteindre: c'est trop bruslé.» Et ainsi partit, et alla avec son serviteur prendre de cette bonne eau qui est si douce sans sucre, que son serviteur lui donna de sa petite burette.

Telles peintures et tableaux portent plus de nuisance à une ame fragile qu'on ne pense; comme en estoit un là mesme d'une Vénus toute nue, couchée et regardée de son fils Cupidon; l'autre d'un Mars couché avec sa Vénus, l'autre d'une Léda couchée avec son cygne. Tant d'autres y a-t-il, et là et ailleurs, qui sont un peu plus modestement peints et voilez mieux que les figures de l'Aretin; mais quasi tout vient à un, et en approchant de nostre coupe dont je viens de parler, laquelle avoit quasi quelque sympathie, par antinomie, de la coupe que trouva Renault de Montauban en ce chasteau dont parle l'Arioste, laquelle à plein descouvroit les pauvres cocus, et cette-cy les faisoit; mais l'une portoit un peu trop de scandale aux cocus et leurs femmes infidèles, et cette-cy point. Aujourd'huy n'en est besoin de ces livres ni de ces peintures, car les marys leur en apprennent prou: et voilà que servent telles escholes de marys.

– J'ai cogneu un bon imprimeur vénitien à Paris, qui s'appelloit messer Bernardo, parent de ce grand Aldus Manutius de Venise9, qui tenoit sa boutique en la rue de Sainct-Jacques, qui me dit et jura une fois qu'en moins d'un an il avoit vendu plus de cinquante paires de livres de l'Aretin à force gens mariés et non mariés, et à des femmes, dont il me nomma trois de par le monde, grandes, que je ne nommeray point, et les leur bailla à elles-mesmes, et très-bien reliés, sous serment presté qu'il n'en sonneroit pas mot, mais pourtant il me le dist, et me dist davantage qu'une autre dame lui en ayant demandé au bout de quelque temps s'il en avoit point un pareil comme un qu'elle avoit veu entre les mains d'une de ces trois, il luy respondit: Signora, si, et peggio, et soudain argent en campagne, les acheptant tous au poids de l'or. Voilà une folle curiosité pour envoyer son mari faire un voyage à Cornette près de Civita-Vecchia.

Toutes ces formes et postures sont odieuses à Dieu, si bien que sainct Hierosme dit: «Qui se monstre plustost débordé amoureux de sa femme que mary, est adultère et pèche.» Et parce qu'aucuns docteurs ecclésiastiques en ont parlé, je diray ce mot briefvement en mots latins, d'autant qu'eux-mesmes ne l'ont voulu dire en françois. Excessus, disent-ils, conjugum fit, quando uxor cognoscitur ante retro stando, sedendo in latere, et mulier super virum; comme un petit quolibet que j'ay leu d'autrefois, qui dit:

 
In prato viridi monialem ludere vidi
Cum monacho leviter, ille sub, illa super.
 

D'autres disent quand ils s'accommodent autrement que la femme ne puisse concevoir. Toutesfois il y a aucunes femmes qui disent qu'elles conçoivent mieux par les postures monstrueuses et surnaturelles et estranges, que naturelles et communes, d'autant qu'elles y prennent plaisir davantage, et comme dit le poëte, quand elles s'accommodent more canino, ce qui est odieux: toutes-fois les femmes grosses, au moins aucunes, en usent ainsi de peur de se gaster par le devant. D'autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais que semen ejaculetur in matricen mulieris, et quomodocunque uxor cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, non est peccatum mortale. Vous trouverez ces disputes dans Summa Benedicti, qui est un cordelier docteur qui a très-bien escrit de tous les péchés, et monstre qu'il a beaucoup leu et veu10. Qui voudra lire ce passage y verra beaucoup d'abus que commettent les marys à l'endroit de leurs femmes. Aussi dit-il que, quando mulier est ita pinguis ut non possit aliter coïre, que par telles postures, non est peccatum mortale, modò vir ejaculetur semen in vas naturale. Dont disent aucuns qu'il vaudroit mieux que les marys s'abstinssent de leurs femmes quand elles sont pleines, comme font les animaux, que de souiller le mariage par telles vilainies.

 

– J'ai cogneu une fameuse courtisane à Rome, dite la Grecque, qu'un grand seigneur de France avoit là entretenue. Au bout de quelque temps, il luy prit envie de venir voir la France, par le moyen du seigneur Bonusi11, banquier de Lyon, Lucquois très-riche, de laquelle il estoit amoureux; où estant elle s'enquit fort de ce seigneur et de sa femme, et, entr'autres choses, si elle ne le faisoit point cocu, «d'autant, disoit-elle, que j'ay dressé son mary de si bel air, et luy ay appris de si bonnes leçons, que les luy ayant monstrées et pratiquées avec sa femme, il n'est possible qu'elle ne les ait voulu monstrer à d'autres; car nostre mestier est si chaud quand il est bien appris, qu'on prend cent fois plus de plaisir de le monstrer et pratiquer avec plusieurs qu'avec un.» Et disoit bien plus, que cette dame luy devoit faire un beau présent et condigne de sa peine et de son sallaire, parce que, quand son mary vint à son eschole premièrement, il n'y sçavoit rien, et estoit en cela le plus sot, neuf et apprentif qu'elle vist jamais; mais elle l'avoit si bien dressé et façonné, que sa femme devoit s'en trouver cent fois mieux. Et de fait cette dame, la voulant voir, alla chez elle en habit dissimulé, dont la courtisane s'en douta et luy tint tous les propos que je viens de dire, et pires encore et plus débordés, car elle estoit courtisane fort débordée. Et voilà comment les marys se forgent les couteaux pour se couper la gorge; cela s'entend des cornes; par ainsi, abusant du saint mariage, Dieu les punit; et puis veulent avoir leurs revanches sur leurs femmes, en quoy ils sont cent fois plus punissables. Aussi ne m'estonne-je pas si ce sainct docteur disoit que le mariage estoit quasi une vraye espèce d'adultère: cela vouloit-il entendre quand on en abusoit de cette sorte que je viens de dire. Aussi a-t-on deffendu le mariage à nos prestres; car, venant de coucher avec leurs femmes, et s'estre bien souillés avec elles, il n'y a point de propos de venir à un sacré autel. Car, ma foy, ainsi que j'ay ouy dire, aucuns bourdellent plus avec leurs femmes que non pas les ruffiens avec les putains des bourdeaux, qui, craignant prendre mal, ne s'acharnent et ne s'eschauffent avec elles comme les marys avec leurs femmes, qui sont nettes et ne peuvent donner mal, au moins aucunes et non pas toutes; car j'en ai bien cogneu qui leur en donnent aussi bien que leurs marys à elles. Les marys, abusans de leurs femmes, sont fort punissables, comme j'ay ouy dire à de grands docteurs, que les marys, ne se gouvernans avec leurs femmes modestement dans leur lict comme ils doivent, paillardent avec elles comme avec concubines; n'estant le mariage introduit que pour la nécessité et procréation, et non pour le plaisir désordonné et paillardise. Ce que nous sceut très-bien représenter l'empereur Cejonius Commodus, dit autrement Anchus Verus12, lorsqu'il dit à sa femme Domitia Calvilla, qui se plaignoit à luy de quoy il portoit à des putains et courtisanes et autres ce qu'à elle appartenoit en son lict, et luy ostoit ses menues et petites pratiques: «Supportez, ma femme, luy dit-il, qu'avec les autres je saoulle mes désirs, d'autant que le nom de femme et de consorte est un nom de dignité et d'honneur, et non de plaisir et de paillardise.» Je n'ay point encore leu ny trouvé la response que luy fit là dessus madame sa femme l'impératrice; mais il ne faut douter que, ne se contentant de cette sentence dorée, elle ne luy respondit de bon cœur, et par la voix de la plus part, voire de toutes les femmes mariées: «Fy de cet honneur, et vive le plaisir! Nous vivons mieux de l'un que de l'autre.» Il ne faut non plus douter aussi que la plus part de nos mariés aujourd'hui, et de tout temps, qui ont de belles femmes, ne disent pas ainsi; car ils ne se marient et lient, ny ne prennent leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien paillarder en toutes façons, et leur enseigner des préceptes, et pour le mouvement de leur corps, et pour les débordées et lascives paroles de leurs bouches, afin que leur dormante Vénus en soit mieux esveillée et excitée; et, après les avoir bien ainsi instruites et débauschées, si elles vont ailleurs, ils les punissent, les battent, les assomment, et les font mourir. Il y a aussi un peu de raison en cela, comme si quelqu'un avoit débausché une pauvre fille d'entre les bras de sa mère, et lui eust fait perdre l'honneur de sa virginité, et puis, après en avoir fait sa volonté, la battre et la contraindre à vivre autrement, en toute chasteté: vrayment! car il en est bien temps, et bien à propos, qui est celuy qui ne le condamne pour homme sans raison et digne d'estre chastié? L'on en deust dire de mesme de plusieurs marys, lesquels, quand tout est dit, débauschent plus leurs femmes, et leur apprennent plus de préceptes pour tomber en paillardise, que ne font leur propres amoureux: car ils en ont plus de temps et loisir que es amans; et venans à discontinuer leurs exercices, elles changent de main et de maistre, à mode d'un bon cavalcadour, qui prend plus de plaisir cent fois de monter à cheval, qu'un qui n'y entend rien. »Et de malheur, ce disoit cette courtisane, il n'y a nul mestier au monde qui ne soit plus coquin, ny qui désire tant de continue, que celuy de Vénus.» En quoy ces marys doivent estre avertis de ne faire tels enseignements à leurs femmes, car ils leur sont par trop préjudiciables; ou bien, s'ils voyent leurs femmes leur jouer un faux-bon, qu'ils ne les punissent point, puisque ç'ont esté eux qui leur en ont ouvert le chemin.

– Si faut-il que je fasse cette digression d'une femme mariée, belle et honneste et d'estoffe, que je sçay, qui s'abandonna à un honneste gentilhomme, aussi plus par jalousie qu'elle portoit à une honneste dame que ce gentilhomme aymoit et entretenoit, que par amour. Pourquoy, ainsi qu'il en jouissoit, la dame luy dit: «A cette heure, à mon grand contentement, triomphe-je de vous et de l'amour que portez à une telle.» Le gentilhomme lui respondit: «Une personne abattue, subjuguée et foulée, ne sçauroit bien triompher.» Elle prend pied à cette réponse, comme touchant à son honneur, et luy replique aussitôt: «Vous avez raison.» Et tout-à-coup s'advise de désarçonner subitement son homme, et se dérober de dessous luy; et changeant de forme, prestement et agilement monte sur luy et le met sous soy. Jamais jadis chevalier ou gendarme romain ne fut si prompt et adextre de monter et remonter sur ces chevaux désultoires, comme fut ce coup cette dame avec son homme; et le manie de mesme en luy disant: «A st'heure donc puis-je bien dire qu'à bon escient je triomphe de vous, puisque je vous tiens abattu sous moy.» Voilà une dame d'une plaisante et paillarde ambition et d'une façon estrange, comment elle la traitta.

– J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame de par le monde, sujette fort à l'amour et à la lubricité, qui pourtant fut si arrogante et si fière, et si brave de cœur, que, quand ce venoit-là, ne vouloit jamais souffrir que son homme la montast et la mist sous soy et l'abattist, pensant faire un grand tort à la générosité de son cœur, et attribuant à une grande lascheté d'estre ainsi subjuguée et soumise, en mode d'une triomphante conqueste ou esclavitude, mais vouloit toujours garder le dessus et la prééminence. Et ce qui faisoit bon pour elle en cela, c'est que jamais ne voulut s'adonner à un plus grand que soy, de peur qu'usant de son autorité et puissance, luy pust donner la loy et la pust tourner, virer et föuller, ainsi qu'il luy eust pleu; mais en cela, choisissoit ses égaux et inférieurs, auxquels elle ordonnoit leur rang, leur assiette, leur ordre, et forme de combat amoureux, ne plus ne moins qu'un sergent major à ses gens le jour d'une bataille; et leur commandoit de ne l'outrepasser, sur peine de perdre leurs pratiques, aux uns son amour, et aux autres la vie, si que debout, ou assis au conchés, jamais ne se purent prévaloir sur elle de la moindre humiliation, ni submission, ni inclination, qu'elle leur eust rendu et presté. Je m'en rapporte au dire et au songer de ceux et celles qui ont traité telles amours, telles postures, assiettes et formes. Cette dame pouvoit ordonner ainsi, sans qu'il y allast rien de son honneur prétendu, ni de son cœur généreux offensé: car à ce que j'ay ouy dire à aucuns praticqs, il y avoit assez de moyens pour faire telles ordonnances et pratiques. Voylà une terrible et plaisante humeur de femme, et bizarre scrupule de conscience généreuse. Si avoit-elle raison pourtant; car c'est une fascheuse souffrance que d'estre subjuguée, ployée, foullée, et mesme quand l'on pense quelquefois à part soy, et qu'on dit: «Un tel m'a mis sous luy et foullée, par maniere de dire, si-non aux pieds, mais autrement:» cela vaut autant à dire.

Cette dame aussi ne voulut jamais permettre que ses inférieurs la baisassent jamais à la bouche, «d'autant, disoit elle, que le toucher et le tact de bouche à bouche est le plus sensible et précieux de tous les autres touchers, fust de la main et autres membres;» et pour ce ne vouloit estre alleinée ny sentir à la sienne une bouche salle, orde et non pareille à la sienne. Or, sur cecy, c'est une autre question que j'ay veu traitter à aucuns: quel advantage de gloire a plus grand sur son compagnon, ou l'homme ou la femme, quand ils sont en ces escarmouches ou victoires vénériennes. L'homme allegue pour soy la raison préédente, que la victoire est bien plus grande que l'on tient sa douce ennemie abattue sous soy, et qu'il la subjugue, la suppédite et la dompte à son aise et comme il luy plaist; car il n'y a si grande princesse ou dame, que, quand elle est là, fust-ce avec son inférieur ou inégal, qu'elle n'en souffre la loy et la domination qu'en a ordonné Vénus parmy ses statuts; et pour ce, la gloire et l'honneur en demeure très-grande à l'homme. La femme dit: «Ouy, je le confesse, que vous vous devez sentir glorieux quand vous me tenez sous vous et me suppeditez; mais aussi, quand il me plaist, s'il ne tient qu'à tenir le dessus, je le tiens par gayeté et une gentille volonté qui m'en prend, et non pour une contrainte. Davantage, quand ce dessus me déplaist, je me fais servir à vous comme d'un esclave ou forçat de gallere, ou, pour mieux dire, vous fais tirer au collier comme un vray cheval de charrette, en vous travaillant, peinant, suant, haletant, efforçant à faire les corvées et efforts que je veux tirer de vous. Cependant, moy, je suis couchée à mon aise, je vois venir vos coups, quelquefois j'en ris et en tire mon plaisir à vous voir en telles alteres; quelquefois aussi je vous plains selon ce qui me plaist ou que j'en ay de volonté ou de pitié; et après en avoir en cela très-bien passé ma fantaisie, je laisse là mon galant, las, recreu, débilité, énervé, qu'il n'en peut plus, et n'a besoin que d'un bon repos et de quelque bon repas, d'un coulis, d'un restaurant ou de quelque bon bouillon confortatif. Moy, pour telles courvées et tels efforts, je ne m'en sens nullement, si-non que très-bien servie à vos despens, monsieur le gallant, et n'ay autre mal si-non de souhaiter quelque autre qui m'en donnast autant, à peine le faire rendre comme vous: et, par ainsi, ne me rendant jamais, mais faisant rendre mon doux ennemy, je rapporte la vraye victoire et la vraye gloire, d'autant qu'en un duel celuy qui se rend est déshonoré, et non pas celuy qui combat jusques au dernier poinct de la mort.»

 

– Ainsi que j'ay ouy compter d'une belle et honneste femme, qui une fois, son mary l'ayant esveillée d'un profond sommeil et repos qu'elle prenoit, pour faire cela, après qu'il eut fait elle luy dit: «Vous avez fait et moy non;» et, parce qu'elle estoit dessus luy, elle le lia si bien de bras, de mains, de pieds et de ses jambes entrelacées: «Je vous apprendray à ne m'esveiler une autre fois;» et, le demenant, secoüant et remuant à toute outrance son mary qui estoit dessous, qui ne s'en pouvoit defaire, et qui suoit, ahannoit et se lassoit, et crioit mercy, elle le luy fi faire une autre fois en dépit de luy, et le rendit si las, si atenu et flac, qu'il en devint hors d'aleine et luy jura un bon coup qu'une autre fois il la prendroit à son heur, humeur et appetit. Ce conte est meilleur à se l'imaginer et représenter qu'à l'escrire. Voilà donc les raisons de la dame avec plusieurs autres qu'elles ont alléguer. Encore l'homme réplique là-dessus: «Je n'ay point aucun vaisseau ny baschot comme vous avez le vostre, dans lequel je jette un gassouil de pollution et d'ordure (si ordure se doit appeler la semence humaine jettée par mariage et paillardise), qui vous salit et vous y pisse comme dans un pot. – Ouy, dit la dame, mais aussitost ce beau sperme, que vous autres dites estre le sang le plus pur et net que vous avez, je le vous vais pisser incontinent et jetter dans un pot ou bassin, ou en un retrait, et le mêler avec une autre ordure très-puante et sale et vilaine; car de cinq cents coups que l'on nous touchera, de mille, deux mille, trois mille, voire d'une infinité, voire de nul, nous n'engroissons que d'un coup, et la matrice ne retient qu'une fois; car si le sperme y entre bien et y est bien retenu, celuy-là est bien logé, mais les autres fort salaudement nous les logeons comme je viens de dire. Voilà pourquoy il ne faut se vanter de gasouiller de vos ordures de sperme, car, outre celuy-là, que nous concevons, nous le jettons et rendons pour n'en faire plus de cas aussitôt que l'avons receu et qu'il ne nous donne plus de plaisir, et en sommes quittes en disant: Monsieur le potagier, voilà vostre broüet que je vous rends, et le vous claque là; il a perdu le bon goust que vous m'en avez donné premierement. Et notez que la moindre bagasse en peut dire autant à un grand roy ou prince, s'il l'a repassée; qui est un grand mespris d'autant que l'on tient le sang royal pour le plus précieux qui soit point. Vrayment il est bien gardé et logé bien précieusement plus que d'un autre!» Voilà le dire des femmes, qui est un grand cas pourtant qu'un sang si précieux se pollue et se contamine ainsi salaudement et vilainement; ce qui estoit deffendu en la loy de Moyse, de ne le nullement prostituer en terre; mais on fait bien pis quand on le mesle avec de l'ordure très-orde et salle. Encore, si elles faisoyent comme un grand seigneur dont j'ay ouy parler, qui, en songeant la nuict, s'estant corrompu parmy ses linceuls, les fit enterrer, tant il estoit scrupuleux, disant que c'estoit un petit enfant provenu de là qui estoit mort, et que c'estoit dommage et une très-grande perte que ce sang n'eust esté mis dans la matrice de sa femme, dont possible l'enfant fust esté en vie. Il se pouvoit bien tromper par là, d'autant que de mille habitations que le mary fait avec la femme l'année, possible, comme j'ay dit, n'en devient-elle grosse, non pas une fois en la vie, voire jamais, pour aucunes femmes qui sont bréhaignes et stériles, et ne conçoivent jamais; d'où est venu l'erreur d'aucuns mescréants, que le mariage n'avoit esté institué tant pour la procréation que pour le plaisir; ce qui est mal creu et mal parlé, car encore qu'une femme n'engroisse toutes les fois qu'on l'entreprend, c'est pour quelque volonté de Dieu à nous occulte, et qu'il en veut punir et mary et femme, et d'autant que la plus grande bénédiction que Dieu nous puisse envoyer en mariage, c'est une bonne lignée, et non par concubinage; dont il y a plusieurs femmes qui prennent un grand plaisir d'en avoir de leurs amants, et d'autres non, lesquelles ne veulent permettre qu'on leur lasche rien dedans, tant pour ne supposer des enfants à leurs marys qui ne sont à eux, que pour leur sembler ne leur faire tort et ne les faire cocus si la rosée ne leur est entrée dedans, ny plus ny moins, qu'un estomach débile et mauvais ne peut estre offensé de sa personne pour prendre de mauvais et indigestifs morceaux, pour les mettre dans la bouche, les mascher et puis les crascher à terre. Aussi par le mot de cocu, porté par les oiseaux d'avril, qui sont ainsi appelez pour aller pondre au nid des autres, les hommes s'appellent cocus par antinomie13, quand les autres viennent pondre dans leur nid, qui est dans le c.. de leurs femmes, qui est autant à dire leur jetter leur semence et leur faire des enfants. Voilà comme plusieurs femmes ne pensent faute à leurs marys pour mettre dedans et s'esbaudir leur saoul, mais qu'elles ne reçoivent point de leur semence; ainsi sont-elles conscientieuses de bonne façon: comme d'une grande dont j'ay ouy parler, qui disoit à son serviteur: «Esbattez-vous tant que vous voudrez, et donnez-moi du plaisir; mais sur vostre vie, donnez-vous garde de ne rien m'arrouser là dedans, non d'une seule goutte, autrement il vous y va de la vie.» Si bien qu'il falloit bien que l'austre fust sage, et qu'il espiast le temps du mascaret14 quand il devoit venir.

– J'ay ouy faire un pareil compte au chevalier de Sanzay, de Bretagne, un très-honneste et brave gentilhomme, lequel, si la mort n'eust entrepris sur son jeune age, fust esté un grand homme de mer, comme il avoit un très-bon commencement: aussi en portoit-il les marques et enseignes, car il avoit eu un bras emporté d'un coup de canon en un combat qu'il fit sur mer. Le malheur pour luy fut qu'il fut pris des corsaires, et mené en Alger. Son maistre, qui le tenoit esclave, estoit le grand-prestre de la mosquée de là, qui avoit une très-belle femme qui vint à s'amouracher si fort dudit Sanzay, qu'elle luy commanda de venir en amoureux plaisir avec elle, et qu'elle luy feroit très-bon traittement, meilleur qu'à aucun de ses autres esclaves, mais surtout elle lui commanda très-expressement, et sur la vie, ou une prison très-rigoureuse, de ne lancer en son corps une seule goutte de sa semence, d'autant, disoit-elle, qu'elle ne vouloit nullement estre polluée ny contaminée du sang chrestien, dont elle penseroit offenser grandement et sa loy et son grand prophète Mahomet; et de plus luy commanda qu'encore qu'elle fust en ses chauds plaisirs, quand bien elle luy commanderoit cent fois d'hasarder le pacquet tout à trac, qu'il n'en fist rien, d'autant que ce seroit le grand plaisir duquel elle estoit ravie qui luy feroit dire, et non pas la volonté de l'ame. Ledict Sanzay, pour avoir bon traittement et plus grande liberté, encor qu'il fust chrestien, ferma les yeux pour ce coup à sa loy; car un pauvre esclave rudement traitté et misérablement enchaisné peut s'oublier bien quelquefois. Il obéit à la dame, et fut si sage et si abstraint à son commandement, qu'il commanda fort bien à son plaisir, et moulloit au moulin de sa dame tousjours très-bien, sans y faire couller d'eau; car, quand l'escluse de l'eau vouloit se rompre et se déborder, aussitost il la retiroit, la resserroit et la faisoit escouler où il pouvoit; dont cette femme l'en ayma davantage, pour estre si abstraint à son estroit commandement, encor qu'elle luy criast: «Laschez, je vous en donne toute permission.» Mais il ne voulut onc, car il craignoit d'estre battu à la turque, comme il voyoit ses autres compagnons devant soy. Voilà une terrible humeur de femme; et pour ce il semble qu'elle faisoit beaucoup, et pour son ame qui estoit turque, et pour l'autre qui estoit chrestien, puisqu'il ne se deschargeoit nullement avec elle: si me jura-t-il qu'en sa vie il ne fut en telle peine. Il me fit un autre compte, le plus plaisant qui est possible, d'un trait qu'elle luy fit; mais d'autant qu'il est trop sallaud, je m'en tairay, de peur d'offenser les oreilles chastes. Du depuis ledict Sanzay fut achepté par les siens, qui sont gens d'honneur et de bonne maison en Bretagne, et qui appartiennent à beaucoup de grands, comme à monsieur le connestable, qui aymoit fort son frère aisné, et qui luy ayda beaucoup en cette délivrance, laquelle ayant eue, il vint à la cour, et nous en compta fort à monsieur d'Estrozze et à moy de plusieurs choses, et entr'autres il nous fit ces comptes.

9Bernardin Turisan, qui avoit pour enseigne la devise des Manuces, ses parents.
10Ce livre, intitulé la Somme des péchés et le remède d'iceux, imprimé à Lyon, chez Charles Pesnot, dès 1584, in-4^o, et diverses autres fois depuis, est de la composition de Jean Benedicti, cordelier de Bretagne, qui ne l'a pas moins rempli d'ordures et de saletés, que le jésuite Sanchez en a rempli son traité de Matrimonio; et ce qu'il y a de fort singulier, c'est qu'un ouvrage si impur n'en est pas moins dédié à la sainte Vierge. Comme on voit, Brantôme et ses semblables savoient très-bien en faire leur profit, et y découvrir de nouveaux ragoûts de lubricité.
11Ou Bonvisi.
12Annius Verus: c'étoit le grand-père de cet empereur.
13Antonomasie.
14Voyez Ménage, Dict. étym., au mot Mascaret
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