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Mémoires inédits de Mademoiselle George, publiés d'après le manuscrit original

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J'entends un petit mouvement. Ah! comme le cœur me bat! C'est lui. Le Consul entre par la porte qui était à côté de la cheminée, porte donnant dans la bibliothèque.

(Tous ces détails vous paraîtront bien futiles, ma chère Marceline; je pense pourtant qu'il faut les donner.)

Le Consul était en bas de soie, culotte satinée blanc, uniforme vert, parements et collet rouges, son chapeau sous le bras. Je me levai. Il vint à moi, me regarda avec ce sourire enchanteur qui n'appartenait qu'à lui, me prit par la main et me fit asseoir sur cet énorme divan, leva mon voile qu'il jeta à terre sans plus de façon. Mon beau voile! C'est aimable; s'il marche dessus, il va me le déchirer. C'est fort désagréable.

–Comme votre main tremble! Vous avez donc peur de moi? Je vous parais effrayant? Moi, je vous ai trouvée bien belle, hier, madame, et j'ai voulu vous complimenter. Je suis plus aimable et plus poli que vous, comme vous voyez.

–Comment cela, monsieur.

–Comment! je vous ai fait remettre 3,000 francs après vous avoir entendu dans Émilie, pour vous témoigner le plaisir que vous m'avez fait. J'espérais que vous me demanderiez la permission de vous présenter pour me remercier. Mais la belle et fière Émilie n'est point venue.

Je balbutiais, je ne savais que dire.

–Mais je ne savais pas, je n'osais prendre cette liberté.

–Mauvaise excuse! Vous aviez donc peur de moi?

–Oui.

–Et maintenant?

–Encore plus.

Le Consul se mit à rire de tout son cœur.

–Dites-moi votre nom?

–Joséphine-Marguerite.

–Joséphine me plaît, j'aime ce nom; mais je voudrais vous appeler Georgina. Hein! voulez-vous? je le veux.

(Le nom m'est resté dans toute la famille de l'empereur.)

–Vous ne parlez pas, ma chère Georgina. Pourquoi?

–Parce que toutes ces lumières me fatiguent. Faites-les éteindre, je vous prie; il me semble qu'alors je serai plus à l'aise pour vous entendre et vous répondre.

–Ordonnez, chère Georgina.

Il sonna Roustan:

–Éteins le lustre.

–Est-ce assez?

–Non, encore la moitié de ces énormes candélabres.

–Fort bien. Éteins.

–A présent, y voit-on trop?

–Pas trop, mais assez.

(Chère madame Valmore, tous ces détails vous sembleront bien enfantins; mais ils sont vrais, très mal racontés par moi; mais, par vous, ils seront charmants. Il faut tant de goût, tant de délicatesse! Vous possédez tout cela, vous!)

Le Consul, fatigué quelquefois de ses glorieuses et graves préoccupations, semblait goûter quelque plaisir à se trouver avec une jeune fille, qui lui parlait tout simplement. C'était, je le pense, nouveau pour lui.

–Voyons, Georgina, racontez-moi tout ce que vous avez fait. Soyez bonne et franche, dites-moi tout!

Il était si bon, si simple, que ma crainte disparaissait.

–Je vais vous ennuyer. Puis, comment dire tout cela, je n'ai pas d'esprit? Je vais très mal raconter.

–Dites toujours.

Je fis le récit de ma très petite existence, comment je vins à Paris, toutes mes misères.

–Chère petite, vous n'étiez pas riche; mais, à présent, comment êtes-vous? Qui vous a donné le beau cachemire, le voile, etc.?

Il savait tout. Je lui racontai toute la vérité sur le prince Sapieha.

–C'est bien, vous ne mentez pas. Vous viendrez me voir, vous serez discrète; promettez-le-moi.

Il était bien tendre, bien délicat; il ne blessait pas ma pudeur par trop d'empressement, il était heureux de trouver une résistance timide. Mon Dieu! je ne dis pas qu'il était amoureux, mais bien certainement je lui plaisais. Je ne pouvais en douter. Aurait-il accepté tous mes caprices d'enfant? Aurait-il passé une nuit à vouloir me convaincre? Il était très agité pourtant, très désireux de me plaire; il céda à ma prière, qui lui demandait toujours grâce.

–Pas aujourd'hui. Attendez. Je reviendrai, je vous le promets.

Il cédait, cet homme devant lequel tout pliait. Est-ce peut-être ce qui le charmait? Nous allâmes ainsi jusqu'à cinq heures du matin. Depuis huit heures, c'était assez.

–Je voudrais m'en aller.

–Vous devez être fatiguée, chère Georgina. A demain. Vous viendrez?

–Oui, avec bonheur. Vous êtes trop bon, trop gracieux pour que l'on ne vous aime pas, et je vous aime de tout mon cœur.

Il me mit mon châle, mon voile. J'étais loin de m'attendre à ce qui allait arriver à ces pauvres effets. En me disant adieu, il vint m'embrasser au front. Je fus bien sotte; je me mis à rire et lui dis:

–Ah! c'est bien: vous venez d'embrasser le voile du prince Sapieha.

Il prit le voile, le déchira en mille petits morceaux; le cachemire fut jeté sous ses pieds. Puis, j'avais au col une petite chaîne, qui portait un médaillon des plus modestes, de la cornaline; au petit doigt, une petite bague plus modeste encore, en cristal, où Mme Ponty avait mis des cheveux blancs de Mlle Raucourt. La petite bague fut arrachée de mon doigt, le Consul la brisa sous son pied. Ah! il n'était plus doux alors. Je fus interdite et me disais: «Quand tu me reverras, il fera beau.» Je tremblais. Il revint tout gentiment près de moi.

–Chère Georgina, vous ne devez rien avoir que de moi. Vous ne me bouderez pas, ce serait mal, et j'aurais mauvaise opinion de vos sentiments, s'il en était autrement.

On ne pouvait pas en vouloir longtemps à cet homme; il y avait tant de douceur dans sa voix, tant de grâce, qu'on était forcé de dire: «Au fait, il a bien fait.» (Sur ma tête, tout cela est vrai.)

–Vous avez bien raison. Non, je ne suis pas fâchée; mais je vais avoir froid, moi.

Il sonna Constant.

–Apporte un cachemire blanc et un grand voile d'Angleterre.

Il me conduisit jusqu'à l'Orangerie.

–A demain, Georgina; à demain!

Voilà littéralement ma première entrevue avec cet homme immense.

Constant ne me dit rien; il faisait bien. Je n'étais pas disposée à faire conversation avec lui. Il tombait de sommeil et ne fit qu'un somme durant la route. Je ne dormais pas, moi. Je trouvais le Consul très séduisant, mais assez violent. C'est une existence toute d'esclavage que je vais me donner; pas la moindre liberté à espérer, et j'aime beaucoup mon indépendance! Retournerai-je demain, comme je l'ai promis? Je suis dans une incertitude. Il me plaît; je le trouve si bon, si doux avec moi. Puis, sais-je bien si ce n'est pas un caprice? Il serait fort triste et fort humiliant d'être quittée. La nuit porte conseil; attendons. En arrivant chez moi, Constant me dit:

–A ce soir, huit heures, madame; je viendrai vous prendre.

–Non, je ne suis pas décidée; venez à trois heures, je verrai. Dites au Consul que je me trouve un peu fatiguée, que je ferai mon possible pour ne pas manquer à la promesse que je lui ai faite.

Talma vint me voir. Je disais tout à mon bon Talma.

–Comment, tu hésites? Mais tu es donc folle? Vois quelle position pour toi. Tu ne connais pas, enfant que tu es, le Premier Consul. Honnête homme d'abord. J'ignore quelle sera la durée de son goût pour toi, mais je suis certain qu'il sera toujours excellent. On n'abandonne pas une jeune fille honnête qui, malgré toutes les séductions qui l'entourent, n'a pas failli;—tu me l'as dit et je le crois.

–Vous avez raison de me croire, bon Talma. Pourquoi vous mentirais-je?

(Chère bonne, vous voyez combien il est délicat de dire: pas encore failli. Enfin il faut bien que l'on sache que c'était mon premier pas, cause de la continuité de cette illustre liaison. Je suis bête aujourd'hui à manger du foin. Tout cela me paraît d'un plat désespérant. Heureusement que l'esprit, la poésie et le cœur sont chez vous pour faire de ces riens des choses charmantes. Mais je n'ai pas le sol, et l'imagination travaille pour savoir où en trouver: voilà mon sort.)

—Mais, voyez-vous, Talma, c'est justement parce que c'est mon premier pas que je suis très effrayée. De là, voyez-vous, dépend ma destinée. Je raisonne, allez; je ne suis pas si enfant que vous le croyez. Le Consul est bon, oui, je vous l'accorde, j'en suis certaine. Mais c'est le Premier Consul, et moi une cabotine! Lui ne pense qu'à la gloire; croyez-vous, vous, que la gloire aille avec l'amour? Non, moi, je veux que l'on soit amoureux de moi. Je serai bien heureuse, n'est-ce pas? si je l'aime enfin le Consul, de n'être près de lui que par ses ordres, quand cela lui plaira! Voyons, Talma, c'est l'esclavage. Ai-je raison?

–Eh bien, alors, marie-toi.

–Joli conseil que vous me donnez là. Je crains l'esclavage et vous voulez que je me marie?

–Tiens, veux-tu que je te dise? Tu iras ce soir à Saint-Cloud, c'est ta destinée; suis-la donc. Si tu n'y vas pas, tu feras quelques sottises, qui te seront bien plus funestes.

–Tenez, c'est vrai. J'irai, car je sens que je l'aime. Dînez avec moi, Talma, si vous n'avez rien de mieux à faire. Nous parlerons de lui, vous qui l'avez connu beaucoup; car vous le voyiez beaucoup chez sa femme, cette gracieuse et charmante Joséphine.

–Oui, je l'ai beaucoup vu. Je te conterai cela une autre fois. Je ne puis dîner avec toi, ma chère amie, à mon grand regret, mais ma femme m'attend.

Mariez-vous donc; c'est plus honnête, c'est vrai, mais quelquefois bien gênant! On se marie par amour; je le pense, du moins. Quand on n'est plus amoureux, il faut se souvenir qu'on l'a été? Vous vous en souvenez, Talma. C'est encore quelque chose. On doit des égards à sa femme; cela n'est pas chaud, mais cela est honnête.

–Où donc as-tu appris tout cela?

–En voyant des gens mariés. Allons, cher Talma, partez; il est tard; mes compliments à Madame. A demain, nous jouons Cinna. La représentation tient-elle toujours?

–Jusqu'à présent.

–Tant pis, mais il faut faire son devoir.

 

A huit heures, Constant entrait dans la cour; il était venu à trois heures prendre les ordres. Me voilà encore en tête à tête avec ce bon et joyeux serviteur. La conversation pendant la route fut très laconique, de mon côté du moins. Constant avait beau dire: «Le Consul est enchanté de vous, il vous trouve charmante, il vous attend encore avec plus d'impatience. »Je restais fort silencieuse en me disant: «Le Consul cause donc avec son valet de chambre? Au fait, pourquoi pas? Je cause bien avec Clémentine. La familiarité du Consul avec son valet de chambre est une distraction, voilà tout! Puis il lui est dévoué.» Hélas! il ne l'a pas été, le misérable. Le Consul m'attendait.

–Bonjour, Georgina! Sommes-nous de bonne humeur?

–Oui, toujours pour vous.

C'était vrai, il était vraiment séduisant, son sourire céleste, ses manières si douces; il vous attirait, vous fascinait.

–Eh bien, Georgina, vous m'avez dit la vérité. Cette petite bague, que j'ai brisée sous mon talon, venait bien de Mlle Raucourt; les autres objets, de votre beau prince Sapieha. Vous lui avez déjà fait dire sans doute de cesser ses visites et ses prodigalités.

–Non, je vous avouerai franchement que je n'y ai pas songé.

–C'est bien, ne vous en préoccupez pas; il le comprendra, vous ne le verrez plus.

Je me dis en moi-même: «Pauvre prince, te voilà bien récompensé.» Il n'avait pas d'amour pour moi; son cœur ne sera pas froissé, mais il aura le droit de me croire bien ingrate. Et pourtant ce n'est pas ma faute et je ne puis blâmer le Consul: il a raison. Tout homme délicat agirait ainsi. Hélas! sera-ce mon bonheur? Espérons; suivons aveuglément cette route, quelle qu'elle puisse être.

Le Consul fut plus tendre que la veille, plus pressant. Mon trouble était palpitant; je n'ose dire ma pudeur, puisque j'étais venue de ma propre volonté. Il m'accablait de tendresses, mais avec une telle délicatesse, avec un empressement rempli de trouble, craignant toujours les émotions pudiques d'une jeune fille, qu'il ne voulait pas contraindre, mais qu'il voulait amener à lui par un sentiment tendre et doux, sans violence. Mon cœur éprouvait un sentiment inconnu, il battait avec force; j'étais entraînée malgré moi. Je l'aimais, cet homme si grand, qui m'entourait de tant de ménagements, qui ne brusquait pas ses désirs, qui attendait la volonté d'une enfant, qui se pliait à ses caprices.

–Voyons, Georgina, laisse-toi aimer tout entière; je veux que tu aies une entière confiance. C'est vrai, tu me connais à peine. Il ne faut qu'une minute pour aimer; on sent tout de suite le mouvement électrique qui vous frappe en même temps. Dis-moi: m'aimes-tu un peu?

–Certainement, je vous aime, non seulement un peu; j'ai peur de vous aimer beaucoup et d'être alors fort malheureuse. Vous avez de trop grandes choses en vous pour que votre cœur ressente une tendresse bien vive pour ce qui n'est pas la gloire. Les pauvres femmes sont prises et bien vite oubliées; pour vous, c'est un joujou qui vous amuse un peu plus, un peu moins et, quoique vous soyez le Premier Consul, je ne veux pas être un joujou.

–Mais, si vous êtes mon joujou préféré, vous ne vous en plaindrez pas, j'espère. Pas de méfiance, Georgina; vous me fâcheriez.

–Eh bien, je reviendrai demain.

–Vous voyez comme je suis faible de consentir à vous laisser partir sans m'avoir donné une preuve d'abandon, qui ne nous laisse plus étrangers l'un à l'autre. Partez donc, Georgina. A demain.

–Ah! j'oubliais: je joue Cinna.

–Tant mieux: j'assisterai à la représentation. Soyez bien belle. Après Cinna, la voiture vous attendra.

–Mais je serai fatiguée.

–Allons, Georgina, cette fois, je veux vous voir après Cinna, et vous céderez à mon désir, ou je ne vous verrai jamais.

–Je viendrai.

J'avais de grosses larmes dans les yeux.

–Tu pleures; tu vois bien que tu m'aimes un peu, folle.

Il essuya mes grosses larmes, m'embrassa et me dit:

–A demain, ma chère Georgina.

On joua effectivement Cinna; rien n'avait été changé. A sept heures un quart, j'entrais en scène, et le Consul n'était pas arrivé. C'est pour me punir qu'il n'est pas là. Eh bien, s'il ne vient pas, je n'irai pas demain à Saint-Cloud. Je ne suis pas une esclave, je m'appartiens bien. Je suis à moi, à moi seule, Dieu merci. Ah! que j'ai bien fait de résister! C'était un caprice, rien de plus.

Mon cher Consul, vous voyez que j'ai ma volonté aussi et que, quoique très petite fille, je sais ne pas courber la tête devant la puissance. Tant mieux; je suis libre et je respire plus librement.

Et je sentais que j'étouffais en débitant mon monologue. Débiter, c'est le mot. J'étais détestable, absurde, et la fière Émilie était fort humiliée. Il est inouï, tout ce qui peut se passer dans la tête d'une artiste, tout en jouant, tout en étant le personnage, en apparence du moins. Car d'autres pensées viennent vous assaillir, font de vous une machine; on fait sa charge, et l'on trompe parfois le public.

A la fin de mon monologue, j'entends une rumeur dans la salle et des applaudissements frénétiques: c'était le Consul. Ah! combien je respirais avec bonheur. On crie: «Recommencez!» ce qui arrivait toujours, quand le Premier Consul était en retard. Je recommençai, mais cette fois le cœur rempli de joie et d'ivresse, mais tout entière à mon personnage. Le bon public devait dire: «A la bonne heure! Il paraît que la présence de notre grand homme l'inspire plus que cette salle comble.» Le Consul aimait beaucoup la tragédie de Cinna.

La représentation de cet ouvrage était si magnifiquement jouée par Talma et Monvel; Monvel, si simple dans Auguste, si noble! On parle de diction! Ah! c'est lui qui connaissait le secret d'émotionner sa diction. Comme il parlait Corneille, cet homme! Sans organe, presque sans voix, on l'entendait de partout. Aussi, quel silence admirateur quand il était en scène! Qu'il était tragique, simple, et, dans son monologue du IVe acte, je crois, quand Évandre venait de lui découvrir la trahison de Cinna, et que dans le monologue il récapitulait toutes ses actions et qu'il finissait par dire:

Rentre en toi-même, Octave, et souffre des ingrats,

Après l'avoir été!

Après l'avoir été était dit avec un sentiment indéfinissable. Il y avait dans ces deux mots tous ses remords: c'était d'un effet tragique. Et encore dans ce même monologue, quand il se relève et qu'enfin il veut se venger de cet ingrat, il avait un retour sur lui-même en disant:

Eh quoi, toujours du sang et toujours des supplices!

Du sang était dit avec étouffement et une expression de dégoût sur les lèvres; il se laissait tomber dans un fauteuil et il disait d'une manière si fatiguée, si épuisée:

Ma cruauté se lasse!

(Cher Valmore, je n'ai pas Cinna sous la main. Vous l'aurez dans votre mémoire d'artiste et vous arrangerez cela en homme de goût qui se connaît en belles choses. Je crois qu'il est heureux d'intercaler ces détails artistiques entre ma troisième visite à Saint-Cloud.)

Et la scène qui ouvre le Ve acte entre Auguste et Cinna. Il entrait le premier; très agité, Cinna le suivait. Les fauteuils étaient posés à l'avance. Monvel prenait son fauteuil d'une main tremblante.

Prends un siège, Cinna.

Et, sur l'hésitation de Cinna, il recommençait:

Prends…

Quel effet prodigieux! Ah! j'étais là, palpitante, tout oreilles, comme tout le public, du reste. Et les vers qui suivaient le fameux Prends:

Sur toute chose,

Observe exactement la loi que je t'impose.

Dès le commencement de cette scène, son débit était bref, serré, et pourtant impétueux. Quand il rappelait à Cinna les faveurs dont il l'avait comblé et lui disait:

Cinna, tu t'en souviens, et veux m'assassiner.

Cinna, qui veut alors se relever, était retenu par Monvel:

Tu tiens mal ta parole. Sieds-toi.

Rendre l'effet est impossible. Et quand il lui citait tous les conjurés, qu'il les comptait sur ses doigts, ces doigts magiques dont la flamme sortait de chaque phalange; compter sur ses doigts sans exciter le rire, faire frémir tout le monde au contraire, c'est pousser l'art au delà de toute imagination; et, après avoir démontré à Cinna toutes ses bassesses, toutes ses ingratitudes, quand il finissait cet éloquent dialogue en lui disant:

Parle, parle, il est temps.

Je ne pense pas qu'il soit possible à aucun comédien d'atteindre une perfection semblable, aussi vraie, aussi intelligente, et tout cela sans un cri, sans une exagération! Ah! Monvel sublime, ta réputation est bien au-dessous de ton immense talent. L'injustice dominera donc toujours?

Talma, dans ce personnage pusillanime, incertain, brave cependant, mais faible, qui marchait sous l'influence de sa passion pour Émilie, et qui agissait contre les sentiments de son cœur. Que sa première entrée était belle, à Talma! Tout ce beau et interminable récit était fait d'une voix basse; quand il en arrivait à ces vers:

Le frère tout dégouttant du meurtre de son père,

Et, sa tête à la main, demandant son salaire,

quelle physionomie! Toutes ses fibres tremblaient! Il avançait la main droite qui vraiment portait une tête, et, de l'autre main, qu'il avançait presque au-dessus de cette tête ensanglantée, demandait son salaire. Ceci était d'un effet si épouvantablement vrai, que j'ai vu bien souvent des femmes se retourner de frayeur. C'est, je crois, du talent, mais ceux qui ne l'ont pas vu n'y croiront pas; ils ont raison: ils ne l'ont pas vu et ne le verront pas. Les vieilles traditions sont aujourd'hui tournées en ridicule (à l'impossible nul n'est tenu). Comment parler des couleurs à un aveugle?

Les tragédies n'étaient pas entourées de beaux décors; c'était même très sale, très négligé. On avait grand tort. La faute n'en était certes pas à Talma, qui sentait et connaissait toute l'antiquité mieux que personne. Que de fois je l'ai vu dans de saintes colères contre ce mauvais goût, cette mesquinerie! «Mais vous nous ferez donner des bonnets d'âne, misérables que vous êtes!» Pauvre Talma, qui voulait, tant il aimait l'antiquité, rétablir les chœurs dans Œdipe. La musique élève l'âme, elle poétise; mais parler de cela à ces bonnets de coton, c'est peine perdue.

–Vois-tu, me disait-il, ils sont encroûtés dans leurs vieilles habitudes. Ils croient que j'apporte le bonnet rouge, quand je parle d'innovations si nécessaires à notre art. Si l'on négligeait la mise en scène d'une manière si mesquine, on ne négligeait pas la distribution des ouvrages. Dalmas, acteur brillant et à grands applaudissements causés par une chaleur intrépide, qui étonnait et entraînait le public étourdi par tant de volubilité, qui se demandait après: «Mais pourquoi ai-je tant applaudi? Je ne sais pas, c'est fait, et je n'ai pas applaudi Talma, quand il a dit d'une manière si simple et si touchante:

C'est Oreste, ma sœur…

j'ai eu des larmes aux yeux pourtant, et je n'ai pas applaudi. Est-ce que j'aimerais mieux le tambour que le rossignol? Décidément, je suis une vraie brute.» Dalmas n'était point sans talent, mais, je le répète avec regret: c'était un talent étourdissant. Mais enfin il tenait son emploi de jeune premier rôle et ne dédaignait pas de jouer Maxime, rôle peu à effet, effacé presque complètement par Auguste et Cinna; mais il le jouait. Les premiers confidents, quoique premiers et, il faut bien l'avouer, bien médiocres en ce temps, n'auraient pas osé se faire remplacer. Les ouvrages, de ce côté, étaient montés le mieux possible.

Ce soir-là, et la présence du Consul y était pour beaucoup, l'effet de la représentation était magnifique. Je ne parle pas de moi, mon Dieu! Au milieu de ces merveilleux et immenses talents, de ces géants, je me tenais de mon mieux pour ne pas faire ombre au tableau. J'eus donc la flatteuse récompense de mes efforts. Mais il m'arriva, au Ve acte, un applaudissement auquel j'étais loin de m'attendre, au vers:

Si j'ai séduit Cinna, j'en séduirai bien d'autres.

Applaudi, ce vers, à trois reprises. Je devins pourpre. Mon Dieu! que veut dire cela? On présume donc quelque chose? On ne peut rien savoir. Le Premier Consul vient souvent et on croit peut-être… Ce serait affreux! Les secrets de la cour seraient donc comme les secrets de la comédie? Que va me dire le Consul? Il sera furieux; il m'accusera peut-être d'indiscrétion, et pourtant je ne me suis confiée qu'à Talma. Il est trop prudent et trop peureux pour en avoir ouvert la bouche, même à sa femme. Talma me suivit dans ma loge tout ébouriffé.

 

– Eh bien! tu vois? Tu as entendu ces applaudissements?

–Oui; j'en suis confuse et inquiète. Pourvu que le Consul ne m'accuse pas d'indiscrétion! Après tout, peu m'importe; le public a peut-être voulu me faire un gracieux compliment. Allez-vous-en, Talma; on m'attend.

Je montai en voiture et me voilà pour la troisième fois sur la route de Saint-Cloud. Le Consul m'attendait.

–La représentation a été bien belle, me dit-il. Talma a été vraiment sublime. Monvel est un acteur bien profond; malheureusement, la nature l'a desservi. On ne peut avoir une grande réputation avec une voix aussi défectueuse, un physique si grêle. Le théâtre, c'est l'idéalité; on n'y veut pas voir des héros mal faits. Monvel combat ses défectuosités par la science, mais le charme est absent. C'est un acteur à étudier. Vous avez été belle aussi, Georgina.

–J'ai fait de mon mieux pour mériter votre suffrage, qui est le plus flatteur pour moi.

–Eh! mais, vous devenez flatteuse.

–Je cherche à me faire grande dame.

–Vous essayez à devenir méchante. Soyez ce que vous êtes; je vous préfère Georgina que comtesse.

–Il m'accablait de bontés.

–Mettez-vous là près de moi. Vous êtes un peu fatiguée. Voyons, débarrassez-vous de ce schall, de ce chapeau, que l'on vous voie.

Il défaisait petit à petit toute ma toilette. Il se faisait femme de chambre avec tant de gaieté, tant de grâce et de décence qu'il fallait bien céder, en dépit qu'on eût. Eh! comment n'être pas fascinée et entraînée vers cet homme? Il se faisait petit et enfant pour me plaire. Ce n'était plus le Consul; c'était un homme amoureux peut-être, mais dont l'amour n'avait ni violence, ni brusquerie. Il vous enlaçait avec douceur, ses paroles étaient tendres et pudiques. Impossible de ne pas éprouver près de lui ce qu'il éprouvait lui-même!

Je me séparai du Consul à sept heures du matin; mais honteuse du désordre charmant que cette nuit avait causé, j'en témoignai tout mon embarras.

–Permettez-moi d'arranger cela.

–Oui, ma bonne Georgina; je vais même t'aider dans ton service.

Et il eut la bonté d'avoir l'air de ranger avec moi cette couche, témoin de tant d'oublis et de tant de tendresses.

(Ouf! en vérité, bonne madame Valmore, il faut une plume comme la vôtre pour faire passer ces détails historiques et très vrais pourtant. J'ai fait ce que j'ai pu, mais je suis impuissante.)

Le Consul me dit: «A demain, Georgina.» Il me disait: «A demain!» pour sans doute calmer mes inquiétudes; c'était encore une délicatesse de son cœur. Non, jamais ceux qui liront ces détails ne voudront y croire; ils sont réels. Pour bien connaître le grand homme, il fallait le voir dans l'intimité; là, dépouillé de ses immenses pensées, il se plaisait dans les petits détails de la vie simple et humaine; il se reposait de la fatigue, de lui-même.

–Non, pas à demain, si vous le permettez; mais après-demain.

–Oui, ma chère Georgina, comme tu le veux; à après-demain. Aime-moi un peu et dis-moi que tu reviendras avec bonheur.

–Je vous aime de toute mon âme; j'ai peur de trop vous aimer. Vous n'êtes pas fait pour moi, je le sais, et je souffrirai; cela est écrit, vous verrez.

–Va, tu prophétises mal; je serai toujours bon pour toi. Mais nous n'en sommes pas là. Embrasse-moi et sois heureuse.

Me voici entrée dans une existence vivante, douce pour l'instant, mais qui me causera bien des angoisses! Je serai sans cesse dans le doute, peut-être jalouse. Soyez donc jalouse d'un homme, que l'on ne peut voir que quand il consent. Oui, on envie l'honneur—on appelle cela l'honneur—d'être remarquée par le Consul! C'est beau! C'est grand! Mais, au fond, c'est triste. Il vaudrait mieux être aimée de son égal: on peut s'entendre, se disputer à l'aise, et l'on n'a pas devant soi une impériale porte, qui vous défend d'entrer sans l'ordre du maître. Oui, c'est triste, c'est navrant; c'est l'esclavage avec des chaînes dorées.

Sortie à la troisième et définitive entrevue. Rendez-vous le surlendemain. C'est l'esclavage doré.

Me voici dans une ère nouvelle. Reçois mes adieux, jeune fille sans soucis, sans autre passion que celle de la gloire théâtrale: tu rentres femme dans le domicile qui, la veille encore, n'entendait que des éclats de rire enfantins. Tu reviens avec un cœur aimant; prépare-toi donc à tous les tourments de ce sentiment, qu'on appelle amour, et qui, presque toujours, est le tombeau de vos illusions, de tous vos rêves! Je rentrai triste chez moi; je sentais que j'aimais le Consul. Il envoya Constant s'informer de mes nouvelles et me rappeler ma promesse pour le lendemain. Je ne sortis pas de la journée; ma porte fut fermée pour tout le monde, excepté pour mon fidèle Talma, qui ne manqua pas de venir tout courant.

–Eh bien, t'a-t-il parlé de ces affreux applaudissements à ce vers:

Si j'ai séduit Cinna, j'en séduirai bien d'autres?

—Il ne m'en a pas dit un mot; mais il vous a trouvé sublime, mon cher Talma. Comme il parle bien, le Consul, sur la tragédie! Que de bons conseils il donne! Il trouve que vous êtes tragique de la tête aux pieds. Moi, je ne m'y connais pas comme lui, mais ce que je puis dire, c'est que, pendant votre récit du premier acte, j'ai des frissons qui parcourent tous mes membres, et que, si le public n'était pas tout entier sous vos accents et qu'il pût détourner ses yeux, il me verrait pâlir et lirait sur mon visage l'impression profonde que vous me produisez.

–C'est un grand éloge que vous me faites là.

–Mon Talma, c'est ce que j'éprouve en vous écoutant. Je ne suis plus sur un théâtre, je vous assure; vous me transportez à Rome.

–Tu dois être heureuse, d'après ce que tu viens de me raconter. On n'a pas pour une femme, pour laquelle on n'éprouve qu'une fantaisie, tous ces soins tendres et délicats, cette patience qu'il a eue. Il te gâte: tu n'en trouveras pas comme lui.

–Je ne le sais que trop; Talma, c'est que je l'aime, voyez-vous, et c'est fort inquiétant.

–Quand le vois-tu?

–Demain. Il désirait me voir aujourd'hui, mais, sur ma prière…

–Que de femmes voudraient être à votre place! Soyez discrète, je vous en prie; qu'il n'y ait pas le moindre reproche à vous faire. Le Consul aime la décence dans tout. On le saura, on le sait peut-être déjà, et je le crois, mais que ce ne soit pas par vous.

Talma avait la vue très basse; je le voyais me regarder.

–Qu'est-ce que tu as à tes oreilles?

–Ah! j'oubliais. Ce sont deux boutons de diamants, que le Consul a mis à mes oreilles il y a déjà deux jours, le lendemain de ma première entrevue. «Tenez, ma chère Georgina, je vous ai tout brisé; il est juste que je remplace tout le dégât que j'ai fait.»

–Mais ils sont superbes, ces boutons.

–Certainement, ils sont magnifiques, mais la manière dont il donne est plus belle encore. Un autre aurait eu le mauvais goût de me les envoyer; mais, lui, c'est autre chose. Comment voulez-vous qu'on ne l'aime pas! Décidément, Talma, j'en suis folle.

–Tu fais bien; je trouve même que c'est très raisonnable. Viens ce soir au théâtre.

–Je n'en ai pas envie.

–Pourquoi?

–C'est que je suis bien pâle.

–Tu n'as jamais de couleurs, coquette. Tu sais bien que la pâleur te va bien. Tu es comme toujours. Viens; nous parlerons de lui. Ah! c'est que je l'aime aussi, moi, vois-tu!

J'allai donc aux Français. Talma n'y était pas encore. Je descendis au théâtre. Nous avions là une petite toilette établie; on y portait son rouge, son blanc, épingles, verre d'eau. Plusieurs sièges de repos étaient à l'entour et là les femmes se passaient toutes en revue et ne s'épargnaient guère. Quand l'une quittait sa place pour entrer en scène, une autre la remplaçait vite. Mars jouait ce jour-là dans le Philosophe sans le savoir. C'était bien la figure la plus ravissante que l'on pût voir; elle avait l'air d'avoir quinze ans sous sa petite robe blanche et son tablier vert. Elle était admirable dans Victorine d'un bout à l'autre, d'une ingénuité et d'un dramatique qui feraient pâlir tous les drames actuels. Ses succès étaient à la hauteur de son talent. Aussi ses charmantes camarades étaient à la piste et lui cherchaient un défaut; ne pouvant la critiquer sur son talent, elles osaient déjà parler de son âge.

–Ah çà! disait Bourgoin, elle ne laissera pas son petit tablier vert? Je ne pourrai jamais parvenir avec elle. Vous verrez qu'elle jouera les petites filles jusqu'à soixante ans. Moi, je serai aux Incurables.

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