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Les français au pôle Nord

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VI

Effets du froid. – Son action déprimante sur les hommes. – Debout au quart. – Célébration du jour de l'an. – Un programme séduisant. – Représentation de jour donnée pendant la nuit. – Ne pas confondre midi avec minuit. – Assaut d'armes. – Guignard et son Sosie. – Chiens savants. – Boniment. – Les prouesses de Dumas. —Les Deux Aveugles.– Succès inouï. – La Vieille-Alsace. – Espérance.

Jusqu'au 23 décembre, le soleil, bien qu'abaissé de quatorze degrés et demi au-dessous de l'horizon, émettait encore, une fois en vingt-quatre heures, et par rayonnement, une vague lueur verdâtre aussitôt évanouie qu'apparue.

Cette «aube» fugitive, à peine entrevue pendant cinq minutes, comme une ligne un peu moins sombre sur l'horizon noir, constituait pour les hivernants le jour polaire.

Tout n'était donc pas mort, puisque la nature essayait encore de soulever là-bas un coin de son suaire, et d'attester un reste de vitalité expirante.

Cette tache livide, cet atome de lumière, insaisissable comme le soupir d'un moribond qui ternit à peine la face d'un miroir, c'était encore la vie.

Le 24, à midi, rien n'apparut! le soleil ayant atteint sa position la plus méridionale.

Sur l'enfer des glaces plane définitivement l'enfer des ténèbres.

Le froid, déjà si rigoureux précédemment, est devenu atroce.

Par bonheur, aucun souffle n'agite l'air qui est d'une sérénité merveilleuse. Si de pareilles températures s'accompagnaient de vent, nulle créature humaine n'y résisterait.

Depuis quatre jours, le thermomètre à alcool marque −46° centigrades. A −42° ceux à mercure sont restés gelés!

Et l'on s'attend à voir plus tard la dépression s'accentuer encore!

Que sera-ce?.. grand Dieu!

Déjà le feu semble avoir perdu sa chaleur, et les choses d'usage courant sont l'objet de transformations inattendues.

Le calorifère chauffé à blanc nuit et jour est impuissant à maintenir la température dans le poste. N'était la façon ingénieuse dont le navire a été agencé, avec double cloison, revêtement de feutre, interposition de sciure de bois, les hommes, à la longue, gèleraient sur place.

Dès que la porte s'entr'ouvre, un tourbillon de vapeur, qui se résout en légers flocons de neige envahit la coursive. L'homme qui arrive du dehors apparaît comme dans un nuage, et si une goutte d'eau tombe sur ses vêtements, elle se change en une perle de glace.

Un livre quand on l'ouvre, un linge quand on le déplie, fument comme s'ils brûlaient.

La viande se débite à la scie et à la hache. Elle a pris la consistance du bois. De son côté, le bois, quand on le travaille au couteau, est devenu aussi dur que l'os. Il ébrèche les meilleures lames qui, du reste, sont cassantes comme verre.

Le pain est aussi ferme que de la brique et résiste aux efforts de mastication les plus violents.

Fumeurs enragés, les hommes ont toutes les peines à satisfaire leur passion. La sécheresse de l'atmosphère est telle que le tabac tombe en miettes et se réduit en poussière. Une pipe chargée avec ces corpuscules tire mal et s'éteint comme une allumette de la défunte régie. Un cigare grésille et meurt étouffé sous les glaçons qui hérissent barbes et moustaches.

Impossible de toucher, sans être ganté, les instruments et les outils en métal dont le contact produit sur la peau l'effet d'une brûlure.

Le beurre et le saindoux, réduits à l'état oléagineux sous l'équateur, sont durs comme du silex. L'huile a la consistance de la glace, et le rhum s'épaissit comme du sirop. L'acide azotique se prend en une substance qui ressemble au lard et l'eau-de-vie ordinaire se solidifie en moins d'une heure.

L'essence de térébenthine reste liquide, mais donne naissance à un sédiment. L'éther et le chloroforme restent également liquides, mais tiennent en suspension, le premier des cristaux, le second de fines aiguilles. Quatre parties d'alcool et une partie d'eau ne se congèlent pas, mais semblent s'épaissir.

L'acide chlorhydrique et l'alcool rectifié sont les seuls à ne pas manifester une modification quelconque dans leurs propriétés physiques.

… On affirme volontiers que les chaleurs excessives amollissent l'homme et le rendent paresseux, tandis que le froid l'excite et l'aguerrit.

Peut-être celui des régions moins inclémentes que celles occupées par nos hivernants, car ceux-ci peuvent, en raison de ce qu'ils ressentent, formuler d'étranges réserves, au sujet du froid polaire.

S'il agit d'abord comme excitant sur la volonté, il ne tarde pas à produire une invincible atonie. Quand il a subi pendant un certain temps l'action déprimante de ce climat terrible, l'homme se sent gagné par une sorte d'ivresse morne. Ses mâchoires tremblent et s'engourdissent, sa langue s'empâte; il n'articule plus les mots qu'avec difficulté, ses mouvements deviennent incertains, ses yeux se troublent, son oreille devient dure, son corps est lourd, son esprit obtus et il vit dans une sorte de torpeur intellectuelle et morale qui le rend incapable d'effort et de pensée.

Seuls, Oûgiouk, l'homme à demi sauvage des glaciers hyperboréens, et les chiens, ses compagnons habituels, supportent sans défaillance les implacables rigueurs de cet enfer.

Le digne Groenlandais boit et mange comme un gouffre et évolue au milieu des frimas, comme son compatriote, l'ours arctique.

Les chiens conservent toute leur vivacité. Ils cabriolent et frétillent dans la neige avec un entrain magnifique, et semblent s'apercevoir seulement du froid quand ils sont immobiles sur leurs pattes. On les voit alors lever alternativement les pieds, comme si le contact du sol leur faisait éprouver la sensation de brûlure provenant de ce froid intense.

Aussi, pour combattre cette action débilitante qui, parfois, menace d'abattre les plus énergiques, le capitaine multiplie les exercices physiques et les distractions morales. Pour compenser les pertes subies par les organismes, il fait augmenter les rations, et veille à la rigoureuse observance des prescriptions hygiéniques.

Quand un homme paraît céder à la torpeur et demande comme une grâce à être exempté d'une corvée, le capitaine lui cite à titre d'exemple le cuisinier Dumas, de beaucoup plus occupé depuis l'hivernage. Dumas, qui n'a pas un instant de trêve, se porte comme un charme et déclare volontiers que ce saut de la Cannebière au voisinage du Pôle ne l'incommode pas.

Toujours le premier debout, toujours le dernier couché, il va, il vient, il tripote autour de son fourneau, coupe la viande, fait fondre la glace, prépare le thé, fait bouillir sa marmite, surveille son rata, fume comme un Suisse, siffle comme un loriot et trouve encore le temps de combattre les ours.

Levé dès cinq heures, il allume sa lampe à alcool, apprête le repas du matin, et au coup de six heures pénètre dans le dortoir.

– Capitaine, il est six heures, dit-il de sa voix retentissante.

«Allons, les hommes, debout au quart!.. debout!.. debout!.. debouttt!..»

On entend un concert de bâillements, et chaque dormeur semble s'incruster sous sa fourrure.

– Deboutt!.. reprend le cuisinier d'un ton qui ne souffre pas de réplique.

«Debouttt!.. ou je largue les hamacs.»

Comme on le sait homme à exécuter cette menace, et à culbuter les récalcitrants, on s'arrache en grommelant du nid bien tiède et, bon gré mal gré, on procède aux ablutions.

Les factionnaires du pont arrivent à demi gelés et chacun absorbe la bouillante infusion largement additionnée de rhum.

Après quoi on s'ingénie de toutes façons pour aider à l'interminable défilé des heures.

Cahin-caha le 1er janvier 1888 arrive enfin. Un beau jour même là-bas, au milieu des ténèbres, sous la sombre coupole du firmament piquée d'étoiles aux scintillements aigus.

On «se la souhaite bonne et heureuse» accompagnée de plusieurs autres, et Plume-au-Vent récite au capitaine un compliment fort bien tourné, se terminant par une promesse de dévouement absolu, et l'engagement d'honneur de faire tout au monde pour assurer le succès de l'expédition.

Le capitaine, touché de cette protestation, serre la main à tous les hommes, les remercie par quelques mots du cœur et ajoute, pour finir:

– Maintenant, divertissez-vous!

La réjouissance commença naturellement par une double distribution de vieux rhum, absorbé comme du petit lait, tant la rigueur du climat facilite l'ingestion des liquides les plus capiteux.

Puis, Plume-au-Vent, très mystérieux depuis une quinzaine, tire de son coffre deux feuilles de papier couvertes de superbes caractères calligraphiques, et les colle gravement à chaque extrémité du poste.

Les camarades intrigués, sauf bien entendu ceux qui doivent collaborer au divertissement, s'approchent et lisent:

GRAND THÉÂTRE NATIONAL POLAIRE
Salle des glaces, rue de l'Ours-Blanc, numéro 48 au-dessous de zéro
GRANDE REPRÉSENTATION
Offerte à MIDI TRÈS PRÉCIS, par une troupe d'artistes et d'amateurs
PREMIÈRE PARTIE

1o Assaut de contrepointe par MM. Pontac et Bedarrides, prévôts brevetés de l'Académie de Rochefort-sur-Mer.

2o Imitations variées, par M. Farin, dit Plume-au-Vent.

3o Exercices de force par M. Pontac qui a eu l'honneur de travailler devant plusieurs têtes couronnées et autres.

4o Pompon, Cabo, Bélisaire et Ramona, chiens savants, présentés en liberté par leur patron.

DEUXIÈME PARTIE

1o Les Cerises, romance chantée sans accent, par M. Dumas.

2o Les deux Aveugles, opéra comique en un acte.

Giraffier, M. Farin dit Plume-au-Vent
Patachon, M. Dumas dit Tartarin
Un Passant, un amateur

3o La Vieille Alsace. Chant patriotique par M. Farin.

 

N. B. Comme le spectacle est une représentation de jour donnée pendant la nuit pour cause d'absence momentanée du soleil, ne pas confondre midi avec minuit!..

C'est pour midi! midi! midi!!!
Qu'on se le dise

Quiconque n'a pas vu le peuple de Paris faire queue, un jour de 14 juillet, devant l'Académie nationale de musique, la Comédie-Française, l'Opéra-Comique ou même l'Odéon, concevra difficilement l'enthousiasme et l'impatience des marins de la Gallia, quand le programme élaboré par Plume-au-Vent annonça ces merveilles inattendues.

Encore, ce brave public, très gobeur et déjà emballé avant l'ouverture de nos grandes scènes, accessibles à tout venant, ce jour-là, n'est-il pas sevré de distractions comme les malheureux hivernants polaires, grelottants sous un ciel de fer, et submergés dans un océan de ténèbres.

Aussi, quelle attente nerveuse, après les applaudissements soulevés par la seule lecture de l'affiche! Quel déploiement d'imagination pour tuer les heures, avant que les chronomètres, entêtés à marcher, contre toute vraisemblance, ne marquent midi!

Enfin, la scène est installée, comme jadis, avec sa bonnette en guise de rideau… la toile! sans métaphore, derrière laquelle se dissimulent au dernier moment les artistes.

Les trois coups sacramentels retentissent: Pan!.. Pan!.. Pan!..

Et soudain apparaissent, au milieu d'un décor de pavillons, les deux champions, Pontac et Bédarrides, appuyés chacun sur un sabre de bois.

– A vous l'honneur!..

– Je n'en ferai rien!..

– Par obéissance!..

Bédarrides, agile comme un singe, se met à asticoter Pontac, qui, solide et trapu comme un bloc, s'entoure de moulinets vertigineux.

Coups de tête et coups de banderole, coups de flanc et coups de manchette se succèdent avec une rapidité inouïe qui n'a d'égale que celle des parades.

Les deux adversaires sont dignes l'un de l'autre, et ils y vont bon jeu bon argent, en hommes qui ne pensent guère à se ménager.

Et les espadons claquent, ronflent, tourbillonnent, à la grande joie du public, très connaisseur, qui n'épargne ni les encouragements ni les bravos.

Bédarrides est fantaisiste, mais Pontac est classique. Le premier s'excite, mais le second demeure imperturbable. Ce que l'un gagne en vitesse, l'autre le récupère en sang-froid.

En somme, de vaillants escrimeurs, à ce point qu'après un rude assaut de quinze minutes, il n'y a ni vainqueur ni vaincu.

Allons, tant mieux! Et cette lutte pacifique n'aura même pas occasionné une blessure d'amour-propre.

– Bravo! camarades!.. Bravo!.. et encore bravo!

Après un entr'acte assez long, car il faut faire durer le plaisir, la toile s'ouvre de nouveau, et on voit apparaître en scène… Constant Guignard!

Mais le programme n'annonce pas la collaboration du Normand; du reste, il est parmi les spectateurs…

Son Sosie, alors. Parbleu! Plume-au-Vent, qui inaugure ses imitations par celle de son matelot. Plume-au-Vent grimé, déhanché, camard comme nature, et aussi Constant Guignard que Constant Guignard lui-même.

Il parle, c'est Guignard et son accent de terroir. Il marche, essaie de mettre ses lunettes, raconte ses transes au sujet du boni, c'est toujours et de plus en plus Guignard.

Tant et si bien que le docteur qui rit à en être malade, propose de mettre en présence les deux Guignard sur la scène.

Alors, un fou rire qui gagne le Normand et sa doublure s'empare de l'assistance, car la charge est si bien réussie, qu'on ne peut plus les distinguer au milieu du dialogue incohérent qu'ils improvisent.

On peut juger si les imitations si bien commencées obtiennent un succès complet.

C'est fini pour Guignard, à un autre. L'endiablé Parisien se grime en un tour de main, se costume en un clin d'œil, et apparaît sous l'aspect formidable de Dumas, vêtu en cuisinier, le coutelas professionnel au flanc, la carabine sur l'épaule, et faisant ronfler les r avec son exubérance provençale.

C'est ensuite le camarade Nick, dit Bigorneau, puis Courapied, dit Marche-à-Terre, et, pour terminer, Oûgiouk! Le Grand-Phoque lui-même, qui, tout ahuri, croit à la présence d'un esquimau véritable et l'interpelle dans sa langue!

Après celle-là, il faut tirer l'échelle, et le Parisien est décidément un grand artiste.

Vinrent ensuite les exercices de force, par Pontac, le prévôt herculéen, également très goûtés, puis un des «clous» de la soirée, les chiens savants.

Plume-au-Vent, muni d'un falot, s'en alla au chenil chercher les artistes, et les amena, fumants comme des tisons, au milieu du poste où ils pénétraient pour la première fois.

Eblouis à la vue de la lumière électrique et la prenant pour celle du soleil, stupéfaits et ravis de cette bonne chaleur qui les enveloppe, ils se mettent à japper éperdument, à cabrioler, et tendent des narines avides vers les succulents reliefs du festin.

– Ne leur donnez pas à manger! s'écrie Plume-au-Vent, ou j' pourrais plus rien en faire.

Déçus dans leur convoitise, les toutous avisent le calorifère dont la brûlante haleine sollicite violemment leur épiderme arctique.

– Sapristi! murmure Plume-au-Vent, y sont habitués à travailler en plein air, y aura du tirage, car ils m'ont l'air tout décontenancés.

«Faut un boniment… Allons-y!

«Mesdames et Messieurs, avant de vous présenter mes élèves, je réclamerai toute votre indulgence. C'est la première fois qu'ils affrontent le feu de la rampe qui dans l'espèce est le feu du calorifère, et ils ressentent l'émotion inséparable d'un premier début. J'aurai, en outre, l'honneur de vous faire observer qu'ils ont étudié à temps perdu, qu'ils étaient encore, il y a six mois, sauvages comme des phoques, et que par conséquent leur instruction est fort incomplète.

«Je ferai néanmoins tout mon possible pour vous être agréable.

«Encore une fois, Mesdames et Messieurs, soyez indulgents.

«Et vous, mes chers toutous, montrez votre savoir-faire à honorable assemblée.»

Amenés à grand'peine sur la scène, les quatre artistes qui témoignent au calorifère une tendresse excessive, restent la tête et la queue basse, très piteux.

– Allons, assis! commande le professeur d'une voix brève.

Et l'on s'assied gravement, avec des bâillements alanguis.

– Vous avez faim?

– Ouap!.. ouap!.. glapit d'une seule voix le quatuor.

– Très bien! Voici pour vous mettre sous la dent, continue le Parisien en distribuant équitablement quatre morceaux de sucre.

«Dites-moi, Monsieur Pompon, où allons-nous?..

«En France?..

Pas de réponse.

– Est-ce en Amérique?.. en Chine?.. à Constantinople?..

Rien encore.

– Au Pôle Nord?..

– Ouap!.. oû… ouap!..

– C'est parfait! vous êtes en géographie de la force de douze chevaux-vapeur.

«Et vous, Monsieur Cabo, qu'aimez-vous le mieux?

«La moutarde?.. le verre pilé?.. les coups de bâton!..

– …

– Le sucre?

– Ouap!.. ouap!..

– A merveille, puisque vous préférez le sucre, grignotez à loisir ce morceau que vous offre ma blanche main.

«Quant à vous, Monsieur Bélisaire, vous allez nous dire quel est notre chef.

«Voyons, réfléchissez bien et ne faites pas de gaffe!..

«Est-ce Constant Guignard?.. Non, n'est-ce pas?

«Est-ce votre ami Monsieur Dumas qui vous confectionne de si bonne soupe? Pas davantage, hein!

«Ne serait-ce pas le capitaine?..

– Ouap!.. ouap!..

«Bravo! mon fils!.. vous avez le sentiment de la hiérarchie…

«Vous, monsieur Ramonat, je me suis laissé dire que vous étiez patriote, est-ce vrai?..

«Voyons cela. Criez: Vive l'Angleterre!..

«Paraît que vous n'aimez pas les Anglais.

«Eh bien, criez: Vive l'Autriche!

«Ce n'est pas encore cela?.. criez donc: Vive l'Allemagne.

«Vous grognez et vous montrez les dents… tous mes compliments.

«Criez alors: Vive la France!..»

Et soudain, Ramonat se met à clamer d'une si belle voix que ses trois camarades, par sympathie, font chorus, à s'érailler la gorge.

Un ouragan de bravos accueille cette démonstration patriotique d'autant plus méritoire, que les artistes sont seulement Français d'adoption, et depuis si peu de temps!

Plume-au-Vent, très fier de voir que tout marche sans embardées, salue, la main sur son cœur, attend la fin des applaudissements et ajoute:

– Mesdames et Messieurs, je vous remercie au nom de mes élèves qui, pour vous témoigner leur gratitude, vont avoir l'honneur de vous montrer le fond et le tréfond de leur savoir-faire.

«Ils ont répondu jusqu'à présent avec une précision parfaite à mes questions, maintenant ils vont faire plus fort.

«Je prétends qu'ils savent leur alphabet, et je vais vous le prouver.

– Attention!

A ce mot, les chiens qui se sont levés, s'accroupissent de nouveau sur leur derrière et demeurent immobiles.

Plume-au-Vent leur met à chacun un morceau de sucre sur le bout du nez et commande:

– Bougeons pas!.. A… B… C… D… E… F… G… Pompon, ton nez remue… H… Cabo!.. I… ne nous pressons pas… J… K… L…M!..

En même temps, les quatre chiens donnent avec leur museau une brusque saccade, le morceau de sucre jusqu'alors d'aplomb sur leur nez jaillit en l'air, et retombe dans chaque gueule béante.

– Ceci, Mesdames et Messieurs, est pour avoir l'honneur de vous remercier, termine le professeur, dont la voix est couverte par des bravos retentissants.

Nouvel intermède pendant lequel on ne ménage ni les applaudissements, ni les commentaires, ni les toasts variés qui allument encore un peu l'assistance et la rendent singulièrement loquace.

Une fois n'est pas coutume.

Le programme annonce Les Cerises, chantées sans accent par M. Dumas.

Certes le Provençal est doué d'un organe superbe et il expectore la romance avec une magistrale ampleur. Mais ses efforts pour atténuer ce diable d'accent donnent lieu à des effets tellement inattendus, que la langoureuse cantilène devient d'un comique achevé.

On dirait un Auvergnat qui veut singer le Provençal, ou un provençal imitant l'auvergnat.

C'est d'un cocasse inouï, et M. Dumas, qui est de très bonne foi, ne peut s'expliquer son formidable succès d'hilarité.

Maintenant, les Deux Aveugles dont l'audition est impatiemment attendue.

Dumas-Patachon, «pauvre aveugle atteint de cécité et même privé de la lumière», apparaît, et entonne le couplet:

 
Dans sa pau…vre vi' malhûreuse,
Pour l'aveugle pas de bonheur…
 

et soudain l'auditoire est pris d'un rire colossal, tordant, inextinguible!

Les chiens, demeurés près du calorifère, font chorus, et le poste est empli d'un vacarme tellement intense, que la représentation est interrompue.

Non! vraiment, c'est trop… Le rire, atteignant de telles proportions, est presque douloureux.

Et cette nouvelle explosion, quand Giraffier-Plume-au-Vent fait son entrée, avec sa pancarte: «Aveugle par axidans…» et ce dialogue épique entre les deux sycophantes, et cette romance de Bélisario, hurlée du nez par le Parisien:

 
Justinien, ce monstre odieux,
Après m'être couvert de gloire,
Il m'a dépouillé de mes yeux,
Plaignez-moi, je n'y peux plus voir…
 

Ah! le bon moment d'oubli, après tant de fatigues!.. la puissante diversion aux horreurs de l'hivernage!.. la délirante gaieté, peut-être sans lendemain, hélas!

Amusez-vous, braves matelots que guette l'enfer de glaces!.. soyez enfants pour quelques heures encore!.. Fermez les yeux aux tortures de l'avenir, et faites en sorte de ne pas apercevoir le pli soucieux qui parfois assombrit le front de votre vaillant chef.

Oubliez et soyez tout entiers à cet instant de bonheur furtif!

Et maintenant que vous vous êtes grisés de gaieté, recueillez-vous avant d'entendre ce chant plein de colère et de regrets, qui va terminer votre fête.

La Vieille Alsace! Cette protestation indignée d'une infortune imméritée, cette fière bravade au vainqueur qui a volé le sol, mais n'a pas courbé les fronts.

Le Parisien, débarrassé de son grimage et de ses oripeaux, commence d'une voix sourde, un peu voilée, presque tremblante, et qui n'en est que plus sympathique:

 
Dis-moi quel est ton pays,
Est ce la France ou l'Allemagne?
C'est un pays de plaine et de montagne,
Une terre où les blonds épis
En été couvrent la campagne;
Où l'étranger voit, tout surpris,
Les grands houblons en longues lignes,
Pousser joyeux au pied des vignes
Que couvrent les vieux coteaux gris;
La terre où vit la forte race
Qui regarde toujours les gens en face!..
C'est la vieille et loyale Alsace!
 

La voix du chanteur s'est bientôt affermie. Elle éclate avec une chaleur qui se communique aux matelots, les étreint, les fait frissonner et précipite les battements de leurs cœurs.

 
 
Dis-moi quel est ton pays,
Est-ce la France ou l'Allemagne?
C'est un pays de plaine et de montagne,
Que les vieux Gaulois ont conquis
Deux mille ans avant Charlemagne…
Et que l'étranger nous a pris!
C'est la vieille terre Française.
De Kléber, de la Marseillaise!..
La terre des soldats hardis,
A l'intrépide et froide audace,
Qui regardent toujours la mort en face!..
C'est la vieille et loyale Alsace!
 

L'émotion grandit, et se traduit par un silence plein de recueillement. Nul ne songe à troubler d'un applaudissement cette héroïque protestation que sa simplicité rend plus poignante encore.

On croit entendre gronder l'âme d'un peuple vaincu, mais non asservi, tant la voix de cet enfant de Paris, tout à l'heure débordante de verve comique, se fait digne, émue, passionnée, tragique!

 
Dis-moi quel est ton pays,
Est-ce la France ou l'Allemagne?
C'est un pays de plaine et de montagne,
Où poussent avec les épis,
Sur les monts et dans la campagne,
La haine de tes ennemis
Et l'amour profond et vivace,
O France, de ta noble race!..
Allemands, voilà mon pays!..
Quoi que l'on dise et quoi qu'on fasse,
On changera plutôt le cœur de place
Que de changer la vieille Alsace!..
 

Une sourde rumeur accompagne la fin de cette strophe. Puis le bruit d'un rauque sanglot échappé au mécanicien Fritz Hermann, le brave Alsacien.

Il se lève, sans chercher à dissimuler les larmes qui coulent sur son mâle visage, et serrant, à les briser, les mains du jeune homme, s'écria d'une voix entrecoupée:

– Merci, matelot!

«Tu as bien dit!.. La France… Voilà notre patrie…

«Et l'Alsace… vois-tu… se reprendra!..

«Et nous les battrons là-bas, après les avoir vaincus ici.»

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