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Le Chevalier de Maison-Rouge

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– Comment cela?



– En me reconduisant jusque chez moi, en me protégeant tout le long de la route.



– Maurice! Maurice! dit Lorin, songe à ce que tu vas faire; tu te compromets horriblement.



– Je le sais bien, répondit le jeune homme; mais que veux-tu! si je l'abandonne, pauvre femme, elle sera arrêtée à chaque pas par les patrouilles.



– Oh! oui, oui, tandis qu'avec vous, monsieur… tandis qu'avec toi, citoyen, je veux dire, je suis sauvée.



– Tu l'entends, sauvée! dit Lorin. Elle court donc un grand danger?



– Voyons, mon cher Lorin, dit Maurice, soyons justes. C'est une bonne patriote ou c'est une aristocrate. Si c'est une aristocrate, nous avons eu tort de la protéger; si c'est une bonne patriote, il est de notre devoir de la préserver.



– Pardon, pardon, cher ami, j'en suis fâché pour Aristote; mais ta logique est stupide. Te voilà comme celui qui dit:





Iris m'a volé ma raison

Et me demande ma sagesse.



– Voyons, Lorin, dit Maurice, trêve à Dorat, à Parny, à Gentil-Bernard, je t'en supplie. Parlons sérieusement: veux-tu ou ne veux-tu pas me donner le mot de passe?



– C'est-à-dire, Maurice, que tu me mets dans cette nécessité de sacrifier mon devoir à mon ami, ou mon ami à mon devoir. Or, j'ai bien peur, Maurice, que le devoir ne soit sacrifié.



– Décide-toi donc à l'un ou à l'autre, mon ami. Mais, au nom du ciel, décide-toi tout de suite.



– Tu n'en abuseras pas?



– Je te le promets.



– Ce n'est pas assez; jure!



– Et sur quoi?



– Jure sur l'autel de la patrie. Lorin ôta son chapeau, le présenta à Maurice du côté de la cocarde, et Maurice, trouvant la chose toute simple, fit sans rire le serment demandé sur l'autel improvisé.



– Et maintenant, dit Lorin, voici le mot d'ordre: «Gaule et Lutèce…» Peut-être y en a-t-il qui te diront comme à moi: «Gaule et Lucrèce»; mais bah! laisse passer tout de même, c'est toujours romain.



– Citoyenne, dit Maurice, maintenant je suis à vos ordres. Merci, Lorin.



– Bon voyage, dit celui-ci en se recoiffant avec l'autel de la patrie.



Et, fidèle à ses goûts anacréontiques, il s'éloigna en murmurant:





Enfin, ma chère Éléonore,

Tu l'as connu, ce péché si charmant

Que tu craignais même en le désirant.

En le goûtant, tu le craignais encore.

Eh bien! dis-moi, qu'a-t-il donc d'effrayant?..



III

La rue des Fossés-Saint-Victor

Maurice, en se trouvant seul avec la jeune femme, fut un instant embarrassé. La crainte d'être dupe, l'attrait de cette merveilleuse beauté, un vague remords qui égratignait sa conscience pure de républicain exalté, le retinrent au moment où il allait donner son bras à la jeune femme.



– Où allez-vous, citoyenne? lui dit-il.



– Hélas! monsieur, bien loin, lui répondit-elle.



– Mais enfin…



– Du côté du Jardin des Plantes.



– C'est bien; allons.



– Ah! mon Dieu! monsieur, dit l'inconnue, je vois bien que je vous gêne; mais sans le malheur qui m'est arrivé, et si je croyais ne courir qu'un danger ordinaire, croyez bien que je n'abuserais pas ainsi de votre générosité.



– Mais enfin, madame, dit Maurice, qui, dans le tête-à-tête, oubliait le langage imposé par le vocabulaire de la République et en revenait à son langage d'homme, comment se fait-il, en conscience, que vous soyez à cette heure dans les rues de Paris? Voyez si, excepté nous, il s'y trouve une seule personne.



– Monsieur, je vous l'ai dit; j'avais été faire une visite au faubourg du Roule. Partie à midi sans rien savoir de ce qui se passe, je revenais sans en rien savoir encore: tout mon temps s'est écoulé dans une maison un peu retirée.



– Oui, murmura Maurice, dans quelque maison de ci-devant, dans quelque repaire d'aristocrate. Avouez, citoyenne, que, tout en me demandant tout haut mon appui, vous riez tout bas de ce que je vous le donne.



– Moi! s'écria-t-elle, et comment cela?



– Sans doute; vous voyez un républicain vous servir de guide. Eh bien, ce républicain trahit sa cause, voilà tout.



– Mais, citoyen, dit vivement l'inconnue, vous êtes dans l'erreur, et j'aime autant que vous la République.



– Alors, citoyenne, si vous êtes bonne patriote, vous n'avez rien à cacher. D'où veniez-vous?



– Oh! monsieur, de grâce! dit l'inconnue. Il y avait dans ce

monsieur

 une telle expression de pudeur si profonde et si douce, que Maurice crut être fixé sur le sentiment qu'il renfermait.



– Certes, dit-il, cette femme revient d'un rendez-vous d'amour. Et, sans qu'il comprît pourquoi, il sentit à cette pensée son cœur se serrer. De ce moment il garda le silence.



Cependant les deux promeneurs nocturnes étaient arrivés à la rue de la Verrerie, après avoir été rencontrés par trois ou quatre patrouilles, qui, au reste, grâce au mot de passe, les avaient laissés circuler librement, lorsqu'à une dernière, l'officier parut faire quelque difficulté.



Maurice alors crut devoir ajouter au mot de passe son nom et sa demeure.



– Bien, dit l'officier, voilà pour toi; mais la citoyenne…



– Après, la citoyenne?



– Qui est-elle?



– C'est… la sœur de ma femme. L'officier les laissa passer.



– Vous êtes donc marié, monsieur? murmura l'inconnue.



– Non, madame; pourquoi cela?



– Parce qu'alors, dit-elle en riant, vous eussiez eu plus court de dire que j'étais votre femme.



– Madame, dit à son tour Maurice, le nom de femme est un titre sacré et qui ne doit pas se donner légèrement. Je n'ai point l'honneur de vous connaître.



Ce fut à son tour que l'inconnue sentit son cœur se serrer, et elle garda le silence. En ce moment ils traversaient le pont Marie. La jeune femme marchait plus vite à mesure que l'on approchait du but de la course. On traversa le pont de la Tournelle.



– Nous voilà, je crois, dans votre quartier, dit Maurice en posant le pied sur le quai Saint-Bernard.



– Oui, citoyen, dit l'inconnue; mais c'est justement ici que j'ai le plus besoin de votre secours.



– En vérité, madame, vous me défendez d'être indiscret, et en même temps vous faites tout ce que vous pouvez pour exciter ma curiosité. Ce n'est pas généreux. Voyons, un peu de confiance; je l'ai bien méritée, je crois. Ne me ferez-vous point l'honneur de me dire à qui je parle?



– Vous parlez, monsieur, reprit l'inconnue en souriant, à une femme que vous avez sauvée du plus grand danger qu'elle ait jamais couru, et qui vous sera reconnaissante toute sa vie.



– Je ne vous en demande pas tant, madame; soyez moins reconnaissante, et pendant cette seconde, dites-moi votre nom.



– Impossible.



– Vous l'eussiez dit cependant au premier sectionnaire venu, si l'on vous eût conduite au poste.



– Non, jamais, s'écria l'inconnue.



– Mais alors, vous alliez en prison.



– J'étais décidée à tout.



– Mais la prison dans ce moment-ci…



– C'est l'échafaud, je le sais.



– Et vous eussiez préféré l'échafaud?



– À la trahison… Dire mon nom, c'était trahir!



– Je vous le disais bien, que vous me faisiez jouer un singulier rôle pour un républicain!



– Vous jouez le rôle d'un homme généreux. Vous trouvez une pauvre femme qu'on insulte, vous ne la méprisez pas quoiqu'elle soit du peuple, et, comme elle peut être insultée de nouveau, pour la sauver du naufrage, vous la reconduisez jusqu'au misérable quartier qu'elle habite; voilà tout.



– Oui, vous avez raison; voilà pour les apparences; voilà ce que j'aurais pu croire si je ne vous avais pas vue, si vous ne m'aviez pas parlé; mais votre beauté, mais votre langage sont d'une femme de distinction; or, c'est justement cette distinction, en opposition avec votre costume et avec ce misérable quartier, qui me prouve que votre sortie à cette heure cache quelque mystère; vous vous taisez… allons, n'en parlons plus. Sommes-nous encore loin de chez vous, madame?



En ce moment ils entraient dans la rue des Fossés-Saint-Victor.



– Vous voyez ce petit bâtiment noir, dit l'inconnue à Maurice en étendant la main vers une maison située au delà des murs du Jardin des Plantes. Quand nous serons là, vous me quitterez.



– Fort bien, madame. Ordonnez, je suis là pour vous obéir.



– Vous vous fâchez?



– Moi? Pas le moins du monde; d'ailleurs, que vous importe?



– Il m'importe beaucoup, car j'ai encore une grâce à vous demander.



– Laquelle?



– C'est un adieu bien affectueux et bien franc… un adieu d'ami!



– Un adieu d'ami! Oh! vous me faites trop d'honneur, madame. Un singulier ami que celui qui ne sait pas le nom de son amie, et à qui cette amie cache sa demeure, de peur sans doute d'avoir l'ennui de le revoir.



La jeune femme baissa la tête et ne répondit pas.



– Au reste, madame, continua Maurice, si j'ai surpris quelque secret, il ne faut pas m'en vouloir; je n'y tâchais pas.



– Me voici arrivée, monsieur, dit l'inconnue.



On était en face de la vieille rue Saint-Jacques, bordée de hautes maisons noires, percée d'allées obscures, de ruelles occupées par des usines et des tanneries, car à deux pas coule la petite rivière de Bièvre.



– Ici? dit Maurice. Comment! c'est ici que vous demeurez?



– Oui.



– Impossible!



– C'est cependant ainsi. Adieu, adieu donc, mon brave chevalier; adieu, mon généreux protecteur!



– Adieu, madame, répondit Maurice avec une légère ironie; mais dites-moi, pour me tranquilliser, que vous ne courez plus aucun danger.



– Aucun.



– En ce cas, je me retire. Et Maurice fit un froid salut en se reculant de deux pas en arrière.



L'inconnue demeura un instant immobile à la même place.



– Je ne voudrais cependant pas prendre congé de vous ainsi, dit-elle. Voyons, monsieur Maurice, votre main. Maurice se rapprocha de l'inconnue et lui tendit la main.

 



Il sentit alors que la jeune femme lui glissait une bague au doigt.



– Oh! oh! citoyenne, que faites-vous donc là? Vous ne vous apercevez pas que vous perdez une de vos bagues?



– Oh! monsieur, dit-elle, ce que vous faites là est bien mal.



– Il me manquait ce vice, n'est-ce pas, madame, d'être ingrat?



– Voyons, je vous en supplie, monsieur… mon ami. Ne me quittez pas ainsi. Voyons, que demandez-vous? Que vous faut-il?



– Pour être payé, n'est-ce pas? dit le jeune homme avec amertume.



– Non, dit l'inconnue avec une expression enchanteresse, mais pour me pardonner le secret que je suis forcée de garder envers vous.



Maurice, en voyant luire dans l'obscurité ces beaux yeux presque humides de larmes, en sentant frémir cette main tiède entre les siennes, en entendant cette voix qui était presque descendue à l'accent de la prière, passa tout à coup de la colère au sentiment exalté.



– Ce qu'il me faut? s'écria-t-il. Il faut que je vous revoie.



– Impossible.



– Ne fût-ce qu'une seule fois, une heure, une minute, une seconde.



– Impossible, je vous dis.



– Comment! demanda Maurice, c'est sérieusement que vous me dites que je ne vous reverrai jamais?



– Jamais! répondit l'inconnue comme un douloureux écho.



– Oh! madame, dit Maurice, décidément vous vous jouez de moi.



Et il releva sa noble tête en secouant ses longs cheveux à la manière d'un homme qui veut échapper à un pouvoir qui l'étreint malgré lui.



L'inconnue le regardait avec une expression indéfinissable. On voyait qu'elle n'avait pas entièrement échappé au sentiment qu'elle inspirait.



– Écoutez, dit-elle après un moment de silence qui n'avait été interrompu que par un soupir qu'avait inutilement cherché à étouffer Maurice. Écoutez! me jurez-vous sur l'honneur de tenir vos yeux fermés du moment où je vous le dirai jusqu'à celui où vous aurez compté soixante secondes? Mais là… sur l'honneur.



– Et, si je le jure, que m'arrivera-t-il?



– Il arrivera que je vous prouverai ma reconnaissance, comme je vous promets de ne la prouver jamais à personne, fît-on pour moi plus que vous n'avez fait vous-même; ce qui, au reste, serait difficile.



– Mais enfin puis-je savoir?..



– Non, fiez-vous à moi, vous verrez…



– En vérité, madame, je ne sais si vous êtes un ange ou un démon.



– Jurez-vous?



– Eh bien, oui, je le jure!



– Quelque chose qui arrive, vous ne rouvrirez pas les yeux?.. Quelque chose qui arrive, comprenez-vous bien, vous sentissiez-vous frappé d'un coup de poignard?



– Vous m'étourdissez, ma parole d'honneur, avec cette exigence.



– Eh! jurez donc, monsieur; vous ne risquez pas grand'chose, ce me semble.



– Eh bien! je jure, quelque chose qui m'arrive, dit Maurice en fermant les yeux.



Il s'arrêta.



– Laissez-moi vous voir encore une fois, une seule fois, dit-il, je vous en supplie.



La jeune femme rabattit son capuchon avec un sourire qui n'était pas exempt de coquetterie; et à la lueur de la lune, qui en ce moment même glissait entre deux nuages, il put revoir pour la seconde fois ces longs cheveux pendants en boucles d'ébène, l'arc parfait d'un double sourcil qu'on eût cru dessiné à l'encre de Chine, deux yeux fendus en amande, veloutés et languissants, un nez de la forme la plus exquise, des lèvres fraîches et brillantes comme du corail.



– Oh! vous êtes belle, bien belle, trop belle! s'écria Maurice.



– Fermez les yeux, dit l'inconnue. Maurice obéit. La jeune femme prit ses deux mains dans les siennes, le tourna comme elle voulut. Soudain une chaleur parfumée sembla s'approcher de son visage, et une bouche effleura sa bouche, laissant entre ses deux lèvres la bague qu'il avait refusée.



Ce fut une sensation rapide comme la pensée, brûlante comme une flamme. Maurice ressentit une commotion qui ressemblait presque à la douleur, tant elle était inattendue et profonde, tant elle avait pénétré au fond du cœur et en avait fait frémir les fibres secrètes.



Il fit un brusque mouvement en étendant les bras devant lui.



– Votre serment! cria une voix déjà éloignée.



Maurice appuya ses mains crispées sur ses yeux pour résister à la tentation de se parjurer. Il ne compta plus, il ne pensa plus; il resta muet, immobile, chancelant.



Au bout d'un instant il entendit comme le bruit d'une porte qui se refermait à cinquante ou soixante pas de lui; puis tout bientôt rentra dans le silence.



Alors il écarta ses doigts, rouvrit les yeux, regarda autour de lui comme un homme qui s'éveille, et peut-être eût-il cru qu'il se réveillait en effet et que tout ce qui venait de lui arriver n'était qu'un songe, s'il n'eût tenu serrée entre ses lèvres la bague qui faisait de cette incroyable aventure une incontestable réalité.



IV

Mœurs du temps

Lorsque Maurice Lindey revint à lui et regarda autour de lui, il ne vit que des ruelles sombres qui s'allongeaient à sa droite et à sa gauche; il essaya de chercher, de se reconnaître; mais son esprit était troublé, la nuit était sombre; la lune, qui était sortie un instant pour éclairer le charmant visage de l'inconnue, était rentrée dans ses nuages. Le jeune homme, après un moment de cruelle incertitude, reprit le chemin de sa maison, située rue du Roule.



En arrivant dans la rue Sainte-Avoie, Maurice fut surpris de la quantité de patrouilles qui circulaient dans le quartier du Temple.



– Qu'y a-t-il donc, sergent? demanda-t-il au chef d'une patrouille fort affairée qui venait de faire perquisition dans la rue des Fontaines.



– Ce qu'il y a? dit le sergent. Il y a, mon officier, qu'on a voulu enlever cette nuit la femme Capet et toute sa nichée.



– Et comment cela?



– Une patrouille de ci-devant qui s'était, je ne sais comment, procuré le mot d'ordre, s'était introduite au Temple sous le costume de chasseurs de la garde nationale, et les devait enlever. Heureusement, celui qui représentait le caporal, en parlant à l'officier de garde, l'a appelé

monsieur

; il s'est vendu lui-même, l'aristocrate!



– Diable! fit Maurice. Et a-t-on arrêté les conspirateurs?



– Non; la patrouille a gagné la rue, et elle s'est dispersée.



– Et y a-t-il quelque espoir de rattraper ces gaillards-là?



– Oh! il n'y en a qu'un qu'il serait bien important de reprendre, le chef, un grand maigre… qui avait été introduit parmi les hommes de garde par un des municipaux de service. Nous a-t-il fait courir, le scélérat! Mais il aura trouvé une porte de derrière et se sera enfui par les Madelonnettes.



Dans toute autre circonstance, Maurice fût resté toute la nuit avec les patriotes qui veillaient au salut de la République; mais, depuis une heure, l'amour de la patrie n'était plus sa seule pensée. Il continua donc son chemin, la nouvelle qu'il venait d'apprendre se fondant peu à peu dans son esprit et disparaissant derrière l'événement qui venait de lui arriver. D'ailleurs, ces prétendues tentatives d'enlèvement étaient devenues si fréquentes, les patriotes eux-mêmes savaient que dans certaines circonstances on s'en servait si bien comme d'un moyen politique, que cette nouvelle n'avait pas inspiré une grande inquiétude au jeune républicain.



En revenant chez lui, Maurice trouva son

officieux

; à cette époque on n'avait plus de domestique; Maurice, disons-nous, trouva son officieux l'attendant, et qui, en l'attendant, s'était endormi, et, en dormant, ronflait d'inquiétude.



Il le réveilla avec tous les égards qu'on doit à son semblable, lui fit tirer ses bottes, le renvoya afin de n'être point distrait de sa pensée, se mit au lit, et, comme il se faisait tard et qu'il était jeune, il s'endormit à son tour malgré la préoccupation de son esprit.



Le lendemain, il trouva une lettre sur sa table de nuit.



Cette lettre était d'une écriture fine, élégante et inconnue. Il regarda le cachet: le cachet portait pour devise ce seul mot anglais:

Nothing

, – Rien.



Il l'ouvrit, elle contenait ces mots:



«Merci!



«Reconnaissance éternelle en échange d'un éternel oubli!..»



Maurice appela son domestique; les vrais patriotes ne les sonnaient plus, la sonnette rappelant la servilité; d'ailleurs, beaucoup d'officieux mettaient, en entrant chez leurs maîtres, cette condition aux services qu'ils consentaient à leur rendre.



L'officieux de Maurice avait reçu, il y avait trente ans à peu près, sur les fonts baptismaux, le nom de Jean, mais en 92 il s'était, de son autorité privée, débaptisé, Jean sentant l'aristocratie et le déisme, et s'appelait Scévola.



– Scévola, demanda Maurice, sais-tu ce que c'est que cette lettre?



– Non, citoyen.



– Qui te l'a remise?



– Le concierge.



– Qui la lui a apportée?



– Un commissionnaire, sans doute, puisqu'il n'y a pas le timbre de la nation.



– Descends et prie le concierge de monter. Le concierge monta parce que c'était Maurice qui le demandait, et que Maurice était fort aimé de tous les officieux avec lesquels il était en relation; mais le concierge déclara que, si c'était tout autre locataire, il l'eût prié de descendre.



Le concierge s'appelait Aristide.



Maurice l'interrogea. C'était un homme inconnu qui, vers les huit heures du matin, avait apporté cette lettre. Le jeune homme eut beau multiplier ses questions, les représenter sous toutes les faces, le concierge ne put lui répondre autre chose. Maurice le pria d'accepter dix francs en l'invitant, si cet homme se représentait, à le suivre sans affectation et à revenir lui dire où il était allé.



Hâtons-nous de dire qu'à la grande satisfaction d'Aristide, un peu humilié par cette proposition de suivre un de ses semblables, l'homme ne revint pas.



Maurice, resté seul, froissa la lettre avec dépit, tira la bague de son doigt, la mit avec la lettre froissée sur une table de nuit, se retourna le nez contre le mur avec la folle prétention de s'endormir de nouveau; mais, au bout d'une heure, Maurice, revenu de cette fanfaronnade, baisait la bague et relisait la lettre: la bague était un saphir très beau.



La lettre était, comme nous l'avons dit, un charmant petit billet qui sentait son aristocratie d'une lieue.



Comme Maurice se livrait à cet examen, sa porte s'ouvrit. Maurice remit la bague à son doigt et cacha la lettre sous son traversin. Était-ce pudeur d'un amour naissant? était-ce vergogne d'un patriote qui ne veut pas qu'on le sache en relation avec des gens assez imprudents pour écrire un pareil billet, dont le parfum seul pouvait compromettre et la main qui l'avait écrit et celle qui le décachetait?



Celui qui entrait ainsi était un jeune homme vêtu en patriote, mais en patriote de la plus suprême élégance. Sa carmagnole était de drap fin, sa culotte était en casimir et ses bas chinés étaient de fine soie. Quant à son bonnet phrygien, il eût fait honte, pour sa forme élégante et sa belle couleur pourprée, à celui de Paris lui-même.



Il portait en outre à sa ceinture une paire de pistolets de l'ex-fabrique royale de Versailles, et un sabre droit et court pareil à celui des élèves du Champ-de-Mars.



– Ah! tu dors, Brutus, dit le nouvel arrivé, et la patrie est en danger. Fi donc!



– Non, Lorin, dit en riant Maurice, je ne dors pas, je rêve.



– Oui, je comprends, à ton Eucharis.



– Eh bien, moi, je ne comprends pas.



– Bah!



– De qui parles-tu? Quelle est cette Eucharis?



– Eh bien, la femme…



– Quelle femme?



– La femme de la rue Saint-Honoré, la femme de la patrouille, l'inconnue pour laquelle nous avons risqué notre tête, toi et moi, hier soir.



– Oh! oui, dit Maurice, qui savait parfaitement ce que voulait dire son ami, mais qui seulement faisait semblant de ne point comprendre, la femme inconnue!



– Eh bien, qui était-ce?



– Je n'en sais rien.



– Était-elle jolie?



– Peuh! fit Maurice en allongeant dédaigneusement les lèvres.



– Une pauvre femme oubliée dans quelque rendez-vous amoureux.





…Oui, faibles que nous sommes,

C'est toujours cet amour qui tourmente les hommes.



– C'est possible, murmura Maurice, auquel cette idée, qu'il avait eue d'abord, répugnait fort à cette heure, et qui préférait plutôt voir dans sa belle inconnue une conspiratrice qu'une femme amoureuse.



– Et où demeure-t-elle?



– Je n'en sais rien.



– Allons donc! tu n'en sais rien! impossible!



– Pourquoi cela?



– Tu l'as reconduite.



– Elle m'a échappé au pont Marie…



– T'échapper, à toi? s'écria Lorin avec un éclat de rire énorme. Une femme t'échapper, allons donc!

 





Est-ce que la colombe échappe

Au vautour, ce tyran des airs,

Et la gazelle au tigre du désert

Qui la tient déjà sous la patte?



– Lorin, dit Maurice, ne t'habitueras-tu donc jamais à parler comme tout le monde? Tu m'agaces horriblement avec ton atroce poésie.



– Comment! à parler comme tout le monde! mais je parle mieux que tout le monde, ce me semble. Je parle comme le citoyen Demoustier, en prose et en vers. Quant à ma poésie, mon cher! je sais une Émilie qui ne la trouve pas mauvaise; mais revenons à la tienne.



– À ma poésie?



– Non, à ton Émilie.



– Est-ce que j'ai une Émilie?



– Allons! allons! ta gazelle se sera faite tigresse et t'aura montré les dents; de sorte que tu es vexé, mais amoureux.



– Moi, amoureux dit Maurice en secouant la tête.



– Oui, toi, amoureux.





N'en fais pas un plus long mystère;

Les coups qui partent de Cythère

Frappent au cœur plus sûrement

Que ceux de Jupiter tonnant.



– Lorin, dit Maurice en s'armant d'une clef forée qui était sur sa table de nuit, je te déclare que tu ne diras plus un seul vers que je ne siffle.



– Alors, parlons politique. D'ailleurs, j'étais venu pour cela; sais-tu la nouvelle?



– Je sais que la veuve Capet a voulu s'évader.



– Bah! ce n'est rien que cela.



– Qu'y a-t-il donc de plus?



– Le fameux chevalier de Maison-Rouge est à Paris.



– En vérité! s'écria Maurice en se levant sur son séant.



– Lui-même en personne.



– Mais quand est-il entré?



– Hier au soir.



– Comment cela?



– Déguisé en chasseur de la garde nationale. Une femme, qu'on croit être une aristocrate déguisée en femme du peuple, lui a porté des habits à la barrière; puis un instant après, ils sont rentrés bras dessus bras dessous. Ce n'est que quand ils ont été passés que la sentinelle a eu quelques soupçons. Il avait vu passer la femme avec un paquet, il la voyait repasser avec une espèce de militaire sous le bras; c'était louche; il a donné l'éveil, on a couru après eux. Ils ont disparu dans un hôtel de la rue Saint-Honoré dont la porte s'est ouverte comme par enchantement. L'hôtel avait une seconde sortie sur les Champs-Élysées; bonsoir! le chevalier de Maison-Rouge et sa complice se sont évanouis. On démolira l'hôtel et l'on guillotinera le propriétaire; mais cela n'empêchera pas le chevalier de recommencer la tentative qui a déjà échoué, il y a quatre mois pour la première fois, et hier pour la seconde.



– Et il n'est point arrêté? demanda Maurice.



– Ah! bien oui, arrête Protée, mon cher, arrête donc Protée; tu sais le mal qu'a eu Aristide à en venir à bout.





Pastor Aristœus fugiens

Pencia Tempe…



– Prends garde, dit Maurice en portant sa clef à sa bouche.



– Prends garde toi-même, morbleu! car cette fois ce n'est pas moi que tu siffleras, c'est Virgile.



– C'est juste, et tant que tu ne le traduiras point, je n'ai rien à dire. Mais revenons au chevalier de Maison-Rouge.



– Oui, convenons que c'est un fier homme.



– Le fait est que, pour entreprendre de pareilles choses, il faut un grand courage.



– Ou un grand amour.



– Crois-tu donc à cet amour du chevalier pour la reine?



– Je n'y crois pas; je le dis comme tout le monde. D'ailleurs, elle en a rendu amoureux bien d'autres; qu'y aurait-il d'étonnant à ce qu'elle l'eût séduit? Elle a bien séduit Barnave, à ce qu'on dit.



– N'importe, il faut que le chevalier ait des intelligences dans le Temple même.



– C'est possible:





L'amour brise les grilles

Et se rit des verrous.



– Lorin!



– Ah! c'est vrai.



– Alors, tu crois cela comme les autres?



– Pourquoi pas?



– Parce qu'à ton compte la reine aurait eu deux cents amoureux.



– Deux cents, trois cents, quatre cents. Elle est assez belle pour cela. Je ne dis pas qu'elle les ait aimés; mais enfin, ils l'ont aimée, elle. Tout le monde voit le soleil, et le soleil ne voit pas tout le monde.



– Alors, tu dis donc que le chevalier de Maison-Rouge…?



– Je dis qu'on le traque un peu en ce moment-ci, et que s'il échappe aux limiers de la République, ce sera un fin renard.



– Et que fait la Commune dans tout cela?



– La Commune va rendre un arrêté par lequel chaque maison, comme un registre ouvert, laissera voir, sur sa façade, le nom des habitants et des habitantes. C'est la réalisation de ce rêve des anciens: Que n'existe-t-il une fenêtre au cœur de l'homme, pour que tout le monde puisse voir ce qui s'y passe!



– Oh! excellente idée! s'écria Maurice.



– De mettre une fenêtre au cœur des hommes?



– Non, mais de mettre une liste à la porte des maisons. En effet, Maurice songeait que ce lui serait un moyen de retrouver son inconnue, ou tout au moins quelque trace d'elle qui pût le mettre sur sa voie.



– N'est-ce pas? dit Lorin. J'ai déjà parlé que cette mesure nous donnerait une fournée de cinq cents aristocrates. À propos, nous avons reçu ce matin au club une députation des enrôlés volontaires; ils sont venus, conduits par nos adversaires de cette nuit, que je n'ai abandonnés qu'ivres morts; ils sont venus, dis-je, avec des guirlandes de fleurs et des couronnes d'immortelles.



– En vérité! répliqua Maurice en riant; et combien étaient-ils?



– Ils étaient trente; ils s'étaient fait raser et avaient des bouquets à la boutonnière. «Citoyens du club des Thermopyles, a dit l'orateur, en vrais patriotes que nous sommes, nous désirons que l'union des Français ne soit pas troublée par un malentendu, et nous venons fraterniser de nouveau.»



– Alors…?



– Alors, nous avons fraternisé derechef, et en réitérant, comme dit Diafoirus; on a fait un autel à la patrie avec la table du secrétaire et deux carafes dans lesquelles on a mis des bouquets. Comme tu étais le héros de la fête, on t'a appelé trois fois pour te couronner; et comme tu n'as pas répondu, attendu que tu n'y étais pas, et qu'il faut toujours que l'on couronne quelque chose, on a couronné le buste de Washington. Voilà l'ordre et la marche selon lesquels a eu lieu la cérémonie.



Comme Lorin achevait ce récit véridique, et qui, à cette époque, n'avait rien de burlesque, on entendit des rumeurs dans la rue, et des tambours, d'abord lointains, puis de plus en plus rapprochés, firent entendre le bruit si commun alors de la générale.



– Qu'est-ce que cela? demanda Maurice.



– C'est la proclamation de l'arrêté de la Commune, dit Lorin.



– Je cours à la section, dit Maurice en sautant à bas de son lit et en appelant son officieux pour le venir habiller.



– Et moi, je rentre me coucher, dit Lorin; je n'ai dormi que deux heures cette nuit, grâce à tes enragés volontaires. Si l'on ne se bat qu'un peu, tu me laisseras dormir; si l'on se bat beaucoup, tu viendras me chercher.



– Pourquoi donc t'es-tu fait si beau? demanda Maurice en jetant un coup d'œil sur Lorin, qui se levait pour se retirer.



– Parce que, pour venir chez toi, je suis forcé de passer rue Béthisy, et que, rue Béthisy, au troisième, il y a une fenêtre qui s'ouvre toujours quand je passe.



– Et tu ne crains pas qu'on te prenne pour un muscadin?



– Un muscadin, moi? Ah bien, oui, je suis connu, au contraire, pour un franc sans-culotte. Mais il faut bien faire quelque sacrifice au beau sexe. Le culte de la patrie n'exclut pas celui de l'amour; au contraire, l'un commande l'autre:





La République a décrété

Que des Grecs on suivrait les traces;

Et l'autel de la Liberté

Fait pendant à celui des Grâces.



Ose siffler celui-là, je te dénonce comme aristocrate, et je te fais raser de

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