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Le Chevalier de Maison-Rouge

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VII
Serment de joueur

La tentative d'enlèvement, si contestable qu'elle fût, puisqu'elle n'avait eu aucun commencement d'exécution, avait excité la colère des uns et l'intérêt des autres. Ce qui corroborait, d'ailleurs, cet événement, de probabilité presque matérielle, c'est que le comité de sûreté générale apprit que, depuis trois semaines ou un mois, une foule d'émigrés étaient rentrés en France par différents points de la frontière. Il était évident que des gens qui risquaient ainsi leur tête ne la risquaient pas sans dessein, et que ce dessein était, selon toute probabilité, de concourir à l'enlèvement de la famille royale.

Déjà, sur la proposition du conventionnel Osselin, avait été promulgué le décret terrible qui condamnait à mort tout émigré convaincu d'avoir remis le pied en France, tout Français convaincu d'avoir eu des projets d'émigration; tout particulier convaincu d'avoir aidé dans sa fuite, ou dans son retour, un émigré ou un émigrant, enfin tout citoyen convaincu d'avoir donné asile à un émigré.

Cette terrible loi inaugurait la Terreur. Il ne manquait plus que la loi des suspects.

Le chevalier de Maison-Rouge était un ennemi trop actif et trop audacieux pour que sa rentrée dans Paris et son apparition au Temple n'entraînassent point les plus graves mesures. Des perquisitions, plus sévères qu'elles ne l'avaient jamais été, furent exécutées dans une foule de maisons suspectes. Mais, hormis la découverte de quelques femmes émigrées qui se laissèrent prendre, et de quelques vieillards qui ne se soucièrent pas de disputer aux bourreaux le peu de jours qui leur restaient, les recherches n'aboutirent à aucun résultat.

Les sections, comme on le pense bien, furent, à la suite de cet événement, fort occupées pendant plusieurs jours, et, par conséquent, le secrétaire de la section Lepelletier, l'une des plus influentes de Paris, eut peu de temps pour penser à son inconnue.

D'abord, et comme il l'avait résolu en quittant la rue vieille Saint-Jacques, il avait tenté d'oublier; mais, comme lui avait dit son ami Lorin:

 
En songeant qu'il faut qu'on oublie,
On se souvient.
 

Maurice, cependant, n'avait rien dit ni rien avoué. Il avait renfermé dans son cœur tous les détails de cette aventure qui avaient pu échapper à l'investigation de son ami. Mais celui-ci, qui connaissait Maurice pour une joyeuse et expansive nature, et qui le voyait maintenant sans cesse rêveur et cherchant la solitude, se doutait bien, comme il le disait, que ce coquin de Cupidon avait passé par là.

Il est à remarquer que, parmi ses dix-huit siècles de monarchie, la France a eu peu d'années aussi mythologiques que l'an de grâce 1793.

Cependant, le chevalier n'était pas pris; on n'entendait plus parler de lui. La reine, veuve de son mari et orpheline de son enfant, se contentait de pleurer, quand elle était seule, entre sa fille et sa sœur.

Le jeune dauphin commençait, aux mains du cordonnier Simon, ce martyre qui devait, en deux ans, le réunir à son père et à sa mère. Il y eut un instant de calme.

Le volcan montagnard se reposait avant de dévorer les girondins.

Maurice sentit le poids de ce calme, comme on sent la lourdeur de l'atmosphère en temps d'orage, et, ne sachant que faire d'un loisir qui le livrait tout entier à l'ardeur d'un sentiment qui, s'il n'était pas l'amour, lui ressemblait fort, il relut la lettre, baisa son beau saphir, et résolut, malgré le serment qu'il avait fait, d'essayer d'une dernière tentative, se promettant bien que celle-là serait la dernière.

Le jeune homme avait bien pensé à une chose: c'était de s'en aller à la section du Jardin des Plantes, et là, de demander des renseignements au secrétaire, son collègue. Mais cette première idée, et nous pourrions même dire cette seule idée qu'il avait eue que sa belle inconnue était mêlée à quelque trame politique, le retint; l'idée qu'une indiscrétion de sa part pouvait conduire cette femme charmante à la place de la Révolution, et faire tomber cette tête d'ange sur l'échafaud, faisait passer un horrible frisson dans les veines de Maurice.

Il se décida donc à tenter l'aventure seul et sans aucun renseignement. Son plan, d'ailleurs, était bien simple. Les listes placées sur chaque porte devaient lui donner les premiers indices; puis des interrogatoires aux concierges devaient achever d'éclaircir ce mystère. En sa qualité de secrétaire de la section Lepelletier, il avait plein et entier droit d'interrogatoire.

D'ailleurs, Maurice ignorait le nom de son inconnue, mais il devait être conduit par les analogies. Il était impossible qu'une si charmante créature n'eût pas un nom en harmonie avec sa forme: quelque nom de sylphide, de fée ou d'ange; car, à son arrivée sur la terre, on avait dû saluer sa venue comme celle d'un être supérieur et surnaturel.

Le nom le guiderait donc infailliblement. Maurice revêtit une carmagnole de gros drap brun, se coiffa du bonnet rouge des grands jours, et partit, pour son exploration, sans prévenir personne.

Il avait à la main un de ces gourdins noueux qu'on appelait une constitution, et, emmanchée à son poignet vigoureux, cette arme avait la valeur de la massue d'Hercule. Il avait dans sa poche sa commission de secrétaire de la section Lepelletier. C'était à la fois sa sûreté physique et sa garantie morale.

Il se mit donc à parcourir de nouveau la rue Saint-Victor, la rue vieille Saint-Jacques, lisant, à la lueur du jour défaillant, tous ces noms écrits d'une main plus ou moins exercée sur le panneau de chaque porte.

Maurice en était à sa centième maison, et par conséquent à sa centième liste, sans que rien eût pu lui faire croire encore qu'il fût le moins du monde sur la trace de son inconnue, qu'il ne voulait reconnaître qu'à la condition que s'ouvrirait à ses yeux un nom dans le genre de celui qu'il avait rêvé, lorsqu'un brave cordonnier, voyant l'impatience répandue sur la figure du lecteur, ouvrit sa porte, sortit avec sa courroie de cuir et son poinçon, et, regardant Maurice par-dessus ses lunettes:

– Veux-tu avoir quelque renseignement sur les locataires de cette maison? dit-il. En ce cas, parle, je suis prêt à te répondre.

– Merci, citoyen, balbutia Maurice, mais je cherchais le nom d'un ami.

– Dis ce nom, citoyen, je connais tout le monde dans ce quartier. Où demeurait cet ami?

– Il demeurait, je crois, vieille rue Saint-Jacques; mais j'ai peur qu'il n'ait déménagé.

– Mais comment se nommait-il? Il faut que je sache son nom.

Maurice surpris resta un instant hésitant; puis il prononça le premier nom qui se présenta à sa mémoire.

– René, dit-il.

– Et son état? Maurice était entouré de tanneries.

– Garçon tanneur, dit-il.

– Dans ce cas, dit un bourgeois qui venait de s'arrêter là et qui regardait Maurice avec une certaine bonhomie, qui n'était pas exempte de défiance, il faudrait s'adresser au maître.

– C'est juste, ça, dit le portier, c'est très juste; les maîtres savent les noms de leurs ouvriers, et voilà le citoyen Dixmer, tiens, qui est directeur de tannerie et qui a plus de cinquante ouvriers dans sa tannerie, il peut te renseigner, lui.

Maurice se retourna et vit un bon bourgeois d'une taille élevée, d'un visage placide, d'une richesse de costume qui annonçait l'industriel opulent.

– Seulement, comme l'a dit le citoyen portier, continua le bourgeois, il faudrait savoir le nom de famille.

– Je l'ai dit: René.

– René n'est qu'un nom de baptême, et c'est le nom de famille que je demande. Tous les ouvriers inscrits chez moi le sont sous leur nom de famille.

– Ma foi, dit Maurice que cette espèce d'interrogatoire commençait à impatienter, le nom de famille, je ne le sais pas.

– Comment! dit le bourgeois avec un sourire dans lequel Maurice crut remarquer plus d'ironie qu'il n'en voulait laisser paraître, comment, citoyen, tu ne sais pas le nom de famille de ton ami?

– Non.

– En ce cas, il est probable que tu ne le retrouveras pas. Et le bourgeois, saluant gracieusement Maurice, fit quelques pas et entra dans une maison de la vieille rue Saint-Jacques.

– Le fait est que, si tu ne sais pas son nom de famille… dit le portier.

– Eh bien, non, je ne le sais pas, dit Maurice, qui n'aurait pas été fâché, pour avoir une occasion de faire déborder sa mauvaise humeur, qu'on lui cherchât querelle, et même, il faut le dire, qui n'était pas éloigné d'en chercher une exprès. Qu'as-tu à dire à cela?

– Rien, citoyen, rien du tout; seulement, si tu ne sais pas le nom de ton ami, il est probable, comme te l'a dit le citoyen Dixmer, il est probable que tu ne le retrouveras point.

Et le citoyen portier rentra dans sa loge en haussant les épaules.

Maurice avait bonne envie de rosser le citoyen portier, mais ce dernier était vieux: sa faiblesse le sauva. Vingt ans de moins, et Maurice eût donné le spectacle scandaleux de l'égalité devant la loi, mais de l'inégalité devant la force.

D'ailleurs, la nuit allait tomber, et Maurice n'avait plus que quelques minutes de jour.

Il en profita pour s'engager d'abord dans la première ruelle, ensuite dans la seconde; il en examina chaque porte, il en sonda chaque recoin, regarda par-dessus chaque palissade, se hissa au-dessus de chaque mur, lança un coup d'œil dans l'intérieur de chaque grille, par le trou de chaque serrure, heurta à quelques magasins déserts sans avoir de réponse, enfin consuma près de deux heures dans cette recherche inutile.

Neuf heures du soir sonnèrent. Il faisait nuit close: on n'entendait plus aucun bruit, on n'apercevait plus aucun mouvement dans ce quartier désert, d'où la vie semblait s'être retirée avec le jour.

Maurice, désespéré, allait faire un mouvement rétrograde, quand tout à coup, au détour d'une étroite allée, il vit briller une lumière. Il s'aventura dans le passage sombre, sans remarquer qu'au moment même où il s'y enfonçait, une tête curieuse qui, depuis un quart d'heure, du milieu d'un massif d'arbres s'élevant au-dessus de la muraille, suivait tous ses mouvements, venait de disparaître avec précipitation derrière cette muraille.

 

Quelques secondes après que la tête eut disparu, trois hommes, sortant par une petite porte percée dans cette même muraille, allèrent se jeter dans l'allée où venait de se perdre Maurice, tandis qu'un quatrième, pour plus grande précaution, fermait la porte de cette allée.

Maurice, au bout de l'allée, avait trouvé une cour; c'était de l'autre côté de cette cour que brillait la lumière. Il frappa à la porte d'une maison pauvre et solitaire; mais au premier coup qu'il frappa, la lumière s'éteignit.

Maurice redoubla, mais nul ne répondit à son appel; il vit que c'était un parti pris de ne pas répondre. Il comprit qu'il perdait inutilement son temps à frapper, traversa la cour et rentra sous l'allée.

En même temps, la porte de la maison tourna doucement sur ses gonds; trois hommes en sortirent et un coup de sifflet retentit.

Maurice se retourna et vit trois ombres à la distance de deux longueurs de son bâton.

Dans les ténèbres, à la lueur de cette espèce de lumière qui existe toujours pour les yeux depuis longtemps habitués à l'obscurité, reluisaient trois lames aux reflets fauves.

Maurice comprit qu'il était cerné. Il voulut faire le moulinet avec son bâton; mais l'allée était si étroite que son bâton toucha les deux murs. Au même instant, un violent coup, porté sur la tête, l'étourdit. C'était une agression imprévue faite par les quatre hommes qui étaient sortis de la muraille. Sept hommes se jetèrent à la fois sur Maurice, et, malgré une résistance désespérée, le terrassèrent, lui lièrent les mains et lui bandèrent les yeux.

Maurice n'avait pas jeté un cri, n'avait pas appelé à l'aide. La force et le courage veulent toujours se suffire à eux-mêmes et semblent avoir honte d'un secours étranger.

D'ailleurs, Maurice eût appelé que, dans ce quartier désert, personne ne fût venu.

Maurice fut donc lié et garrotté sans, comme nous l'avons dit, qu'il eût poussé une plainte.

Il avait réfléchi, au reste, que si on lui bandait les yeux, ce n'était pas pour le tuer tout de suite. À l'âge de Maurice, tout répit est un espoir.

Il recueillit donc toute sa présence d'esprit et attendit.

– Qui es-tu? demanda une voix encore animée par la lutte.

– Je suis un homme que l'on assassine, répondit Maurice.

– Il y a plus, tu es un homme mort, si tu parles haut, que tu appelles ou que tu cries.

– Si j'eusse dû crier, je n'eusse point attendu jusqu'à présent.

– Es-tu prêt à répondre à mes questions?

– Questionnez d'abord, je verrai après si je dois répondre.

– Qui t'envoie ici?

– Personne.

– Tu y viens donc de ton propre mouvement?

– Oui.

– Tu mens.

Maurice fit un mouvement terrible pour dégager ses mains; la chose était impossible.

– Je ne mens jamais! dit-il.

– En tout cas, que tu viennes de ton propre mouvement, ou que tu sois envoyé, tu es un espion.

– Et vous des lâches!

– Des lâches, nous?

– Oui, vous êtes sept ou huit contre un homme garrotté, et vous insultez cet homme. Lâches! lâches! lâches!

Cette violence de Maurice, au lieu d'aigrir ses adversaires, parut les calmer: cette violence même était la preuve que le jeune homme n'était pas ce dont on l'accusait; un véritable espion eût tremblé et demandé grâce.

– Il n'y a pas d'insulte là, dit une voix plus douce, mais en même temps plus impérieuse qu'aucune de celles qui avaient parlé. Dans le temps où nous vivons, on peut être espion sans être malhonnête homme: seulement, on risque sa vie.

– Soyez le bienvenu, vous qui avez prononcé cette parole; j'y répondrai loyalement.

– Qu'êtes-vous venu faire dans ce quartier?

– Y chercher une femme.

Un murmure d'incrédulité accueillit cette excuse. Ce murmure grossit et devint un orage.

– Tu mens! reprit la même voix. Il n'y a point de femme, et nous savons ce que nous entendons par femme, il n'y a point de femme à poursuivre dans ce quartier; avoue ton projet, ou tu mourras.

– Allons donc, dit Maurice. Vous ne me tueriez pas pour le plaisir de me tuer, à moins que vous ne soyez de véritables brigands.

Et Maurice fit un second effort plus violent et plus inattendu encore que le premier pour dégager ses mains de la corde qui les liait; mais soudain un froid douloureux et aigu lui déchira la poitrine.

Maurice fit malgré lui un mouvement en arrière.

– Ah! tu sens cela, dit un des hommes. Eh bien, il y a encore huit pouces pareils au pouce avec lequel tu viens de faire connaissance.

– Alors, achevez, dit Maurice avec résignation. Ce sera fini tout de suite, au moins.

– Qui es-tu? Voyons! dit la voix douce et impérieuse à la fois.

– C'est mon nom que vous voulez savoir?

– Oui, ton nom?

– Je suis Maurice Lindey.

– Quoi! s'écria une voix, Maurice Lindey, le revoluti… le patriote? Maurice Lindey, secrétaire de la section Lepelletier?

Ces paroles furent prononcées avec tant de chaleur, que Maurice vit bien qu'elles étaient décisives. Y répondre, c'était, d'une façon ou de l'autre, fixer invariablement son sort.

Maurice était incapable d'une lâcheté. Il se redressa en vrai Spartiate, et dit d'une voix ferme:

– Oui, Maurice Lindey; oui, Maurice Lindey, le secrétaire de la section Lepelletier; oui, Maurice Lindey, le patriote, le révolutionnaire, le jacobin; Maurice Lindey enfin, dont le plus beau jour sera celui où il mourra pour la liberté.

Un silence de mort accueillit cette réponse.

Maurice Lindey présentait sa poitrine, attendant d'un moment à l'autre que la lame, dont il avait senti la pointe seulement, se plongeât tout entière dans son cœur.

– Est-ce bien vrai? dit après quelques secondes une voix qui trahissait quelque émotion. Voyons, jeune homme, ne mens pas.

– Fouillez dans ma poche, dit Maurice, et vous trouverez ma commission. Regardez sur ma poitrine, et si mon sang ne les a pas effacées, vous trouverez mes initiales, un M et un L brodés sur ma chemise.

Aussitôt Maurice se sentit enlever par des bras vigoureux. Il fut porté pendant un espace assez court. Il entendit, ouvrir une première porte, puis une seconde. Seulement, la seconde était plus étroite que la première, car à peine si les hommes qui le portaient y purent passer avec lui.

Les murmures et les chuchotements continuaient.

– Je suis perdu, se dit à lui-même Maurice; ils vont me mettre une pierre au cou et me jeter dans quelque trou de la Bièvre.

Mais, au bout d'un instant, il sentit que ceux qui le portaient montaient quelques marches. Un air plus tiède frappa son visage, et on le déposa sur un siège. Il entendit fermer une porte à double tour, des pas s'éloignèrent. Il crut sentir qu'on le laissait seul. Il prêta l'oreille avec autant d'attention que peut le faire un homme dont la vie dépend d'un mot, et il crut entendre que cette même voix, qui avait déjà frappé son oreille par un mélange de fermeté et de douceur, disait aux autres:

– Délibérons.

VIII
Geneviève

Un quart d'heure s'écoula qui parut un siècle à Maurice. Rien de plus naturel: jeune, beau, vigoureux, soutenu dans sa force par cent amis dévoués, avec lesquels il rêvait parfois l'accomplissement de grandes choses, il se sentait tout à coup, sans préparation aucune, exposé à perdre la vie dans un guet-apens ignoble.

Il comprenait qu'on l'avait renfermé dans une chambre quelconque; mais était-il surveillé?

Il essaya un nouvel effort pour rompre ses liens. Ses muscles d'acier se gonflèrent et se roidirent, la corde lui entra dans les chairs, mais ne se rompit pas.

Le plus terrible, c'est qu'il avait les mains liées derrière le dos et qu'il ne pouvait arracher son bandeau. S'il avait pu voir, peut-être eût-il pu fuir.

Cependant, ces diverses tentatives s'étaient accomplies sans que personne s'y opposât, sans que rien bougeât autour de lui; il en augura qu'il était seul.

Ses pieds foulaient quelque chose de moelleux et de sourd, du sable, de la terre grasse, peut-être. Une odeur âcre et pénétrante frappait son odorat et dénonçait la présence de substances végétales, Maurice pensa qu'il était dans une serre ou dans quelque chose de pareil. Il fit quelques pas, heurta un mur, se retourna pour tâter avec ses mains, sentit des instruments aratoires, et poussa une exclamation de joie.

Avec des efforts inouïs, il parvint à explorer tous ces instruments les uns après les autres. Sa fuite devenait alors une question de temps: si le hasard ou la Providence lui donnait cinq minutes, et si parmi ces ustensiles il trouvait un instrument tranchant, il était sauvé.

Il trouva une bêche.

Ce fut, par la manière dont Maurice était lié, toute une lutte pour retourner cette bêche, de façon à ce que le fer fût en haut. Sur ce fer, qu'il maintenait contre le mur avec ses reins, il coupa ou plutôt il usa la corde qui lui liait les poignets. L'opération était longue, le fer de la bêche tranchait lentement. La sueur lui coulait sur le front; il entendit comme un bruit de pas qui se rapprochait. Il fit un dernier effort, violent, inouï, suprême; la corde, à moitié usée, se rompit.

Cette fois, ce fut un cri de joie qu'il poussa; il était sûr du moins de mourir en se défendant.

Maurice arracha le bandeau de dessus ses yeux.

Il ne s'était pas trompé; il était dans une espèce, non pas de serre, mais de pavillon où l'on avait serré quelques-unes de ces plantes grasses qui ne peuvent passer la mauvaise saison en plein air. Dans un coin, étaient ces instruments de jardinage dont l'un lui avait rendu un si grand service. En face de lui était une fenêtre; il s'élança vers la fenêtre; elle était grillée, et un homme armé d'une carabine était placé en sentinelle devant.

De l'autre côté du jardin, à trente pas de distance à peu près, s'élevait un petit kiosque qui faisait pendant à celui où était Maurice. Une jalousie était baissée, mais à travers cette jalousie brillait une lumière.

Il s'approcha de la porte et écouta: une autre sentinelle passait et repassait devant la porte. C'étaient ses pas qu'il avait entendus.

Mais au fond du corridor retentissaient des voix confuses; la délibération avait visiblement dégénéré en discussion. Maurice ne pouvait entendre avec suite ce qui se disait. Cependant quelques mots pénétraient jusqu'à lui, et parmi ces mots, comme si pour ceux-là seuls la distance était moins grande, il entendait les mots espion, poignard, mort.

Maurice redoubla d'attention. Une porte s'ouvrit, et il entendit plus distinctement.

– Oui, disait une voix, oui, c'est un espion, il a découvert quelque chose, et il est certainement envoyé pour surprendre nos secrets. En le délivrant, nous courons risque qu'il nous dénonce.

– Mais sa parole? dit une voix.

– Sa parole, il la donnera, puis il la trahira. Est-ce qu'il est gentilhomme pour qu'on se fie à sa parole?

Maurice grinça des dents à cette idée que quelques gens avaient encore la prétention qu'il fallût être gentilhomme pour garder la foi jurée.

– Mais nous connaît-il pour nous dénoncer?

– Non, certes, il ne nous connaît pas, il ne sait pas ce que nous faisons; mais il sait l'adresse, il reviendra bien accompagné.

L'argument parut péremptoire.

– Eh bien, dit la voix qui déjà plusieurs fois avait frappé Maurice comme devant être celle du chef, c'est donc décidé?

– Mais oui, cent fois oui; je ne vous comprends pas avec votre magnanimité, mon cher; si le comité de salut public nous tenait, vous verriez s'il ferait toutes ces façons.

– Ainsi donc vous persistez dans votre décision, messieurs?

– Sans doute, et vous n'allez pas, j'espère, vous y opposer.

– Je n'ai qu'une voix, messieurs, elle a été pour qu'on lui rendît la liberté. Vous en avez six, elles ont été toutes six pour la mort. Va donc pour la mort.

La sueur qui coulait sur le front de Maurice se glaça tout à coup.

– Il va crier, hurler, dit la voix. Avez-vous au moins éloigné madame Dixmer?

– Elle ne sait rien; elle est dans le pavillon en face.

– Madame Dixmer, murmura Maurice; je commence à comprendre. Je suis chez ce maître tanneur qui m'a parlé dans la vieille rue Saint-Jacques, et qui s'est éloigné en se riant de moi, quand je n'ai pas pu lui dire le nom de mon ami. Mais quel diable d'intérêt un maître tanneur peut-il avoir à m'assassiner?

 

– En tout cas, dit-il, avant qu'on m'assassine, j'en tuerai plus d'un. Et il bondit vers l'instrument inoffensif qui, dans sa main, allait devenir une arme terrible.

Puis il revint derrière la porte et se plaça de façon à ce qu'en se déployant elle le couvrît.

Son cœur palpitait à briser sa poitrine, et dans le silence on entendait le bruit de ses palpitations.

Tout à coup Maurice frissonna de la tête aux pieds; une voix avait dit:

– Si vous m'en croyez, vous casserez tout bonnement une vitre, et à travers les barreaux vous le tuerez d'un coup de carabine.

– Oh! non, non, pas d'explosion, dit une autre voix; une explosion peut nous trahir. Ah! vous voilà, Dixmer; et votre femme?

– Je viens de regarder à travers la jalousie; elle ne se doute de rien, elle lit.

– Dixmer, vous allez nous fixer. Êtes-vous pour un coup de carabine? êtes-vous pour un coup de poignard?

– Soit, pour le poignard. Allons!

– Allons! répétèrent ensemble les cinq ou six voix. Maurice était un enfant de la Révolution, un cœur de bronze, une âme athée, comme il y en avait beaucoup à cette époque-là. Mais à ce mot allons! prononcé derrière cette porte qui, seule, le séparait de la mort, il se rappela le signe de la croix que sa mère lui avait appris lorsque, tout enfant, elle lui faisait dire ses prières à genoux. Les pas se rapprochèrent, mais ils s'arrêtèrent, puis la clef grinça dans la serrure, et la porte s'ouvrit lentement. Pendant cette minute qui venait de s'écouler, Maurice s'était dit: «Si je perds mon temps à frapper, je serai tué. En me précipitant sur les assassins, je les surprends; je gagne le jardin, la ruelle, je me sauve peut-être.»

Aussitôt, prenant un élan de lion, en jetant un cri sauvage où il y avait encore plus de menace que d'effroi, il renversa les deux premiers hommes, qui le croyant lié et les yeux bandés, étaient loin de s'attendre à une pareille agression, écarta les autres, franchit, grâce à ses jarrets d'acier, dix toises en une seconde, vit au bout du corridor une porte donnant sur le jardin toute grande ouverte, s'élança, sauta dix marches, se trouva dans le jardin, et, s'orientant du mieux qu'il lui était possible, courut vers la porte.

La porte était fermée à deux verrous et à la serrure. Maurice tira les deux verrous, voulut ouvrir la serrure; il n'y avait pas de clef.

Pendant ce temps, ceux qui le poursuivaient étaient arrivés au perron: ils l'aperçurent.

– Le voilà, crièrent-ils, tirez dessus, Dixmer, tirez dessus; tuez! tuez!

Maurice poussa un rugissement: il était enfermé dans le jardin; il mesura de l'œil les murailles; elles avaient dix pieds de haut.

Tout cela fut rapide comme une seconde.

Les assassins s'élancèrent à sa poursuite.

Maurice avait trente pas d'avance à peu près sur eux; il regarda tout autour de lui avec ce regard du condamné qui demande l'ombre d'une chance de salut pour en faire une réalité.

Il aperçut le kiosque, la jalousie, derrière la jalousie la lumière. Il ne fit qu'un bond, un bond de dix pieds, saisit la jalousie, l'arracha, passa au travers de la fenêtre en la brisant et tomba dans une chambre éclairée où lisait une femme assise près du feu.

Cette femme se leva épouvantée en criant au secours.

– Range-toi, Geneviève, range-toi, cria la voix de Dixmer; range-toi, que je le tue! Et Maurice vit s'abaisser à dix pas de lui le canon de la carabine.

Mais à peine la femme l'eût-elle regardé qu'elle jeta un cri terrible, et qu'au lieu de se ranger comme le lui ordonnait son mari, elle se jeta entre lui et le canon du fusil.

Ce mouvement concentra toute l'attention de Maurice sur la généreuse créature dont le premier mouvement était de le protéger.

À son tour, il jeta un cri. C'était son inconnue tant cherchée.

– Vous!.. Vous!.. s'écria-t-il.

– Silence! dit-elle.

Puis, se retournant vers les assassins, qui, différentes armes à la main, s'étaient rapprochés de la fenêtre:

– Oh! vous ne le tuerez pas! s'écria-t-elle.

– C'est un espion, s'écria Dixmer, dont la figure douce et placide avait pris une expression de résolution implacable; c'est un espion, et il doit mourir.

– Un espion! lui? dit Geneviève; lui, un espion? Venez ici, Dixmer. Je n'ai qu'un mot à vous dire pour vous prouver que vous vous trompez étrangement.

Dixmer s'approcha de la fenêtre: Geneviève s'approcha de lui, et, se penchant à son oreille, elle lui dit quelques mots tout bas.

Le maître tanneur releva la tête.

– Lui? dit-il.

– Lui-même, répondit Geneviève.

– Vous en êtes sûre? La jeune femme ne répondit point cette fois: mais elle se retourna vers Maurice et lui tendit la main en souriant. Les traits de Dixmer reprirent alors une expression singulière de mansuétude et de froideur. Il posa la crosse de sa carabine à terre.

– Alors, c'est autre chose, dit-il. Puis, faisant signe à ses compagnons de le suivre, il s'écarta avec eux et leur dit quelques mots, après lesquels ils s'éloignèrent.

– Cachez cette bague, murmura Geneviève pendant ce temps; tout le monde la connaît ici. Maurice ôta vivement la bague de son doigt et la glissa dans la poche de son gilet.

Un instant après, la porte du pavillon s'ouvrit, et Dixmer, sans arme, s'avança vers Maurice.

– Pardon, citoyen, lui dit-il; que n'ai-je su plus tôt les obligations que je vous avais! Ma femme, tout en se souvenant du service que vous lui aviez rendu dans la soirée du 10 mars, avait oublié votre nom. Nous ignorions donc complètement à qui nous avions à faire; sans cela, croyez-le bien, nous n'eussions pas un instant suspecté votre honneur ni soupçonné vos intentions. Ainsi donc, pardon, encore une fois!

Maurice était stupéfait; il se tenait debout par un miracle d'équilibre; il sentait que la tête lui tournait, il était près de tomber.

Il s'appuya à la cheminée.

– Mais enfin, dit-il, pourquoi vouliez-vous donc me tuer?

– Voilà le secret, citoyen, dit Dixmer, et je le confie à votre loyauté. Je suis, comme vous le savez déjà, maître tanneur et chef de cette tannerie. La plupart des acides que j'emploie pour la préparation de mes peaux sont des marchandises prohibées. Or, les contrebandiers que j'emploie avaient avis d'une délation faite au conseil général. Vous voyant prendre des informations, j'ai eu peur. Mes contrebandiers ont eu encore plus peur que moi de votre bonnet rouge et de votre air décidé, et je ne vous cache pas que votre mort était résolue.

– Je le sais pardieu bien, s'écria Maurice, et vous ne m'apprenez là rien de nouveau. J'ai entendu votre délibération et j'ai vu votre carabine.

– Je vous ai déjà demandé pardon, reprit Dixmer d'un air de bonhomie attendrissante. Comprenez donc ceci, que, grâce aux désordres du temps, nous sommes, moi et mon associé, M. Morand, en train de faire une immense fortune. Nous avons la fourniture des sacs militaires; tous les jours nous en faisons confectionner quinze cents, ou deux mille. Grâce au bienheureux état de choses dans lequel nous vivons, la municipalité, qui a fort à faire, n'a pas le temps de vérifier bien exactement nos comptes, de sorte, il faut bien l'avouer, que nous pêchons un peu en eau trouble; d'autant plus, comme je vous le disais, que les matières préparatoires que nous nous procurons par contrebande nous permettent de gagner deux cents pour cent.

– Diable! fit Maurice, cela me paraît un bénéfice assez honnête, et je comprends maintenant votre crainte qu'une dénonciation de ma part ne le fît cesser; mais maintenant que vous me connaissez, vous êtes rassuré, n'est-ce pas?

– Maintenant, dit Dixmer, je ne vous demande même plus votre parole.

Puis, lui posant la main sur l'épaule et le regardant avec un sourire:

– Voyons, lui dit-il, à présent que nous sommes en petit comité et entre amis, je puis le dire, que veniez-vous faire par ici, jeune homme? Bien entendu, ajouta le maître tanneur, que si vous voulez vous taire, vous êtes parfaitement libre.

– Mais je vous l'ai dit, je crois, balbutia Maurice.

– Oui, une femme, dit le bourgeois, je sais qu'il était question d'une femme.

– Mon Dieu! pardonnez-moi, citoyen, dit Maurice; mais je comprends à merveille que je vous dois une explication. Eh bien, je cherchais une femme qui, l'autre soir, sous le masque, m'a dit demeurer dans ce quartier. Je ne sais ni son nom, ni sa position, ni sa demeure. Seulement, je sais que je suis amoureux fou, qu'elle est petite…

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