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Le Chevalier de Maison-Rouge

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– Hélas! murmura-t-elle, le malheur est comme le sang des hydres antiques: il féconde des moissons de nouveaux malheurs!

XXVI
Black

Le municipal sortit pour appeler ses collègues et prendre lecture du procès-verbal laissé par les municipaux sortants.

La reine resta seule avec sa sœur et sa fille.

Toutes trois se regardèrent.

Madame Royale se jeta dans les bras de la reine et la tint embrassée.

Madame Élisabeth s'approcha de sa sœur et lui tendit la main.

– Prions Dieu, dit la reine; mais prions bas, afin que personne ne se doute que nous prions.

Il y a des époques fatales où la prière, cet hymne naturel que Dieu a mis au fond du cœur de l'homme, devient suspecte aux yeux des hommes, car la prière est un acte d'espoir ou de reconnaissance. Or, aux yeux de ses gardiens, l'espoir ou la reconnaissance était une cause d'inquiétude, puisque la reine ne pouvait espérer qu'une seule chose, la fuite; puisque la reine ne pouvait remercier Dieu que d'une seule chose, de lui en avoir donné les moyens.

Cette prière mentale achevée, toutes trois demeurèrent sans prononcer une parole. Onze heures sonnèrent, puis midi.

Au moment où le dernier coup retentissait sur le timbre de bronze, un bruit d'armes commença d'emplir l'escalier en spirale et de monter jusqu'à la reine.

– Ce sont les sentinelles qu'on relève, dit-elle. On va venir nous chercher. Elle vit que sa sœur et sa fille pâlissaient.

– Courage! dit-elle en pâlissant elle-même.

– Il est midi, cria-t-on d'en bas; faites descendre les prisonnières.

– Nous voici, messieurs, répondit la reine, qui, avec un sentiment presque mêlé de regret, embrassa d'un dernier coup d'œil et salua d'un dernier regard les murs noirs et les meubles, sinon grossiers, du moins bien simples, compagnons de sa captivité.

Le premier guichet s'ouvrit: il donnait sur le corridor. Le corridor était sombre, et, dans cette obscurité, les trois captives pouvaient dissimuler leur émotion. En avant, courait le petit Black; mais, lorsqu'on fut arrivé au second guichet, c'est-à-dire à cette porte dont Marie-Antoinette essayait de détourner les yeux, le fidèle animal vint coller son museau sur les clous à large tête, et, à la suite de plusieurs petits cris plaintifs, fit entendre un gémissement douloureux et prolongé. La reine passa vite sans avoir la force de rappeler son chien, et en cherchant le mur pour s'appuyer.

Après avoir fait quelques pas, les jambes manquèrent à la reine, et elle fut forcée de s'arrêter. Sa sœur et sa fille se rapprochèrent d'elle, et, un instant, les trois femmes demeurèrent immobiles, formant un groupe douloureux, la mère tenant son front appuyé sur la tête de madame Royale.

Le petit Black vint la rejoindre.

– Eh bien, cria la voix, descend-elle ou ne descend-elle pas?

– Nous voici, dit le municipal, qui était resté debout, respectant cette douleur si grande dans sa simplicité.

– Allons! dit la reine. Et elle acheva de descendre. Lorsque les prisonnières furent arrivées au bas de l'escalier tournant, en face de la dernière porte sous laquelle le soleil traçait de larges bandes de lumière dorée, le tambour fit entendre un roulement qui appelait la garde, puis il y eut un grand silence provoqué par la curiosité, et la lourde porte s'ouvrit lentement en roulant sur ses gonds criards.

Une femme était assise à terre, ou plutôt couchée dans l'angle de la borne contiguë à cette porte. C'était la femme Tison, que la reine n'avait pas vue depuis vingt-quatre heures, absence qui, plusieurs fois dans la soirée de la veille et dans la matinée du jour où l'on se trouvait, avait suscité son étonnement.

La reine voyait déjà le jour, les arbres, le jardin, et, au delà de la barrière qui fermait ce jardin, son œil avide allait chercher la petite hutte de la cantine où ses amis l'attendaient sans doute, lorsque, au bruit de ses pas, la femme Tison écarta ses mains, et la reine vit un visage pâle et brisé sous ses cheveux grisonnants.

Le changement était si grand, que la reine s'arrêta étonnée.

Alors, avec cette lenteur des gens chez lesquels la raison est absente, elle vint s'agenouiller devant cette porte, fermant le passage à Marie-Antoinette.

– Que voulez-vous, bonne femme? demanda la reine.

– Il a dit qu'il fallait que vous me pardonniez.

– Qui cela? demanda la reine.

– L'homme au manteau, répliqua la femme Tison.

La reine regarda Madame Élisabeth et sa fille avec étonnement.

– Allez, allez, dit le municipal, laissez passer la veuve Capet; elle a la permission de se promener dans le jardin.

– Je le sais bien, dit la vieille; c'est pour cela que je suis venue l'attendre ici: puisqu'on n'a pas voulu me laisser monter, et que je devais lui demander pardon, il fallait bien que je l'attendisse.

– Pourquoi donc n'a-t-on pas voulu vous laisser monter? demanda la reine. La femme Tison se mit à rire.

– Parce qu'ils prétendent que je suis folle! dit-elle. La reine la regarda, et elle vit, en effet, dans les yeux égarés de cette malheureuse reluire un reflet étrange, cette lueur vague qui indique l'absence de la pensée.

– Oh! mon Dieu! dit-elle, pauvre femme! que vous est-il donc arrivé?

– Il m'est arrivé… vous ne savez donc pas? dit la femme; mais si… vous le savez bien, puisque c'est pour vous qu'elle est condamnée…

– Qui?

– Héloïse.

– Votre fille?

– Oui, elle… ma pauvre fille!

– Condamnée… mais par qui? comment? pourquoi?

– Parce que c'est elle qui a vendu le bouquet…

– Quel bouquet?

– Le bouquet d'œillets… Elle n'est pourtant pas bouquetière, reprit la femme Tison, comme si elle cherchait à rappeler ses souvenirs; comment a-t-elle donc pu vendre ce bouquet?

La reine frémit. Un lien invisible rattachait cette scène à la situation présente; elle comprit qu'il ne fallait point perdre de temps dans un dialogue inutile.

– Ma bonne femme, dit-elle, je vous en prie, laissez-moi passer; plus tard, vous me conterez tout cela.

– Non, tout de suite; il faut que vous me pardonniez; il faut que je vous aide à fuir pour qu'il sauve ma fille. La reine devint pâle comme une morte.

– Mon Dieu! murmura-t-elle en levant les yeux au ciel. Puis, se retournant vers le municipal:

– Monsieur, dit-elle, ayez la bonté d'écarter cette femme; vous voyez bien qu'elle est folle.

– Allons, allons, la mère, dit le municipal, décampons. Mais la femme Tison se cramponna à la muraille.

– Non, reprit-elle, il faut qu'elle me pardonne pour qu'il sauve ma fille.

– Mais qui cela?

– L'homme au manteau.

– Ma sœur, dit Madame Élisabeth, adressez-lui quelques paroles de consolation.

– Oh! bien volontiers, dit la reine. En effet, je crois que ce sera le plus court. Puis, se retournant vers la folle:

– Bonne femme, que désirez-vous? Dites.

– Je désire que vous me pardonniez tout ce que je vous ai fait souffrir par les injures que je vous ai dites, par les dénonciations que j'ai faites, et que, quand vous verrez l'homme au manteau, vous lui ordonniez de sauver ma fille, puisqu'il fait tout ce que vous voulez.

– Je ne sais ce que vous entendez dire par l'homme au manteau, répondit la reine; mais, s'il ne s'agit, pour tranquilliser votre conscience, que d'obtenir de moi le pardon des offenses que vous croyez m'avoir faites, oh! du fond du cœur, pauvre femme! je vous pardonne bien sincèrement; et puissent ceux que j'ai offensés me pardonner de même!

– Oh! s'écria la femme Tison avec un intraduisible accent de joie, il sauvera donc ma fille, puisque vous m'avez pardonné. Votre main, madame, votre main.

La reine, étonnée, tendit, sans y rien comprendre, sa main, que la femme Tison saisit avec ardeur, et sur laquelle elle appuya ses lèvres.

En ce moment, la voix enrouée d'un colporteur se fit entendre dans la rue du Temple.

– Voilà, cria-t-il, le jugement et l'arrêt qui condamnent la fille Héloïse Tison à la peine de mort pour crime de conspiration!

À peine ces paroles eurent-elles frappé les oreilles de la femme Tison, que sa figure se décomposa, qu'elle se releva sur un genou et qu'elle étendit les bras pour fermer le passage à la reine.

– Oh! mon Dieu! murmura la reine, qui n'avait pas perdu un mot de la terrible annonce.

– Condamnée à la peine de mort? s'écria la mère; ma fille condamnée? mon Héloïse perdue? Il ne l'a donc pas sauvée et ne peut donc pas la sauver? il est donc trop tard?.. Ah!..

– Pauvre femme, dit la reine, croyez que je vous plains.

– Toi? dit-elle, et ses yeux s'injectèrent de sang. Toi, tu me plains? Jamais! jamais!

– Vous vous trompez, je vous plains de tout mon cœur; mais laissez-moi passer.

– Te laisser passer! La femme Tison éclata de rire.

– Non, non! je te laissais fuir parce qu'il m'avait dit que, si je te demandais pardon et que si je te laissais fuir, ma fille serait sauvée; mais, puisque ma fille va mourir, tu ne te sauveras pas.

– À moi, messieurs! venez à mon aide, s'écria la reine. Mon Dieu! mon Dieu! mais vous voyez bien que cette femme est folle.

– Non, je ne suis pas folle, non; je sais ce que je dis, s'écria la femme Tison. Voyez-vous, c'est vrai, il y avait une conspiration; c'est Simon qui l'a découverte, c'est ma fille, ma pauvre fille, qui a vendu le bouquet. Elle l'a avoué devant le tribunal révolutionnaire… un bouquet d'œillets… il y avait des papiers dedans.

– Madame, dit la reine, au nom du ciel! On entendit de nouveau la voix du crieur qui répétait:

– Voilà le jugement et l'arrêt qui condamnent la fille Héloïse Tison à la peine de mort pour crime de conspiration!

– L'entends-tu? hurla la folle, autour de laquelle se groupaient les gardes nationaux; l'entends-tu, condamnée à mort? C'est pour toi, pour toi, qu'on va tuer ma fille, entends-tu, pour toi, l'Autrichienne?

 

– Messieurs, dit la reine, au nom du ciel! si vous ne voulez pas me débarrasser de cette pauvre folle, laissez-moi du moins remonter; je ne puis supporter les reproches de cette femme: tout injustes qu'ils sont, ils me brisent.

Et la reine détourna la tête en laissant échapper un douloureux sanglot.

– Oui, oui, pleure, hypocrite! cria la folle; ton bouquet lui coûte cher… D'ailleurs, elle devait s'en douter; c'est ainsi que meurent tous ceux qui te servent. Tu portes malheur, l'Autrichienne: on a tué tes amis, ton mari, tes défenseurs; enfin, on tue ma fille. Quand donc te tuera-t-on à ton tour pour que personne ne meure plus pour toi?

Et la malheureuse hurla ces dernières paroles en les accompagnant d'un geste de menace.

– Malheureuse! hasarda Madame Élisabeth, oublies-tu que celle à qui tu parles est la reine?

– La reine, elle?.. la reine? répéta la femme Tison, dont la démence s'exaltait d'instant en instant; si c'est la reine, qu'elle défende aux bourreaux de tuer ma fille… qu'elle fasse grâce à ma pauvre Héloïse… les rois font grâce… Allons, rends-moi mon enfant, et je te reconnaîtrai pour la reine… Jusque-là, tu n'es qu'une femme, et une femme qui porte malheur, une femme qui tue!..

– Ah! par pitié, madame, s'écria Marie-Antoinette, voyez ma douleur, voyez mes larmes.

Et Marie-Antoinette essaya de passer, non plus dans l'espérance de fuir, mais machinalement, mais pour échapper à cette effroyable obsession.

– Oh! tu ne passeras pas, hurla la vieille; tu veux fuir, madame Veto… je le sais bien, l'homme au manteau me l'a dit; tu veux aller rejoindre les Prussiens… mais tu ne fuiras pas, continua-t-elle en se cramponnant à la robe de la reine; je t'en empêcherai, moi! À la lanterne, madame Veto! Aux armes, citoyens! Marchons… qu'un sang impur…

Et, les bras tordus, les cheveux gris épars, le visage pourpre, les yeux noyés dans le sang, la malheureuse tomba renversée en déchirant le lambeau de la robe à laquelle elle était cramponnée.

La reine, éperdue, mais débarrassée au moins de l'insensée, allait fuir du côté du jardin, quand, tout à coup, un cri terrible, mêlé d'aboiements et accompagné d'une rumeur étrange, vint tirer de leur stupeur les gardes nationaux qui, attirés par cette scène, entouraient Marie-Antoinette.

– Aux armes! aux armes! trahison! criait un homme que la reine reconnut à sa voix pour le cordonnier Simon.

Près de cet homme qui, le sabre en main, gardait le seuil de la hutte, le petit Black aboyait avec fureur.

– Aux armes, tout le poste! cria Simon; nous sommes trahis; faites entrer l'Autrichienne. Aux armes! aux armes!

Un officier accourut. Simon lui parla, lui montrant, avec des yeux enflammés, l'intérieur de la cabine. L'officier cria à son tour:

– Aux armes!

– Black! Black! appela la reine en faisant quelques pas en avant. Mais le chien ne lui répondit pas et continua d'aboyer avec fureur.

Les gardes nationaux coururent aux armes, et se précipitèrent vers la cabine, tandis que les municipaux s'emparaient de la reine, de sa sœur et de sa fille, et forçaient les prisonnières à repasser le guichet, qui se referma derrière elles.

– Apprêtez vos armes! crièrent les municipaux aux sentinelles. Et l'on entendit le bruit des fusils qu'on armait.

– C'est là, c'est là, sous la trappe, criait Simon. J'ai vu remuer la trappe, j'en suis sûr. D'ailleurs, le chien de l'Autrichienne, un bon petit chien qui n'était pas du complot, lui, a jappé contre les conspirateurs, qui sont probablement dans la cave. Eh! tenez, il jappe encore.

En effet, Black, animé par les cris de Simon, redoubla ses aboiements.

L'officier saisit l'anneau de la trappe. Deux grenadiers des plus vigoureux, voyant qu'il ne pouvait venir à bout de la soulever, l'y aidèrent, mais sans plus de succès.

– Vous voyez bien qu'ils retiennent la trappe en dedans, dit Simon. Feu! à travers la trappe, mes amis! feu!

– Eh! cria madame Plumeau, vous allez casser mes bouteilles.

– Feu! répéta Simon, feu!

– Tais-toi, braillard! dit l'officier. Et vous, apportez des haches et entamez les planches. Maintenant, qu'un peloton se tienne prêt. Attention! et feu dans la trappe aussitôt qu'elle sera ouverte.

Un gémissement des ais et un soubresaut subit annoncèrent aux gardes nationaux qu'un mouvement intérieur venait de s'opérer. Bientôt après, on entendit un bruit souterrain qui ressemblait à une herse de fer qui se ferme.

– Courage! dit l'officier aux sapeurs qui accouraient. La hache entama les planches. Vingt canons de fusil s'abaissèrent dans la direction de l'ouverture, qui s'élargissait de seconde en seconde. Mais, par l'ouverture, on ne vit personne. L'officier alluma une torche et la jeta dans la cave; la cave était vide.

On souleva la trappe, qui, cette fois, céda sans présenter la moindre résistance.

– Suivez-moi, s'écria l'officier en se précipitant bravement dans l'escalier.

– En avant! en avant! crièrent les gardes nationaux en s'élançant à la suite de leur officier.

– Ah! femme Plumeau, dit Tison, tu prêtes ta cave aux aristocrates!

Le mur était défoncé. Des pas nombreux avaient foulé le sol humide, et un conduit de trois pieds de large et de cinq pieds de haut, pareil au boyau d'une tranchée, s'enfonçait dans la direction de la rue de la Corderie.

L'officier s'aventura dans cette ouverture, décidé à poursuivre les aristocrates jusque dans les entrailles de la terre; mais, à peine eut-il fait trois ou quatre pas, qu'il fut arrêté par une grille de fer.

– Halte! dit-il à ceux qui le poussaient par derrière, on ne peut pas aller plus loin, il y a empêchement physique.

– Eh bien, dirent les municipaux, qui, après avoir renfermé les prisonnières, accouraient pour avoir des nouvelles, qu'y a-t-il? Voyons?

– Parbleu! dit l'officier en reparaissant, il y a conspiration; les aristocrates voulaient enlever la reine pendant sa promenade, et probablement qu'elle était de connivence avec eux.

– Peste! cria le municipal. Que l'on coure après le citoyen Santerre, et qu'on prévienne la Commune.

– Soldats, dit l'officier, restez dans cette cave, et tuez tout ce qui se présentera.

Et l'officier, après avoir donné cet ordre, remonta pour faire son rapport.

– Ah! ah! criait Simon en se frottant les mains. Ah! ah! dira-t-on encore que je suis fou? Brave Black! Black est un fameux patriote, Black a sauvé la République. Viens ici, Black, viens!

Et le brigand, qui avait fait les yeux doux au pauvre chien, lui lança, quand il fut proche de lui, un coup de pied qui l'envoya à vingt pas.

– Oh! je t'aime, Black! dit-il; tu feras couper le cou à ta maîtresse. Viens ici, Black, viens!

Mais, au lieu d'obéir, cette fois, Black reprit en criant le chemin du donjon.

XXVII
Le muscadin

Il y avait deux heures, à peu près, que les événements que nous venons de raconter étaient accomplis.

Lorin se promenait dans la chambre de Maurice, tandis qu'Agésilas cirait les bottes de son maître dans l'antichambre; seulement, pour la plus grande commodité de la conversation, la porte était demeurée ouverte, et, dans le parcours qu'il accomplissait, Lorin s'arrêtait devant cette porte et adressait des questions à l'officieux.

– Et tu dis, citoyen Agésilas, que ton maître est parti ce matin?

– Oh! mon Dieu, oui.

– À son heure ordinaire?

– Dix minutes plus tôt, dix minutes plus tard, je ne saurais trop dire.

– Et tu ne l'as pas revu depuis?

– Non, citoyen.

Lorin reprit sa promenade et fit en silence trois à quatre tours, puis s'arrêtant de nouveau:

– Avait-il son sabre? demanda-t-il.

– Oh! quand il va à la section, il l'a toujours.

– Et tu es sûr que c'est à la section qu'il est allé?

– Il me l'a dit du moins.

– En ce cas, je vais le rejoindre, dit Lorin. Si nous nous croisions, tu lui diras que je suis venu et que je vais revenir.

– Attendez, dit Agésilas.

– Quoi?

– J'entends son pas dans l'escalier.

– Tu crois?

– J'en suis sûr. En effet, presque au même instant, la porte de l'escalier s'ouvrit et Maurice entra.

Lorin jeta sur celui-ci un coup d'œil rapide, et voyant que rien en lui ne paraissait extraordinaire:

– Ah! te voilà enfin! dit Lorin; je t'attends depuis deux heures.

– Tant mieux, dit Maurice en souriant, cela t'aura donné du temps pour préparer les distiques et les quatrains.

– Ah! mon cher Maurice, dit l'improvisateur, je n'en fais plus.

– De distiques et de quatrains?

– Non.

– Bah! mais le monde va donc finir?

– Maurice, mon ami, je suis triste.

– Toi, triste?

– Je suis malheureux.

– Toi, malheureux?

– Oui, que veux-tu? j'ai des remords.

– Des remords?

– Eh! mon Dieu, oui, dit Lorin, toi ou elle, mon cher, il n'y avait pas de milieu. Toi ou elle, tu sens bien que je n'ai pas hésité; mais, vois-tu, Arthémise est au désespoir, c'était son amie.

– Pauvre fille!

– Et comme c'est elle qui m'a donné son adresse…

– Tu aurais infiniment mieux fait de laisser les choses suivre leur cours.

– Oui, et c'est toi qui, à cette heure, serais condamné à sa place. Puissamment raisonné, cher ami. Et moi qui venais te demander un conseil! Je te croyais plus fort que cela.

– Voyons, n'importe, demande toujours.

– Eh bien, comprends-tu? Pauvre fille, je voudrais tenter quelque chose pour la sauver. Si je donnais ou si je recevais pour elle quelque bonne torgnole, il me semble que cela me ferait du bien.

– Tu es fou, Lorin, dit Maurice en haussant les épaules.

– Voyons, si je faisais une démarche auprès du tribunal révolutionnaire?

– Il est trop tard, elle est condamnée.

– En vérité, dit Lorin, c'est affreux de voir périr ainsi cette jeune femme.

– D'autant plus affreux que c'est mon salut qui a entraîné sa mort. Mais, après tout, Lorin, ce qui doit nous consoler, c'est qu'elle conspirait.

– Eh! mon Dieu, est-ce que tout le monde ne conspire pas, peu ou beaucoup, par le temps qui court? Elle a fait comme tout le monde. Pauvre femme!

– Ne la plains pas trop, ami, et surtout ne la plains pas trop haut, dit Maurice, car nous portons une partie de sa peine. Crois-moi, nous ne sommes pas si bien lavés de l'accusation de complicité qu'elle n'ait fait tache. Aujourd'hui, à la section, j'ai été appelé girondin par le capitaine des chasseurs de Saint-Leu, et tout à l'heure, il m'a fallu lui donner un coup de sabre pour lui prouver qu'il se trompait.

– C'est donc pour cela que tu rentres si tard?

– Justement.

– Mais pourquoi ne m'as-tu pas averti?

– Parce que, dans ces sortes d'affaires, tu ne peux te contenir; il fallait que cela se terminât tout de suite, afin que la chose ne fît pas de bruit. Nous avons pris chacun de notre côté ceux que nous avions sous la main.

– Et cette canaille-là t'avait appelé girondin, toi, Maurice, un pur?..

– Eh! mordieu! oui; c'est ce qui te prouve, mon cher, qu'encore une aventure pareille et nous sommes impopulaires; car, tu sais, Lorin, quel est, aux jours où nous vivons, le synonyme d'impopulaire: c'est suspect.

– Je sais bien, dit Lorin, et ce mot-là fait frissonner les plus braves; n'importe… il me répugne de laisser aller la pauvre Héloïse à la guillotine sans lui demander pardon.

– Enfin, que veux-tu?

– Je voudrais que tu restasses ici, Maurice, toi qui n'as rien à te reprocher à son égard. Moi, vois-tu, c'est autre chose; puisque je ne puis rien de plus pour elle, j'irai sur son passage, je veux y aller, ami Maurice, tu me comprends, et pourvu qu'elle me tende la main!..

– Je t'accompagnerai alors, dit Maurice.

– Impossible, mon ami, réfléchis donc: tu es municipal, tu es secrétaire de section, tu as été mis en cause, tandis que, moi, je n'ai été que ton défenseur; on te croirait coupable, reste donc; moi, c'est autre chose, je ne risque rien et j'y vais.

Tout ce que disait Lorin était si juste, qu'il n'y avait rien à répondre. Maurice, échangeant un seul signe avec la fille Tison marchant à l'échafaud, dénonçait lui-même sa complicité.

– Va donc, lui dit-il, mais sois prudent. Lorin sourit, serra la main de Maurice et partit. Maurice ouvrit sa fenêtre et lui envoya un triste adieu. Mais, avant que Lorin eût tourné le coin de la rue, plus d'une fois il s'y était remis pour le regarder encore, et, chaque fois, attiré par une espèce de sympathie magnétique, Lorin se retourna pour le regarder en souriant. Enfin, lorsqu'il eut disparu au coin du quai, Maurice referma la fenêtre, se jeta dans un fauteuil, et tomba dans une de ces somnolences qui, chez les caractères forts et pour les organisations nerveuses, sont les pressentiments de grands malheurs, car ils ressemblent au calme précurseur de la tempête. Il ne fut tiré de cette rêverie, ou plutôt de cet assoupissement, que par l'officieux, qui, au retour d'une commission faite à l'extérieur, rentra avec cet air éveillé des domestiques qui brûlent de débiter au maître les nouvelles qu'ils viennent de recueillir.

 

Mais, voyant Maurice préoccupé, il n'osa le distraire, et se contenta de passer et repasser sans motifs, mais avec obstination devant lui.

– Qu'y a-t-il donc? demanda Maurice négligemment; parle, si tu as quelque chose à me dire.

– Ah! citoyen, encore une fameuse conspiration, allez! Maurice fit un mouvement d'épaules.

– Une conspiration qui fait dresser les cheveux sur la tête, continua Agésilas.

– Vraiment! répondit Maurice en homme accoutumé aux trente conspirations quotidiennes de cette époque.

– Oui, citoyen, reprit Agésilas; c'est à faire frémir, voyez-vous! Rien que d'y penser, cela donne la chair de poule aux bons patriotes.

– Voyons cette conspiration? dit Maurice.

– L'Autrichienne a manqué de s'enfuir.

– Bah! dit Maurice commençant à prêter une attention plus réelle.

– Il paraît, dit Agésilas, que la veuve Capet avait des ramifications avec la fille Tison, que l'on va guillotiner aujourd'hui. Elle ne l'a pas volé; la malheureuse!

– Et comment la reine avait-elle des relations avec cette fille? demanda Maurice, qui sentait perler la sueur sur son front.

– Par un œillet. Imaginez-vous, citoyen, qu'on lui a fait passer le plan de la chose dans un œillet.

– Dans un œillet!.. Et qui cela?

– M. le chevalier… de… attendez donc… c'est pourtant un nom fièrement connu… mais, moi, j'oublie tous ces noms…

Un chevalier de Château… que je suis bête! il n'y a plus de châteaux… un chevalier de Maison…

– Maison-Rouge?

– C'est cela.

– Impossible.

– Comment, impossible? Puisque je vous dis qu'on a trouvé une trappe, un souterrain, des carrosses.

– Mais non, c'est qu'au contraire tu n'as rien dit encore de tout cela.

– Ah bien, je vais vous le dire alors.

– Dis; si c'est un conte, il est beau du moins.

– Non, citoyen, ce n'est pas un conte, tant s'en faut, et la preuve, c'est que je le tiens du citoyen portier. Les aristocrates ont creusé une mine; cette mine partait de la rue de la Corderie, et allait jusque dans la cave de la cantine de la citoyenne Plumeau, et même elle a failli être compromise de complicité, la citoyenne Plumeau. Vous la connaissez, j'espère?

– Oui, dit Maurice; mais après?

– Eh bien, la veuve Capet devait se sauver par ce souterrain-là. Elle avait déjà le pied sur la première marche, quoi! C'est le citoyen Simon qui l'a rattrapée par sa robe. Tenez, on bat la générale dans la ville, et le rappel dans les sections; entendez-vous le tambour, là? On dit que les Prussiens sont à Dammartin, et qu'ils ont poussé des reconnaissances jusqu'aux frontières.

Au milieu de ce flux de paroles, du vrai et du faux, du possible et de l'absurde, Maurice saisit à peu près le fil conducteur. Tout partait de cet œillet donné sous ses yeux à la reine, et acheté par lui à la malheureuse bouquetière. Cet œillet contenait le plan d'une conspiration qui venait d'éclater, avec les détails plus ou moins vrais que rapportait Agésilas.

En ce moment le bruit du tambour se rapprocha, et Maurice entendit crier dans la rue:

– Grande conspiration découverte au Temple par le citoyen Simon! Grande conspiration en faveur de la veuve Capet découverte au Temple!

– Oui, oui, dit Maurice, c'est bien ce que je pense. Il y a du vrai dans tout cela. Et Lorin qui, au milieu de cette exaltation populaire, va peut-être tendre la main à cette fille et se faire mettre en morceaux…

Maurice prit son chapeau, agrafa la ceinture de son sabre, et en deux bonds fut dans la rue.

– Où est-il? demanda Maurice. Sur le chemin de la Conciergerie sans doute. Et il s'élança vers le quai.

À l'extrémité du quai de la Mégisserie, des piques et des baïonnettes, surgissant du milieu d'un rassemblement, frappèrent ses regards. Il lui sembla distinguer au milieu du groupe un habit de garde national et dans le groupe des mouvements hostiles. Il courut, le cœur serré, vers le rassemblement qui encombrait le bord de l'eau.

Ce garde national pressé par la cohorte des Marseillais était Lorin; Lorin pâle, les lèvres serrées, l'œil menaçant, la main sur la poignée de son sabre, mesurant la place des coups qu'il se préparait à porter.

À deux pas de Lorin était Simon. Ce dernier, riant d'un rire féroce, désignait Lorin aux Marseillais et à la populace en disant:

– Tenez, tenez! vous voyez bien celui-là, c'en est un que j'ai fait chasser du Temple hier comme aristocrate; c'en est un de ceux qui favorisent les correspondances dans les œillets. C'est le complice de la fille Tison, qui va passer tout à l'heure. Eh bien, le voyez-vous, il se promène tranquillement sur le quai, tandis que sa complice va marcher à la guillotine; et peut-être même qu'elle était plus que sa complice, que c'était sa maîtresse, et qu'il était venu ici pour lui dire adieu ou pour essayer de la sauver.

Lorin n'était pas homme à en entendre davantage. Il tira son sabre hors du fourreau.

En même temps la foule s'ouvrit devant un homme qui donnait tête baissée dans le groupe, et dont les larges épaules renversèrent trois ou quatre spectateurs qui se préparaient à devenir acteurs.

– Sois heureux, Simon, dit Maurice. Tu regrettais sans doute que je ne fusse point là, avec mon ami pour faire ton métier de dénonciateur en grand. Dénonce, Simon, dénonce, me voilà.

– Ma foi, oui, dit Simon avec son hideux ricanement, et tu arrives à propos. Celui-là, dit-il, c'est le beau Maurice Lindey, qui a été accusé en même temps que la fille Tison, et qui s'en est tiré parce qu'il est riche, lui.

– À la lanterne! à la lanterne! crièrent les Marseillais.

– Oui-da! essayez donc un peu, dit Maurice.

Et il fit un pas en avant et piqua, comme pour s'essayer, au milieu du front d'un des plus ardents égorgeurs que le sang aveugla aussitôt.

– Au meurtre! s'écria celui-ci. Les Marseillais abaissèrent les piques, levèrent les haches, armèrent les fusils; la foule s'écarta effrayée, et les deux amis restèrent isolés et exposés comme une double cible à tous les coups. Ils se regardèrent avec un dernier et sublime sourire, car ils s'attendaient à être dévorés par ce tourbillon de fer et de flamme qui les menaçait, quand tout à coup la porte de la maison à laquelle ils s'adossaient s'ouvrit et un essaim de jeunes gens en habit, de ceux qu'on appelait les muscadins, armés tous d'un sabre et ayant chacun une paire de pistolets à la ceinture, fondit sur les Marseillais et engagea une mêlée terrible.

– Hourra! crièrent ensemble Lorin et Maurice ranimés par ce secours, et sans réfléchir qu'en combattant dans les rangs des nouveaux venus, ils donnaient raison aux accusations de Simon. Hourra!

Mais, s'ils ne pensaient pas à leur salut, un autre y pensa pour eux. Un petit jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, à l'œil bleu, maniant avec une adresse, et une ardeur infinies, un sabre de sapeur qu'on eût cru que sa main de femme ne pouvait soulever, s'apercevant que Maurice et Lorin, au lieu de fuir par la porte qu'il semblait avoir laissée ouverte avec intention, combattaient à ses côtés, se retourna en leur disant tout bas:

– Fuyez par cette porte; ce que nous venons faire ici ne vous regarde pas, et vous vous compromettez inutilement.

Puis tout à coup, en voyant que les deux amis hésitaient:

– Arrière! cria-t-il à Maurice, pas de patriotes avec nous; municipal Lindey, nous sommes des aristocrates, nous.

À ce nom, à cette audace qu'avait un homme d'accuser une qualité qui, à cette époque-là, valait sentence de mort, la foule poussa un grand cri.

Mais le jeune homme blond et trois ou quatre de ses amis, sans s'effrayer de ce cri, poussèrent Maurice et Lorin dans l'allée, dont ils refermèrent la porte derrière eux; puis ils revinrent se jeter dans la mêlée, qui était encore augmentée par l'approche de la charrette.

Maurice et Lorin, si miraculeusement sauvés, se regardèrent étonnés, éblouis.

Cette issue semblait ménagée exprès; ils entrèrent dans une cour, et au fond de cette cour trouvèrent une petite porte dérobée qui donnait sur la rue Saint-Germain-l'Auxerrois.

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