Бесплатно

Le comte de Monte Cristo

Текст
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

«Justement je les regardais à ce moment-là.

– Ce que j’en pense, capitaine! j’en pense qu’ils montent un peu plus vite qu’ils n’en ont le droit, et qu’ils sont plus noirs qu’il ne convient à des nuages qui n’auraient pas de mauvaises intentions.

– C’est mon avis aussi, dit le capitaine, et je m’en vais toujours prendre mes précautions. Nous avons trop de voiles pour le vent qu’il va faire tout à l’heure… Holà! hé! range à serrer les cacatois et à haler bas de clinfoc!

Il était temps; l’ordre n’était pas exécuté, que le vent était à nos trousses et que le bâtiment donnait de la bande.

– Bon! dit le capitaine, nous avons encore trop de toile, range à carguer la grande voile!

Cinq minutes après, la grande voile était carguée, et nous marchions avec la misaine, les huniers et les perroquets.

– Eh bien, père Penelon, me dit le capitaine, qu’avez-vous donc à secouer la tête?

– J’ai qu’à votre place, voyez-vous, je ne resterais pas en si beau chemin.

– Je crois que tu as raison, vieux, dit-il, nous allons avoir un coup de vent.

– Ah! par exemple, capitaine, que je lui réponds, celui qui achèterait ce qui se passe là-bas pour un coup de vent gagnerait quelque chose dessus; c’est une belle et bonne tempête, ou je ne m’y connais pas!

C’est-à-dire qu’on voyait venir le vent comme on voit venir la poussière à Montredon; heureusement qu’il avait affaire à un homme qui le connaissait.

– Range à prendre deux ris dans les huniers! cria le capitaine; largue les boulines, brasse au vent, amène les huniers, pèse les palanquins sur les vergues!

– Ce n’était pas assez dans ces parages-là, dit l’Anglais; j’aurais pris quatre ris et je me serais débarrassé de la misaine.»

Cette voix ferme, sonore et inattendue, fit tressaillir tout monde. Penelon mit sa main sur ses yeux et regarda celui qui contrôlait avec tant d’aplomb la manœuvre de son capitaine.

Nous fîmes mieux que cela encore, monsieur, dit le vieux marin avec un certain respect, car nous carguâmes la brigantine et nous mîmes la barre au vent pour courir devant la tempête. Dix minutes après, nous carguions les huniers et nous nous en allions à sec de voiles.

– Le bâtiment était bien vieux pour risquer cela, dit l’Anglais.

– Eh bien, justement! c’est ce qui nous perdit. Au bout de douze heures que nous étions ballottés que le diable en aurait pris les armes, il se déclara une voie d’eau. «Penelon, me dit le capitaine, je crois que nous coulons, mon vieux; donne-moi donc la barre et descends à la cale.

Je lui donne la barre, je descends; il y avait déjà trois pieds d’eau. Je remonte en criant: «Aux pompes! aux pompes!» Ah! bien oui, il était déjà trop tard! On se mit à l’ouvrage; mais je crois que plus nous en tirions, plus il y en avait.

– Ah! ma foi, que je dis au bout de quatre heures de travail, puisque nous coulons, laissons-nous couler, on ne meurt qu’une fois!

– C’est comme cela que tu donnes l’exemple maître Penelon? dit le capitaine; eh bien, attends, attends! «Il alla prendre une paire de pistolets dans sa cabine.

– Le premier qui quitte la pompe, dit-il, je lui brûle la cervelle!

– Bien, dit l’Anglais.

– Il n’y a rien qui donne du courage comme les bonnes raisons, continua le marin, d’autant plus que pendant ce temps-là le temps s’était éclairci et que le vent était tombé; mais il n’en est pas moins vrai que l’eau montait toujours, pas de beaucoup, de deux pouces peut-être par heure, mais enfin elle montait. Deux pouces par heure, voyez-vous, ça n’a l’air de rien; mais en douze heures ça ne fait pas moins de vingt-quatre pouces, et vingt-quatre pouces font deux pieds. Deux pieds et trois que nous avions déjà, ça nous en fait cinq. Or, quand un bâtiment a cinq pieds d’eau dans le ventre, il peut passer pour hydropique.

– Allons dit le capitaine, c’est assez comme cela et M. Morrel n’aura rien à nous reprocher: nous avons fait ce que nous avons pu pour sauver le bâtiment; maintenant, il faut tâcher de sauver les hommes. À la chaloupe, enfants, et plus vite que cela!

Écoutez, monsieur Morrel, continua Penelon, nous aimions bien le Pharaon, mais si fort que le marin aime son navire, il aime encore mieux sa peau. Aussi nous ne nous le fîmes pas dire à deux fois; avec cela, voyez-vous, que le bâtiment se plaignait et semblait nous dire: «Allez-vous-en donc, mais allez-vous-en donc!» Et il ne mentait pas, le pauvre Pharaon, nous le sentions littéralement s’enfoncer sous nos pieds. Tant il y a qu’en un tour de main la chaloupe était à la mer, et que nous étions tous les huit dedans.

Le capitaine descendit le dernier, ou plutôt, non il ne descendit pas, car il ne voulait pas quitter le navire, c’est moi qui le pris à bras-le-corps et le jetai aux camarades, après quoi je sautai à mon tour. Il était temps. Comme je venais de sauter le pont creva avec un bruit qu’on aurait dit la bordée d’un vaisseau de quarante-huit.

Dix minutes après, il plongea de l’avant, puis de l’arrière, puis il se mit à tourner sur lui-même comme un chien qui court après sa queue; et puis, bonsoir la compagnie, brrou!… tout a été dit, plus de Pharaon!

«Quant à nous, nous sommes restés trois jours sans boire ni manger; si bien que nous parlions de tirer au sort pour savoir celui qui alimenterait les autres, quand nous aperçûmes la Gironde: nous lui fîmes des signaux, elle nous vit, mit le cap sur nous, nous envoya sa chaloupe et nous recueillit. Voilà comme ça s’est passé, monsieur Morrel, parole d’honneur! foi de marin! N’est-ce pas, les autres?»

Un murmure général d’approbation indiqua que le narrateur avait réuni tous les suffrages par la vérité du fonds et le pittoresque des détails.

Bien, mes amis, dit M. Morrel, vous êtes de braves gens, et je savais d’avance que dans le malheur qui m’arrivait il n’y avait pas d’autre coupable que ma destinée. C’est la volonté de Dieu et non la faute des hommes. Adorons la volonté de Dieu. Maintenant combien vous est-il dû de solde?

– Oh! bah! ne parlons pas de cela, monsieur Morrel.

– Au contraire, parlons-en, dit l’armateur avec un sourire triste.

– Eh bien, on nous doit trois mois… dit Penelon.

– Coclès, payez deux cents francs à chacun de ces braves gens. Dans une autre époque, mes amis, continua Morrel, j’eusse ajouté: «Donnez-leur à chacun deux cents francs de gratification»; mais les temps sont malheureux, mes amis, et le peu d’argent qui me reste ne m’appartient plus. Excusez-moi donc, et ne m’en aimez pas moins pour cela.»

Penelon fit une grimace d’attendrissement, se retourna vers ses compagnons, échangea quelques mots avec eux et revint.

«Pour ce qui est de cela, monsieur Morrel, dit-il en passant sa chique de l’autre côté de sa bouche et en lançant dans l’antichambre un second jet de salive qui alla faire le pendant au premier, pour ce qui est de cela…

– De quoi?

– De l’argent…

– Eh bien?

– Eh bien, monsieur Morrel, les camarades disent que pour le moment ils auront assez avec cinquante francs chacun et qu’ils attendront pour le reste.

– Merci, mes amis, merci! s’écria M. Morrel, touché jusqu’au cœur: vous êtes tous de braves cœurs; mais prenez, prenez, et si vous trouvez un bon service, entrez-y, vous êtes libres.»

Cette dernière partie de la phrase produisit un effet prodigieux sur les dignes marins. Ils se regardèrent les uns les autres d’un air effaré. Penelon, à qui la respiration manqua, faillit en avaler sa chique; heureusement, il porta à temps la main à son gosier.

«Comment, monsieur Morrel, dit-il d’une voix étranglée, comment, vous nous renvoyez! vous êtes donc mécontent de nous?

– Non, mes enfants, dit l’armateur; non, je ne suis pas mécontent de vous, tout au contraire. Non, je ne vous renvoie pas. Mais, que voulez-vous? je n’ai plus de bâtiments, je n’ai plus besoin de marins.

– Comment vous n’avez plus de bâtiments! dit Penelon. Eh bien, vous en ferez construire d’autres, nous attendrons. Dieu merci, nous savons ce que c’est que de bourlinguer.

– Je n’ai plus d’argent pour faire construire des bâtiments, Penelon, dit l’armateur avec un triste sourire, je ne puis donc pas accepter votre offre, toute obligeante qu’elle est.

– Eh bien, si vous n’avez pas d’argent il ne faut pas nous payer; alors, nous ferons comme a fait ce pauvre Pharaon, nous courrons à sec, voilà tout!

– Assez, assez, mes amis, dit Morrel étouffant d’émotion; allez, je vous en prie. Nous nous retrouverons dans un temps meilleur. Emmanuel, ajouta l’armateur, accompagnez-les, et veillez à ce que mes désirs soient accomplis.

– Au moins c’est au revoir, n’est-ce pas, monsieur Morrel? dit Penelon.

– Oui, mes amis, je l’espère, au moins; allez.»

Et il fit un signe à Coclès, qui marcha devant. Les marins suivirent le caissier, et Emmanuel suivit les marins.

«Maintenant, dit l’armateur à sa femme et à sa fille, laissez-moi seul un instant; j’ai à causer avec monsieur.»

Et il indiqua des yeux le mandataire de la maison Thomson et French, qui était resté debout et immobile dans son coin pendant toute cette scène, à laquelle il n’avait pris part que par les quelques mots que nous avons rapportés. Les deux femmes levèrent les yeux sur l’étranger qu’elles avaient complètement oublié, et se retirèrent; mais, en se retirant, la jeune fille lança à cet homme un coup d’œil sublime de supplication, auquel il répondit par un sourire qu’un froid observateur eût été étonné de voir éclore sur ce visage de glace. Les deux hommes restèrent seuls.

«Eh bien, monsieur, dit Morrel en se laissant retomber sur son fauteuil, vous avez tout vu, tout entendu, et je n’ai plus rien à vous apprendre.

– J’ai vu, monsieur, dit l’Anglais, qu’il vous était arrivé un nouveau malheur immérité comme les autres, et cela m’a confirmé dans le désir que j’ai de vous être agréable.

 

– Ô monsieur! dit Morrel.

– Voyons, continua l’étranger. Je suis un de vos principaux créanciers, n’est-ce pas?

– Vous êtes du moins celui qui possède des valeurs à plus courte échéance.

– Vous désirez un délai pour me payer?

– Un délai pourrait me sauver l’honneur, et par conséquent la vie.

– Combien demandez-vous?»

Morrel hésita.

«Deux mois, dit-il.

– Bien, dit l’étranger, je vous en donne trois.

– Mais croyez-vous que la maison Thomson et French…

– Soyez tranquille, monsieur, je prends tout sur moi. Nous sommes aujourd’hui le 5 juin.

– Oui.

– Eh bien, renouvelez-moi tous ces billets au 5 septembre; et le 5 septembre, à onze heures du matin (la pendule marquait onze heures juste en ce moment), je me présenterai chez vous.

– Je vous attendrai, monsieur, dit Morrel, et vous serez payé ou je serai mort.»

Ces derniers mots furent prononcés si bas, que l’étranger ne put les entendre.

Les billets furent renouvelés, on déchira les anciens, et le pauvre armateur se trouva au moins avoir trois mois devant lui pour réunir ses dernières ressources.

L’Anglais reçut ses remerciements avec le flegme particulier à sa nation, et prit congé de Morrel, qui le reconduisit en le bénissant jusqu’à la porte.

Sur l’escalier, il rencontra Julie. La jeune fille faisait semblant de descendre, mais en réalité elle l’attendait.

«Ô monsieur! dit-elle en joignant les mains.

– Mademoiselle, dit l’étranger, vous recevrez un jour une lettre signée… Simbad le marin… Faites de point en point ce que vous dira cette lettre, si étrange que vous paraisse la recommandation.

– Oui, monsieur, répondit Julie.

– Me promettez-vous de le faire?

– Je vous le jure.

– Bien! Adieu, mademoiselle. Demeurez toujours une bonne et sainte fille comme vous êtes, et j’ai bon espoir que Dieu vous récompensera en vous donnant Emmanuel pour mari.»

Julie poussa un petit cri, devint rouge comme une cerise et se retint à la rampe pour ne pas tomber.

L’étranger continua son chemin en lui faisant un geste d’adieu. Dans la cour, il rencontra Penelon, qui tenait un rouleau de cent francs de chaque main, et semblait ne pouvoir se décider à les emporter.

«Venez, mon ami, lui dit-il, j’ai à vous parler.»

XXX. Le cinq septembre

Ce délai accordé par le mandataire de la maison Thomson et French, au moment où Morrel s’y attendait le moins, parut au pauvre armateur un de ces retours de bonheur qui annoncent à l’homme que le sort s’est enfin lassé de s’acharner sur lui. Le même jour, il raconta ce qui lui était arrivé à sa fille, à sa femme et à Emmanuel, et un peu d’espérance, sinon de tranquillité, rentra dans la famille. Mais malheureusement, Morrel n’avait pas seulement affaire à la maison Thomson et French, qui s’était montrée envers lui de si bonne composition. Comme il l’avait dit, dans le commerce on a des correspondants et pas d’amis. Lorsqu’il songeait profondément, il ne comprenait même pas cette conduite généreuse de MM. Thomson et French envers lui; il ne se l’expliquait que par cette réflexion intelligemment égoïste que cette maison aurait faite: Mieux vaut soutenir un homme qui nous doit près de trois cent mille francs, et avoir ces trois cent mille francs au bout de trois mois, que de hâter sa ruine et avoir six ou huit pour cent du capital.

Malheureusement, soit haine, soit aveuglement, tous les correspondants de Morrel ne firent pas la même réflexion, et quelques-uns même firent la réflexion contraire. Les traites souscrites par Morrel furent donc présentées à la caisse avec une scrupuleuse rigueur, et, grâce au délai accordé par l’Anglais, furent payées par Coclès à bureau ouvert. Coclès continua donc de demeurer dans sa tranquillité fatidique. M. Morrel seul vit avec terreur que s’il avait eu à rembourser, le 15 les cinquante mille francs de de Boville, et, le 30, les trente-deux mille cinq cents francs de traites pour lesquelles, ainsi que pour la créance de l’inspecteur des prisons, il avait un délai, il était dès ce mois-là un homme perdu.

L’opinion de tout le commerce de Marseille était que, sous les revers successifs qui l’accablaient, Morrel ne pouvait tenir. L’étonnement fut donc grand lorsqu’on vit sa fin de mois remplie avec son exactitude ordinaire. Cependant, la confiance ne rentra point pour cela dans les esprits, et l’on remit d’une voix unanime à la fin du mois prochain la déposition du bilan du malheureux armateur.

Tout le mois se passa dans des efforts inouïs de la part de Morrel pour réunir toutes ses ressources. Autrefois son papier, à quelque date que ce fût, était pris avec confiance, et même demandé. Morrel essaya de négocier du papier à quatre-vingt-dix jours, et trouva les banques fermées. Heureusement, Morrel avait lui-même quelques rentrées sur lesquelles il pouvait compter; ces rentrées s’opérèrent: Morrel se trouva donc encore en mesure de faire face à ses engagements lorsque arriva la fin de juillet.

Au reste, on n’avait pas revu à Marseille le mandataire de la maison Thomson et French; le lendemain ou le surlendemain de sa visite à M. Morrel il avait disparu: or, comme il n’avait eu à Marseille de relations qu’avec le maire, l’inspecteur des prisons et M. Morrel, son passage n’avait laissé d’autre trace que le souvenir différent qu’avaient gardé de lui ces trois personnes. Quant aux matelots du Pharaon, il paraît qu’ils avaient trouvé quelque engagement, car ils avaient disparu aussi.

Le capitaine Gaumard, remis de l’indisposition qui l’avait retenu à Palma, revint à son tour. Il hésitait à se présenter chez M. Morrel: mais celui-ci apprit son arrivée, et l’alla trouver lui-même. Le digne armateur savait d’avance, par le récit de Penelon, la conduite courageuse qu’avait tenue le capitaine pendant tout ce sinistre, et ce fut lui qui essaya de le consoler. Il lui apportait le montant de sa solde, que le capitaine Gaumard n’eût point osé aller toucher.

Comme il descendait l’escalier, M. Morrel rencontra Penelon qui le montait. Penelon avait, à ce qu’il paraissait, fait bon emploi de son argent, car il était tout vêtu de neuf. En apercevant son armateur, le digne timonier parut fort embarrassé; il se rangea dans l’angle le plus éloigné du palier, passa alternativement sa chique de gauche à droite et de droite à gauche, en roulant de gros yeux effarés, et ne répondit que par une pression timide à la poignée de main que lui offrit avec sa cordialité ordinaire M. Morrel. M. Morrel attribua l’embarras de Penelon à l’élégance de sa toilette: il était évident que le brave homme n’avait pas donné à son compte dans un pareil luxe; il était donc déjà engagé sans doute à bord de quelque autre bâtiment, et sa honte lui venait de ce qu’il n’avait pas, si l’on peut s’exprimer ainsi, porté plus longtemps le deuil du Pharaon. Peut-être même venait-il pour faire part au capitaine Gaumard de sa bonne fortune et pour lui faire part des offres de son nouveau maître.

«Braves gens, dit Morrel en s’éloignant, puisse votre nouveau maître vous aimer comme je vous aimais, et être plus heureux que je ne le suis!»

Août s’écoula dans des tentatives sans cesse renouvelées par Morrel de relever son ancien crédit ou de s’en ouvrir un nouveau. Le 20 août, on sut à Marseille qu’il avait pris une place à la malle-poste, et l’on se dit alors que c’était pour la fin du mois courant que le bilan devait être déposé, et que Morrel était parti d’avance pour ne pas assister à cet acte cruel, délégué sans doute à son premier commis Emmanuel et à son caissier Coclès. Mais, contre toutes les prévisions lorsque le 31 août arriva, la caisse s’ouvrit comme d’habitude. Coclès apparut derrière le grillage, calme comme le juste d’Horace, examina avec la même attention le papier qu’on lui présentait, et, depuis la première jusqu’à la dernière, paya les traites avec la même exactitude. Il vint même deux remboursements qu’avait prévus M. Morrel, et que Coclès paya avec la même ponctualité que les traites qui étaient personnelles à l’armateur. On n’y comprenait plus rien, et l’on remettait, avec la ténacité particulière aux prophètes de mauvaises nouvelles, la faillite à la fin de septembre.

Le 1er, Morrel arriva: il était attendu par toute sa famille avec une grande anxiété; de ce voyage à Paris devait surgir sa dernière voie de salut. Morrel avait pensé à Danglars, aujourd’hui millionnaire et autrefois son obligé, puisque c’était à la recommandation de Morrel que Danglars était entré au service du banquier espagnol chez lequel avait commencé son immense fortune. Aujourd’hui Danglars, disait-on, avait six ou huit millions à lui, un crédit illimité. Danglars, sans tirer un écu de sa poche, pouvait sauver Morrel: il n’avait qu’à garantir un emprunt, et Morrel était sauvé. Morrel avait depuis longtemps pensé à Danglars; mais il y a de ces répulsions instinctives dont on n’est pas maître, et Morrel avait tardé autant qu’il lui avait été possible de recourir à ce suprême moyen. Il avait eu raison, car il était revenu brisé sous l’humiliation d’un refus.

Aussi à son retour, Morrel n’avait-il exhalé aucune plainte, proféré aucune récrimination; il avait embrassé en pleurant sa femme et sa fille, avait tendu une main amicale à Emmanuel, s’était enfermé dans son cabinet du second, et avait demandé Coclès.

«Pour cette fois, avaient dit les deux femmes à Emmanuel, nous sommes perdus.»

Puis, dans un court conciliabule tenu entre elles, il avait été convenu que Julie écrirait à son frère, en garnison à Nîmes, d’arriver à l’instant même.

Les pauvres femmes sentaient instinctivement qu’elles avaient besoin de toutes leurs forces pour soutenir le coup qui les menaçait.

D’ailleurs, Maximilien Morrel, quoique âgé de vingt-deux ans à peine, avait déjà une grande influence sur son père.

C’était un jeune homme ferme et droit. Au moment où il s’était agi d’embrasser une carrière, son père n’avait point voulu lui imposer d’avance un avenir et avait consulté les goûts du jeune Maximilien. Celui-ci avait alors déclaré qu’il voulait suivre la carrière militaire; il avait fait, en conséquence, d’excellentes études, était entré par le concours à l’École polytechnique, et en était sorti sous-lieutenant au 53ème de ligne. Depuis un an, il occupait ce grade, et avait promesse d’être nommé lieutenant à la première occasion. Dans le régiment, Maximilien Morrel était cité comme le rigide observateur, non seulement de toutes les obligations imposées au soldat, mais encore de tous les devoirs proposés à l’homme, et on ne l’appelait que le stoïcien. Il va sans dire que beaucoup de ceux qui lui donnaient cette épithète la répétaient pour l’avoir entendue, et ne savaient pas même ce qu’elle voulait dire.

C’était ce jeune homme que sa mère et sa sœur appelaient à leur aide pour les soutenir dans la circonstance grave où elles sentaient qu’elles allaient se trouver.

Elles ne s’étaient pas trompées sur la gravité de cette circonstance, car, un instant après que M. Morrel fut entré dans son cabinet avec Coclès, Julie en vit sortir ce dernier, pâle, tremblant, et le visage tout bouleversé.

Elle voulut l’interroger comme il passait près d’elle; mais le brave homme, continuant de descendre l’escalier avec une précipitation qui ne lui était pas habituelle, se contenta de s’écrier en levant les bras au ciel:

«Ô mademoiselle! mademoiselle! quel affreux malheur! et qui jamais aurait cru cela!»

Un instant après, Julie le vit remonter portant deux ou trois gros registres, un portefeuille et un sac d’argent.

Morrel consulta les registres, ouvrit le portefeuille, compta l’argent.

Toutes ses ressources montaient à six ou huit mille francs, ses rentrées jusqu’au 5 à quatre ou cinq mille; ce qui faisait, en cotant au plus haut, un actif de quatorze mille francs pour faire face à une traite de deux cent quatre-vingt-sept mille cinq cents francs. Il n’y avait pas même moyen d’offrir un pareil acompte.

Cependant, lorsque Morrel descendit pour dîner, il paraissait assez calme. Ce calme effraya plus les deux femmes que n’aurait pu le faire le plus profond abattement.

Après le dîner, Morrel avait l’habitude de sortir; il allait prendre son café au cercle des Phocéens et lire le Sémaphore: ce jour-là il ne sortit point et remonta dans son bureau.

Quant à Coclès, il paraissait complètement hébété. Pendant une partie de la journée il s’était tenu dans la cour, assis sur une pierre, la tête nue, par un soleil de trente degrés.

Emmanuel essayait de rassurer les femmes, mais il était mal éloquent. Le jeune homme était trop au courant des affaires de la maison pour ne pas sentir qu’une grande catastrophe pesait sur la famille Morrel.

 

La nuit vint: les deux femmes avaient veillé, espérant qu’en descendant de son cabinet Morrel entrerait chez elles; mais elles l’entendirent passer devant leur porte, allégeant son pas dans la crainte sans doute d’être appelé.

Elles prêtèrent l’oreille, il rentra dans sa chambre et ferma sa porte en dedans.

Mme Morrel envoya coucher sa fille; puis, une demi-heure après que Julie se fut retirée, elle se leva, ôta ses souliers et se glissa dans le corridor, pour voir par la serrure ce que faisait son mari.

Dans le corridor, elle aperçut une ombre qui se retirait: c’était Julie, qui, inquiète elle-même, avait précédé sa mère.

La jeune fille alla à Mme Morrel.

«Il écrit», dit-elle.

Les deux femmes s’étaient devinées sans se parler.

Mme Morrel s’inclina au niveau de la serrure. En effet, Morrel écrivait; mais, ce que n’avait pas remarqué sa fille, Mme Morrel le remarqua, elle, c’est que son mari écrivait sur du papier marqué.

Cette idée terrible lui vint, qu’il faisait son testament; elle frissonna de tous ses membres, et cependant elle eut la force de ne rien dire.

Le lendemain, M. Morrel paraissait tout à fait calme; il se tint dans son bureau comme à l’ordinaire, descendit pour déjeuner comme d’habitude, seulement après son dîner il fit asseoir sa fille près de lui, prit la tête de l’enfant dans ses bras et la tint longtemps contre sa poitrine.

Le soir, Julie dit à sa mère que, quoique calme en apparence, elle avait remarqué que le cœur de son père battait violemment.

Les deux autres jours s’écoulèrent à peu près pareils. Le 4 septembre au soir, M. Morrel redemanda à sa fille la clef de son cabinet.

Julie tressaillit à cette demande, qui lui sembla sinistre. Pourquoi son père lui redemandait-il cette clef qu’elle avait toujours eue, et qu’on ne lui reprenait dans son enfance que pour la punir!

La jeune fille regarda M. Morrel.

«Qu’ai-je donc fait de mal, mon père, dit-elle, pour que vous me repreniez cette clef?

– Rien, mon enfant, répondit le malheureux Morrel, à qui cette demande si simple fit jaillir les larmes des yeux; rien, seulement j’en ai besoin.»

Julie fit semblant de chercher la clef.

«Je l’aurai laissée chez moi», dit-elle.

Et elle sortit; mais, au lieu d’aller chez elle, elle descendit et courut consulter Emmanuel.

«Ne rendez pas cette clef à votre père, dit celui-ci, et demain matin, s’il est possible, ne le quittez pas.»

Elle essaya de questionner Emmanuel; mais celui-ci ne savait rien autre chose, ou ne voulait pas dire autre chose.

Pendant toute la nuit du 4 au 5 septembre, Mme Morrel resta l’oreille collée contre la boiserie. Jusqu’à trois heures du matin, elle entendit son mari marcher avec agitation dans sa chambre.

À trois heures seulement, il se jeta sur son lit.

Les deux femmes passèrent la nuit ensemble. Depuis la veille au soir, elles attendaient Maximilien.

À huit heures, M. Morrel entra dans leur chambre. Il était calme, mais l’agitation de la nuit se lisait sur son visage pâle et défait.

Les femmes n’osèrent lui demander s’il avait bien dormi. Morrel fut meilleur pour sa femme, et plus paternel pour sa fille qu’il n’avait jamais été; il ne pouvait se rassasier de regarder et d’embrasser la pauvre enfant.

Julie se rappela la recommandation d’Emmanuel et voulut suivre son père lorsqu’il sortit; mais celui-ci la repoussant avec douceur:

«Reste près de ta mère», lui dit-il.

Julie voulut insister.

«Je le veux!» dit Morrel.

C’était la première fois que Morrel disait à sa fille: Je le veux! mais il le disait avec un accent empreint d’une si paternelle douceur, que Julie n’osa faire un pas en avant.

Elle resta à la même place, debout, muette et immobile. Un instant après, la porte se rouvrit, elle sentit deux bras qui l’entouraient et une bouche qui se collait à son front.

Elle leva les yeux et poussa une exclamation de joie.

«Maximilien mon frère!» s’écria-t-elle.

À ce cri Mme Morrel accourut et se jeta dans les bras de son fils.

«Ma mère, dit le jeune homme, en regardant alternativement Mme Morrel et sa fille; qu’y a-t-il donc et que se passe-t-il? Votre lettre m’a épouvanté et j’accours.

– Julie, dit Mme Morrel en faisant signe au jeune homme, va dire à ton père que Maximilien vient d’arriver.»

La jeune fille s’élança hors de l’appartement, mais, sur la première marche de l’escalier, elle trouva un homme tenant une lettre à la main.

«N’êtes-vous pas mademoiselle Julie Morrel? dit cet homme avec un accent italien des plus prononcés.

– Oui monsieur, répondit Julie toute balbutiante; mais que me voulez-vous? je ne vous connais pas.

– Lisez cette lettre», dit l’homme en lui tendant un billet.

Julie hésitait.

«Il y va du salut de votre père», dit le messager.

La jeune fille lui arracha le billet des mains.

Puis elle l’ouvrit vivement et lut:

«Rendez vous à l’instant même aux Allées de Meilhan, entrez dans la maison no 15, demandez à la concierge la clef de la chambre du cinquième, entrez dans cette chambre, prenez sur le coin de la cheminée une bourse en filet de soie rouge, et apportez cette bourse à votre père.

«Il est important qu’il l’ait avant onze heures.

«Vous avez promis de m’obéir aveuglement, je vous rappelle votre promesse.

«SIMBAD LE MARIN.»

La jeune fille poussa un cri de joie, leva les yeux, chercha, pour l’interroger, l’homme qui lui avait remis ce billet mais il avait disparu.

Elle reporta alors les yeux sur le billet pour le lire une seconde fois et s’aperçut qu’il avait un post-scriptum.

Elle lut:

«Il est important que vous remplissiez cette mission en personne et seule; si vous veniez accompagnée ou qu’une autre que vous se présentât, le concierge répondrait qu’il ne sait ce que l’on veut dire.»

Ce post-scriptum fut une puissante correction à la joie de la jeune fille. N’avait-elle rien à craindre, n’était-ce pas quelque piège qu’on lui tendait? Son innocence lui laissait ignorer quels étaient les dangers que pouvait courir une jeune fille de son âge, mais on n’a pas besoin de connaître le danger pour craindre; il y a même une chose à remarquer, c’est que ce sont justement les dangers inconnus qui inspirent les plus grandes terreurs.

Julie hésitait, elle résolut de demander conseil.

Mais, par un sentiment étrange, ce ne fut ni à sa mère ni à son frère qu’elle eut recours, ce fut à Emmanuel.

Elle descendit, lui raconta ce qui lui était arrivé le jour où le mandataire de la maison Thomson et French était venu chez son père; elle lui dit la scène de l’escalier, lui répéta la promesse qu’elle avait faite et lui montra la lettre.

«Il faut y aller, mademoiselle, dit Emmanuel.

– Y aller? murmura Julie.

– Oui, je vous y accompagnerai.

– Mais vous n’avez pas vu que je dois être seule? dit Julie.

– Vous serez seule aussi, répondit le jeune homme; moi, je vous attendrai au coin de la rue du Musée; et si vous tardez de façon à me donner quelque inquiétude, alors j’irai vous rejoindre, et, je vous en réponds, malheur à ceux dont vous me diriez que vous auriez eu à vous plaindre!

– Ainsi, Emmanuel, reprit en hésitant la jeune fille, votre avis est donc que je me rende à cette invitation?

– Oui; le messager ne vous a-t-il pas dit qu’il y allait du salut de votre père?

– Mais enfin, Emmanuel, quel danger court-il donc?» demanda la jeune fille.

Emmanuel hésita un instant, mais le désir de décider la jeune fille d’un seul coup et sans retard l’emporta.

«Écoutez, lui dit-il, c’est aujourd’hui le 5 septembre, n’est-ce pas?

– Oui.

– Aujourd’hui, à onze heures, votre père a près de trois cent mille francs à payer.

– Oui, nous le savons.

– Eh bien, dit Emmanuel, il n’en a pas quinze mille en caisse.

– Alors que va-t-il donc arriver?

– Il va arriver que si aujourd’hui, avant onze heures, votre père n’a pas trouvé quelqu’un qui lui vienne en aide, à midi votre père sera obligé de se déclarer en banqueroute.

– Oh! venez! venez!» s’écria la jeune fille en entraînant le jeune homme avec elle.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»