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La comtesse de Rudolstadt

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Une semaine entière s'écoula pour elle dans une solitude que ne troublèrent plus les rapports de Matteus. Elle s'était promis de ne plus lui adresser la moindre question, et peut-être avait-il été tancé de son indiscrétion, car il était devenu aussi taciturne qu'il avait été prolixe dans les premiers jours. Le rouge-gorge revint voir Consuelo tous les malins, mais sans être accompagné de loin par Gottlieb. Il semblait que ce petit être (Consuelo n'était pas loin de le croire enchanté) eût des heures régulières pour venir l'égayer de sa présence, et s'en retourner ponctuellement vers midi, auprès de son autre ami. Au fait, il n'y avait rien là de merveilleux. Les animaux en liberté ont des habitudes, et se font un emploi réglé de leurs journées, avec plus d'intelligence et de prévision encore que les animaux domestiques. Un jour, cependant, Consuelo remarqua qu'il ne volait pas aussi gracieusement qu'à l'ordinaire. Il paraissait contraint et impatienté. Au lieu de venir becqueter ses doigts, il ne songeait qu'à se débarrasser à coups d'ongles et de bec d'une entrave irritante. Consuelo s'approcha de lui, et vit un fil noir qui pendait à son aile. Le pauvre petit avait-il été pris dans un lacet, et ne s'en était-il échappé qu'à force de courage et d'adresse, emportant un bout de sa chaîne? Elle n'eut pas de peine à le prendre, niais elle en eut un peu à le délivrer d'un brin de soie adroitement croisé sur son dos, et qui fixait sous l'aile gauche un très-petit sachet d'étoffe brune fort mince. Dans ce sachet elle trouva un billet écrit en caractères imperceptibles sur un papier si fin, qu'elle craignait de le rompre avec son souffle. Dès les premiers mots, elle vit bien que c'était un message de son cher inconnu. Il contenait ce peu de mots:

«On m'a confié une œuvre généreuse, espérant que le plaisir de faire le bien calmerait l'inquiétude de ma passion. Mais rien, pas même l'exercice de la charité, ne peut distraire une âme où tu règnes. J'ai accompli ma tâche plus vite qu'on ne le croyait possible. Je suis de retour, et je t'aime plus que jamais. Le ciel pourtant s'éclaircit. J'ignore ce qui s'est passé entre toi et eux; mais ils semblent plus favorables, et mon amour n'est plus traité comme un crime, mais comme un malheur pour moi seulement. Un malheur! Oh! ils n'aiment pas! Ils ne savent pas que je ne puis être malheureux si tu m'aimes; et tu m'aimes, n'est-ce pas? Dis-le au rouge-gorge de Spandaw. C'est lui. Je l'ai apporté dans mon sein. Oh! qu'il me paie de mes soins en m'apportant un mot de toi! Gottlieb me le remettra fidèlement sans le regarder.»

Les mystères, les circonstances romanesques attisent le feu de l'amour. Consuelo éprouva la plus violente tentation de répondre, et la crainte de déplaire aux Invisibles, le scrupule de manquer à ses promesses, ne la retinrent que faiblement, il faut bien l'avouer. Mais, en songeant qu'elle pouvait être découverte et provoquer un nouvel exil du chevalier, elle eut le courage de s'abstenir. Elle rendit la liberté au rouge-gorge sans lui confier un seul mot de réponse, mais non sans répandre des larmes amères sur le chagrin et le désappointement que cette sévérité causerait à son amant.

Elle essaya de reprendre ses études; mais ni la lecture ni le chant ne purent la distraire de l'agitation qui bouillonnait dans son sein, depuis qu'elle savait le chevalier près d'elle. Elle ne pouvait s'empêcher d'espérer qu'il désobéirait pour deux, et qu'elle le verrait se glisser le soir dans les buissons fleuris de son jardin. Mais elle ne voulut pas l'encourager en se montrant. Elle passa la soirée enfermée, épiant, à travers sa jalousie, palpitante, remplie de crainte et de désir, résolue pourtant à ne pas répondre à son appel. Elle ne le vit point paraître, et en éprouva autant de douleur et de surprise que si elle eût compté sur une témérité dont elle l'eût pourtant blâmé, et qui eût réveillé toutes ses terreurs. Tous les petits drames mystérieux des jeunes et brûlantes amours s'accomplirent dans son sein en quelques heures. C'était une phase nouvelle, des émotions inconnues dans sa vie. Elle avait souvent attendu Anzoleto, le soir, sur les quais de Venise ou sur les terrasses de la Corte Minelli; mais elle l'avait attendu en repassant sa leçon du matin, ou en disant son chapelet, sans impatience, sans frayeur, sans palpitations et sans angoisse. Cet amour d'enfant était encore si près de l'amitié, qu'il ne ressemblait en rien à ce qu'elle sentait maintenant pour Liverani. Le lendemain, elle attendit le rouge-gorge avec anxiété, le rouge-gorge ne vint pas. Avait-il été saisi au passage par de farouches argus? L'humeur que lui donnait cette ceinture de soie et ce fardeau pesant pour lui l'avait-il empêché de sortir? Mais il avait tant d'esprit, qu'il se fût rappelé que Consuelo l'en avait délivré la veille, et il fût venu la prier de lui rendre encore ce service.

Consuelo pleura toute la journée. Elle qui ne trouvait pas de larmes dans les grandes catastrophes, et qui n'en avait pas versé une seule sur son infortune à Spandaw, elle se sentit brisée et consumée par les souffrances de son amour, et chercha en vain les forces qu'elle avait eues contre tous les autres maux de sa vie.

Le soir elle s'efforçait de lire une partition au clavecin, lorsque deux figures noires se présentèrent à l'entrée du salon de musique sans qu'elle les eût entendues monter. Elle ne put retenir un cri de frayeur à l'apparition de ces spectres; mais l'un d'eux lui dit d'une voix plus douce que la première fois:

«Suis-nous.»

Et elle se leva en silence pour leur obéir. On lui présenta un bandeau de soie en lui disant:

«Couvre tes yeux toi-même, et jure que tu le feras en conscience. Jure aussi que si ce bandeau venait à tomber ou à se déranger tu fermerais les yeux jusqu'à ce que nous t'ayons dit de les ouvrir.

– Je vous le jure, répondit Consuelo.

– Ton serment est accepté comme valide,» reprit le conducteur.

Et Consuelo marcha comme la première fois dans le souterrain; mais quand on lui eut dit de s'arrêter, une voix inconnue ajouta:

«Ôte toi-même ce bandeau. Désormais personne ne portera plus la main sur toi. Tu n'auras d'autre gardien que ta parole.»

Consuelo se trouva dans un cabinet voûté et éclairé d'une seule petite lampe sépulcrale suspendue à la clef pendante du milieu. Un seul juge, en robe rouge et en masque livide, était assis sur un antique fauteuil auprès d'une table. Il était voûté par l'âge; quelques mèches argentées s'échappaient de dessous sa toque. Sa voix était cassée et tremblante. L'aspect de la vieillesse changea en respectueuse déférence la crainte dont ne pouvait se défendre Consuelo à l'approche d'un Invisible.

«Écoute-moi bien, lui dit-il, en lui faisant signe de s'asseoir sur un escabeau à quelque distance. Tu comparais ici devant ton confesseur. Je suis le plus vieux du conseil, et le calme de ma vie entière m'a rendu l'esprit aussi chaste que le plus chaste des prêtres catholiques. Je ne mens pas. Veux-tu me récuser cependant? tu es libre.

– Je vous accepte, répondit Consuelo, pourvu, toutefois, que ma confession n'implique pas celle d'autrui.

– Vain scrupule! reprit le vieillard. Un écolier ne révèle pas à un pédant la faute de son camarade; mais un fils se hâte d'avertir son père de celle de son frère, parce qu'il sait que le père réprime et corrige sans châtier. Du moins telle devrait être la loi de la famille. Tu es ici dans le sein d'une famille qui cherche la pratique de l'idéal. As-tu confiance?»

Cette question, assez arbitraire dans la bouche d'un inconnu, fut faite avec tant de douceur et d'un son de voix si sympathique, que Consuelo, entraînée et attendrie subitement, répondit sans hésiter:

«J'ai pleine confiance.

– Écoute encore, reprit le vieillard. Tu as dit, la première fois que tu as comparu devant nous, une parole que nous avons recueillie et pesée: «C'est une étrange torture morale pour une femme que de se confesser hautement devant huit hommes.» Ta pudeur a été prise en considération. Tu ne te confesseras qu'à moi, et je ne trahirai pas tes secrets. Il m'a été donné plein pouvoir, quoique je ne sois dans le conseil au-dessus de personne, de te diriger dans une affaire particulière d'une nature délicate, et qui n'a qu'un rapport indirect avec celle de ton initiation. Me répondras-tu sans embarras? Mettras-tu ton cœur à nu devant moi?

– Je le ferai.

– Je ne te demanderai rien de ton passé. On te l'a dit, ton passé ne nous appartient pas; mais on t'a avertie de purifier ton âme dès l'instant qui a marqué le commencement de ton adoption. Tu as dû faire tes réflexions sur les difficultés et les conséquences de cette adoption: ce n'est pas à moi seul que tu en dois compte: il s'agit d'autre chose entre toi et moi. Réponds donc.

– Je suis prête.

– Un de nos enfants a conçu de l'amour pour toi. Depuis huit jours, réponds-tu à cet amour ou le repousses-tu?

– Je l'ai repoussé dans toutes mes actions.

– Je le sais. Tes moindres actions nous sont connues. Je te demande le secret de ton cœur, et non celui de ta conduite.»

Consuelo sentit ses joues brûlantes et garda le silence.

«Tu trouves ma question bien cruelle. Il faut répondre cependant. Je ne veux rien deviner. Je dois connaître et enregistrer.

– Eh bien, j'aime!» répondit Consuelo, emportée par le besoin d'être vraie.

Mais à peine eut-elle prononcé ce mot avec audace, qu'elle fondit en larmes. Elle venait de renoncer à la virginité de son âme.

«Pourquoi pleures-tu? reprit le confesseur avec douceur. Est-ce de honte ou de repentir?

– Je ne sais. Il me semble que ce n'est pas de repentir; j'aime trop pour cela.

– Qui aimes-tu?

– Vous le savez, moi je ne le sais pas.

– Mais si je l'ignorais! Son nom?

– Liverani.

– Ce n'est le nom de personne. Il est commun à tous ceux de nos adeptes qui veulent le porter et s'en servir: c'est un nom de guerre, comme tous ceux que la plupart de nous portent dans leurs voyages.

 

– Je ne lui en connais pas d'autre, et ce n'est pas de lui que je l'ai appris.

– Son âge?

– Je ne le lui ai pas demandé.

– Sa figure?

– Je ne l'ai pas vue.

– Comment le reconnaîtrais-tu?

– Il me semble qu'en touchant sa main je le reconnaîtrais.

– Et si l'on remettait ton sort à cette épreuve, et que tu vinsses à te tromper?

– Ce serait horrible.

– Frémis donc de ton imprudence, malheureuse enfant! ton amour est insensé.

– Je le sais bien.

– Et tu ne le combats pas dans ton cœur?

– Je n'en ai pas la force.

– En as-tu le désir?

– Pas même le désir.

– Ton cœur est donc libre de toute autre affection?

– Entièrement.

– Mais tu es veuve?

– Je crois l'être.

– Et si tu ne l'étais pas?

– Je combattrais mon amour et je ferais mon devoir.

– Avec regret? avec douleur?

– Avec désespoir peut-être. Mais je le ferais.

– Tu n'as donc pas aimé celui qui a été ton époux?

– Je l'ai aimé d'amitié fraternelle; j'ai fait tout mon possible pour l'aimer d'amour.

– Et tu ne l'as pas pu?

– Maintenant que je sais ce que c'est qu'aimer, je puis dire non.

– N'aie donc pas de remords; l'amour ne s'impose pas. Tu crois aimer ce Liverani? sérieusement, religieusement, ardemment?

– Je sens tout cela dans mon cœur, à moins qu'il n'en soit indigne!..

– Il en est digne.

– Ô mon père! s'écria Consuelo transportée de reconnaissance et prête à s'agenouiller devant le vieillard.

– Il est digne d'un amour immense autant qu'Albert lui-même! mais il faut renoncer à lui.

– C'est donc moi qui n'en suis pas digne? répondit Consuelo douloureusement.

– Tu en serais digne, mais tu n'es pas libre. Albert de Rudolstadt est vivant.

– Mon Dieu! pardonnez-moi!» murmura Consuelo en tombant à genoux et en cachant son visage dans ses mains.

Le confesseur et la pénitente gardèrent un douloureux silence. Mais bientôt Consuelo, se rappelant les accusations de Supperville, fut pénétrée d'horreur. Ce vieillard dont la présence la remplissait de vénération, se prêtait-il à une machination infernale? exploitait-il la vertu et la sensibilité de l'infortunée Consuelo pour la jeter dans les bras d'un misérable imposteur? Elle releva la tête et, pâle d'épouvante, l'œil sec, la bouche tremblante, elle essaya de percer du regard ce masque impassible qui lui cachait peut-être la pâleur d'un coupable, ou le rire diabolique d'un scélérat.

«Albert est vivant? dit-elle: en êtes-vous bien sûr, Monsieur? Savez-vous qu'il y a un homme qui lui ressemble, et que moi-même y ai cru voir Albert en le voyant.

– Je sais tout ce roman absurde, répondit le vieillard d'un ton calme, je sais toutes les folies que Supperville a imaginées pour se disculper du crime de lèse-science qu'il a commis en faisant porter dans le sépulcre un homme endormi. Deux mots feront écrouler cet échafaudage de folies. Le premier, c'est que Supperville a été jugé incapable de dépasser les grades insignifiants des sociétés secrètes dont nous avons la direction suprême, et que sa vanité blessée, jointe à une curiosité maladive et indiscrète, n'a pu supporter cet outrage. Le second, c'est que le comte Albert n'a jamais songé à réclamer son héritage, qu'il y a volontairement renoncé, et que jamais il ne consentirait à reprendre son nom et son rang dans le monde. Il ne pourrait plus le faire sans soulever des discussions scandaleuses sur son identité, que sa fierté ne supporterait pas. Il a peut-être mal compris ses véritables devoirs en renonçant pour ainsi dire à lui-même. Il eût pu faire de sa fortune un meilleur usage que ses héritiers. Il s'est retranché un des moyens de pratiquer la charité que la Providence lui avait mis entre les mains; mais il lui en reste assez d'autres, et d'ailleurs la voix de son amour a été plus forte en ceci que celle de sa conscience. Il s'est rappelé que vous ne l'aviez pas aimé, précisément parce qu'il était riche et noble. Il a voulu abjurer sans retour possible sa fortune et son nom. Il l'a fait, et nous l'avons permis. Maintenant vous ne l'aimez pas, vous en aimez un autre. Il ne réclamera jamais de vous le titre d'époux, qu'il n'a dû, à son agonie, qu'à votre compassion. Il aura le courage de renoncer à vous. Nous n'avons pas d'autre pouvoir sur celui que vous appelez Liverani et sur vous, que celui de la persuasion. Si vous voulez fuir ensemble, nous ne pouvons l'empêcher. Nous n'avons ni cachots, ni contraintes, ni peines corporelles à notre service, quoi qu'un serviteur crédule et craintif ait pu vous dire à cet égard; nous haïssons les moyens de la tyrannie. Votre sort est dans vos mains. Allez faire vos réflexions encore une fois, pauvre Consuelo, et que Dieu vous inspire!»

Consuelo avait écouté ce discours avec une profonde stupeur. Quand le vieillard eut fini, elle se leva et dit avec énergie:

«Je n'ai pas besoin de réfléchir, mon choix est fait. Albert est-il ici? conduisez-moi à ses pieds.

– Albert n'est point ici. Il ne pouvait être témoin de cette lutte. Il ignore même la crise que vous subissez à cette heure.

– Ô mon cher Albert! s'écria Consuelo en levant les bras vers le ciel, j'en sortirai victorieuse.» Puis s'agenouillant devant le vieillard: «Mon père, dit-elle, absolvez-moi, et aidez-moi à ne jamais revoir ce Liverani; je ne veux plus l'aimer, je ne l'aimerai plus.»

Le vieillard étendit ses mains tremblotantes sur la tête de Consuelo; mais lorsqu'il les retira, elle ne put se relever. Elle avait refoulé ses sanglots dans son sein, et brisée par un combat au-dessus de ses forces, elle fut forcée de s'appuyer sur le bras du confesseur pour sortir de l'oratoire.

XXIX

Le lendemain le rouge-gorge vint à midi frapper du bec et de l'ongle à la croisée de Consuelo. Au moment de lui ouvrir, elle remarqua le fil noir croisé sur sa poitrine orangée, et un élan involontaire lui fit porter la main à l'espagnolette. Mais elle la retira aussitôt, «Va t'en, messager de malheur, dit-elle, va-t'en, pauvre innocent, porteur de lettres coupables et de paroles criminelles. Je n'aurais peut-être pas le courage de ne pas répondre à un dernier adieu. Je ne dois pas même laisser connaître que je regrette et que je souffre.»

Elle s'enfuit dans le salon de musique, afin d'échapper au tentateur ailé qui, habitué à une meilleure réception, voltigeait et se heurtait au vitrage avec une sorte de colère. Elle se mit au clavecin pour ne pas entendre les cris et les reproches de son favori qui l'avait suivie à la fenêtre de cette pièce, et elle éprouvait quelque chose de semblable à l'angoisse d'une mère qui ferme l'oreille aux plaintes et aux prières de son enfant en pénitence. Ce n'était pourtant pas au dépit et au chagrin du rouge-gorge que la pauvre Consuelo était le plus sensible dans ce moment. Le billet qu'il apportait sous son aile avait une voix bien plus déchirante; c'était cette voix qui semblait, à notre recluse romanesque, pleurer et se lamenter pour être écoutée.

Elle résista pourtant; mais il est de la nature de l'amour de s'irriter des obstacles et de revenir à l'assaut, toujours plus impérieux et plus triomphant après chacune de nos victoires. On pourrait dire, sans métaphore, que lui résister, c'est lui fournir de nouvelles armes. Vers trois heures, Matteus entra avec la gerbe de fleurs qu'il apportait chaque jour à sa prisonnière (car au fond il l'aimait pour sa douceur et sa bonté); et, selon son habitude, elle délia ces fleurs afin de les arranger elle-même dans les beaux vases de la console. C'était un des plaisirs de sa captivité; mais cette fois elle y fut peu sensible, et elle s'y livrait machinalement, comme pour tuer quelques instants de ces lentes heures qui la consumaient, lorsqu'en déliant le paquet de narcisses qui occupait le centre de la gerbe parfumée, elle fit tomber une lettre bien cachetée, mais sans adresse. En vain essaya-t-elle de se persuader qu'elle pouvait être du tribunal des Invisibles. Matteus l'eût-il apportée sans cela? Malheureusement Matteus n'était déjà plus à portée de donner des explications. Il fallut le sonner. Il avait besoin de cinq minutes pour reparaître, il en mit par hasard au moins dix. Consuelo avait eu trop de courage contre le rouge-gorge pour en conserver contre le bouquet. La lettre était lue lorsque Matteus rentra, juste au moment où Consuelo arrivait à ce post-scriptum: «N'interrogez pas Matteus; il ignore la désobéissance que je lui fais commettre.» Matteus fut simplement requis de remonter la pendule qui était arrêtée.

La lettre du chevalier était plus passionnée, plus impétueuse que toutes les autres, elle était même impérieuse dans son délire. Nous ne la transcrirons pas. Les lettres d'amour ne portent l'émotion que dans le cœur qui inspire et partage le feu qui les a dictées. Par elles-mêmes elles se ressemblent toutes: mais chaque être épris d'amour trouve dans celle qui lui est adressée une puissance irrésistible, une nouveauté incomparable. Personne ne croit être aimé autant qu'un autre, ni de la même manière; il croit être le plus aimé, le seul aimé qui soit au monde. Là où cet aveuglement ingénu et cette fascination orgueilleuse n'existent pas, il n'y a point de passion; et la passion avait envahi enfin le paisible et noble cœur de Consuelo.

Le billet de l'inconnu porta le trouble dans toutes ses pensées. Il implorait une entrevue; il faisait plus, il l'annonçait et s'excusait d'avance sur la nécessité de mettre les derniers moments à profit. Il feignait de croire que Consuelo avait aimé Albert et pouvait l'aimer encore. Il feignait aussi de vouloir se soumettre à son arrêt, et, en attendant, il exigeait un mot de pitié, une larme de regret, un dernier adieu; toujours ce dernier adieu qui est comme la dernière apparition d'un grand artiste annoncée au public, et heureusement suivi de beaucoup d'autres.

La triste Consuelo (triste et pourtant dévorée d'une joie secrète, involontaire et brûlante à l'idée de cette entrevue) sentit, à la rougeur de son front et aux palpitations de son sein, qu'elle avait l'âme adultère en dépit d'elle-même. Elle sentit que ses résolutions et sa volonté ne la préservaient pas d'un entraînement inconcevable, et que, si le chevalier se décidait à rompre son vœu en lui parlant et en lui montrant ses traits, comme il y semblait résolu, elle n'aurait pas la force d'empêcher cette violation des lois de l'ordre invisible. Elle n'avait qu'un refuge, c'était d'implorer le secours de ce même tribunal. Mais fallait-il accuser et trahir Liverani? Le digne vieillard qui lui avait révélé l'existence d'Albert, et qui avait paternellement accueilli ses confidences la veille, recevrait celle-ci encore sous le sceau de la confession. Il plaindrait, lui, le délire du chevalier, il ne le condamnerait que dans le secret de son cœur. Consuelo lui écrivit qu'elle voulait le voir à neuf heures, le soir même, qu'il y allait de son honneur, de son repos, de sa vie peut-être. C'était l'heure à laquelle l'inconnu s'était annoncé; mais à qui et par qui envoyer cette lettre? Matteus refusait de faire un pas hors de l'enclos avant minuit; c'était sa consigne, rien ne put l'ébranler. Il avait été vivement réprimandé pour n'avoir pas observé tous ses devoirs bien ponctuellement à l'égard de la prisonnière; il était désormais inflexible.

L'heure approchait, et Consuelo, tout en cherchant les moyens de se soustraire à l'épreuve fatale, n'avait pas songé un instant à celui d'y résister. Vertu imposée aux femmes, tu ne seras jamais qu'un nom tant que l'homme ne prendra point la moitié de la tâche! Tous tes plans de défense se réduisent à des subterfuges; toutes tes immolations du bonheur personnel échouent devant la crainte de désespérer l'objet aimé. Consuelo s'arrêta à une dernière ressource, suggestion de l'héroïsme et de la faiblesse qui se partageaient son esprit. Elle se mit à chercher l'entrée mystérieuse du souterrain qui était dans le pavillon même, résolue à s'y élancer et à se présenter à tout hasard devant les Invisibles. Elle supposait assez gratuitement que le lieu de leurs séances était accessible, une fois l'entrée du souterrain franchie, et qu'ils se réunissaient chaque soir en ce même lieu. Elle ne savait pas qu'ils étaient tous absents ce jour-là, et que Liverani était seul revenu sur ses pas, après avoir feint de les suivre dans une excursion mystérieuse.

Mais tous ses efforts pour trouver la porte secrète ou la trappe du souterrain furent inutiles. Elle n'avait plus, comme à Spandaw, le sang-froid, la persévérance, la foi nécessaires pour découvrir la moindre fissure d'une muraille, la moindre saillie d'une pierre. Ses mains tremblaient en interrogeant la boiserie et les lambris, sa vue était troublée; à chaque instant il lui semblait entendre les pas du chevalier sur le sable du jardin, ou sur le marbre du péristyle.

 

Tout à coup, il lui sembla les entendre au-dessous d'elle, comme s'il montait l'escalier caché sous ses pieds, comme s'il s'approchait d'une porte invisible, ou comme si, à la manière des esprits familiers, il allait percer la muraille pour se présenter devant ses yeux. Elle laissa tomber son flambeau et s'enfuit au fond du jardin. Le joli ruisseau qui le traversait arrêta sa course, elle écouta, et entendit, ou crut entendre marcher derrière elle. Alors elle perdit un peu la tête, et se jeta dans le batelet dont le jardinier se servait pour apporter du dehors du sable et des gazons. Consuelo s'imagina qu'en le détachant, elle irait échouer sur la rive opposée; mais le ruisseau était rapide, et sortait de l'enclos en se resserrant sous une arcade basse fermée d'une grille. Emportée à la dérive par le courant, la barque alla frapper en peu d'instants contre la grille. Consuelo s'y préserva d'un choc trop rude en s'élançant à la proue et en étendant les mains. Un enfant de Venise (et un enfant du peuple) ne pouvait pas être bien embarrassé de cette manœuvre. Mais, fortune bizarre! la grille céda sous sa main et s'ouvrit par la seule impulsion que le courant donnait au bateau. Hélas! pensa Consuelo, on ne ferme peut-être jamais ce passage, car je suis prisonnière sur parole, et pourtant je fuis, je viole mon serment! Mais je ne le fais que pour chercher protection et refuge parmi mes hôtes, non pour les abandonner et les trahir.

Elle sauta sur la rive où un détour de l'eau avait poussé son esquif, et s'enfonça dans un taillis épais. Consuelo ne pouvait pas courir bien vite sous ces ombrages sombres. L'allée serpentait en se rétrécissant. La fugitive se heurtait à chaque instant contre les arbres, et tomba plusieurs fois sur le gazon. Cependant elle sentait revenir l'espoir dans son âme; ces ténèbres la rassuraient; il lui semblait impossible que Liverani pût l'y découvrir.

Après avoir marché fort longtemps au hasard, elle se trouva au bas d'une colline parsemée de rochers, dont la silhouette incertaine se dessinait sur un ciel gris et voilé. Un vent d'orage assez frais s'était élevé, et la pluie commençait à tomber. Consuelo, n'osant revenir sur ses pas, dans la crainte que Liverani n'eût retrouvé sa trace et ne la cherchât sur les rives du ruisseau, se hasarda dans le sentier un peu rude de la colline. Elle s'imagina qu'arrivée au sommet, elle découvrirait les lumières du château, quelle qu'en fût la position. Mais lorsqu'elle y fut arrivée dans les ténèbres, les éclairs, qui commençaient à embraser le ciel, lui montrèrent devant elle les ruines d'un vaste édifice, imposant et mélancolique débris d'un autre âge.

La pluie força Consuelo d'y chercher un abri, mais elle le trouva avec peine. Les tours étaient effondrées du haut en bas, à l'intérieur, et des nuées de gerfauts et de tiercelets s'y agitèrent à son approche, en poussant ce cri aigu et sauvage qui semble la voix des esprits de malheur, habitants des ruines.

Au milieu des pierres et des ronces, Consuelo, traversant la chapelle découverte qui dessinait, à la lueur bleuâtre des éclairs, les squelettes de ses ogives disloquées, gagna le préau, dont un gazon court et uni recouvrait le nivellement; elle évita un puits profond qui ne se trahissait à la surface du sol que par le développement de ses riches capillaires et d'un superbe rosier sauvage, tranquille possesseur de sa paroi intérieure. La masse de constructions ruinées qui entouraient ce préau abandonné offrait l'aspect le plus fantastique; et, au passage de chaque éclair, l'œil avait peine à comprendre ces spectres grêles et déjetés, toutes ces formes incohérentes de la destruction; d'énormes manteaux de cheminées, encore noircis en dessous par la fumée d'un foyer à jamais éteint, et sortant du milieu des murailles dénudées, à une hauteur effrayante; des escaliers rompus, élançant leur spirale dans le vide, comme pour conduire les sorcières à leur danse aérienne; des arbres entiers installés et grandis dans des appartements encore parés d'un reste de fresques; des bancs de pierre dans les embrasures profondes des croisées, et toujours le vide au dedans comme au dehors de ces retraites mystérieuses, refuges des amants en temps de paix, tanières des guetteurs aux heures du danger; enfin des meurtrières festonnées de coquettes guirlandes, des pignons isolés s'élevant dans les airs comme des obélisques, et des portes comblées jusqu'au tympan par les atterrissements et les décombres. C'était un lieu effrayant et poétique; Consuelo s'y sentit pénétrée d'une sorte de terreur superstitieuse, comme si sa présence eût profané une enceinte réservée aux funèbres conférences ou aux silencieuses rêveries des morts. Par une nuit sereine et dans une situation moins agitée, elle eût pu admirer l'austère beauté de ce monument; elle ne se fût peut-être pas apitoyée classiquement sur la rigueur du temps et des destins, qui renversent sans pitié le palais et la forteresse, et couchent leurs débris dans l'herbe à côté de ceux de la chaumière. La tristesse qu'inspirent les ruines de ces demeures formidables n'est pas la même dans l'imagination de l'artiste et dans le cœur du patricien. Mais en ce moment de trouble et de crainte, et par cette nuit d'orage, Consuelo, n'étant point soutenue par l'enthousiasme qui l'avait poussée à de plus sérieuses entreprises, se sentit redevenir l'enfant du peuple, tremblant à l'idée de voir apparaître les fantômes de la nuit, et redoutant surtout ceux des antiques châtelains, farouches oppresseurs durant leur vie, spectres désolés et menaçants après leur mort. Le tonnerre élevait la voix, le vent faisait crouler les briques et le ciment des murailles démantelées, les longs rameaux de la ronce et du lierre se tordaient comme des serpents aux créneaux des tours. Consuelo, cherchant toujours un abri contre la pluie et les éboulements, pénétra sous la voûte d'un escalier qui paraissait mieux conservé que les autres; c'était celui de la grande tour féodale, la plus ancienne et la plus solide construction de tout l'édifice. Au bout de vingt marches, elle rencontra une grande salle octogone qui occupait tout l'intérieur de la tour, l'escalier en vis étant pratiqué, comme dans toutes les constructions de ce genre, dans l'intérieur du mur, épais de dix-huit à vingt pieds. La voûte de cette salle avait la forme intérieure d'une ruche. Il n'y avait plus ni portes ni fenêtres; mais ces ouvertures étaient si étroites et si profondes, que le vent ne pouvait s'y engouffrer. Consuelo résolut d'attendre en ce lieu la fin de la tempête; et, s'approchant d'une fenêtre, elle y resta plus d'une heure à contempler le spectacle imposant du ciel embrasé, et à écouter les voix terribles de l'orage.

Enfin le vent tomba, les nuées se dissipèrent, et Consuelo songea à se retirer; mais en se retournant, elle fut surprise de voir une clarté plus permanente que celle des éclairs régner dans l'intérieur de la salle. Cette clarté, après avoir hésité, pour ainsi dire, grandit et remplit toute la voûte, tandis qu'un léger pétillement se faisait entendre dans la cheminée. Consuelo regarda de ce côté, et vit sous le demi-cintre de cet âtre antique, énorme gueule béante devant elle, un feu de branches qui venait de s'allumer comme de lui-même. Elle s'en approcha, et remarqua des bûches à demi consumées, et tous les débris d'un feu naguère entretenu, et récemment abandonné sans grande précaution.

Effrayée de cette circonstance qui lui révélait la présence d'un hôte, Consuelo qui ne voyait pourtant pas trace de mobilier autour d'elle, retourna vivement vers l'escalier et s'apprêtait à le descendre, lorsqu'elle entendit des voix en bas, et des pas qui faisaient craquer les gravois dont il était semé. Ses terreurs fantastiques se changèrent alors en appréhensions réelles. Cette tour humide et dévastée ne pouvait être habitée que par quelque garde-chasse, peut-être aussi sauvage que sa demeure, peut-être ivre et brutal, et bien vraisemblablement moins civilisé et moins respectueux que l'honnête Matteus. Les pas se rapprochaient assez rapidement. Consuelo monta l'escalier à la hâte pour n'être pas rencontrée par ces problématiques arrivants, et après avoir franchi encore vingt marches, elle se trouva au niveau du second étage où il était peu probable qu'on aurait l'occasion de la rejoindre, car il était entièrement découvert et par conséquent inhabitable. Heureusement pour elle la pluie avait cessé; elle apercevait même briller quelques étoiles à travers la végétation vagabonde qui avait envahi le couronnement de la tour, à une dizaine de toises au-dessus de sa tête. Un rayon de lumière partant de dessous ses pieds se projeta bientôt sur les sombres parois de l'édifice, et Consuelo, s'approchant avec précaution, vit par une large crevasse ce qui se passait à l'étage inférieur qu'elle venait de quitter. Deux hommes étaient dans la salle, l'un marchant et frappant du pied comme pour se réchauffer, l'autre penché sous le large manteau de la cheminée, et occupé à ranimer le feu qui commençait à monter dans l'âtre. D'abord elle ne distingua que leurs vêtements qui annonçaient une condition brillante, et leurs chapeaux qui lui cachaient leurs visages; mais la clarté du foyer s'étant répandue, et celui qui l'attisait avec la pointe de son épée s'étant relevé pour accrocher son chapeau à une pierre saillante du mur, Consuelo vit une chevelure noire qui la fit tressaillir, et le haut d'un visage qui faillit lui arracher un cri de terreur et de tendresse tout à la fois. Il éleva la voix, et Consuelo n'en douta plus, c'était Albert de Rudolstadt.

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