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Jacques

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DEUXIÈME PARTIE

XIX.
DE FERNANDE A CLEMENCE

Saint-Léon en Dauphine, le…

Pardonne-moi, mon amie, d'avoir passé un mois sans t'écrire. C'est bien mal de ma part, et tu as raison de me gronder. Oui, il est bien vrai que je t'ai accablée de mes lettres quand j'étais tourmentée, quand j'avais besoin de tes conseils et de tes consolations! Et maintenant que je suis heureuse, je te délaisse. L'amour est égoïste, dis-tu, il n'appelle l'amitié à son secours que lorsqu'il souffre; j'ai agi du moins comme si cela était inévitable, j'en suis toute honteuse, et je t'en demande Pardon.

Pour réparer ma faute; ce que je puis faire de mieux, c'est de répondre à toutes tes questions, et de te prouver ainsi que je ne t'ai rien retiré de ma confiance; mais si je reviens à toi, n'en conclus pas, malicieuse, que ma lune de miel est finie; tu vas voir que non.

Si j'aime toujours mon mari autant que le premier jour? Oh! certainement, Clémence, et même je puis dire que je l'aime bien plus. Comment pourrait-il en être autrement? Chaque jour me révèle une nouvelle qualité, une nouvelle perfection de Jacques. Sa bonté pour moi est inépuisable, sa tendresse, délicate comme celle d'une bonne mère pour son enfant. Aussi chaque jour me force à l'aimer plus que la veille. A cette félicité du coeur, à ces joies de l'amour heureux et satisfait, se joignent pour moi mille petites jouissances qu'il y a peut-être de la puérilité à mentionner, mais qui sont très-vives, parce qu'elles m'étaient absolument inconnues. Je veux parler du bien-être de la richesse, qui succède pour moi à une vie d'économie et de privations. Je ne souffrais pas de cette médiocrité, j'y étais habituée; je ne désirais pas devenir riche, je ne songeais pas plus à la fortune de Jacques, en l'épousant, que si elle n'eût pas existé; pourtant je ne crois pas qu'il y ait de la bassesse à m'apercevoir des avantages qu'elle procure et à savoir en jouir. Ces plaisirs journaliers, ce luxe, ces mille petites profusions dont je suis entourée, me seraient aussi amers qu'ils me sont précieux, si je les devais à un contrat avilissant, ou si je les recevais d'une main orgueilleuse et détestée; mais recevoir tout cela de Jacques, c'est en jouir deux fois! Il y a tant de grâce, je pourrais même dire de gentillesse dans ses dons et dans ses prévenances! Il semble que cet homme soit né pour s'occuper du bonheur d'autrui, et qu'il n'ait pas d'autre affaire dans la vie que de m'aimer.

Tu me demandes si cette vie de château me plaît, si je ne m'en dégoûterai pas, si la solitude ne m'effraie point. La solitude! quand Jacques est avec moi! Ah! Clémence, je le vois bien, tu n'as jamais aimé. Pauvre amie, que je te plains! tu n'as pas connu ce qu'il y a de plus beau dans la vie d'une femme. Si tu avais aimé, tu ne me demanderais pas si je me trouve isolée, si j'ai besoin des plaisirs et des distractions de mon âge; mon âge est fait pour aimer, Clémence, et il me serait impossible de me plaire à quelque chose qui fût étranger à mon amour. Quant aux amusements que je partage avec Jacques, je les aime et je les ai à discrétion; j'en ai même plus que je ne voudrais, et souvent j'aimerais mieux rester seule avec lui à parcourir tranquillement les allées de notre beau jardin, que de monter à cheval et de courir les bois à la tête d'une armée de piqueurs et de chiens. Mais Jacques a tellement peur de ne pas me divertir assez! Brave Jacques, quel amant! quel ami!

Tu veux des détails sur mon habitation, sur le pays, sur l'emploi de mes journées; je ne demande pas mieux que de te raconter tout cela, ce sera te parler de tous les bonheurs que je dois à mon mari.

Quand je suis arrivée ici, il était onze heures du soir; j'étais très-fatiguée du voyage, le plus long que j'aie fait de ma vie. Jacques fut presque forcé de me porter de la voiture sur le perron. Il faisait un temps sombre et beaucoup de vent; je ne vis rien que quatre ou cinq grands chiens qui avaient fait un vacarme épouvantable autour des roues de la voiture pendant que nous entrions dans la cour, et qui vinrent se jeter sur Jacques en poussant des hurlements de joie, dès qu'il eut mis pied à terre. J'étais tout épouvantée de voir ces grandes bêtes danser ainsi autour de moi. «N'en aie pas peur, me dit Jacques, et sois bonne pour mes pauvres chiens. Quel est l'homme qui donnerait de semblables témoignages de joie à son meilleur ami, en le retrouvant après une absence de quelques mois?» Je vis ensuite arriver une procession de domestiques de tout âge qui entourèrent Jacques d'un air à la fois affectueux et inquiet. Je compris que mon arrivée causait beaucoup d'anxiété à ces braves gens, et que la crainte des changements que je pourrais apporter au régime de la maison balançait un peu le plaisir qu'ils pouvaient éprouver à voir leur bon maître. Jacques me conduisit à ma chambre, qui est meublée à l'ancienne mode avec un grand luxe. Avant de me coucher, je voulus jeter un regard sur les jardins, et j'ouvris ma fenêtre; mais l'obscurité m'empêcha de distinguer autre chose que d'épaisses masses d'arbres autour de la maison et une vallée immense au delà. Un parfum de fleurs monta vers moi. Tu sais comme j'aime les fleurs, et tout ce qui me passe par la tête quand je respire une rose; ce vent tout chargé de senteurs délicieuses me fit éprouver je ne sais quel tressaillement de joie; il me sembla qu'une voix me disait: «Tu seras heureuse ici.» J'entendis Jacques qui parlait derrière moi; je me retournai, et je vis une grande jeune fille de seize ou dix-huit ans, belle comme un ange et vêtue à la manière des paysannes du Dauphiné, mais avec beaucoup d'élégance, «Tiens, me dit Jacques, voilà ta soubrette; c'est une bonne enfant qui fera son possible pour te bien servir. C'est ma filleule, elle s'appelle Rosette.» Cette Rosette, qui a une figure si intelligente et si bonne, et qui me baisait la main d'un petit air caressant et respectueux, fut pour moi une autre circonstance de bon augure. Jacques nous laissa ensemble et alla s'occuper de payer les postillons. Quand il revint, j'étais couchée. Il me demanda la permission de se faire apporter le café dans ma chambre; pendant que Rosette le lui versait, je m'endormis doucement. Je vivrais cent ans que je ne pourrais oublier cette soirée, où pourtant il ne s'est rien passé que de très-ordinaire et de très-naturel. Mais quelles idées riantes, quel sentiment de bien-être ont bercé ce premier sommeil sous le toit de Jacques! Je puis bien dire que je me suis endormie dans la confiance de mon destin. La fatigue même du voyage avait quelque chose de délicieux; je me sentais accablée, et je n'avais la force de penser à rien; mes yeux étaient encore ouverts et ne cherchaient plus à se rendre compte de ce qu'ils voyaient, mais n'étaient frappés que d'images agréables. Ils erraient des rideaux de soie à franges d'argent de mon lit à la figure toujours si belle et si sereine de mon Jacques, et de la tasse de porcelaine du Japon, où il prenait un café embaumé, à la grande taille élégante de Rosette, dont l'ombre se dessinait sur une boiserie d'un travail merveilleux. La clarté rose de la lampe, le bruit du vent au dehors, la douce chaleur de l'appartement, la mollesse de mon lit, tout cela ressemblait à un conte de fée, à un rêve d'enfant. Je m'assoupissais et me réveillais de temps en temps pour me sentir bercée par le bonheur; Jacques me disait avec sa voix douce et affectueuse: «Dors, mon enfant, dors bien.» Je m'endormis en effet, et ne me réveillai que le lendemain à huit heures. Jacques était déjà levé depuis longtemps; assis auprès de mon lit, comme la veille, il me regardait dormir, et vraiment je ne sus pas d'abord s'il s'était passé une nuit ou un quart d'heure depuis le dernier baiser qu'il m'avait donné. «Ah! mon Dieu! quel bon lit! m'écriai-je; je veux me lever bien vite, et voir ce beau château où l'on dort si bien. Quel temps fait-il, Jacques? Tes fleurs sentent-elles aussi bon ce matin qu'hier soir?» Il m'enveloppa dans mon couvre-pied de satin blanc et rose et me porta auprès de la fenêtre. Je jetai un cri de joie et d'admiration à la vue du sublime aspect déployé sous mes yeux. «Aimes-tu ce pays? me dit Jacques. Si tu le trouves trop sauvage, j'y ferai bâtir des maisons; mais, quant à moi, j'aime tant les lieux déserts, que j'ai acheté cinq ou six petites propriétés éparses ça et là, afin d'enlever de ce point de vue les habitations qui, pour moi, le déparaient. Si tu n'es pas du même goût, rien ne sera plus facile que de semer cette vallée de maisonnettes et de jardins; je ne manquerai pas, pour la peupler, de familles pauvres, qui y feront prospérer leurs affaires et les nôtres. – Non, non, lui dis-je, tu es assez riche pour secourir toutes les familles que tu voudras sans contrarier tes goûts et les miens. Cet aspect sauvage et romantique me plaît à la folie; ces grands bois sombres semblent n'avoir jamais plié leur libre végétation à la culture; ces prairies immenses doivent ressembler à des savanes; cette petite rivière, avec son cours désordonné, vaut mieux qu'un beau fleuve. Ah! ne changeons rien aux lieux que tu aimes. Comment aurais-je d'autres goûts que les tiens? Crois-tu donc que j'aie des yeux à moi?» Il me pressa sur son coeur en s'écriant: «Oh! premier temps de l'amour! oh! délices du ciel! puissiez-vous ne finir jamais!»

Il m'a fallu plus de huit jours pour voir toutes les beautés de cette maison et des alentours. Cette terre a appartenu à la mère de Jacques; c'est là qu'il a passé ses premières années, et c'est son séjour de prédilection. Il a un pieux respect pour les souvenirs que ce lieu lui retrace, et il me remercie tendrement de partager ce respect, et de ne désirer aucun changement ni dans les choses ni dans les gens dont il est entouré. Bon Jacques! quel monstre stupide il faudrait être pour lui demander de pareils sacrifices!

 

Dès le lendemain de notre arrivée, il m'a présenté les vieux serviteurs de sa mère et ceux plus jeunes qui lui sont attachés depuis plusieurs années. Il m'a dit les infirmités des uns et les défauts des autres, en me priant d'avoir quelque patience avec eux, et d'être aussi indulgente qu'il me serait possible de l'être, sans m'imposer de réelles contrariétés. «Sois sûre, m'a-t-il dit, que je ne mettrai jamais en balance le bien-être de ta vie domestique et le plaisir de conserver autour de moi ces visages auxquels le temps et l'habitude m'ont attaché. Il me sera toujours facile de les éloigner de ta vue s'ils t'importunent, sans les abandonner à la misère et sans qu'ils aient le droit de te maudire; mais si ton repos peut ne pas souffrir de leur présence, si je puis accorder ta satisfaction et la leur, je serai plus heureux. Désires-tu mon bonheur, Fernande?» a-t-il ajouté avec un doux sourire. Je me suis jetée dans ses bras, je lui ai juré d'aimer tout ce qu'il aime, de protéger tout ce qu'il protège; je l'ai supplié de me dire tout ce que j'avais à faire pour ne lui causer jamais l'ombre d'un chagrin.

Si tu veux savoir comment se passent nos journées, je te dirai que je le sais à peine quant à ce qui me concerne, mais que Jacques a continuellement quelque chose d'utile à faire. La conduite de ses biens l'occupe Sans l'absorber. Il a su s'entourer d'honnêtes gens, et il les surveille sans les tourmenter. Il a pour système une stricte équité; l'incurie d'une générosité romanesque ne l'éblouit pas; il dit que celui qui se laisse dépouiller ne peut plus avoir ni mérite ni plaisir à donner, et que celui qui à trouvé l'occasion de voler, et qui en a profité, est plus à plaindre que s'il s'était ruiné. Jacques est grand et libéral, son coeur est plein de justice, et il regarde comme un devoir de soulager la misère d'autrui; mais sa fierté se refuse à être dupe des impostures dont les pauvres se servent comme de gagne-pain, et il est dur et implacable envers ceux qui veulent spéculer sur sa sensibilité. Je suis bien loin d'avoir le même discernement que lui, et souvent je me laisse tromper. Jacques ne s'occupe pas de cela, ou, s'il s'en aperçoit, il entre apparemment dans ses idées de ne pas me réprimander et même de ne pas m'avertir. Quelquefois j'en suis un peu mortifiée, et j'ai presque des remords d'avoir mal employé l'or précieux qui peut soulager tant de réelles infortunes.

Je m'occupe de ces choses-là aux heures où Jacques est occupé ailleurs. Quand nous nous retrouvons, nous faisons de la musique ou nous sortons ensemble; Jacques fume ou dessine chaque fois que nous nous asseyons; pour moi, je le regarde, et je puis dire que cette espèce d'extase est la principale occupation de ma journée. Je m'abandonne avec délices à cette heureuse indolence, et je crains presque les plaisirs qui peuvent m'en arracher. Il est si bon d'aimer et de se sentir aimé! La durée des jours est trop bornée pour épuiser ce qu'il y a dans le coeur d'enthousiasme et de joie. Que m'importe de cultiver le peu de talents que j'ai ou d'en acquérir de nouveaux? Jacques en a pour nous deux, et j'en jouis comme s'ils m'appartenaient. Quand un beau site me frappe, il m'est bien plus doux de le trouver dans mon album, retracé par la main de Jacques, que par la mienne. Je ne désire pas non plus former et orner mon esprit: Jacques se plaît à ma simplicité; et lui, qui sait tout, m'en apprendra certainement plus en causant avec moi que tous les livres du monde. Enfin je suis contente de l'arrangement de ma vie; tant de bonheurs m'environnent, qu'il m'est impossible de souhaiter quelque chose de mieux ordonné. Jacques est un ange; et ne t'avise plus de dire, Clémence, que je me trompe ou qu'il changera, car à présent je le connais et je le défendrai.

Adieu, ma bonne amie; tu dois être heureuse de mon bonheur, tu as eu tant d'inquiétude pour moi! A présent sois tranquille et félicite-moi. Donne-moi souvent de tes nouvelles, et sois sûre que je ne le négligerai plus. Il faut pardonner quelque chose à l'enivrement des premiers jours.

P. S. J'ai reçu une lettre de ma mère; elle est encore au Tilly, et ne retournera à Paris qu'à l'entrée de l'hiver. Elle me demande si je suis contente de Jacques, et s'effraie aussi de la solitude où il m'a emmenée. Je ne lui ai pas répondu, comme à toi, que l'amour remplissait cette solitude et me la faisait chérir; elle aurait trouvé cela fort inconvenant. Je lui ai parlé des avantages qu'elle estime, des beaux chevaux que Jacques me donne et des grandes chasses qu'il organise pour moi, des vastes jardins où je me promène, des fleurs rares et précieuses dont regorge la serre chaude, et des présents dont mon mari me comble tous les jours. Avec tout cela, elle ne pourra plus supposer que je ne sois pas heureuse.

XX.
DE JACQUES A SYLVIA

Je m'abandonne comme un enfant aux délices de ces premiers transports de la possession, et ne veux pas prévoir le temps où j'en sentirai les inconvénients et les souffrances; quand il viendra, n'aurai-je pas la force de l'accepter? Est-il nécessaire de passer les heures de repos que le ciel nous envoie à se préparer pour la fatigue à venir? Quiconque a aimé une fois sait tout ce qu'il y a dans la vie de douleur et de joie, n'est-ce pas, Sylvia?

Ce que tu demandes est bien antipathique à mon caractère et à l'habitude de toute ma vie. Raconter une à une toutes les émotions de ma vie présente, jeter tous les jours un regard d'examen sur l'état de mon coeur, me plaindre du mal que j'endure et me vanter du bien qui m'arrive, me surveiller, me chérir, me révéler ainsi, c'est ce que je n'ai jamais songé à faire. Jusqu'ici, mes amours ont été cachées, mes joies silencieuses; je ne t'ai raconté mes plaisirs que quand je les avais perdus, et mes chagrins que lorsque j'en étais guéri; encore j'ai cru faire en cela un grand acte de confiance et d'épanchement; car, avec toute autre créature humaine, je m'en sentais absolument incapable, et nul n'a obtenu de ma bouche l'aveu des événements les plus évidents de ma vie morale. Cette vie était si agitée, si terrible, que j'aurais craint de perdre mes rares bonheurs en les racontant, ou d'attirer sur moi l'oeil du destin, auquel j'espérais dérober furtivement quelques beaux jours.

Cependant je ne sens plus la même répugnance, aujourd'hui, à briser le sceau de ce nouveau livre où mon dernier amour doit être inscrit. Il me semble même, comme à toi, que cette connaissance exacte et détaillée de tout ce qui se passera en moi me sera salutaire et me préservera de ces inexplicables dégoûts dont l'amour est rempli. Peut-être qu'étudiant le mal dans sa cause, j'en préviendrai le développement; peut-être qu'en observant avec attention les secrètes altérations de nos âmes, je saurai forcer les petites choses à ne point acquérir une valeur exagérée, comme il arrive toujours dans l'intimité. J'essaierai de conjurer la destinée; si cela est impossible, j'accepterai du moins mes défaites avec le stoïcisme d'un homme qui a passé sa vie à chercher la vérité et à cultiver l'amour de la justice au fond de son coeur.

Mais, avant de commencer ce journal, il convient que je te dise d'où je pars, quel est l'état de mon âme et comment j'ai arrangé ma vie présente. Tu sais que j'ai entraîné Fernande au fond du Dauphiné pour l'éloigner bien vite de sa mère, femme méchante et dangereuse qui me hait particulièrement, qui m'a lâchement adulé tant qu'elle a désiré me voir assurer la fortune de sa fille, et qui a commencé à me braver aussitôt qu'elle n'a plus rien redouté à cet égard. Pauvre femme! si elle savait comme d'un mot je pourrais la faire pâlir! Mais je ne descendrai jamais jusqu'à combattre avec les méchants. Je savais qu'elle ne manquerait pas d'une certaine habileté pour gâter le jugement de sa fille sur mon compte et pour empoisonner notre bonheur par mille petites tracasseries d'une terrible importance. J'ai donc enlevé ma compagne le jour même de mon mariage; par là je me suis soustrait à tout ce que la publicité imbécile d'une noce a d'insolent et d'odieux. Je suis venu ici jouir mystérieusement de mon bonheur, loin du regard curieux des importuns; j'ai trouvé inutile, du moins, de mettre la pudeur de ma femme aux prises avec l'effronterie des autres femmes et le sourire insultant des hommes. Nous n'avons eu que Dieu pour témoin et pour juge de ce que l'amour a de plus saint, de ce que la société a su rendre hideux ou ridicule.

Depuis un mois rien encore n'a altéré notre bonheur; il n'est pas tombé le plus petit grain de sable dans le sein de ce lac uni et limpide; penché sur son onde transparente, je contemple avec extase le ciel qui s'y réfléchit; attentif à la plus légère perturbation qui pourrait le menacer, je suis sur mes gardes pour que le grain de sable n'entraîne pas une avalanche. Et pourtant je ne saurais beaucoup me tourmenter; que peut la prudence humaine contre la main toute-puissante du destin? Tout ce que je puis tenter et espérer, c'est de ne pas perdre par ma faute le trésor que Dieu me confie; s'il doit m'être retiré, cette certitude du moins me consolera, que je n'ai pas mérité de le perdre.

Et puis à présent, toutes les prévisions, toutes les craintes de ce monde me font un peu sourire. Qu'est-ce qui peut arriver de pis à un honnête homme? d'être forcé de mourir? Qu'est-ce que cela, je te le demande? Je ne vois pas que la certitude de mourir un jour empêche personne de jouir de la vie. Pourquoi la crainte du malheur futur nuirait-elle à mon bonheur présent?

Ce n'est pas que l'occasion de souffrir ne se soit déjà présentée à moi, et certainement j'en aurais profité dans ma jeunesse, alors qu'avide d'une félicité impossible, j'avais l'ambitieuse folie de demander des cieux sans nuages et des amours sans déplaisirs; ce besoin inconcevable qui entraîne l'homme à exercer sa sensibilité quand elle est toute neuve et surabondante, n'existe plus chez moi. J'ai appris à me contenter de ce que je dédaignais, à me soumettre aux contrariétés contre lesquelles je me serais révolté autrefois. Il m'est impossible de ne pas sentir la piqûre des chagrins journaliers; mon coeur n'est pas encore pétrifié, et je crois au contraire qu'il n'a jamais été plus véritablement ému. Heureusement la raison m'a appris à étouffer la légère convulsion que produit la blessure, à ne pas mettre au jour par un mot, par une plainte, par un geste, cet embryon de souffrance qui éclot et meurt si aisément, mais qui se développe si vite et qui grossit d'une manière si effrayante quand on le laisse essayer ses forces et briser sa prison. Puisse mon âme servir de cercueil à tous ces songes pénibles qui la tourmentent encore! Puisse-je ne pas me trahir par un signe extérieur de souffrance! Entre amants la douleur est sympathique, et le premier qui l'éprouve et ne sait pas la recéler la communique à l'autre, même sans la lui expliquer.

Adieu pour aujourd'hui, ma soeur chérie. À présent, nous sommes presque voisins; j'irai te voir certainement; et, quoi que tu en dises, je n'abandonne pas le projet de te faire connaître Fernande et de t'attirer auprès de nous.

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