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Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4)

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LETTRE XIV

»Padoue, 15 nivose an IX (janvier 1801).

»Ne sois point inquiète, ma bonne mère; j'avais prié Morin de t'écrire; ainsi, tu sais sûrement déjà que je suis prisonnier. Je suis maintenant à Padoue et en route pour Gratz. J'espère être bientôt échangé, le général Dupont m'ayant fait redemander à M. de Bellegarde le matin même du jour où j'ai été pris. Je ne puis t'en dire davantage maintenant; mais j'espère que, bientôt, je t'annoncerai mon retour. Adieu! je t'embrasse de toute mon ame. J'embrasse aussi père Deschartres et ma bonne.»

* * *

Ce peu de mots était destiné à rassurer la pauvre mère. La captivité fut plus longue et plus dure que cette lettre ne l'annonçait. Pendant les deux mois qui s'écoulèrent sans qu'elle reçût aucune nouvelle de lui, ma grand'mère fut en proie à une de ces douleurs mornes que les hommes ne connaissent point et auxquelles ils ne pourraient survivre. L'organisation de la femme, sous ce rapport, est un prodige. On ne comprend pas une telle intensité de souffrance avec tant de force pour y résister. La pauvre mère n'eut pas un instant de sommeil et ne vécut que d'eau froide. La vue des alimens qu'on lui présentait lui arrachait des sanglots et presque des cris de désespoir. Mon fils meurt de faim! disait-elle; il expire peut-être en ce moment, et vous voulez que je puisse manger? Elle ne voulait plus se coucher. «Mon fils couche par terre, disait-elle; on ne lui donne peut-être pas une poignée de paille pour se coucher. Il a peut-être été pris blessé28. Il n'a pas un morceau de linge pour couvrir ses plaies.» La vue de sa chambre, de son fauteuil, de son feu, de tout le bien-être de sa vie, tout réveillait en elle les plus amères comparaisons; son imagination lui exagérait les privations et les souffrances que son cher enfant pouvait endurer. Elle le voyait lié dans un cachot: elle le voyait frappé par des mains sacriléges, tombant de lassitude et d'épuisement au bord des chemins, et forcé de se relever et de se traîner sous le bâton du caporal autrichien.

Le pauvre Deschartres s'efforçait vainement de la distraire. Outre qu'il n'y entendait rien et que personne n'était plus alarmiste par tempérament, il était si triste lui-même, que c'était pitié de les voir remuer des cartes le soir sur une table à jeu, sans savoir ce qu'ils faisaient et sans savoir lequel des deux avait gagné ou perdu la partie.

Enfin, vers la fin de ventose, Saint-Jean arriva au pas de course. Ce fut peut-être la seule fois de sa vie qu'il oublia d'entrer au cabaret en sortant de la poste. Ce fut peut-être aussi la seule fois qu'à l'aide de son éperon d'argent il mit au galop ce paisible cheval blanc qui a vécu presque aussi longtemps que lui. Au bruit inusité de sa démarche triomphante, ma grand'mère tressaillit, courut à sa rencontre et reçut la lettre suivante:

LETTRE XV

«Conegliano, le 6 ventose an IX (février 1801).

«Enfin, je suis hors de leurs mains! Je respire! Ce jour est pour moi celui du bonheur et de la liberté! J'ai l'espoir certain de te revoir, de t'embrasser dans peu, et tout ce que j'ai souffert est oublié. Dès ce moment, tous mes démarches vont tendre à te rejoindre. Le détail de toutes mes infortunes serait trop long; je te dirai seulement qu'après être restés deux mois dans leurs mains, marchant toujours dans les déserts de la Carinthie et de la Carniole, nous avons été menés jusqu'aux confins de la Bosnie et de la Croatie; nous allions entrer dans la Basse-Hongrie, lorsque, par l'événement le plus heureux, on nous a fait retourner sur nos pas et, pris un des derniers, j'ai été rendu un des premiers. Je suis maintenant au second poste français, où j'ai trouvé un lit, meuble dont je ne me suis point servi depuis environ trois mois; car j'étais resté un mois, avant d'être pris, sans me déshabiller pour dormir, et, depuis ma prise jusqu'à ce jour, je n'ai eu d'autre lit que de la paille. En revenant à l'armée, j'espérais retrouver le général Dupont et mes camarades; mais j'apprends qu'il est rappelé pour avoir, par son intrépide passage du Mincio, excité la jalousie d'un homme dont on ne tardera pas à reconnaître l'incapacité.

«Le général Dupont ayant emmené, à ce que je présume, mes chevaux et mes bagages, il ne me reste plus qu'à m'adresser au général Mounier, qui est aussi un de ses généraux divisionnaires. Je ne doute pas qu'il ne me donne les moyens de retourner près de toi, et je vais me diriger vers Bologne, où il est maintenant. Je ne puis plus servir jusqu'à mon échange, je suis rendu sur ma parole.

«J'éprouve une joie d'être libre, de pouvoir retourner près de toi sans qu'on puisse me faire de reproches! Je suis dans le ravissement, et pourtant j'ai pris comme une habitude de tristesse qui m'empêche encore de comprendre tout mon bonheur. Je vais demain à Trévise, où les nouveaux renseignemens que je prendrai décideront de ma route. Adieu, ma bonne mère, plus d'inquiétudes, plus de chagrin. Je t'embrasse et n'aspire qu'au moment de te revoir. J'embrasse l'ami Deschartres et ma bonne. Ce pauvre père Deschartres, qu'il y a longtemps que je ne l'ai vu.»

LETTRE XVI

«Paris, 25 germinal an IX (Avril 1801).

«Après bien des ennuis et des affaires qui m'ont retenu à Ferrare et à Milan, où j'ai retrouvé le général Watrin, un de mes meilleurs amis de l'aile droite, et qui m'a fait toucher, non sans peine, mes appointemens arriérés, je me suis mis en route avec George Lafayette. Nous avons versé quatre fois, et cependant, en dépit des mauvaises voitures et des brigands29, nous sommes arrivés à Paris sains et saufs hier matin. J'ai vu déjà mes neveux, mon oncle, mon général, et j'ai été reçu de tous avec la plus vive effusion. Mais ma joie n'était pas pure, tu manquais à mon bonheur. En passant dans la rue Ville-l'Evêque, je regardai tristement notre maison où tu n'étais plus, et mon cœur fut bien serré. Je crois rêver de me voir rendu à ma patrie, à ma mère, à mes amis; je suis triste, quoique heureux! Pourquoi triste, je n'en sais rien! Il y a des émotions qu'on ne peut pas définir. C'est sans doute l'impatience de te voir.

«Je fus voir le général Dupont le matin même de mon arrivée. Il n'y était pas. J'y retournai à cinq heures, je le trouvai à table avec plusieurs autres généraux. En me voyant entrer, il se leva pour m'embrasser. Nous nous sommes serrés mutuellement avec la plus vive affection et des larmes de joie dans les yeux; Morin était fou de plaisir. Pendant le dîner, le général s'est plu à citer plusieurs traits honorables pour moi, et à faire mon éloge. En rentrant au salon, nous nous sommes encore embrassés. Après tant de périls et de travaux, cette réception amicale était pour moi bien douce, j'étais suffoqué d'attendrissement. Il existe une union réelle parmi des compagnons d'armes. On a mille fois bravé la mort ensemble; on a vu couler leur sang, on est aussi sûr de leur courage que de leur amitié. Ce sont véritablement des frères, et la gloire est notre mère. Il en est une plus tendre, plus sensible et que j'aime encore mieux. C'est vers elle que se portent tous mes vœux, c'est à elle que je pense quand mon général et mes amis me disent qu'ils sont contens et fiers de moi.

«Je voulais t'aller embrasser tout de suite, mais Beaumont me dit que tu vas venir et Pernon t'a trouvé un autre logement rue Ville-l'Evêque. Pons dit que l'état de tes finances te permet d'arriver. Arrive donc vite, bonne mère, ou je cours te chercher. Le général veut pourtant me retenir pour me présenter à toutes nos grandeurs. Je ne sais à qui entendre. Si tu pouvais venir de suite, affaires et bonheur iraient de compagnie. Réponds-moi donc aussitôt ou je pars. Qu'il est doux le moment où l'on retrouve tout ce qui vous est cher, sa mère, sa patrie, ses amis! On ne saurait croire comme j'aime ma patrie! Comme on sent le prix de la liberté quand on l'a perdue, on sent de même l'amour de la patrie quand on en a été éloigné. Tous ces gens de Paris n'entendent rien à un tel langage; ils ne connaissent que l'amour de la vie et de l'argent. Moi, je ne connais le prix de la vie qu'à cause de toi. J'ai vu déjà tant de gens tomber à mes côtés sans presque m'en apercevoir que je regarde ce changement de la vie à la mort comme très peu de chose en soi-même. Enfin, je l'ai conservée malgré le peu de soin que j'en ai pris, cette vie que je veux te consacrer entièrement, quand j'aurai encore donné quelques années au service de la France.

 

«Je vais voir le logement que Pernon t'a trouvé et le faire préparer pour ton arrivée. Je ne pense qu'à cela. Je t'embrasse de toute mon ame.»

LETTRE XVII

A Madame ***.

«Sans date ni indication de lieu.

«Ah! que je suis heureux et malheureux à la fois! Je ne sais que faire et que dire, ma chère Victoire: je sais que je t'aime passionnément, et voilà tout. Mais je vois que tu es dans une position brillante, et moi je ne suis qu'un pauvre petit officier qu'un boulet peut emporter avant que j'aie fait fortune à la guerre. Ma mère, ruinée par la révolution, a bien de la peine à m'entretenir, et, dans ce moment, sortant des mains de l'ennemi, ayant à peine de quoi me vêtir, j'ai la figure d'un homme qui meurt de faim plus que celle d'un fils de famille. Tu m'as aimé pourtant ainsi, ma chère et charmante amie, et tu as mis avec un rare dévoûment ta bourse à ma disposition. Qu'as tu fait? qu'ai-je fait moi-même en acceptant ce secours!

«C'est moi que tu aimes, et tu veux me suivre, tu veux perdre une position assurée et fortunée, pour partager les hasards de ma mince fortune. Oui, je sais que tu es l'être le plus fier, le plus indépendant, le plus désintéressé. Je sais, en outre, que tu es une femme adorable, et que je t'adore! Mais je ne puis me résoudre à rien. Je ne puis accepter un si grand sacrifice, je ne pourrais peut-être jamais t'en dédommager. Et puis, ma mère! ma mère m'appelle, et moi, je brûle de la rejoindre, en même temps que l'idée de te perdre me fait tourner la tête! Allons, il faut pourtant prendre un parti, et voici ce que je demande: c'est de ne rien décider encore, c'est de ne pas brusquer les choses de manière à ne pouvoir plus s'en dédire. Je vais passer un certain temps auprès de ma mère, et t'envoyer immédiatement ce que tu m'as prêté. Ne te fâche pas, c'est la première dette que je veux payer. Si tu persistes dans ta résolution, nous nous retrouverons à Paris. Mais jusque-là réfléchis bien, et surtout ne me consulte pas. Adieu. Je t'aime éperduement, et je suis si triste que je regrette presque le temps où je pensais à toi sans espoir dans les déserts de la Croatie.»

LETTRE XVIII

A Mme Dupin, à Nohant.

«Paris, 3 floréal an IX (avril 1801)

«Je pars lundi. Je vais donc enfin te revoir, ma chère mère, te serrer dans mes bras! Je suis au comble de la joie. Toutes ces lettres, toutes ces réponses sont d'une lenteur insupportable. Je me repens de les avoir attendues et d'avoir reculé le plus doux moment de ma vie. Paris m'ennuie déjà. C'est singulier, depuis quelque temps je ne me trouve bien nulle part. Je vais goûter à Nohant près de toi le calme dont j'ai besoin. Mes camarades Morlin, Marin et Decouchy sont en route. Nous allons laisser notre général seul. On ne dit encore rien de certain sur les expéditions; j'espère pourtant que lorsqu'on se sera décidé à quelque chose, on n'oubliera pas les lauriers du Mincio. C'est sur ces lauriers sanglans que nous avons déposé nos armes. Faudra-t-il donc que tant de braves officiers et de généreux soldats, sacrifiés là pour conquérir la paix, sortent de la tombe pour crier honte et vengeance contre de lâches calomniateurs! Tu n'as pas d'idée de ce qui se dit autour du général en chef30 pour pallier l'horrible indifférence avec laquelle il a laissé assassiner nos braves. Quelqu'un chez lui, par sa permission ou par son ordre, a osé dire, entre autres choses, que je m'étais fait prendre pour donner à l'ennemi le plan et la marche de l'armée. Le général Dupont et mes camarades, qui se trouvaient là, ont heureusement relevé ces pieds plats de la belle manière.

«Adieu, ma bonne mère; je vais plier bagage et arriver... toujours trop tard au gré de mon impatience. Je t'embrasse de toute mon ame. Que je vais être content de revoir père Deschartres et ma bonne!

«MAURICE.»

CHAPITRE SEIZIEME

Incidens romanesque. Malheureux expédient de Deschartres. L'auberge de la Tête-Noire. Chagrins de famille. — Courses au Blanc, à Argenton, à Courcelles, à Paris. — Suite du roman. L'oncle de Beaumont. — Résumé de l'an IX.

Qu'on me permette, pour esquisser quelques événemens romanesques, de désigner mes parens par leurs noms de baptême. C'est en effet un chapitre de roman; seulement, il est vrai de tous points.

Maurice arriva à Nohant dans les premiers jours de mai 1801. Après les premières effusions de la joie, sa mère l'examina avec quelque surprise. Cette campagne d'Italie l'avait plus changé que la campagne de Suisse: Il était plus grand, plus maigre, plus fort, plus pâle; il avait grandi d'un pouce depuis son enrôlement, fait assez rare à l'âge de 21 ans, mais amené probablement par les marches extraordinaires auxquelles il avait été forcé par les Autrichiens. Malgré les transports de plaisir et de gaîté qui remplirent les premiers jours de ce rapprochement avec sa mère, on ne tarda pas à s'apercevoir qu'il était parfois rêveur et poursuivi par une mélancolie secrète; et puis, un jour qu'il était allé faire des visites à La Châtre, il y resta plus longtemps que de raison. Il y retourna le lendemain sous un prétexte, le surlendemain sous un autre, et, le jour suivant, il avoua à sa mère, inquiète et chagrine, que Victoire était venue le rejoindre. Elle avait tout quitté, tout sacrifié à un amour libre et désintéressé. Elle lui donnait de cet amour la preuve la plus irrécusable. Il était ivre de reconnaissance et de tendresse: mais il trouva sa mère si hostile à cette réunion qu'il dut refouler toutes ses pensées en lui-même et dissimuler la force de son affection. La voyant sérieusement alarmée du scandale qu'une pareille aventure allait faire et faisait déjà dans la petite ville, il promit de persuader à Victoire de retourner bien vite à Paris. Mais il ne pouvait le lui persuader, il ne pouvait se le persuader à lui-même, qu'en promettant de la suivre ou de la rejoindre bientôt, et là était la difficulté. Il fallait choisir entre sa mère et sa maîtresse, tromper ou désespérer l'une ou l'autre. La pauvre mère avait compté garder son cher fils jusqu'au moment où il serait rappelé par son service, et ce moment pouvait être assez éloigné, puisque toute l'Europe travaillait à la paix, et que c'était l'unique pensée de Bonaparte à cette époque. Victoire avait tout sacrifié, elle avait brûlé ses vaisseaux; elle ne comprenait plus d'autre fortune, d'autre bonheur que celui de vivre sans prévision du lendemain, sans regret de la veille, sans obstacle dans le présent, avec l'objet de son amour. Mais était-ce au retour d'une campagne durant laquelle sa mère avait tant gémi, tant pleuré et tant souffert, que cet excellent fils pouvait la quitter au bout de quelques jours? Etait-ce au moment où Victoire lui montrait un dévoûment si passionné qu'il pouvait lui parler du chagrin de sa mère, de l'indignation des collets-montés de la province, et la renvoyer comme une maîtresse vulgaire qui vient de faire un coup de tête impertinent? Il y avait là plus que la lutte de deux amours: il y avait la lutte de deux devoirs.

Il essaya d'abord, pour rassurer sa mère, de tourner l'affaire en plaisanterie. Il eut tort peut-être. Il l'eût attendrie, sinon persuadée, par des raisons sérieuses. Mais il craignit les anxiétés qu'elle était sujette à se créer, et cette sorte de jalousie qui n'était que trop certaine et qui trouvait, pour la première fois, un aliment réel.

Cette situation était, pour ainsi dire, insoluble. Ce fut l'ami Deschartres qui trancha la difficulté par une énorme faute, et qui dégagea le jeune homme des scrupules qui l'assiégeaient.

Dans son dévoûment à Mme Dupin, dans son mépris pour l'amour, qu'il n'avait jamais connu, dans son respect pour les convenances, le pauvre pédagogue eut la malheureuse idée de frapper un grand coup, s'imaginant mettre fin par un éclat à une situation qui menaçait de se prolonger. Un beau matin, il part de Nohant avant que son élève ait les yeux ouverts, et il se rend à La Châtre, à l'auberge de la Tête-Noire, où la jeune voyageuse était encore livrée aux douceurs du sommeil. Il se présente comme un ami de Maurice Dupin, on le fait attendre quelques instans, on s'habille à la hâte, on le reçoit. A peine troublé par la grâce et la beauté de Victoire, il la salue avec cette brusque gaucherie qui le caractérise et débute par procéder à un interrogatoire en règle. La jeune femme, que sa figure divertit et qui ne sait à qui elle a affaire, répond d'abord avec douceur, puis avec enjouement, et, le prenant pour un fou, finit par éclater de rire. Alors Deschartres, qui, jusque-là, avait gardé un ton magistral, entre en colère et devient rude, grondeur, insolent. Des reproches, il passe aux menaces. Son esprit n'est pas assez délicat, son cœur n'est pas assez tendre pour avertir sa conscience de la lâcheté qu'il va commettre en insultant une femme dont le défenseur est absent. Il l'insulte, il s'emporte, il lui ordonne de reprendre la route de Paris le jour même, et la menace de faire intervenir les autorités constituées, si elle ne fait ses paquets au plus vite.

Victoire n'était ni craintive ni patiente: à son tour, elle raille et froisse le pédagogue. Plus prompte que prudente à la réplique, douée d'une vivacité d'élocution qui contraste avec le bégaiement qui s'emparait de Deschartres lorsqu'il était en colère, fine et mordante comme un véritable enfant de Paris, elle le pousse bravement à la porte, la lui ferme au nez, en lui jetant, à travers la serrure, la promesse de partir le jour même, mais avec Maurice; et Deschartres, furieux, atterré de tant d'audace, se consulte un instant et prend un parti qui met le comble à la folie de sa démarche. Il va chercher le maire et un des amis de la famille, qui remplissait je ne sais quelle autre fonction municipale. Je ne sais pas s'il ne fit pas avertir la gendarmerie. L'auberge de la Tête-Noire fut promptement envahie par ces respectables représentans de l'autorité. La ville crut un instant à une nouvelle révolution, à l'arrestation d'un personnage important, tout au moins.

Ces messieurs, alarmés par le rapport de Deschartres, marchaient bravement à l'assaut, s'imaginant avoir affaire à une armée de furies. Chemin faisant, ils se consultaient sur les moyens légaux à employer pour forcer l'ennemi à évacuer la ville. D'abord il fallait lui demander ses papiers, et s'il n'en avait pas, il fallait exiger son départ et le menacer de la prison. S'il en avait, il fallait tâcher de trouver qu'ils n'étaient pas en règle et élever une chicane quelconque. Deschartres, tout boursouflé de colère, stimulait leur zèle. Il réclamait l'intervention de la force armée. Cependant l'appareil du pouvoir militaire ne fut pas jugé indispensable; les magistrats pénétrèrent dans l'auberge, et, malgré les représentations de l'aubergiste, qui s'intéressait vivement à sa belle hôtesse, ils montèrent l'escalier avec autant de courage que de sang-froid.

J'ignore s'ils firent à la porte les trois sommations légales en cas d'émeute, mais il est certain qu'ils n'eurent à franchir aucune espèce de barricade, et qu'ils ne trouvèrent dans l'antre de la mégère dépeinte par Deschartres qu'une toute petite femme, jolie comme un ange, qui pleurait, assise sur le bord de son lit, les bras nus et les cheveux épars.

A ce spectacle, les magistrats, moins féroces que le pédagogue, se rassurèrent d'abord, s'adoucirent ensuite, et finirent par s'attendrir. Je crois que l'un d'eux tomba amoureux de la terrible personne, et que l'autre comprit fort bien que le jeune Maurice pouvait l'être de tout son cœur. Ils procédèrent avec beaucoup de politesse et même de courtoisie à son interrogatoire. Elle refusa fièrement de leur répondre; mais quand elle les vit prendre son parti contre les invectives de Deschartres, imposer silence à ce dernier, et se piquer envers elle d'une paternelle bienveillance, elle se calma, leur parla avec douceur, avec charme, avec courage et confiance. Elle ne cacha rien: elle raconta qu'elle avait connu Maurice en Italie, qu'elle l'avait aimé, qu'elle avait quitté pour lui une riche protection, et qu'elle ne connaissait aucune loi qui pût lui faire un crime de sacrifier un général à un lieutenant et sa fortune à son amour. Les magistrats la consolèrent, et, remontrant à Deschartres qu'ils n'avaient aucun droit de persécuter cette jeune femme, ils l'engagèrent à se retirer, promettant d'employer le langage de la douceur et de la persuasion pour l'amener à quitter la ville de son plein gré.

 

Deschartres se retira en effet, entendant peut-être le galop du cheval qui ramenait Maurice auprès de sa bien-aimée. Tout s'arrangea ensuite à l'amiable et de concert avec Maurice, qu'on eut d'abord quelque peine à calmer, car il était indigné contre son butor de précepteur, et Dieu sait si, dans le premier mouvement de sa colère, il n'eût pas couru après lui pour lui faire un mauvais parti. C'était pourtant l'ami fidèle qui avait sauvé sa mère au péril de ses jours; c'était l'ami de toute sa vie, et cette faute qu'il venait de commettre, c'était encore par amour pour sa mère et pour lui qu'il en avait eu la fatale inspiration. Mais il venait d'insulter et d'outrager la femme que Maurice aimait. La sueur lui en venait au front, un vertige passait devant ses yeux. «Amour, tu perdis Troie!» Heureusement, Deschartres était déjà loin. Rude et maladroit, comme il l'était toujours, il allait ajouter aux chagrins de la mère de Maurice en faisant un horrible portrait de l'aventurière, et en se livrant sur l'avenir du jeune homme dominé et aveuglé par cette femme dangereuse à de sinistres prévisions.

Pendant qu'il mettait la dernière main à son œuvre de colère et d'aberration, Maurice et Victoire se laissaient peu à peu calmer par les magistrats, devenus leurs amis communs. Ce jeune couple les intéressait vivement; mais ils ne pouvaient oublier la bonne et respectable mère dont ils avaient mission de faire respecter le repos et de ménager la sensibilité. Maurice n'avait pas besoin de leurs représentations affectueuses pour comprendre ce qu'il devait faire. Il le fit comprendre à son amie, et elle promit de partir le soir même. Mais ce qui fut convenu entre eux, après que les magistrats se furent retirés, c'est qu'il irait la rejoindre à Paris au bout de peu de jours. Il en avait le droit, il en avait le devoir désormais.

Il l'eut bien davantage lorsque, revenu auprès de sa mère, il la trouva irritée contre lui et refusant de donner tort à Deschartres. Le premier mouvement du jeune homme fut de partir pour éviter une scène violente avec son ami, et Mme Dupin, effrayée de leur mutuelle irritation, ne chercha pas à s'y opposer. Seulement, pour ne pas faire acte de désobéissance et de bravade envers cette mère si tendre et si aimée, Maurice lui annonça, en ayant même l'air de la consulter sur l'opportunité de cette démarche, un petit voyage au Blanc chez son neveu Auguste de Villeneuve, puis à Courcelles, où était son autre neveu René, alléguant la nécessité de se distraire de pénibles émotions, et d'éviter une rupture douloureuse et violente avec Deschartres. Dans quelques jours, lui dit-il, je reviendrai calme. Deschartres le sera aussi, ton chagrin sera dissipé et tu n'auras plus d'inquiétudes, puisque Victoire est déjà partie. Il ajouta même, en la voyant pleurer amèrement, que Victoire serait probablement consolée de son côté, et que, quant à lui, il travaillerait à l'oublier. Il mentait, le pauvre enfant, et ce n'était pas la première fois que la tendresse un peu pusillanime de sa mère le forçait à mentir. Ce ne fut pas non plus la dernière fois, et cette nécessité de la tromper fut une des grandes souffrances de sa vie; car jamais caractère ne fut plus loyal, plus sincère et plus confiant que le sien. Pour dissimuler, il était forcé de faire une telle violence à son instinct, qu'il s'en tirait toujours mal et ne réussissait pas du tout à tromper la pénétration de sa mère. Aussi lorsqu'elle le vit monter à cheval le lendemain matin, elle lui dit tristement qu'elle savait bien où il allait. Il donna sa parole d'honneur qu'il allait au Blanc et à Courcelles. Elle n'osa pas lui faire donner sa parole d'honneur qu'il n'irait point de là à Paris. Elle sentit qu'il ne la donnerait pas ou qu'il y manquerait. Elle dut sentir aussi qu'en sauvant les apparences vis-à-vis d'elle, il lui donnait toutes les preuves de respect et de déférence qu'il pouvait lui donner en une telle situation.

Ma pauvre grand'mère n'était donc sortie d'une douleur que pour retomber dans de nouveaux chagrins et dans de nouvelles appréhensions. Deschartres lui avait rapporté de son orageux entretien avec ma mère que celle-ci lui avait dit: «Il ne tient qu'à moi d'épouser Maurice, et si j'étais ambitieuse comme vous le croyez, je donnerais ce démenti à vos insultes. Je sais bien à quel point il m'aime, et vous, vous ne le savez pas!» Dès ce moment, la crainte de ce mariage s'empara de Mme Dupin, et, à cette époque, c'était une crainte puérile et chimérique. Ni Maurice ni Victoire n'en avaient eu la pensée. Mais comme il arrive toujours qu'on provoque les dangers dont on se préoccupe avec excès, la menace de ma mère devint une prophétie, et ma grand'mère, Deschartres surtout, en précipitèrent l'accomplissement par le soin qu'ils prirent de l'empêcher.

Ainsi qu'il l'avait annoncé et promis, Maurice alla au Blanc, et de là il écrivit à sa mère une lettre qui peint bien la situation de son ame.

2828 Elle ne se trompait pas, mais elle ne le sut jamais.
2929 C'était le temps où les routes de la France étaient infestées de coupe-jarrets de toute espèce, chauffeurs, chouans, déserteurs, rebut de tous les partis, mais plus particulièrement du parti royaliste.
3030 Le général Brune.

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