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Kourroglou

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NOTICE

Kourroglou est toujours, à mes yeux, une oeuvre très-belle et très-curieuse. Elle n'eut pourtant pas de succès dans la Revue indépendante, où j'en publiai la traduction abrégée. Des raisons d'amitié me firent suspendre ce petit travail que l'on me disait préjudiciable aux intérêts de la Revue. Mais je protestai et proteste encore contre l'intelligence des abonnés qui préférèrent les romans nouveaux à ces chants originaux d'une littérature étrangère. C'était une initiation à la manière des rapsodes et des improvisateurs de l'Orient, et l'on sait qu'en fait d'art, connue en toutes choses, le public veut être poussé par les épaules vers les découvertes, si faciles qu'elles soient.

La suite du poème, dont j'ai été forcée de résumer en deux pages les derniers chants et le dénouement superbe, a été publiée en abrégé sur le texte anglais de M. Chodzko, par M. C. – G. Simon, à Nantes. Cela fait partie d'une suite de travaux intéressants et agréablement présentés, qui ont paru dans les Annales de la Société académique de la Loire-Inférieure, sous le titre de Recherches sur la littérature orientale, Nantes, 1847.

Il est à regretter que M. C. – G. Simon, par des raisons analogues à celles que j'ai subies, n'ait pas continué son exploration dans cette littérature persane, une des plus riches et une des plus belles du monde, assurément, puisqu'on y trouve la manière d'Homère et celle de Cervantes se coudoyant avec franchise, grandeur et naïveté dans les mêmes récits. On me dira que tout cela est exploré déjà. J'objecterai que peu de gens lisent ces poëmes dans le texte, et qu'on ne les lit guère plus dans les traductions, puisque la mienne et celles de M. Simon, allégées autant que possible des redites et longueurs inévitables de la manière orientale, n'ont été goûtées et comprises que des littérateurs.

Et malgré ceci, j'insiste, et je dis: Lisez Kourroglou; c'est amusant, quoique ce soit beau.

GEORGE SAND

Nohant, 24 juin 1833.

PRÉFACE

Avez-vous lu Baruch? Peut-être! Mais vous n'avez pas lu Kourroglou. Lecteur, que lisez-vous donc! Quoi, vous n'avez pas lu Kourroglou! Kourroglou a été traduit du persan (car vous n'êtes pas obligé, ni moi non plus, de savoir le persan), et vous ne vous en doutez pas plus que je ne m'en doutais la semaine dernière? Ah! si j'étais lecteur de mon état, je ne voudrais pas avouer que je ne connais pas Kourroglou! En vain vous m'alléguerez que Kourroglou a été traduit du perso-turc en anglais, et que peut-être vous ne savez pas l'anglais: c'est une mauvaise défaite. Vous devriez le savoir, et moi aussi; mais je ne le sais pas, ni vous non plus, je suppose. Pourtant je le comprends, assez pour essayer de vous faire connaître Kourroglou, et je commence, renvoyant ceux de vous qui lisent l'anglais couramment à la traduction première, qui est toujours la meilleure, ayant été faite par un homme versé dans les langues orientales et dans les dialectes tuka-turkman, perso-turc, zendo-persan et autres, que nous connaissons aussi… de réputation.

Mais avant d'entendre cette merveilleuse et curieuse histoire, il est bon que vous sachiez que le fond en est véritable, et que le célèbre Kourroglou, dont vous n'aviez jamais entendu parler, eut un personnage historique. Le nord de la Perse et les rives de la mer Caspienne sont pleins de sa gloire, et la récit de ses exploits est aussi populaire que celui de la guerre de Troie au temps d'Homère. Il est vrai qu'un Homère a manqué à notre héros jusqu'à ce jour, et qu'il a fallu la patience, la curiosité et le génie investigateur d'un Européen pour rassembler, résumer et coordonner les interminables fragments que les rapsodes orientaux débitent aux oreilles ravies et enflammées de leurs auditeurs. Honneur et grâces soient donc rendus à M. Alexandre Chodzko, l'Homère de Kourroglou. L'épopée de sa vie n'avait jamais été écrite, et il n'est pas bien prouvé que Kourroglou lui-même ait su écrire; il avait tant d'autres choses à faire, le vaillant diable à quatre! boire, battre, être un vert galant; mais ce n'est pas tout. Il avait encore le talent de chanter en improvisant; sa poésie et sa voix résonnaient de la Perse à la Turquie, de Khoï à Erzeroum, et sa guitare faisait presque autant de miracles que son cimeterre.

Mais qu'était-ce donc que Kourroglou? C'était bien plus qu'un poëte, bien plus qu'un barde, bien plus qu'un lettré, bien plus qu'un pontife, bien plus qu'un roi, bien plus qu'un philosophe. Il était ce qu'il y a de plus grand… en Perse: il était bandit. Quand vous aurez fait connaissance avec lui, vous verrez que ce n'est pas peu de chose; mais vous conviendrez qu'à moins d'être Kourroglou, il ne faut pas s'en mêler.

Kourroglou était (c'est M. Alexandre Chodzko qui parle) «un Turkman-Tuka, natif du Khorassan septentrional. Il a vécu dans la seconde moitié du XVIIe siècle; il a rendu son nom illustre en pillant les caravanes sur la grande route; mais ses improvisations poétiques l'ont fait plus grand encore. Les Turcs Iliotes, tribus errantes transplantées à différentes époques du centre de l'Asie aux vastes pâturages qui s'étendent de l'Euphrate à la Méroë, ont religieusement conservé ses chants et la mémoire de ses actions. Il est leur guerrier modèle et leur barde national dans toute l'étendue du terme. On montre encore aujourd'hui les ruines de la forteresse de Chamly-Bill, bâtie par Kourroglou dans la délicieuse vallée de Salmas, un district de la province d'Aderbaïdjan. Encore aujourd'hui on manque rarement de réciter dans une fête les chants d'amour de Kourroglou. Durant les querelles intestines et les combats que livrent les Iliotes, pour leur indépendance, aux Persans, leurs maîtres, quand les deux armées ennemies sont au moment d'engager la bataille, ils s'animent les uns les autres, et défient l'ennemi: les Perses en chantant des passages du schah-nama de leur Ferdausy, les Iliotes en hurlant les chants de guerre de leur Kourroglou. Sous les fenêtres du palais du schah, lorsque les trompettes et les tambours du nekhara-khana (la garde d'honneur) saluent le soleil levant, les musiciens ont coutume du jouer l'air guerrier de Kourroglou, celui qui a servi de thème à ses poésies lyriques, et sur lequel il improvisait ordinairement.»

M, Chodzko établit un parallèle entre Ferdausy et Kourroglou. Il ne met point en balance la valeur littéraire de ces deux poëtes; l'un écrivant une magnifique épopée en langue arabe, achevant son oeuvre avec soin au milieu des délices d'une cour; l'autre improvisant au milieu des déserts, et dans un dialecte sauvage, des strophes énergiques, mais décousues et farouches comme sa vie, son caractère et ses compagnons d'armes. Cependant M. Chodzko s'étonne avec raison que le plus renommé et le plus populaire des deux (dans une plus vaste étendue de pays, ou du moins chez des admirateurs plus passionnés et plus nombreux), le bandit-ménestrel Kourroglou, soit resté jusqu'à ce jour inconnu aux Européens. C'est après un séjour de onze ans dans ces contrées, après avoir interrogé et écouté attentivement les rapsodes et les bardes qui passent leur vie à raconter et à chanter au peuple les exploits et les poésies de Kourroglou, qu'il est parvenu à écrire la vie épique, et à transcrire fidèlement les hymnes de ce héros barbare. Les versions les plus exactes, les récits les plus poétiques et les plus complets, il les a trouvés, dit-il, dans la dernière classe du peuple; la où le souvenir fanatique et l'amour enthousiaste de cette nature de faits et de ce genre de poésie avaient dû nécessairement pénétrer et se graver davantage. La nouveauté d'un tel personnage, l'intérêt de ses aventures, et surtout la peinture énergique dos moeurs et du caractère des tribus nomades dont Kourroglou est le type, et aux yeux desquelles il est un type idéal, ont paru assez importants aux orientalistes de Londres pour que le comité de l'Oriental translation fund de la Grande-Bretagne et de l'Irlande ait fait imprimer et publier, à ses frais, les aventures de Kourroglou. Cette épopée, jointe aux chants des peuples qui habitent les rives de la mer Caspienne (chants populaires des Kalmouks, des Tatars d'Astrakan, des Perso-Turks, des Turckmans, des Ghilanis, des Highlanders Rudbars, des Taulishs et des Mazenderams), forment un beau volume sous ce titre: Specimens of the popular poetry of Persia. «As found in the adventures and improvisations of Kourroglou the bandit menestrel of northern Persia: and in the songs of the people inhabiting the shores of the Caspian sea. Orally collected and translated with philological and historical notes, by Alexander Chodzko, esq.»

Cette publication n'est pas, en effet, importante au seul point de vue de l'amusement et de l'intérêt épique; ce n'est pas seulement un héros de l'Arioste que la Perse nous révèle, c'est toute une histoire de moeurs, c'est tout un génie national que Kourroglou. C'est le nomade dans toute sa poésie plaisante et terrible, c'est le guerrier asiatique dans toute son exagération fanfaronne, c'est le brigand de la Perse dans toute sa ruse, dans toute sa férocité et dans toute son audace. Kourroglou est cruel, ivrogne, glouton, libertin; c'est le plus grand pillard et le plus grand vantard que nous ayons jamais rencontré, même chez nous, où ces qualités sont si fort répandues par le temps qui court. Il est entreprenant, vindicatif, insatiable de richesses et de plaisirs, fourbe, brutal et impitoyable dans la colère. Il n'en est pas moins l'idole de ses compagnons et de leur nombreuse postérité. Ces peccadilles ne le rendent que plus aimable. Les femmes en sont folles, et les enfants rêvent de lui, non comme d'un croquemitaine, mais comme d'un Tancrède ou d'un Roland. Tandis que le Rustem de Ferdausy est un vrai chevalier, fidèle à son prince ou prosterné devant son Dieu, Kourroglou ne connaît guère d'autre dieu que lui-même et n'est fidèle qu'à son propre serment. A cet égard, il affiche une loyauté et une générosité qui ne sont point sans grandeur et sans danger, vu la mauvaise foi des ennemis qui le poursuivent. Une seule trahison déshonore sa vie; mais il la pleure amèrement, et le remords lui inspire le plus beau de ses chants de douleur. Un seul amour pénètre jusqu'au fond de son âme, et fait de lui un être sympathique par quelque endroit, c'est sa tendresse exaltée pour son fils adoptif, Ayvaz, le Benjamin, le Renaud du poëme. Mais le véritable héros de la vie de Kourroglou, ce n'est point Kourroglou, ce n'est pas le bel Ayvaz, ce n'est pas même le spirituel marmiton Hamza-Beg; ce n'est pas un homme, ce n'est pas une femme: c'est un cheval, c'est la divin Kyrat, près duquel les coursiers d'Achille et tous les palefrois renommés de la chevalerie ne sont que de pauvres poneys. Le poëme s'ouvre par la formation céleste de Kyrat, comme vous allez le voir, lecteur; car j'entreprends de vous raconter tout le poëme. Mais comme M. Chodzko l'a oralement transcrit, je me permettrai d'abréger et de résumer la traduction de M. Chodzko. Quand je la citerai textuellement, j'aurai soin de l'indiquer.

 

Le poëme est divisé par chants, que M. Chodzko intitule: Entrevues; meetings en anglais, mejjliss en perso-turk que nous traduirons par rencontres. Ce sont les rapsodies que l'haleine d'un Kourroglou-Khan peut fournir en une séance à l'attention d'un auditoire. Les Kourroglou-Khans sont comme les Schah-Namah-Khans de Ferdausy, comme les Koran-Khans du Prophète, des bardes de profession qui, en s'accompagnant de la guitare, récitent au peuple et aux amateurs les faits, gestes, maximes et improvisations de leur héros. La mémoire de ces chanteurs, dit M. Chodzko, est vraiment incroyable; à toute sommation, ils récitent d'une seule haleine, et durant des heures entières, sans la moindre hésitation, à partir du vers qui leur est désigné par les auditeurs.

PREMIÈRE RENCONTRE 1

Kourroglou était un Turkoman de la tribu de Tuka; son véritable nom était Roushan, et celui de son père Mirza-Serraf. Ce dernier était au service du sultan Murad, gouverneur d'une des provinces du Turkestan, en qualité de chef des haras de ce prince.

Un jour que les cavales paissaient dans les prairies qui s'étendent le long du Jaïhoun (l'Oxus), un étalon sortit de la surface des eaux, gagna la rive, courut vers la troupe des cavales, et après s'être accouplé à deux d'entre elles, il se replongea dans le fleuve, où il disparut pour jamais. Cette étrange nouvelle ne fut pas plus tôt rapportée à Mirza-Serraf, qu'il se rendit à la prairie, et ayant fait des marques distinctes aux deux juments désignées, il recommanda aux gardiens d'en avoir un soin particulier; puis, de retour chez lui, il consigna sur ses livres les détails de l'apparition de l'étalon, et enregistra la date précise de cet événement.

On sait qu'une jument donne toujours naissance à son poulain étant debout; quand le terme fut arrivé, Mirza-Serraf, qui était présent à leur naissance, reçut les jeunes poulains dans le pan de sa robe, afin qu'ils ne fussent point blessés par leur contact avec la terre.

Il dirigea lui-même avec le plus grand soin leur première éducation pendant les deux années suivantes, et surveilla les progrès de leur croissance. Malheureusement leur mauvaise mine n'était pas propre à inspirer beaucoup d'espoir pour l'avenir. Ils paraissaient laids à la première vue, et leur robe épaisse semblait être de crin plus que de poil.

Un des devoirs de la charge de Mirza-Serraf était de visiter, à tour de rôle, tous les haras confiés à ses soins, afin de mettre à part les meilleurs poulains pour les écuries du prince. Dans cette occasion, les deux poulains merveilleux furent au nombre de ceux qu'il choisit. Quand le prince vint en personne visiter ses écuries, il examina attentivement les chevaux amenés par Mirza-Serraf, et approuva tous ses choix, à l'exception des deux poulains en question.

Plus il les regardait, plus ils lui semblaient hideux. Il fit amener en sa présence le chef de ses haras, et s'adressant à lui d'une voix courroucée: «Vassal, lui dit-il qu'est-ce que cela signifie? me crois-tu donc dépourvu d'instruction ou d'intelligence, ou bien es-tu devenu si vieux que tu ne puisses plus distinguer un bon cheval d'un mauvais? Que prétends-tu en m'amenant ces deux misérables haquenées?»

Alors, transporté de rage, le prince ordonna que Mirza-Serraf eût les yeux crevés. Cette sentence fut immédiatement exécutée. Un fer rouge fut appliqué sur le globe des yeux de l'infortuné Mirza, qui fut ainsi privé pour jamais de la lumière. Aveugle et désolé, il fut reconduit dans sa maison. Son fils unique Roushan, jeune homme de dix-neuf ans, étudiait alors à l'une dés écoles de la ville. Aussitôt qu'il eut appris le châtiment infligé à son père, baigné de larmes, il accourut vers lui. «Ne pleure pas, mon fils, lui dit le vieillard, qui était un des plus habiles astrologues de son siècle; j'ai examiné ton horoscope, et ma science infaillible ma découvert que tu deviendrais un héros célèbre. Tu vengeras mes souffrances sur la personne de l'injuste tyran qui me les a infligées. Va à l'instant voir le prince, et parle-lui ainsi: «Seigneur, tu as fait crever les yeux de mon père à cause d'un poulain. Sois miséricordieux, et fais-lui présent de l'animal; sans cela mon pauvre père, qui est vieux et aveugle, n'aura pas de cheval à monter pour se rendre à la distribution des aumônes qui se font dans ton palais.» Roushan fit ainsi qu'il lui avait été dit.

Le prince, dont la colère avait eu le temps de se calmer, accorda au jeune homme la permission d'entrer dans ses écuries et de prendre celui des deux poulains condamnés qui lui plairait le mieux.

Roushan choisit celui qui était gris, parce que son père lui avait dit que la jument qui l'avait porté était d'une plus noble race que l'autre. De retour à la maison avec le don du prince, Roushan reçut de son père l'ordre de creuser un souterrain. «Il nous servira d'écurie, lui dit celui-ci. Fais-y quarante stalles, et entre chaque stalle tu feras un réservoir pour l'eau. Par la combinaison d'un certain nombre de ressorts, dont je t'enseignerai l'usage, l'orge et la paille seront distribuées en temps convenable à notre poulain, qui mangera sa ration sans l'assistance d'un palefrenier. L'eau lui arrivera de la même manière en temps convenable. Tu maçonneras soigneusement la porte et jusqu'aux moindres fentes de l'écurie; car il est indispensable que notre cheval demeure seul durant quarante jours, et que ni l'oeil de l'homme ni les rayons du soleil ne viennent le troubler dans sa solitude.»

Les instructions du père furent exécutées par le fils avec la plus scrupuleuse fidélité. Le poulain fut introduit et enfermé dans sa nouvelle demeure. Il y avait déjà trente-huit jours qu'il y demeurait, caché à tous les regards, lorsqu'au trente-neuvième la patience de Roushan fut épuisée. Il s'approcha de l'écurie, et ayant fait un trou de la grandeur de l'oeil, il commença à regarder dans l'intérieur.

Le corps entier du poulain lui apparut brillant et resplendissant comme une lampe; mais la lumière qui en jaillissait s'affaiblit instantanément, et puis s'éteignit comme par l'effet du simple regard de Roushan. Il eut peur, et, refermant précipitamment la petite ouverture, il retourna vers son père, auquel il ne dit rien de ce qui était arrivé. Le lendemain, juste à l'heure où venait d'expirer le quarantième jour de la claustration du poulain, Mirza dit à son fils: «Le temps est accompli, allons chercher notre cheval et commençons à le dresser.» Ils furent ensemble à l'écurie. L'aveugle commença à tâter. la robe de l'animal: il promena sa main sur la tête et sur le cou, sur les jambes de devant et sur celles de derrière, comme s'il eût cherché quelque chose, et tout à coup il s'écria: «Qu'as-tu fait, malheureux enfant? Il eût mieux valu pour moi que tu fusses mort dans ton berceau! Pas plus tard qu'hier tu as laissé la lumière tomber sur le poulain. – Tu as deviné juste, mon père; mais comment as-tu fait pour découvrir cela? – Comment j'ai fait? Ce cheval avait des plumes et des ailes qui ont été brisées par suite de ton imprudence.» A ces mois le coeur de Roushan fut rempli d'amertume, et il tomba dans une profonde tristesse. Mirza lui dit alors: «Ne perds pas courage; nul cheval vivant ne pourra jamais approcher de la poussière que soulèveront les pieds de ce coursier.»

Ayant dit ainsi, l'aveugle enseigna à son fils à seller le poulain avec une selle de feutre, et lui prescrivit de le dresser de la manière suivante: «Tu le feras trotter pendant les quarante premières nuits sur les rochers et dans les plaines pierreuses, et pendant les quarante nuits suivantes dans l'eau et les marécages.» Quand ceci fut accompli, Mirza-Serraf mit son cheval au galop, qu'il soutint admirablement, soit en avant, soit a reculons. L'éducation du noble animal ayant été ainsi complétée, il commença à s'occuper de celle de son fils. «Monte ton cheval, lui dit-il, fais-moi place derrière toi, et traversons l'Oxus.» Pendant qu'ils s'amusaient ainsi, le vieillard expérimenté initiait son fils à tous les stratagèmes de l'art de l'équitation et du métier des armes.

«C'est bien, dit-il un jour à Roushan, je suis content de toi. Mais il nous reste encore une chose à faire. Notre prince vient quelquefois chasser sur les bords de l'Oxus; c'est là que tu l'attendras. La première fois que tu le verras venir de ton côté, revêts toutes les pièces de ton armure, et, monté sur ton cheval, va hardiment à la rencontre du tyran. Alors tu lui diras ces mots: «Prince injuste et cruel, contemple le cheval à cause duquel tu as fait crever les yeux de mon père, regarde bien ce qu'il est devenu, et meurs d'envie.»

Roushan obéit fidèlement à l'ordre de son père; la première fois qu'il aperçut le prince prenant le plaisir de la chasse sur les bords de l'Oxus, il revêtit son armure et courut droit à lui. Le prince, émerveillé de la beauté peu commune du cheval, aussi bien que de la noble apparence du cavalier, dit à son vizir: «Quel est ce jeune homme?» Roushan, invité à s'approcher du prince, ne manqua pas de lui répéter d'une voix ferme et menaçante le discours que son père lui avait enseigné, et il ajouta: «Prince stupide, tu le crois un bon connaisseur de chevaux. Écoute, ignorant, et apprends de moi quels sont les signes auxquels on reconnaît un cheval de noble race.» Cela dit, il improvisa le chant suivant:

Improvisation. – «Je viens, et je te dis: Écoute, ô prince! et apprends à quoi se fait reconnaître un noble cheval. Actif et alerte, vois si ses naseaux s'enflent et se distendent alternativement; si ses jambes, sèches et déliées, sont comme les jambes de la gazelle prête à commencer sa course. Ses hanches doivent ressembler a celles du chamois; sa bouche délicate cède à la plus légère pression de la bride, comme la bouche d'un jeune chameau. Quand il mange, ses dents broient le grain comme la meule d'un moulin en mouvement, et il l'avale comme un loup affamé. Son dos rappelle celui du lièvre; sa crinière est douce et soyeuse; son cou est élevé et majestueux comme celui du paon. Le meilleur temps pour le monter est entre sa quatrième et sa cinquième année. Sa tête est fine et petite comme celle du grand serpent chahmaur; ses yeux sont saillants comme deux pommes; ses dents semblent autant de diamants. La forme de sa bouche doit approcher de celle du chameau mâle; ses membres sont finement dessinés, et plutôt arrondis qu'allongés. Quand on le sort de l'écurie, il est joyeux et il se cabre. Ses yeux ressemblent à ceux de l'aigle, et il marche avec l'inquiète impatience d'un loup affamé. Son ventre et ses côtes remplissent exactement la sangle. Un jeune homme de bonne famille prête une oreille obéissante aux leçons de ses parents; il aime son cheval et en prend le plus grand soin Il sait par coeur la généalogie et la pureté de son sang. Il essaie souvent la vigueur des articulations de son genou; en un mot, il doit être ce qu'était Mirza-Serraf dans sa jeunesse.»

Dès que le prince eut entendu cette improvisation, il dit aux gens de sa suite: «C'est là le fils de Mirza-Serraf? Holà! qu'il soit arrêté!»

Roushan fut immédiatement entouré de tous côtés; mais, sans paraître s'en apercevoir, il parla ainsi au sultan Murad:

 

Improvisation. – «Écoutez, mon prince; il me revient en mémoire quelques stances de vers agréables; permettez-moi de vous les réciter.» Le prince y consentit, et ordonna à ses gardes, de ne pas toucher à Roushan qu'il n'eût dit ses vers. Alors ce dernier commença l'improvisation suivante: «Mon prince a donné l'ordre de me punir; mais, par Allah! je sais comment me défendre; je m'échapperai de ses mains. En vain m'offrirais-tu tes richesses et tes faveurs comme on jette la pâture à l'aigle vorace et affamé, je les rejetterais toutes.»

Le prince l'interrompit et lui dit: «Cesse tes vaines bravades; viens, et sers-moi fidèlement, autrement je te ferai mourir.»

Roushan chanta alors ainsi:

Improvisation. – «Je suis appelé Dieu dans ma maison: oui, je suis un dieu. Je ne courberai point mon cou devant un lâche comme toi. La cruche a porté l'eau assez longtemps pour toi; mais, à la fin, la cruche s'est brisée.»

Le prince lui dit: «Ton père a été mon serviteur pendant cinquante ans. Dans un moment de colère, j'ai ordonné qu'on lui crevât les yeux. Mais qui déniera au maître le droit de punir son esclave, afin de pouvoir ensuite le combler de ses faveurs? Viens avec moi, tu apprendras à m'être agréable, et je te récompenserai.» Roushan répliqua: «Tu as éteint les yeux de mon père, et, à ce prix, tu veux me faire riche. Si Dieu me donne assez de vie, je te ferai subir la peine du talion. Mais écoute!»

Improvisation. – «C'est toi-même qui as construit l'édifice de la ruine quand tu as prêté l'oreille à des calomniateurs. Je prendrai ta vie et je renverserai ton trône.»

Ces paroles firent sourire le prince, et il lui demanda ironiquement: «Comment, Roushan, te sens-tu assez fort pour détruire mes villes et pour renverser mon trône?» Roushan improvisa le chant suivant:

«Assez de forfanteries. Que sont à mes yeux trente, soixante, ou même cent de tes guerriers? Que sont vos rochers, vos précipices et vos déserts sous le sabot de mon coursier? Je suis le léopard des montagnes et des vallées2

Le prince reprit: «Viens plus près de moi, ne fuis pas. Je jure par la tête des quatre premiers califes que je te ferai sirdar (général commandant en chef) de mes troupes.» Et pendant qu''il parlait ainsi, il admirait le courage du jeune homme. Roushan répliqua et dit: «Maintenant, mes chants, aussi bien que mes exploits, seront connus au monde sous le nom de Kourroglou, le fils de l'aveugle dont tu as crevé les yeux 3.

Improvisation. – «Écoute les paroles de Kourroglou. La vie m'est un fardeau. De ce jour j'abandonne ma tête aux hasards de la fortune, comme la feuille d'automne s'abandonne à l'âpre souille des vents. Avec l'assistance de Dieu, j'irai en Perse pour y rétablir la religion d'Ali, qui est vénéré dans ce pays.»

Il finissait à peine ces mots, que, se précipitant au milieu de la suite du prince, il fit un horrible carnage, et le prince, à la fin convaincu que toutes les armées de la terre ne pourraient venir à bout de le vaincre, ordonna à son vizir d'abandonner une poursuite dangereuse et inutile.

Roushan traversa l'Oxus à la nage et se hâta de rejoindre son père sur la rive opposée. «Tu m'as vengé, mon fils, lui dit ce dernier, que Dieu t'en récompense! Quittons maintenant cette contrée: non loin d'Hérat, je connais une oasis où tu vas me conduire.

Roushan obéit, et quand ils eurent atteint l'oasis, Mirza-Serraf tira de dessous son bras un vieux livre d'astrologie qui ne le quittait jamais, et dit: «O mon fils, cherche dans ce livre un passage qui traite de l'apparition de deux étoiles, l'une à l'orient et l'autre à l'occident. – Père, je l'ai trouvé!

– Bien! L'oasis où nous sommes contient une source d'eau; quand la nuit qui précède le vendredi sera arrivée, tu veilleras avec ce livre dans la main, en répétant continuellement la prière qui se trouve a ce passage du livre; tes jeux devront suivre avec la plus grande vigilance les deux étoiles jusqu'au moment où elles se rencontreront. Alors tu verras la surface de l'eau se couvrir d'une écume blanche. Prends ce vase que j'ai apporté tout exprès, tu y recueilleras soigneusement l'écume et me l'apporteras sans délai.»

Quand la nuit désignée fut venue, Roushan remplit toutes les instructions de Mirza-Serraf, et déjà il revenait avec le vase plein de l'écume mystérieuse; mais elle était si blanche, si légère et si fraîche, que le jeune homme inexpérimenté ne put résister à la tentation: il avala l'écume. «J'ai accompli toutes tes prescriptions, dit-il à son père; l'écume cependant ne s'est pas montrée sur l'eau de la source.» Mirza-Serraf répondit: «L'écume a paru sur l'eau de la source; j'en suis certain. Confesse la vérité, qu'en as-tu fait?»

Roushan était sincère; il avoua sa faute. Alors le vieillard, frappant son genou avec ses deux mains: «Qu'as-tu fait, malheureux? s'écria-t-il. Sois maudit, et puisse ta maison tomber sur ta tête! Tu m'as ravi le bonheur de te revoir. Cette écume était un remède précieux et unique, un collyre qui avait la puissance de guérir ma cécité. J'en aurais employé une portion pour moi, et je t'eusse laissé boire le reste. Mais les décrets du sort sont irrévocables; tu deviendras un guerrier invincible et moi je mourrai aveugle. Tout est consommé, maintenant.» Le pauvre vieillard commença alors à dicter ses dernières volontés. «Mes jours sont comptés, dit-il, désormais tu prendras le nom de Kourroglou, le fils de l'aveugle. Tes vers et tes actions seront attachés pour toujours à ce surnom. Maintenant conduis-moi à Mushad, sur le dos de Kyrat4, car c'est ainsi que tu devras nommer ton cheval.»

Kourroglou plaça son vieux père derrière lui, et marcha vers la ville sacrée de Mushad, où ils arrivèrent en peu de temps, grâce à la vigueur surnaturelle de leur cheval. Ce fut dans cette ville qu'ils embrassèrent la foi d'Ali, et, d'impies sunnites qu'ils étaient, devinrent sheahs et vrais croyants. Ce fut là aussi que Mirza-Serraf mourut, et voici quelles furent ses dernières paroles: «Aussitôt que je serai mort, rends-toi dans la province d'Aderbaïdjan, dont le schah de Perse est souverain. Il voudra t'attirer à sa cour, n'y va pas, mon fils; mais ne te révolte pas non plus contre lui.»

Il dit et il expira.

1Ce premier chant est textuellement traduit de l'anglais.
2Cette strophe est habituellement chantée par les Turcs avant qu'ils s'élancent sur l'ennemi.
3Kurr signifie aveugle, et oglou fils.
4Un cheval bai brun.
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